Eugène Ionesco, né Eugen Ionescu le 26 novembre 1909 à Slatina (Roumanie) et mort le 28 mars 1994 à Paris (France), est un dramaturge et écrivain roumano-français.
Il passe une grande partie de sa vie à voyager entre la France et la Roumanie ; représentant majeur du théâtre de l’absurde en France, il écrit de nombreuses œuvres dont les plus connues sont La Cantatrice chauve (1950), Les Chaises (1952), Rhinocéros (1959) et Le roi se meurt (1962).
Eugène Ionesco est le fils d’un juriste roumain travaillant dans l’administration. Sa mère, Marie-Thérèse Ipcar, qui lui apprit le français, est la fille d’un ingénieur français des chemins de fer roumains qui a grandi en Roumanie. En 1913, la jeune famille émigre à Paris, où le père veut passer un doctorat en droit. Quand, en 1916, la Roumanie déclare la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie, le père, mobilisé, retourne en Roumanie, ne donne plus de nouvelles. Sa famille, restée à Paris, le croit mort à la guerre. En fait, resté en vie, le père obtient le divorce et se remarie à Bucarest (avec Eleonora Buruiană surnommée Lola).
À Paris, Eugène, son frère et sa jeune sœur Marilina sont élevés par leur mère, qui survit grâce à des travaux occasionnels et à l’aide de leur famille française. Eugène est placé dans un foyer d’enfants où règnent les brimades et auquel il ne peut s’habituer. Aussi, de 1917 à 1919, sa sœur et lui, âgé alors de huit ans, sont confiés à une famille de paysans de La Chapelle-Anthenaise, un village proche de Laval (Mayenne).
Évoquant cette période, restée dans son souvenir comme un temps très heureux, dans son discours de réception à l’Académie du Maine le 8 mai 1965, il dit qu’il y était « né à la vie du cœur et à celle de l’esprit, là où j’appris ce qu’était la grande communauté humaine, proche et lointaine, temporelle et extra-temporelle, visible et invisible ».
En 1925, le frère et la sœur rejoignent malgré eux leur père, qui a obtenu leur garde, mais ils ne trouvent aucune sympathie chez leur belle-mère restée sans enfant. À Bucarest, ils apprennent le roumain et se font de nouveaux amis, mais dès 1926, Eugène se fâche avec son père, apparemment très autoritaire, et qui n’a que du mépris pour l’intérêt que son fils porte à la littérature : il aurait voulu en faire un ingénieur. Ionesco entretient une relation exécrable avec ce père magistrat, opportuniste et tyrannique, qui se rangera tout au long de sa vie du côté du pouvoir, adhérant successivement aux dictatures carliste, fasciste puis communiste. Ionesco n’acceptera jamais le manque d’éthique, d’amour et d’ouverture de son père.
Il revient auprès de sa mère, réinstallée elle aussi en Roumanie, et trouve un poste de clerc à la banque d’État roumaine. En 1928, il commence des études de français à Bucarest et fait la connaissance d’Emil Cioran et de Mircea Eliade, ainsi que de sa future épouse, Rodica Burileanu (1910-2004), une étudiante bucarestoise en philosophie et en droit. Parallèlement, il lit et écrit beaucoup de poésies, de romans et de critiques littéraires en roumain. Après avoir terminé ses études en 1934, il enseigne le français dans différentes écoles et dans d’autres lieux de formation, puis se marie en 1936.
Dans l’étude qu’elle consacre à la jeunesse littéraire d’Eugène Ionesco, Ecaterina Cleynen-Serghiev conclut « La carrière roumaine du futur académicien n’a pas été un échec. Le critique n’a pas été ignoré, les contradictions de ses articles et de son livre [Non] ont été relevées, mais aussi l’intelligence, l’humour et le caractère attachant du critique. « Le livre de cet enfant terrible qu’est Eugen Ionescu — notait un critique le 28 mai 1934 dans son Journal — est écrit avec clairvoyance, avec du nerf, de la verve et de l’audace, qui conviennent bien — et sont même à désirer — dans la pratique des jeunes » écrivait Sașa Pană dans son livre Născut în ’02 [« Né en 1902 »], Bucarest, 1973, p. 469) ».
En 1938, Ionesco reçoit de l’Institut français de Bucarest une bourse afin de préparer une thèse de doctorat sur les thèmes du péché et de la mort dans la poésie moderne depuis Baudelaire, ce qui lui permet d’échapper à l’ambiance de guerre civile d’une Roumanie carliste en conflit armé avec le mouvement de la Garde de fer. De Paris, il fournit des informations aux revues roumaines sur les évènements littéraires de la capitale française.
Après la défaite de la France de mai-juin 1940 et l’effondrement consécutif du régime carliste en Roumanie, le couple Ionesco doit rentrer à Bucarest : ressortissant roumain, Eugène doit passer en conseil de révision. Sa santé lui permet d’échapper à la mobilisation dans l’armée, mais la Roumanie devient fasciste et les citoyens réputés francophiles sont désormais très surveillés : le pouvoir effectif appartient aux ambassadeurs nazis Wilhelm Fabricius et Manfred von Killinger, dans un pays dont l’URSS occupe une partie (juin 1940) tandis que le Troisième Reich « protège » le reste (octobre 1940). Bucarest comme Paris collaborent avec Berlin : la Roumanie est dans le même camp que le régime de Vichy. Cela permet à Ionesco d’obtenir, en mai 1942, un poste d’attaché de presse à l’ambassade de Roumanie en France, à Vichy. C’est à Vichy que naît son unique enfant Marie-France le 26 août 1944. La famille Ionesco ne quittera plus la France, après avoir vécu un temps à Marseille, puis à Paris.
À la Libération, la France gaulliste et la Roumanie communiste (depuis le 6 mars 1945) ne sont plus dans le même camp politique et Ionesco perd son poste d’attaché : le couple connaît alors une période de grande gêne financière et Ionesco, encouragé par Jean Paulhan, entre comme correcteur au service d’une maison parisienne d’édition juridique, jusqu’en 1955.
En 1947, inspiré par les phrases d’exercices de L’Anglais sans peine de la méthode Assimil, Ionesco conçoit sa première pièce La Cantatrice chauve, qui est jouée en 1950 et à défaut d’attirer immédiatement le public, retient l’attention de plusieurs critiques, du Collège de Pataphysique, et de plusieurs amateurs de littérature, comme ses amis, le couple Monica Lovinescu et Virgil Ierunca. En 1950, il obtient la nationalité française. Il continue d’écrire des pièces, comme La Leçon (représentée en 1951) et Jacques ou la soumission qui font de lui un auteur de théâtre français à part entière et un des dramaturges les plus importants du théâtre de l’absurde — même s’il ne cessera de réfuter ce terme, trop réducteur à ses yeux.
En 1951, suivent Les Chaises, Le Maître et L’avenir est dans les œufs. En 1952, il a l’idée de Victimes du devoir, l’une de ses pièces les plus autobiographiques. La même année voit la reprise de La Cantatrice chauve et de La Leçon. 1953 est l’année de la reconnaissance : Victimes du devoir est représentée pour la première fois, accompagnée d’une série de sept sketches, et reçoit un accueil favorable. Le premier recueil en un volume de ses pièces est imprimé. Ionesco rédige encore Amédée ou Comment s’en débarrasser et Le Nouveau Locataire.
Ionesco est alors reconnu comme un auteur jouant spirituellement avec l’absurde et parvient presque à vivre de ses pièces. En 1954, il écrit Le Tableau et le récit Oriflamme, et il fait à Heidelberg son premier voyage de conférences à l’étranger. En 1955 il rédige L’Impromptu de l’Alma et voit jouer pour la première fois une de ses pièces à l’étranger (Le Nouveau Locataire). En 1957, il devient Satrape du Collège de ‘Pataphysique. La Cantatrice chauve et La Leçon reçoivent une nouvelle mise en scène au petit théâtre de la Huchette à Paris ; elles figurent depuis lors sans interruption au programme de cette salle.
Pendant l’hiver 1958-1959, Ionesco développe la pièce Tueur sans gages à partir du récit Oriflamme.
En automne 1959, paraît chez Gallimard Rhinocéros, nouvelle pièce dans laquelle Ionesco manifeste son effroi devant toutes les formes de totalitarisme : cette pièce reprend, avec de légères modifications, l’action et les personnages de la nouvelle de même nom qui avait été écrite antérieurement (la nouvelle en question sera ultérieurement incorporée (1962) au recueil La Photo du colonel).
La pièce est représentée pour la première fois dans une traduction allemande le 6 novembre 1959 au Schauspielhaus de Düsseldorf, où le public acclame la critique du nazisme.
La pièce est créée dans sa version française à Paris à l’Odéon-Théâtre de France le 22 janvier 1960 dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault et des décors de Jacques Noël : pour Ionesco, c’est la consécration.
En avril 1960, Rhinocéros est montée à Londres au Royal Court Theatre dans une mise en scène d’Orson Welles avec Laurence Olivier dans le rôle de Bérenger.
En 1961-1962, naît Le roi se meurt, une réflexion sur la mort ; en 1962, c’est Délire à deux et Le Piéton de l’air (d’après la nouvelle, cf. le recueil La Photo du colonel).
En 1962 également, paraît sous le titre Notes et contre-notes une collection d’articles et de conférences de Ionesco sur son théâtre. En 1964, Düsseldorf est une fois de plus témoin d’une première de Ionesco : La Soif et la Faim. Pour la première fois la même année, une de ses pièces, Rhinocéros est mise en scène dans son pays natal, la Roumanie.
Un peu malgré lui, Ionesco entrait maintenant dans le personnage de l’écrivain établi, invité à des conférences, comblé des prix et d’honneurs et accédait en 1970 à l’Académie française, élu au fauteuil de Jean Paulhan, qui avait été l’un de ses plus précieux soutiens durant les années 1950. Dans la dernière partie de sa vie, il s’essaya également au genre romanesque et termina en 1973 Le Solitaire, où un personnage à la fois marginal et insignifiant passe en revue son passé vide de sens et son présent.
Comme dramaturge, Ionesco transforme en pièce le roman Ce formidable bordel ! (1973). Dans cette pièce, il fait jouer au personnage principal un rôle tout à fait passif, presque muet et tout de même impressionnant. Comme la pièce ne se prive pas de jeter des sarcasmes sur les soixante-huitards, ceux-ci le traitent d’auteur fascisant, lui qui avait été longtemps considéré comme le porte-parole d’une critique radicale de la société moderne.
En 1975, il donne sa dernière pièce, L’Homme aux valises. Après quoi Ionesco se tourne davantage vers d’autres genres, en particulier l’autobiographie. En février 1978, il fait partie des membres fondateurs du Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés. La même année, il apporte son soutien aux militants du Groupe union défense (GUD), non pour leur idéologie, mais parce qu’il estimait absurdes les poursuites contre eux. Mais cela, ajouté à sa dénonciation des crimes des régimes communistes et de l’aveuglement des intellectuels français admirateurs de ces régimes, commence à lui donner une réputation sulfureuse d’homme d’extrême droite (qu’il partage avec les autres Roumains de sa génération, accusée d’avoir été fasciste et antisémite. Cette réputation s’accentue en février 1989, lorsqu’il ouvre la session publique organisée par le Parlement européen au sujet des violations des droits de l’homme commises par le régime communiste roumain.
En mai 1977, il signe un appel demandant l’arrêt de poursuites en cours contre le Groupe union défense.
Dans les dernières décennies de sa vie, malgré la chute du rideau de fer et l’ouverture des archives, la concurrence des mémoires s’installe : les victimes des régimes dits communistes et les compromissions de nombreux intellectuels avec ces dictatures, ne trouvent guère d’écho dans la mémoire collective, alors que la moindre compromission de tel ou tel intellectuel roumain avec l’extrême droite est dénoncée avec vigilance. De plus, sa santé se dégrade : Ionesco sombre alors dans la dépression et utilise la peinture comme thérapie. Il meurt à Paris, à l’âge de 84 ans, et est enterré au cimetière du Montparnasse. Malgré l’instrumentalisation politique de la mémoire des tragédies qu’il évoque, Ionesco est non seulement « roi sans couronne » du théâtre de l’absurde, mais il est aussi considéré comme l’un des grands dramaturges français du XXe siècle.
Voir aussi cette vidéo :
Sources : Wikipédia, YouTube.