Boris Vian, écrivain, poète, parolier, chanteur et critique musical.

Boris Vian, né le 10 mars 1920 à Ville-d’Avray (Seine-et-Oise) et mort le 23 juin 1959 à Paris (7e arrondissement), est un écrivain, poète, parolier, chanteur, critique musical, musicien de jazz (trompettiste) et directeur artistique français. Ingénieur formé à l’École centrale, il s’est aussi adonné aux activités de scénariste, de traducteur (anglais américain), de  conférencier, d’acteur et de peintre.

Sous le pseudonyme Vernon Sullivan, il a publié plusieurs romans dans le style américain, parmi lesquels J’irai cracher sur vos tombes qui a fait scandale et lui valut un procès retentissant. Si les écrits de Vernon Sullivan ont attiré à Boris Vian beaucoup d’ennuis avec la justice et le fisc, ils l’ont momentanément enrichi à tel point qu’il pouvait dire que Vernon Sullivan faisait vivre Boris Vian. Il a souvent utilisé d’autres pseudonymes, parfois sous la forme d’une anagramme, pour signer une multitude d’écrits.

Boris Vian a abordé à peu près tous les genres littéraires : poésie,  documents, chroniques, nouvelles. Il a aussi produit des pièces de théâtre et des scénarios pour le cinéma. Son œuvre est une mine dans laquelle on continue encore de découvrir de nouveaux manuscrits au XXIe siècle. Toutefois, sa bibliographie reste très difficile à dater avec précision, lui-même ne datant pas toujours ses manuscrits. Ainsi, Noël Arnaud dans les Vies parallèles de Boris Vian, et Claude J. Rameil qui ont fait des recherches très poussées, ne donnent pas les mêmes dates que les proches de l’auteur sur l’année de publication de certaines œuvres, notamment les Cent  sonnets.

Il est également l’auteur de peintures, de dessins et de croquis, exposés pour la première fois à l’annexe de La Nouvelle Revue française en 1946. Une exposition à la Bibliothèque Nationale de France lui a été consacrée en 2011-2012.

Pendant quinze ans, il a aussi milité en faveur du jazz, qu’il a commencé à pratiquer en 1937 au Hot Club de France. Ses chroniques, parues dans des journaux comme Combat, Jazz-hot, Arts, ont été rassemblées en 1982 : Écrits sur le jazz. Il a aussi créé quarante-huit émissions radiophoniques Jazz in Paris, dont les textes, en anglais et en français, étaient destinés à une radio new-yorkaise et dont les manuscrits ont été rassemblés en édition bilingue en 1996.

Son œuvre littéraire, peu appréciée de son vivant, est saluée par la jeunesse à partir des années 1960-1970. L’Écume des jours en particulier, avec ses jeux de langage et ses personnages à clef, est passé à la postérité. Il est désormais un classique, qu’on étudie souvent dans les collèges et les lycées.

Réputé pessimiste, Boris Vian adorait l’absurde, la fête et le jeu. Il est l’inventeur de mots et de systèmes parmi lesquels figurent des machines imaginaires et des mots, devenus courants de nos jours. Mais il a également élaboré des projets d’inventions véritables lorsqu’il était élève ingénieur à l’École centrale Paris. Sa machine imaginaire la plus célèbre est restée le pianocktail, instrument destiné à faire des boissons tout en se laissant porter par la musique.

Il meurt en 1959 (à 39 ans) à la suite d’un accident cardiaque survenu lors de la projection de l’adaptation cinématographique de son livre J’irai cracher sur vos tombes. Adepte d’Alfred Jarry et d’une certaine forme de  surréalisme, son adhésion au Collège de ‘Pataphysique, fait de lui un Satrape auquel le collège rend hommage en annonçant la mort apparente du « Transcendant Satrape ».


l fait ses études au collège de Sèvres, puis au lycée Hoche de Versailles jusqu’en 1936. À cette époque, il joue de toutes sortes d’instruments fantaisistes parmi lesquels le « peignophone », composé d’un peigne et de papier à cigarette. Sa scolarité est souvent interrompue en raison d’accidents de santé. Malgré une fièvre typhoïde, à l’âge de 16 ans, il passe avec dispense son baccalauréat latin-grec, et il entre en terminale au lycée Condorcet, à Paris en 1936. En 1937 à 17 ans, il obtient le second  baccalauréat (philosophie, mathématiques, allemand). Il suit les classes préparatoires des grandes écoles scientifiques du lycée Condorcet, est admis en 1939 au concours d’entrée à l’École centrale, où il obtient son diplôme d’ingénieur en 1942.

Le 6 novembre 1939, Boris rejoint l’École centrale repliée à Angoulême. Toutefois en voyant passer les convois de réfugiés belges, il mesure l’absurdité d’une situation dont, jusque-là, les échos ne lui parvenaient que sous forme de rumeurs. Confronté à une réalité qui le dépasse, il écrit par la suite : « Je ne me suis pas battu, je n’ai pas été déporté, je n’ai pas collaboré, je suis resté quatre ans durant un imbécile sous-alimenté parmi tant d’autres. »

En juillet 1940, fuyant la zone occupée, la famille Vian s’installe dans la villa Emen-Ongi, aujourd’hui au 4 rue Laborde à Capbreton.

Boris Vian fait partie d’une bande d’amis avec son frère cadet Alain, Jacques Loustalot surnommé « le Major », ainsi que Claude et Michelle Léglise qui sont frère et sœur. Michelle et Boris ont vingt ans tous les deux, ils se retrouveront à Paris. Lorsque Boris vient demander la main de Michelle, la famille Léglise, bourgeoisie vieille France proche de l’Action française, et antisémite, est loin d’être enthousiaste. Elle considère cette union comme une mésalliance. Mais les fiançailles ont tout de même lieu le 12 juin 1941, jour des vingt et un ans de la fiancée et de sa majorité. Et le mariage se déroule le 3 juillet pour le mariage civil, le 5 juillet 1941 à l’église. La cérémonie est célébrée à l’église Saint-Vincent-de-Paul de Paris.

Parallèlement à ses études, Boris apprend à jouer de la trompette. Il s’inscrit au Hot Club de France, présidé par Louis Armstrong et Hugues Panassié, dès 1937. Avec son frère Lelio (à l’accordéon et à la guitare), et son autre frère Alain (à la batterie), il monte une petite formation qui anime d’abord les surprises-parties avant de rejoindre en 1942 l’orchestre amateur de Claude Abadie qui joue du dixieland, et qui s’efforce de sortir des sentiers battus et des sempiternelles jams de règle chez les musiciens amateurs français. Deux ans plus tard, le 10 janvier 1944, il rencontre Claude Luter et il se joint à lui pour ouvrir un club de jazz le New Orleans Club qui ne fonctionnera que quelques jours à Saint-Germain-des-Prés. Ils vont jouer ensemble plus tard au Caveau des Lorientais, et au Tabou. Après la Libération de Paris, on le retrouve avec l’orchestre Abadie qui est considéré comme l’un des meilleurs orchestres de jazz amateur de l’époque.

Le jazz et les fêtes sont un moyen pour Boris de compenser l’ennui que lui procurent ses études à l’École centrale. Il rédige Physicochimie des produits métallurgiques, 160 pages, abondamment illustré de graphiques et de dessins techniques, écrit en collaboration avec les élèves du même cours parmi lesquels se trouve Jabès. L’ouvrage est orné d’un avant-propos en alexandrins et en vieux françoys, avec en épitaphe une citation d’Anatole France. Cette brochure ronéotypée de cent soixante pages est la première œuvre écrite de Vian. Toutefois, il préfère les répétitions aux révisions et il exprime violemment le peu de crédit qu’il accorde aux cours « donnés par ces professeurs idiots qui vous bourrent le crâne de notions inutiles, compartimentées, stéréotypées […] Vous savez maintenant ce que j’en pense de votre propagande. De vos livres. De vos classes puantes et de vos cancres masturbés[…] ».

Sa première chanson date de la même époque : La Chanson des pistons, chanson gaillarde dans la tradition des grandes écoles, qui comporte 23 couplets où il est beaucoup question de roustons et de zizi.

À l’Association française de normalisation (AFNOR), où il est engagé dans la section verrerie le 24 juillet 1942 et jusqu’en 1946, il découvre l’aspect ubuesque du travail de bureau. Mais l’AFNOR a le bon goût de lui verser chaque mois la somme de 4 000 francs, très supérieure à celle proposée par d’autres employeurs. En outre, ce travail lui laisse assez de temps pour se consacrer à la poésie et au jazz. En 1943, il produit Cent sonnets et Trouble dans les andains.

Son travail d’écriture doit beaucoup à son épouse Michelle et à l’ambiance générale de la famille Vian où l’on fabrique jeux de mots, contrepèteries et calembours. Michelle vient de commencer l’écriture d’un roman et la famille se régale de la manière dont Boris joue à plaisir sur les sonorités. Il passe d’ailleurs beaucoup de temps à compulser l’Almanach Vermot. C’est pour Michelle qu’il a déjà écrit en 1942 un Conte de fées à l’usage des  moyennes personnes. Littérature et jazz sont les deux dérivatifs qui permettent au normalisateur de l’AFNOR de ne pas sombrer dans la mélancolie.

Les exégètes de son œuvre situent parfois ses premiers écrits en 1939, date incertaine puisque l’œuvre de Vian, ses notes, ses ébauches, sa correspondance et ses articles non publiés sont rarement datés, ce qui a obligé ses bibliographes d’origine, Noël Arnaud et Claude Rameil, à augmenter sans cesse leurs premières publications après de nouvelles découvertes. L’écriture est une rituelle obligation du loisir, avec des jeux très raffinés, ou des jeux de collégiens comme ceux du Cercle Legateux, monté par Alain et Boris qui en ont rédigé l’acte fondateur le 26 mai 1941. Très vite, le Cercle Legateux devient une entreprise familiale à but non lucratif, dont la présidente d’honneur est madame Claude Querer, et le président, Alain. L’entreprise est dotée de statuts, chaque membre en possède une carte imprimée frappé du sceau Nana Vili (Alain Vian). Il existe plusieurs sections dont l’une, présidée par Boris, est consacrée à la fabrication de modèles aéronautiques et dont les statuts sont rédigés par Boris sur le mode plaisantin.

Réunies dans un petit carnet, on retrouve dans les notes de Boris le goût de la farce égrillarde. Dans les règles de l’association, on lit : « les membres femelles ne devront pas toucher le zizi ». Le président du club est Boris. Un autre cercle Le Cercle Monprince, auquel participe toute la famille, a pour but de parodier le langage administratif et le journalisme pompeux. François, Jean Rostand, Alain et des voisins de la rue Pradier se réunissent pour des tournois, avec tirage au sort et compte rendu. Les adultes de la rue Pradier, parmi lesquels Paul Vian et Jean Rostand se révèlent les plus actifs, sont des passionnés des cadavre exquis, des bouts rimés, des jeux d’esprit et d’écriture comme les aiment les surréalistes. Les dimanches ou certains soirs après le dîner on tire au sort des mots à assembler en rimes.

Le jeu des bouts-rimés est un exercice auquel se livrait en permanence la famille Vian et son entourage composé de la famille Rostand, la famille Léglise et de certains voisins comme André Martin. Boris Vian qui avait une âme d’archiviste en avait gardé toute la collection, classée dans des sous-chemises découpées dans les bons de commandes du laboratoire de l’abbé Chaupitre. La plupart sont datées de 1940-1941, la dernière date figurant sur une chemise est le 21 août 1943. Outre les habitués, on compte des participants occasionnels comme Jean Carmet ou le musicien Jacques Besse.

Paul Vian n’était pas en reste. Il écrivit entre autres un poème sur la liberté d’esprit qui régnait entre un père et ses enfants. Il possédait un talent capable de rivaliser avec celui de son fils Boris. De cette époque, Boris écrit : « J’étais merveilleusement inconscient. C’était bon ».

Ces jeux de société ne sont encore qu’une incitation à l’écriture. Mais le véritable déclencheur pour l’écrivain Boris Vian, est sans doute l’influence de Michelle, qui possède une certaine familiarité avec les mots et qui écrit déjà des articles pour le théâtre et le cinéma. À l’âge de dix-sept ans, elle avait commencé un roman. Les deux époux se lancent dans l’écriture de scénarios pour rire, et, croient-ils pour faire de l’argent. L’un d’eux, intitulé Trop sérieux s’abstenir, était accompagné d’une distribution d’acteurs idéale : Micheline Presle, Jeandeline, Jean Tissier, Bernard Blier, Roger Blin.

Le 2 décembre 1946, il accroche ses toiles à la Galerie de la Pléiade. Leur nombre pour cette même exposition varie selon les sources. Boggio avance le chiffre de une, la BNF en annonce quatre. Cette Galerie est située dans une annexe de la NRF, au 17 rue de l’Université. L’exposition était intitulée Peintres écrivains d’Alfred de Musset à Boris Vian.

Elle avait été lancée sur une plaisanterie de Raymond Queneau qui annonçait : « Si vous savez écrire, vous savez dessiner. » qui y montrait ses propres aquarelles en compagnie d’auteurs prestigieux classés par ordre alphabétique, commençant par Apollinaire et se terminant par Vian, auteur alors inconnu mais dont le nom figurait sur les cartons d’invitation.

Le 17 rue de l’Université, où l’exposition eut lieu, correspond à l’ancien hôtel particulier Bochart de Saron, bâti en 1639 pour François Lhuillier, était toujours occupé par Gallimard en 1988.

Cette exposition a eu le mérite de faire connaître une petite partie de l’œuvre graphique de Vian, qui comprend, outre les peintures, des dessins, des collages réunis dans l’ouvrage de Noël Arnaud et Ursula Vian-Kübler : Images de Boris Vian. Les quatre peintures les plus connues datent environ de 1946 : Les Hommes de fer, Allez à Cannes cet été ou Passez vos vacances à Cannes cet été, N’allez pas à Cannes cet été et Sans titre. Ces peintures de facture surréaliste, qui étaient exposées avec celles de Picasso, Aragon, Desnos, Tzara, rappellent les paysages de Chirico selon Marc Lapprand, ou bien les premiers tableaux de Max Ernst. C’est au moment où il a écrit ses premiers textes (Cent sonnets) que Vian a réalisé ses premiers collages.

Du 18 octobre 2011 au 15 janvier 2012, la BNF a présenté une exposition consacrée à Boris Vian, dans laquelle on a pu voir deux exemples de ses peintures. À la page 6 du dossier de presse de l’exposition, figurent deux tableaux : Passez vos vacances à Cannes cet été, collection particulière, cliché Patrick Léger/Gallimard, archives de la Cohérie Boris Vian, et L’Homme enchaîné, collection privée, archives de la Cohérie Boris Vian.

Au début de l’été 1946, Boris fait la connaissance d’un jeune éditeur, Jean d’Halluin, un assidu du Café de Flore qui vient de créer Les éditions du Scorpion. Jean demande à Boris de lui faire un livre dans le genre de Tropique du Cancer de Henry Miller, qui plaît beaucoup. En quinze jours, du 5 au 23 août, Vian s’amuse à pasticher la manière des romans noirs américains, avec des scènes érotiques dont il dit qu’elles « préparent le monde de demain et frayent la voie à la vraie révolution. »

L’auteur est censé être un Américain nommé Vernon Sullivan que Boris ne fait que traduire. Le pseudonyme serait formé du nom de Paul Vernon, batteur amateur de l’orchestre Claude Abadie, pour le prénom, et de celui du pianiste Joseph Michael Sullivan dit Joe Sullivan selon Philippe Boggio, Claire Julliard et Marc Lapprand110. Hypothèse souvent reprise par la presse qu’il faut considérer avec prudence selon Marc Lapprand.

D’Halluin est enthousiaste. Boris, en introduction du livre, prétend avoir rencontré le véritable Vernon Sullivan et reçu son manuscrit de ses mains. Il y voit des influences littéraires de James Cain, il met en garde contre la gêne que peuvent occasionner certaines scènes violentes. Jean d’Halluin a même prévu de publier des bonnes feuilles dans Franc-Tireur. Tous deux espèrent un succès sans précédent. Les premières critiques indignées leur donnent l’espoir que le scandale sera égal à celui soulevé par la publication du roman de Miller, et la critique du roman par Les Lettres françaises, qui le traite de « bassement pornographique », fait monter les enchères.

« Les journaux examinent à la loupe les écrits du sieur Vian ». Le 1er février, lorsque Vercoquin sort en librairie, Samedi Soir titre « Vernon Sullivan n’a pas signé le dernier Boris Vian. » Et il lui faut bien vite déchanter. D’une part, France Dimanche et l’hebdomadaire L’Époque réclament des poursuites pénales identiques à celles qu’a connues Henry Miller. D’autre part, on annonce la parution d’un deuxième Vernon Sullivan. Mais déjà, Jean Rostand, l’ami de toujours, se déclare déçu. Boris a beau se défendre d’être l’auteur du livre, un certain climat de suspicion règne chez Gallimard, qui refuse du même coup L’Automne à Pékin. Selon Philippe Boggio, seul Queneau a deviné qui était l’auteur et trouve le canular très drôle. Queneau est pour Boris bien plus qu’un ami, c’est un appui indéfectible qui ne s’applique pas uniquement à l’œuvre du jeune auteur, il s’engage aussi à ses côtés et se tient à la barre pour le défendre au moment du procès, le 30 avril 1950. Il avait même signé par anticipation le 27 avril 1950 la Protestation contre la comparution de Boris Vian, Maurice Raphaël, Jean d’Halluin et Gabriel Pomerand.

Boris Vian, carte maximum, France.

Queneau viendra encore en tant que témoin à la défense de Jean d’Halluin car « C’est bien la liberté d’expression qu’il s’agit de défendre contre les attaques réactionnaires. » Le compte rendu du procès intégral est publié par Noël Arnaud dans Le dossier de l’affaire J’irai cracher sur vos tombes, rédigé par Noël Arnaud, publié le 16 février 1974.

Mais « l’honneur » réservé à Henry Miller touche aussi Boris Vian, qui est attaqué en justice par le même Daniel Parker et son « Cartel d’action sociale et morale », successeur de la Ligue pour le relèvement de la moralité publique. Boris risque deux ans de prison et 300 000 francs d’amende. Il est accusé d’être un « assassin par procuration », parce qu’on rapporte dans la presse un fait divers où un homme a assassiné sa maîtresse en laissant J’irai cracher sur vos tombes à côté du cadavre. Boris doit prouver qu’il n’est pas Vernon Sullivan et, pour cela, il rédige en hâte un texte en anglais qui est censé être le texte original. Il est aidé pour ce travail par Milton Rosenthal, un journaliste des Temps modernes.

Finalement, en août 1947, le tribunal suspend les poursuites.

Parallèlement, en 1948, Vian adapte son roman en pièce de théâtre. C’est un drame en trois actes joué pour la première fois le 22 avril 1948 au Théâtre Verlaine par la Compagnie du Myrmidon avec une mise en scène d’Alfred Pasquali, des costumes et des décors de Jean Boullet. Le personnage de Lee Anderson est interprété par Daniel Ivernel. Cette adaptation ne recueille ni l’assentiment du public, ni celui de la critique qui n’épargne ni les actrices, ni l’auteur dont le critique le moins malveillant, Georges Huisman, écrit : « Tirons un trait sur cette première pièce et attendons celle que son invention doit nous donner. »

La presse s’est déchaînée avant même la sortie de la pièce. Les rumeurs les plus folles courent : Yves Montand, Martine Carol, Gaby Andreu, Juliette Gréco, Josette Daydé, Simone Sylvestre, Dora Doll feraient partie de la distribution. France Dimanche jure que cette pièce réserve des surprises, l’un des clous devant être un tir réel à la mitrailleuse. Une sélection de ces critiques issue du dossier j’irai cracher sur vos tombes a été publiée dans l’édition du tome IX des œuvres de Boris Vian. Elle est présentée et dirigée par d’Déé. Ce florilège permet de juger à la fois du bouillonnement qui a précédé la représentation, et du lynchage qui s’en est ensuivi. Finalement Noël Arnaud annonce « le 13 juillet, la pièce est retirée de l’affiche, elle avait duré moins de trois mois ». D’autres sources indiquent comme date de la fin des représentations le 24 juillet. Ou encore « le spectacle est abandonné le 24 juillet ». Le texte de la pièce n’est pas publiée du vivant de l’auteur. Il le sera en 1965 chez Jean-Jacques Pauvert puis dans le Dossier de l’affaire J’irai cracher sur vos tombes, de Noël Arnaud, chez Christian Bourgois.

Le 16 avril 1948, la naissance de sa fille Carole (décédée en 1998) lui apporte « un peu de fraîcheur » en cette année particulièrement difficile.

Boris se réfugie maintenant dans le jazz, notamment au Club Saint-Germain où il approche son idole Duke Ellington. Il va bientôt être directeur artistique chez Philips et en attendant, il donne régulièrement des chroniques dans le journal Jazz Hot où il tient une « revue de la presse » jusqu’en 1958. Henri Salvador disait de lui : « Il était un amoureux du jazz, ne vivait que pour le jazz, n’entendait, ne s’exprimait qu’en jazz ».

Malgré sa préférence pour un jazz plutôt classique, Boris prend tout de même parti pour Charles Delaunay dans la bataille des anciens et des modernes qui l’oppose à Hugues Panassié en 1947. La querelle porte sur le bebop qui n’est pas du jazz selon Panassié et que Delaunay a été un des premiers à faire découvrir en France avec Dizzy Gillespie. Boris soutient le bebop ce qui ne l’empêche pas d’aimer le jazz traditionnel, notamment celui de Duke Ellington.

Duke Ellington est arrivé à Paris sans son orchestre qui est retenu à Londres par les lois syndicales. Boris le suit partout, fait sa promotion, et le premier concert de Duke au Club Saint-Germain est un tel succès qu’il donne ensuite deux concerts à la salle Pleyel. On retrouve encore Boris au Café de Flore ou café Les Deux Magots, où se rassemblent intellectuels et artistes de la Rive gauche, ou bien au Club du Vieux Colombier où il suit Claude Luter à l’ouverture du Club fin 1948. Puis en 1949, on le retrouve aussi à Saint-Tropez où son ami Frédéric Chauvelot vient d’ouvrir une annexe du Club Saint-Germain. Mais bientôt, Boris est obligé de renoncer à la trompette (qu’il appelait la trompinette) à cause de sa maladie de cœur.

C’est à cette époque qu’il écrit frénétiquement pour le jazz. Outre les articles de presse pour Combat et Jazz Hot, il anime une série d’émissions de jazz pour la station de radio américaine WNEW qui porte les initiales américaines WWFS signifiant W We’re FreSh, le mot fresh, en argot américain signifiant depuis 1848 : insolent, irrespectueux ou impudent. Les textes de ces émissions, dont ni Radio France ni la station de radio américaine n’ont gardé de trace, ont été publiés chez Fayard en 1986 par Gilbert Pestureau et Claude Rameil, puis en livre de poche sous le titre Jazz in Paris.

Côté littérature, les choses ne vont pas fort. Jean d’Halluin peine à vendre les remakes de romans américains que produit Boris Vian sous son pseudonyme. Elles se rendent pas compte signé Vernon Sullivan, ne porte pas le nom du « traducteur » (Vian). Ce roman est un échec commercial, tout comme L’Automne à Pékin et les Fourmis qui ne se vendent pas du tout.

En novembre 1948, après la loi d’amnistie de 1947, Boris Vian a  officiellement reconnu être l’auteur de J’irai cracher sur vos tombes sur les conseils d’un juge d’instruction, pensant être libéré de tout tracas judiciaire. C’est compter sans Daniel Parker et son cartel moral qui attend la  traduction en anglais de l’ouvrage sous le titre I shall spit on your graves et le deuxième tirage de l’ouvrage pour lancer cette procédure. Cette fois, le livre de Boris est interdit en 1949. Le fisc lui réclame des indemnités faramineuses. L’adaptation théâtrale du roman présentée du 22 avril au 24 novembre 1948 au théâtre Verlaine a été un désastre et l’année suivante Boris est condamné à une amende. En 1950, les représentations de la pièce de théâtre L’Équarrissage pour tous qui n’a pas de succès, s’arrêtent.

L’écrivain est endetté, le couple se délite, non pour des questions d’argent, mais parce qu’une certaine lassitude s’est installée. L’érosion du couple, qui se manifestait dès la folle époque de Saint-Germain-des-Prés, trouve sa conclusion au seuil des années 1950 avec la demande de divorce de Michelle. Lui-même très infidèle, alors que chacun vivait jusque-là une vie « hors mariage », Boris est très amer et fait « davantage grief à sa femme qu’au percepteur. » Cette année-là, Michelle et Boris vont à Saint-Tropez séparément.

Invité à un cocktail par Gaston Gallimard le 8 juin 1950, Boris rencontre une jeune femme « avec la figure en triangle » Ursula Kübler,  danseuse suisse qui a participé aux ballets de Roland Petit. Ursula a la réputation d’être une femme de caractère, très indépendante. Elle est hébergée chez un ami de son père, le diplomate américain Dick Eldrige, qui habite rue Poncelet où Boris vient lui rendre visite selon les règles des convenances. Il tombe amoureux d’elle, mais il est intimidé, abattu par sa situation conjugale, c’est Ursula qui fait le premier pas vers lui. Boris et Ursula vont vivre ensemble les années difficiles jalonnées de maladie pour Boris, et de manque d’argent pour le couple. Michelle de son côté est devenue, depuis 1949, la maîtresse de Jean-Paul Sartre.

Le roman de Boris L’Arrache-cœur, d’abord intitulé Les Fillettes de la reine a été officiellement refusé par Gallimard. Il est publié finalement en 1953 aux éditions Vrille et n’a aucun succès. À partir de là, Boris renonce à la littérature.

1951 et 1952 sont des années sombres. Boris Vian vient de quitter son épouse Michelle Léglise, mère de ses deux enfants, Patrick en 1942 et Carole en 1948, et il vit difficilement de traductions dans une chambre de bonne, au 8, boulevard de Clichy où il s’installe dans un inconfort total avec Ursula, qu’il surnomme « l’Ourson ».

Pour le moment, Boris n’a plus un sou, et le fisc lui réclame des arriérés d’impôts qu’il ne peut payer. Il vit essentiellement de piges. Albert Camus l’a engagé à Combat en 1949, il travaille aussi pour Samedi Soir, France dimanche ainsi qu’une publication considérée comme le refuge des mercenaires de la plume : Constellation.

Raymond Queneau est maintenant à l’Académie Goncourt, il est chanté par Juliette Gréco ; il maintient ses distances avec le couple pendant un temps, avant de revenir et de s’en excuser.

Boris est « au fond du trou », mais il possède une étonnante faculté à rebondir. Sa pièce Cinémassacre composée de sketchs et jouée par Yves Robert et Rosy Varte à La Rose rouge remporte un très grand succès. Ensuite, le « 22 merdre 79 », c’est-à-dire le 8 juin 1952, il est nommé « Équarrisseur de première classe » au Collège de ‘Pataphysique où il retrouve Raymond Queneau puis le « 22 Palotin 80 » (11 mai 1953), satrape.

Dans ce groupe, il donne libre cours à son imagination pour fournir des communications et des inventions baroques telles que le gidouillographe ou le pianocktail. Son titre exact est « Satrape et promoteur Insigne de l’ordre de la grande Gidouille, avec les Sublimes privilèges que de droit ». Dans ce collège, on retrouve d’autres célébrités comme Jean Dubuffet, Joan Miró, Max Ernst, Marcel Duchamp, Eugène Ionesco, Noël Arnaud, René Clair, François Caradec.

En 1953, Boris Vian rencontre Jacques Canetti à un concert de jazz à la salle Pleyel. Boris écrit des chansons avec Jimmy Walter qu’il fait découvrir à Jacques Canetti. Leur rencontre aboutit à la reprise de Ciné-Massacre au Théâtre des Trois Baudets en 1954 dans la mise en scène de Yves Robert.

Dès le mois de février 1954, Boris a déposé ses textes et ses musiques à la SACEM. Un de ses textes avait déjà été enregistré par Henri Salvador. Accompagné d’Ursula, il fait le tour des music-halls, tous deux prennent des leçons de chant, cependant que Marcel Mouloudji chante Le Déserteur pour la première fois au théâtre de l’Œuvre. La chanteuse Renée Lebas le reçoit et lui demande de retravailler ses titres et de les faire arranger par un vrai compositeur pour les mettre à son répertoire.

En 1955, Boris Vian fait ses débuts de chanteur aux Trois Baudets, encouragé par Canetti et toute la bande d’artistes qui gravitent autour de lui. Philippe Clay, Suzy Delair et Michel de Ré lui demandent aussi des chansons. Mais comme Zizi Jeanmaire refuse de les chanter, Vian déclare : « On peut vous refuser une chanson, mais peut-on vous empêcher de la chanter ? »

Après avoir longtemps refusé tout mariage, Boris épouse Ursula Kübler le 8 février 1954, la cérémonie civile se déroule à la mairie du 18e arrondissement de Paris, à 16 h, après un déjeuner dans un restaurant nommé À la grâce de Dieu. Le père d’Ursula, qui est un des intellectuels suisses les plus raffinés, à la fois peintre, illustrateur, grand journaliste et animateur d’une des meilleures revues culturelles de l’après guerre écrit au jeune couple, dans une lettre pleine d’humour datée du 25 novembre 1953 : « Madame Kübler et moi-même, nous serions heureux dans nos sentiments helvétiques, bourgeois, rédactionnels, publicitaires, de pouvoir annoncer l’état-civil nouveau. Pour Noël, pour réjouir aussi le Père Noël, il faudrait s’occuper des détails ».

Ursula trouve un petit appartement au 6 bis Cité Véron, près de la place Blanche qui leur paraît très vaste comparé à l’étroite chambre de bonne qu’ils occupaient jusqu’alors. Ils auront pour voisin le poète et scénariste Jacques Prévert. Boris aménage de ses mains ce logement dont la grande terrasse (dite « terrasse des Trois Satrapes », car partagée avec son voisin et son chien201) domine le Moulin rouge. C’est une manière pour lui de prendre ses distances avec Saint-Germain-des-Prés, mais il ne coupe pas totalement les ponts. Son frère Alain a installé rue Grégoire-de-Tours un magasin d’instruments de musique anciens, exotiques ou étranges, avec pour associé son autre frère Lélio Vian, dont Boris est un des clients principaux. Et Boris continue à rencontrer ses amis à la discothèque du 83 rue de Seine.

Cependant, les activités de Boris l’épuisent. Alain Robbe-Grillet envisage de rééditer l’Automne à Pékin et l’Herbe rouge aux éditions de Minuit, mais Boris se méfie. « Depuis le temps que le sort s’acharne sur lui, il est las, fatigué de la connerie ambiante, de ce succès qui lui échappe depuis  toujours », dit Robbe-Grillet.

Fatigué, le moral en berne, en juillet 1956, Boris s’effondre : il est frappé d’un œdème pulmonaire, résultat de son surmenage et de ses problèmes cardiaques. Il lui faut un lourd traitement et il se remet lentement aux côtés d’Ursula. Il accepte de tourner un petit rôle, le cardinal de Paris dans Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy, par défi. Mais il sait qu’il a « un pied dans la tombe et l’autre qui ne bat que d’une aile ».

L’Automne à Pékin, réédité aux éditions de Minuit, n’a encore une fois, aucun succès. Mais Boris continue d’écrire des chansons pour Henri Salvador, Magali Noël, Philippe Clay. La maison Philips lui propose de diriger une petite collection Jazz pour tous, mais c’est un énorme travail.

L’année 1957 voit la création, à l’Opéra de Nancy, du Chevalier de neige, un opéra sur un livret de Boris Vian d’après le mythe des Chevaliers de la Table ronde, dont Georges Delerue a écrit la musique. Comme la fonction de directeur artistique lui pèse, Boris cherche un dérivatif. C’est son amie France Roche qui lui en offre l’occasion en lui passant commande d’un livre sur le sujet de son choix. La collection de France Roche aux éditions Amiot-Dumont s’arrête peu après et Boris n’est plus obligé de livrer l’ouvrage. Pourtant il poursuit l’écriture pour le plaisir. Le livre traite du monde de la chanson, ne ménageant pas les éditeurs de musique, il propose d’inventer un appareil qui permet d’analyser les chansons et d’en composer. Il a conçu les plans d’une machine à écrire la musique à partir d’une machine à écrire IBM et préconise la création d’émetteurs de radios libres. Publié en septembre 1958 En avant la zizique… et par ici les gros sous s’arrache, mais uniquement dans les bureaux de Philips et Fontana, par dizaine d’exemplaires.

Malgré les avertissements de son médecin, Boris continue de se surmener, multipliant piges, traductions, écriture de chansons. Et la Société Océan-Films à laquelle il a vendu ses droits le somme de produire une adaptation de J’irai cracher sur vos tombes. Entre-temps, Boris écrit le livret d’une comédie musicale-ballet et les chansons de Fiesta, mis en musique par Darius Milhaud, et il entame une collaboration avec Le Canard enchaîné qui l’a soutenu pendant l’affaire du Déserteur. Le 28 octobre 1958, il publie son premier article sous le titre Public de la chanson, permets qu’on t’engueule, ceci pour défendre le nouveau disque de Georges Brassens qui n’a pas de succès. Son deuxième article est consacré au lancement de Serge  Gainsbourg, en particulier à l’éloge du Poinçonneur des Lilas.

Au cours de l’hiver 1958, il part se reposer en Normandie avec Ursula qui voudrait chanter elle aussi. Mais Boris lui répond de se débrouiller par elle-même et il donne des chansons à la chanteuse allemande Hildegard Knef qu’il fait venir cité Véron et qu’il raccompagne devant Ursula avec une certaine muflerie. C’est un autre des aspects de Boris Vian que sa légende a occultés. Sa timidité naturelle ne l’empêche pas de séduire. Pour lui, l’acte sexuel et l’érotisme sont les pendants sains de l’amour.

Au début de l’année 1959, Boris rentre à Paris dans sa Morgan après  plusieurs mois de repos en Normandie. La société SIPRO, qui avait acheté les droits d’adaptation à l’écran du roman J’irai cracher sur vos tombes, l’a plusieurs fois mis en demeure de présenter le scénario qu’il était chargé d’écrire et qu’il tarde à donner à ses « nouveaux maîtres » au cinéma. Rentré à Paris, Vian se fait un plaisir de leur remettre ce qu’on lui réclame : un script de cent dix-sept pages d’ironie et de bouffonneries que la Sipro n’apprécie guère. La société lui répond sur papier bleu : « Nous ne comprenons pas très bien ce que vous avez voulu faire […] Nous sommes obligés de nous mettre en rapport avec un autre adaptateur pour ce travail. Nous faisons toute réserve quant au préjudice que vous nous causez […]. » Considéré par les producteurs comme un scénario-bidon, le texte est remanié de façon à s’éloigner le plus possible du roman d’origine dont on a « élagué les incongruités faciles. » Le scénario original de Boris Vian sera publié dans Le Dossier de l’affaire « J’irai cracher sur vos tombes », textes réunis et présentés par Noël Arnaud, Christian Bourgois éditeur, 1974.

Le matin du 23 juin 1959, J’irai cracher sur vos tombes, film inspiré de son roman, est projeté au cinéma Le Marbeuf près des Champs-Élysées. Vian a déjà combattu les producteurs. Il est convaincu que l’adaptation n’a pas de style, et il a publiquement dénoncé le film, annonçant qu’il souhaitait faire enlever son nom du générique. Michelle est venue, tous les amis sont là. Mais Boris, que son éditeur Denis Bourgeois (adjoint de Jacques Canetti et directeur du secteur « variétés » chez Philips) a convaincu d’aller à la projection malgré ses hésitations, ignorera toujours ce qu’est devenu son roman à l’écran : dès le générique de début, quand apparaissent les mots « D’après le roman de Vernon Sullivan, traduit de l’américain par Boris Vian », il se lève en s’écriant « Ah, non… » et s’effondre dans son fauteuil sans connaissance, sous les yeux de Denis Bourgeois et de Jacques Dopagne qui l’ont accompagné à cette projection. Il meurt avant d’arriver à l’hôpital Laennec, à la suite vraisemblablement d’une fibrillation ventriculaire. Le Collège de Pataphysique annonce la mort apparente du « Transcendant Satrape ». et publie Le 11 gidouille 86 (25 juin 1959) sa Lettre à Sa magnificence le Vice-Curateur Baron sur les Truqueurs de la Guerre, reprise dans Cantilènes en gelée et Je voudrais pas crever et qui sera un de ses premiers hommages posthumes.

Il est enterré dans le cimetière de Ville-d’Avray. Rien sur sa tombe, qu’il a voulue sobre, n’indique son identité, hormis des témoignages d’affection laissés par les admirateurs qui y laissent quelques portraits, voire des poèmes.

Source : Wikipédia.

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