Jacques Ier d’Aragon, roi de Valence.

Jacques Ier d’Aragon dit le Conquérant (Jacme, son prénom usuel  en occitan, tel qu’il se nomme lui-même dans ses mémoires ; en catalan Jaume  Ier el Conqueridor ; en castillan Jaime I° el Conquistador ; en aragonais Chaime o Conqueridor ; Iacobus, tel qu’il signait les documents officiels en latin), né le 2 février 1208 à Montpellier et mort le 27 juillet 1276 à Alzira, non loin de Valence, est roi d’Aragon, roi de Majorque de 1229 à 1276, roi de Valence / Valencia de 1239 à 1276 et comte de Ribagorce, de Barcelone, d’Urgell, de Gérone, d’Osona, de Besalú, de Pallars Jussà, seigneur de Montpellier et baron d’Aumelas de 1213 à 1276, comte de Roussillon et de Cerdagne de 1241 à 1276.


Durant les quinze premières années de son règne, Jacques est aux prises avec la noblesse aragonaise, qui parvient même à le faire prisonnier en 1224. En 1227, il doit faire face à une nouvelle révolte nobiliaire, dirigée par son oncle, l’infant Ferdinand. Jacques ne sauve son trône que grâce à  l’intervention papale par l’entremise de l’archevêque de Tortosa, les accords d’Alcala du 22 mars 1227 marquent le triomphe de la royauté sur la noblesse. Après ces accords, la situation se stabilise suffisamment pour permettre au roi de lancer de nouvelles campagnes contre les musulmans. Les réussites du roi finiront par apaiser la noblesse.

En effet, Jacques le Conquérant va beaucoup contribuer au renforcement du pouvoir royal, notamment en menant avec fermeté la normalisation du droit dans chacun des territoires de la couronne d’Aragon. Il charge ainsi l’évêque d’Huesca, Vidal de Canyelles, de codifier le droit coutumier du royaume d’Aragon, entreprise qui aboutit lors des cortes d’Huesca de 1247, qui imposent un droit unique au royaume au-dessus des droits particuliers. En Catalogne, ce sont les usages de Barcelone qui s’imposent peu à peu à tout le pays. D’autre part, il développe le système des cortes, sortes de parlements généraux réunissant des délégués nobles, ecclésiastiques et citadins autour du roi. Chacun des royaumes de la Couronne a ses propres cortes, excepté le royaume de Majorque, qui envoie des délégués aux cortes de Catalogne.

Le règne de Jacques Ier marque une nouvelle vague de progression des armées chrétiennes face aux musulmans. Les chroniqueurs ont livré le portrait d’un jeune roi-chevalier de vingt ans qui rêvait en 1228 de prouesses guerrières devant le Liber maiorlichinus et se voyait investi d’une mission de justice en tant que continuateur des croisades et défenseurs des chrétiens. La tradition catalane fixe idéalement sa prise de décision irrévocable à la vigile de Noël 1228 alors qu’il jeûne et reste en prière. N’est-il pas l’héritier du comte de Barcelone, défenseur des chrétiens des îles al-andalous qui avaient subi d’épouvantables persécutions à l’arrivée des Almohades et subiraient encore ce joug s’ils n’avaient pu fuir, réduits en esclavage.

Depuis le début des années 1220, les marchands de Barcelone, Tarragone et Tortosa demandent de l’aide au roi d’Aragon pour qu’il mette fin à la menace des pirates majorquins, en réalité au service du pouvoir almohade. Le roi ne peut agir seul dans une expédition de pareille envergure. Mais un vaste programme de conquête est envisagé, avec répartitions en lots estimés des biens et terres. Le roi va ainsi associer les corts catalans, en l’occurrence les trois ordres du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie, à ce projet aventureux. Il s’agit d’un véritable programme de gouvernement, prévoyant les frais de guerre, gérant les esclaves maures et instaurant un État de justice fondé sur une colonisation chrétienne. Un débat houleux divise les représentants des corts au milieu des années 1220. Faut-il conquérir la région côtière de Valence avec les îles ou seulement les îles, car les deux sont également des repaires de pirates ? Si l’opulent royaume de Valence tombe sous notre coupe, ne sera-t-on débordé par la masse des captifs, par l’importance des terres et des biens à gérer ou à écouler sur le marché ? Les ombrageux Aragonais tranchent ce débat mitigé : ils auront une option préférentielle pour décider de la conquête de Valence, quand ils seront prêts. L’effervescence gagne la cour royale lorsque le grand  bourgeois armateur, Pere Martell, explique à la haute noblesse ce que sont les îles, leurs richesses, leurs grandes villes, leurs populations et leurs mœurs mauresques…

Comme une croisade est d’abord une entreprise de guerre, Don Jaime consulte sur le plan diplomatique à la fois le pape et les puissances italiennes, qui estiment avoir un droit de regard sur la Méditerranée occidentale. Le pape, bien informé par ses évêques, donne sa bénédiction à l’entreprise, il en souligne la mûre réflexion préalable3. Les Vénitiens et surtout les Génois reconnaissent la volonté d’expansion thalassocratique de la Catalogne, mais veulent être associés à l’exploitation économique des îles, en demandant l’obtention d’un quartier — ou barrio — marchand à Medina Majorca4. Alors que les plans de conquête et d’aménagement d’après-conquête sont dûment archivés pour Majorque et les autres îles, il reste un point crucial, le financement. En décembre 1228, une réunion de marchands barcelonais décide de financer une expédition. Des navires sont mis à la disposition de nobles catalans qui acceptent de participer à cette aventure en échange de la concession de domaines territoriaux et la promesse d’un important butin. Lors d’une autre réunion à Lérida, les nobles aragonais acceptent une telle entreprise, mais suggèrent au roi de la diriger plutôt contre les musulmans de Valence. Beaucoup de candidats belligérants se présentent déjà au roi pour cette expédition encore virtuelle : c’est une pléthore de cités d’Italie du Nord, de Provence, de France occitane qui proposent une participation ponctuelle, mais aussi les terres excentrées du roi, Roussillon ou Montpellier. Le roi pour faire l’unanimité chrétienne sélectionne les candidats marins ou combattants, leur fixant une  participation ou des droits sur le fruit de l’opération. Marseille, à l’instar de Barcelone ou Tarragone, et de nombreux petits ports du Llevant catalan ou du Languedoc, figure ainsi parmi les ports d’embarquement de la flotte de conquête. Les conseillers royaux se méfient déjà de la puissance navale italienne. Gênes joue en retrait, prête à intervenir en soutien.

Le roi et ses cortes s’associent pour financer l’essentiel de la flotte et la troupe de débarquement, les villes terrestres participantes s’engagent à prêter leurs unités de milices, les villes portuaires à fournir les flottilles d’appoint et assurer la logistique des échanges maritimes au-delà du débarquement. Les marchands, qui veulent capter le monopole du marché des îles, complètent le financement de façon à payer les mercenaires et assurer la provision des importants versements prévus aux alliés de la croisade, retenus par le roi et ses principaux conseillers.

Le roi est réticent à hâter l’opération, mais n’ayant pas beaucoup à perdre puisqu’il dispose maintenant d’une supériorité maritime incontestable, il accepte que l’expédition vers Majorque soit menée illico presto en son nom, tout en incitant les chevaliers aragonais à ne pas y participer; ils seront finalement assez peu nombreux, et uniquement de son proche entourage. Il faut ajouter que les Catalans, peuple terrien et paysan à l’origine, mais investissant de plus en plus dans la mer et le commerce maritime, étaient les premières victimes des actes de barbarie sauvage et de piraterie maures. Ce sont donc en majorité des Catalans qui partent le 5 septembre 1229 à la conquête de Majorque.

La flotte blanche catalane compte 155 navires à voiles blanches, 1 500 chevaliers et 15 000 soldats. Les templiers participent activement à l’opération. Le 11 septembre 1229, les troupes sous le pavillon de la couronne aragonaise, non sans avoir éprouvé une importune tempête5, débarquent dans la baie de Santa Ponsa et battent l’armée du wali almohade Abu Yahya à la bataille de Portopi le 12 septembre 1229. Les soldats musulmans se retranchent alors derrière les murs de Medina Majorca. Les troupes croisées mettent le siège devant la ville le 15 septembre 1229 et finissent, après un piétinement de plus de trois mois, par pénétrer dans la ville non sans massacrer une fraction de la population musulmane apeurée, fin décembre, le jour de la saint Sylvestre 1229. Il s’agit d’une réponse aux sanglantes exactions des raids de rebelles musulmans, venus du cœur de l’île, qui entravaient la mise en place technique du siège et rendaient le moindre village ou la moindre habitation imprenables. Mais la quantité de cadavres intra ou ex-muros est telle qu’une épidémie se déclare dans la grande ville et décime autant l’armée conquérante que la population. Les nobles catalans se disputent le butin, provoquant des échauffourées qui affaibliront la puissance militaire du roi. Les marchands italiens  interviennent auprès du roi Jacques pour instaurer une plus grande tolérance.

En quelques mois, l’essentiel de la conquête de l’île est faite, mais  l’insécurité est longtemps notoire. Après le siège réussi de la forteresse d’Alaró, de petits groupes de rebelles musulmans résistent jusqu’en 1232, en particulier dans la sierra de Tramontana et dans les grottes du Llevant. Les populations musulmanes n’ont en général pas pu fuir vers l’Afrique. Une partie, qui ne peut payer les taxes seigneuriales, est réduite en esclavage. La majorité, choquée mais survivante, se place sous l’autorité tolérante et protectrice du roi Jacques tandis que l’île est très lentement repeuplée par des Catalans, des Italiens, des Provençaux, des Occitans, très souvent de la France méridionale.

Majorque devient un royaume de la Couronne d’Aragon et obtient une charte de franchise en 1230. La création de la municipalité de Majorque en 1249, longtemps « La Ciutat », devenue tardivement la ville de Palma, a largement contribué à l’institutionnalisation du royaume.

Le roi n’était pas en mesure de conquérir Minorque en raison de divisions internes au sein de son armée. Les musulmans minorquins acceptent néanmoins de devenir les vassaux du roi d’Aragon en 1231. La vassalité de Minorque ne devait être transférée au royaume d’Aragon qu’après la conquête définitive et sanglante de l’île sous le règne d’Alphonse III (à la suite de la capitulation d’Abû Umar en 1287). L’île est alors petit à petit repeuplée par des Catalans, en même temps que les habitants musulmans sont peu à peu bannis ou forcés de se convertir.

En 1235, Jacques, qui avait donné des droits de conquête, constate la prise rapide des îles d’Ibiza et Formentera. Le roi n’est pas satisfait de la  concession ou soumission à plusieurs nobles, dont Guillaume de Montgri, au départ administrateur catalan pour le compte de l’archevêché de Tarragone et son frère Bernardo de Santa Eugenia. Avec l’archevêque de Tarragone, il reprend le contrôle de l’île, tout en laissant le gouverneur et seigneur d’Ibiza Guillaume de Montgri. L’île a été réorganisée par ce dernier et ses alliés de façon précoce, sans appel à des colons chrétiens. Des contremaîtres catalans, et quelques migrants chrétiens, en particulier venus d’Ampurias bien après 1236, marquent la volonté colonisatrice de l’archevêque.

La conquête de Valence, contrairement à celle de Majorque, a été faite avec un important contingent d’Aragon. En 1231, Jacques rencontre Blasco de Alagon et le maître de l’ordre de l’Hôpital à Alcaniz, ensemble ils établissent les plans pour conquérir Valence. Blasco de Alagon suggère d’attaquer la population et d’éviter les fortifications. La première phase de la conquête consista à s’emparer de deux enclaves montagneuses : Morella, qui fut rapidement prise par Blasco de Alagon du fait de la faiblesse du  gouvernement musulman local ; et Arès, qui fut conquise par Jacques. La conquête de ce qui plus tard allait devenir le royaume de Valence commence donc véritablement en 1232 avec la capture de Morella.

En 1233, les troupes chrétiennes prennent Borriana et Peniscola. Elles se dirigent ensuite vers le sud pour atteindre le Jucar et la ville d’Alzira, qui est conquise le 30 décembre 1242. Entre 1243 et 1245, les troupes aragonaises atteignent les limites imposées à l’Aragon par le traité d’Almizra de 1244. Jacques Ier et l’infant Alphonse de Castille s’étaient entendus pour délimiter leurs zones respectives d’expansion dans les territoires musulmans. Les terres situées au sud de la ligne Biar – Villajoyosa sont dévolus à la Castille, y compris donc ce qui va devenir le royaume de Murcie, que le traité d’Elche de 1305 donnera à l’Aragon.

À la fin des années 1240, Jacques doit faire face à toute une série de révoltes dirigée par le seigneur musulman Al-Azraq. Jacques en sort néanmoins victorieux, il parvient à convertir les terres conquises, parfois de manière assez violente, et à les intégrer dans la Couronne d’Aragon, tout en  respectant un grand nombre de leurs coutumes. Ainsi Jacques Ier prête serment de respecter les fors de Valence et les promulgue lors d’une réunion des corts valenciennes. La création du royaume va mettre un coup d’arrêt à la conquête et, même si elle permet de stabiliser les frontières, elle mécontente la noblesse aragonaise qui se voit privée de ses possibilités d’expansion en terres valenciennes.

Par le traité de Corbeil de 1258, Jacques Ier renonce à ses prétentions sur l’Occitanie héritées de ses ancêtres, les comtes de Barcelone, sauf la seigneurie de Montpellier et des villages alentour qu’il conserve. En retour, le roi Louis IX de France s’engage à renoncer à ses propres prétentions sur les comtés catalans. En effet, en tant qu’héritiers de Charlemagne, les rois de France ont toujours conservé leurs droits théoriques sur l’ancienne marche hispanique.

Normalement, au terme du traité d’Almizra, Murcie était sous domination castillane. Durant plus de vingt ans, la coexistence entre chrétiens et musulmans amena à une période de grande prospérité. Toutefois, à partir de 1264, la région est en proie à de nombreuses révoltes des mudéjars murciens qui sont soutenues par les Nasrides de Grenade et les Almohades d’Afrique. Le roi de Castille Alphonse X le Sage ne parvient pas à imposer son autorité, si bien que sa femme la reine Yolande, fille de Jacques Ier, demande de l’aide à son père. Les troupes aragonaises entrent en Murcie fortes de 10 000 hommes, Pierre d’Aragon réussit à obtenir la victoire sur Muhammad ibn Hûd Biha al-Dawla, faisant passer Murcie dans le giron aragonais.

En 1262, il nomme Guillaume de Roquefeuil, lieutenant-gouverneur de Montpellier. En septembre 1269, il lève une armée et part de Barcelone pour se rendre en Terre sainte combattre Baybars. Mais leurs navires sont dispersés par une tempête et le roi est forcé de débarquer à Aigues-Mortes pour finalement renoncer à l’expédition.

Jacques Ier était présent au second concile de Lyon de 1274. Le concile délibéra des aspects financiers d’une nouvelle croisade. On décida que pendant six années la dîme de tous les bénéfices de la chrétienté devrait revenir à la croisade. Jacques souhaitait organiser l’expédition immédiatement, mais les Templiers s’y opposèrent, rendant la prise de décision difficile. Contrarié par l’indécision des autres participants, Jacques Ier prend congé du pape et quitte le concile avec ses barons. Cette croisade n’aura finalement jamais lieu.

Le roi avait commencé à dicter ses mémoires en catalan et le Llibre dels fets deviendra la première des quatre grandes chroniques de la Couronne d’Aragon. Après un règne de presque soixante-trois ans, le roi décède à Alzira le 27 juillet 1276. Il était âgé de soixante-huit ans.

Les restes du roi sont déposés à Sainte-Marie de Valence, ils y restent jusqu’en mai 1278, date à laquelle ils ont été transférés au monastère de Poblet, panthéon des rois d’Aragon depuis Alphonse Ier. Cependant, après les confiscations de Mendizabal, le monastère fut abandonné et le corps de Jacques Ier fut à nouveau transféré en 1843, mais cette fois à Tarragone. Un mausolée fut construit derrière la cathédrale pour accueillir les restes du roi, il sera inauguré en 1856. Le roi termine finalement son voyage en 1952, année qui marque le retour du corps du roi à Poblet.

Source : Wikipédia.

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