Henri Rochefort, journaliste, et homme politique.

Victor Henri de Rochefort-Luçay, né le 30 janvier 1831 à Paris et mort  le 30 juin 1913 à Aix-les-Bains, mieux connu sous le nom d’Henri Rochefort, est un journaliste, auteur de théâtre et homme politique français.

Grand polémiste dans les pages de ses journaux (La Lanterne, La  Marseillaise, L’Intransigeant), il défend des options politiques radicales voire extrémistes (anticlérical, nationaliste, favorable à la Commune, boulangiste, socialiste et antidreyfusard). Son engagement lui vaut le surnom de « l’homme aux vingt duels et trente procès », ainsi que des condamnations, notamment au bagne de Nouméa dont, fait unique, il parvient à s’échapper en 1874.


Titulaire en 1849 du baccalauréat, il est un admirateur de Victor Hugo et renonce vite aux études médicales auxquelles le destinait son père, le prétendu « comte » de Rochefort-Luçay, auteur dramatique lui-même, connu sous le nom d’Armand de Rochefort. Il commence une carrière d’employé à l’hôtel de ville de Paris qui lui laisse le temps d’aiguiser sa plume. Il se tourne rapidement vers le journalisme en fondant avec Jules Vallès la Chronique parisienne, qui ne dure que quelques numéros. Il entre en 1856 au Charivari, chargé de la rubrique théâtre. Malgré une promotion en 1860, il démissionne de la ville de Paris dès que ses revenus littéraires le lui permettent.

Son œuvre théâtrale, une vingtaine de vaudevilles, connaît quelques succès sans marquer la postérité. Prenant pied peu à peu à la rédaction politique du Charivari, sa carrière de journaliste, en revanche, progresse régulièrement. Il contribue également au Nain jaune en 1863.

C’est en entrant au Figaro qu’il oublie sa particule. À l’époque, la presse est sévèrement contrôlée, le Figaro n’a pas encore payé le cautionnement qui autorise à aborder les sujets politiques. Henri Rochefort se limite donc à la vie littéraire. Il s’en approche pourtant en ne ménageant pas les pièces du duc Charles de Morny ou en déclarant son admiration pour l’exilé Hugo. Il quitte Le Figaro pour rejoindre Le Soleil avant de réintégrer Le Figaro avec un salaire quadruplé. Le ton d’Henri Rochefort n’est pas toléré bien  longtemps par l’Empire, et il doit quitter le journal.

Durant sa détention au fort de l’Île-d’Yeu, Henri Rochefort approuve la création d’un conseil de famille dirigé par son beau-frère Jean Marie Gorges, mari de sa sœur Caroline et ensuite par son secrétaire Jean-Marie Destrem.

La loi sur la presse devenant plus libérale, il décide de fonder son propre journal : La Lanterne, en mai 1868. Imprimé à 15 000 exemplaires, il faut lancer des tirages supplémentaires pour atteindre les 100 000 exemplaires vendus. L’éditorial du premier numéro restera célèbre : « La France  contient, dit l’Almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement ». L’indifférence affichée par le pouvoir ne résiste pas longtemps au succès du journal car Rochefort ne connaît aucune mesure ; il va jusqu’à écrire : « La statue équestre de Napoléon III, représenté en César (rions-en pendant que nous y sommes) dont j’ai parlé dans mon dernier numéro, est l’œuvre de M. Barye. On sait que M. Barye est le plus célèbre de nos sculpteurs d’animaux. » Après une interdiction à la vente publique, il est attaqué en justice et sévèrement condamné (amendes et prison). Rochefort rejoint alors à Bruxelles l’autre ennemi de « Napoléon-le-Petit » : Victor Hugo, qui l’héberge pendant plusieurs mois.

En France, on continue de se délecter de La Lanterne, vendue  clandestinement. Protégé par son exil, Rochefort adopte un ton encore plus acerbe dans ces critiques de l’Empire. L’ennemi juré des bonapartistes est sollicité par les électeurs parisiens lors des élections législatives de 1869, mais il est battu par Jules Favre (auquel se rallient les bonapartistes). En novembre, il est élu au siège laissé vacant par Léon Gambetta.

Le 19 décembre 1869 sort le premier numéro de son nouveau journal, La Marseillaise, co-créé avec Lissagaray. Le quotidien accueille les  collaborations de Eugène Varlin, Jules Vallès, Paschal Grousset et de Victor Noir. Celui-ci est assassiné le 10 janvier 1870 par Pierre Bonaparte. Les obsèques ont lieu le 12 janvier, suivies par 100 à 200 000 personnes en colère. Pour Émile Ollivier, chef du gouvernement d’alors, Rochefort rate à ce moment une occasion de renverser l’Empire.

Le gouvernement étant parvenu à lever l’immunité parlementaire du député, il est arrêté le 7 février 1870 à une réunion (cette arrestation fit l’objet d’un photomontage). Il est condamné à six mois de prison et incarcéré à la prison Sainte-Pélagie, où il est plutôt bien traité et peut continuer à écrire pour La Marseillaise et discuter avec ses camarades détenus, Paschal Grousset et Olivier Pain. C’est du fond de sa cellule qu’il apprend la déclaration de guerre à la Prusse. Par patriotisme et par  prudence, espérant une libération prochaine, il suspend La Marseillaise. On préfère pourtant le maintenir en prison.

Napoléon III s’est rendu, la République est proclamée le 4 septembre 1870, Rochefort est libéré le même jour et porté en triomphe auprès du   gouvernement provisoire qui siège à l’hôtel de ville. Le gouvernement de la Défense nationale est composé exclusivement des députés de Paris ou de députés ayant été élus à Paris mais ayant opté pour un autre département (Gambetta, Jules Simon). C’est donc de droit qu’Henri Rochefort est membre du Gouvernement de la Défense nationale. Seuls les généraux Louis Jules Trochu et Adolphe Le Flô ne sont pas des élus, mais considérés par les républicains modérés comme des anti-bonapartistes. En fait, les électeurs de Rochefort sont heureux de le voir au Gouvernement, car il est la caution de l’extrême gauche contre qui s’est faite cette révolution du 4 septembre. À la suite de l’émeute du 31 octobre, de nouveau confronté à une situation critique, il démissionne prudemment et se dégage de la vie politique jusqu’en janvier 1871, préférant se contenter de fréquenter des amis comme l’éditeur Hetzel ou Edmond Adam et sa femme Juliette Adam. L’armistice du 28 janvier, qu’il rejette, et l’annonce d’élections au début de février lui font reprendre la plume en créant Le Mot d’ordre. Dès le 5 février, il est  solidement élu de même que ceux qu’il soutient.

Il doit rejoindre l’Assemblée à Bordeaux. Celle-ci est favorable à l’armistice avec les Prussiens qui assiègent Paris. Il en démissionne donc rapidement. Il rentre trop tard à Paris pour assister aux débuts de la Commune. Son  attitude alors devient plus complexe. Il reste à Paris sans être un acteur de l’insurrection. Sans croire à la victoire, il refuse la défaite. Sans condamner la Commune, il la soutient de moins en moins, et se fait de plus en plus critique. Dans le Mot d’ordre, les critiques sur Adolphe Thiers et des Versaillais sont vives, mais les Communards, notamment ses anciens amis comme Paschal Grousset, ne sont pas épargnés.

En mai 1871, Rochefort réussit à échapper aux Communards mais il est arrêté à Meaux et livré aux Versaillais. Le procès a lieu en septembre ; Rochefort est condamné à la déportation en enceinte fortifiée. Ses amis, dont Victor Hugo, tentent d’amoindrir sa peine auprès de Thiers. D’abord interné à la prison Saint-Pierre à Versailles, il est envoyé au fort Boyard où il retrouve Grousset.

Les premières déportations ont lieu en mai, puis, en juin, Rochefort voit partir ses camarades Grousset, Pain et Jourde. Il est transféré le 21  septembre sur le fort Boyard, où il reste enfermé 272 jours avec de nombreux autres insurgés, puis il est déplacé vers la citadelle du Château d’Oléron, où il rencontre Henri Messager, et découvre le sort d’un groupe d’insurgés algériens arrêtés en 1871 lors de la révolte des Mokrani, qui deviennent bientôt les kabyles du Pacifique. Toujours grâce à l’entremise de ses influents amis francs-maçons de l’extérieur, Rochefort est transféré à Saint-Martin-de-Ré où il peut écrire un roman. Il est même autorisé à épouser la mère de ses enfants gravement malade. En janvier 1873,  Rochefort voit partir Achille Ballière.

Rochefort, épreuve de luxe, nouvelle Calédonie.

La démission de Thiers retire à Rochefort toute protection. Malgré l’insistance de Victor Hugo qui écrit au duc de Broglie, la déportation est devenue inévitable et le 8 août, Rochefort est embarqué à bord de La Virginie, dans le même convoi qu’Henri Messager et Louise Michel, avec qui il échange des poésies. Souffrant du mal de mer durant tout le voyage, Rochefort est bien traité par le capitaine Launay et le médecin du bord Perlié qui veille avec un soin particulier à l’état sanitaire des déportés.

Arrivé le 8 décembre 1873 à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, Rochefort, comme tous les déportés en enceinte fortifiée, est débarqué à la presqu’île Ducos. Il s’installe volontairement à l’écart dans la case de Paschal Grousset et Olivier Pain afin de préparer avec ses trois compagnons une évasion dont les grandes lignes avaient été arrêtées à Paris avec des amis du journaliste, francs-maçons comme lui ; et c’est grâce à l’appui logistique des francs-maçons australiens que l’évasion de Rochefort avec cinq codétenus communards réussira.

Le 19 mars 1874, à la nuit tombée, Rochefort, Grousset et Pain atteignent à la nage l’îlot Kuauri qui n’est pas surveillé. Les déportés libres Charles Bastien, Achille Ballière et François Jourde viennent les chercher à bord d’une barque pour rejoindre le PCE (« Peace, Comfort, Ease »), un navire britannique qui doit appareiller le lendemain pour Newcastle en Australie.

Malgré quelques difficultés, l’évasion réussit et les six évadés parviennent en Australie le 27 mars. Rochefort s’empresse de prévenir Edmond Adam qui lance une souscription destinée à payer les frais et à financer le retour des évadés en Europe. Rochefort partage alors assez inéquitablement la somme reçue. Les évadés se séparent. Olivier Pain et Rochefort choisissent de rejoindre le plus tôt possible le Royaume-Uni en passant par l’Amérique. Ils embarquent donc à bord du Cyphrénès dans lequel Jourde et Ballière ont aussi réussi à prendre place jusqu’aux îles Sandwich avec une escale aux Îles Fidji. Ils embarquent alors vers San Francisco d’où ils rejoignent New York. Rochefort, sollicité par le New York Herald pour rapporter le récit de la déportation, s’empresse d’accepter. Rochefort et Pain parviennent enfin à Londres le 18 juin 1874 où ils sont accueillis par les Communards exilés.

C’est la seule évasion réussie de toute l’histoire du bagne de Nouvelle-Calédonie. Rochefort, recherché par la police, se réfugie ensuite à Genève, au plus près des frontières françaises.

Il serait à l’origine de l’emploi du terme « opportuniste » pour désigner les députés, notamment Gambetta, qui attendent le « moment opportun » pour voter l’amnistie. Celle-ci étant enfin votée le 11 juillet 1880, il peut rentrer à Paris. Son arrivée donne lieu à un triomphe, presque à une émeute. Il reprend son activité de polémiste avec L’Intransigeant, qui paraît dès le 14 juillet grâce au soutien financier d’Eugène Mayer. Ce nouveau journal, situé à l’extrême gauche et se réclamant de la Commune de Paris, rencontre un succès populaire. Il soutient les candidatures socialistes aux élections, en particulier celles du Comité révolutionnaire central de tendance blanquiste.

Son absence aux funérailles d’Albert Joly (1844-1880) fournit l’occasion à ses adversaires d’accuser Rochefort d’ingratitude. On reparle alors des 25 000 F de la souscription que Rochefort n’a pas remboursés et qu’il aurait inéquitablement répartis entre les évadés. Des proches comme Paschal Grousset ou Henry Bauër contestent les rôles que Rochefort se donne dans la déportation, puis dans l’évasion, mais c’est l’engagement de Rochefort dans le boulangisme qui va sceller la rupture avec ses anciens amis.

Au décès du blanquiste Émile Eudes en août 1888, il devient le tuteur de ses quatre enfants.

Henri Rochefort adhère au boulangisme, dont il devient l’un des plus vifs partisans et exprime le courant anticapitaliste — notamment sur le mode de l’antisémitisme — tandis que Paul Déroulède en incarne l’aile droite et conservatrice. Il rejoint le Comité républicain de protestation nationale, puis entre au comité directeur de la Ligue des patriotes en 1888. En 1889, il rejoint Georges Boulanger en Belgique où ce dernier s’est ainsi mis à l’abri d’une arrestation probable réclamée par la Chambre des députés. En août 1889, il est condamné pour la seconde fois à la déportation en enceinte fortifiée, avec Boulanger et Arthur Dillon, par la Haute Cour de justice et par contumace : tous trois sont reconnus coupables de complot et d’attentat contre le gouvernement. Il se réfugie à Londres. En 1894, il sort de sa réserve par « un très violent article contre une loi sur la presse qui autorisait la poursuite des rédacteurs en chef ». Amnistié, il rentre en France en février 1895. Le triomphe qu’il reçoit à son retour est tel qu’il est parfois comparé à celui de Victor Hugo en 1870.

Lorsque éclate l’affaire Dreyfus, il laisse libre cours à son antisémitisme pour mener campagne avec les « anti ». Condamné pour diffamation à l’encontre du dreyfusard Joseph Reinach, il est condamné à cinq jours de prison qu’il purge du 20 au 25 février 1898 ; il rentre chez lui sous les acclamations de la foule. Dans le cadre de l’affaire, il lutte en duel contre Alfred Léon Gérault-Richard, dont il sort blessé. Il s’intègre au groupe de l’Action française naissante et se lie avec Charles Maurras et Maurice Pujo.

Déjà, sous l’affaire Dreyfus, sa popularité est largement entamée auprès des classes populaires. Bientôt, il ne peut plus honorer le mur des Fédérés sans subir les quolibets des Parisiens.

Il continue inlassablement son activité de polémiste et mène des combats contradictoires pour lesquels le goût de la formule l’entraîne souvent vers l’insulte.

Il meurt à Aix-les-Bains le 1er juillet 1913 d’une crise d’urémie. Le 6 juillet, ses obsèques civiles se déroulent au cimetière Montmartre accompagnées d’une foule immense de Parisiens massés autour de la place Clichy et en présence de nombreuses personnalités, Maurice Barrès, Paul Déroulède, Édouard Drumont ou Georges Hugo. Émile Massard, conseiller municipal de Paris, prend la parole au nom du journal La Patrie. Robert de Flers,  président de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, énumère ses différents ouvrages, et Jean-Marie Destrem, au nom de l’Association des journalistes républicains, prononce quelques mots. Robert Poirier de Narçay, ancien président du Conseil général de la Seine, parle au nom des Républicains socialistes français, Ernest Roche, député de Paris, au nom des amis politiques proches du boulangisme. Charles Bernard, ancien député de Bordeaux, rappelle son mot célèbre avant sa condamnation à la déportation : « Ce n’est pas cela qui nous rendra l’Alsace et la Lorraine ! ». Enfin, Gérasime Cangellaris, au nom du peuple grec, et Fernando Tarrida del Mármol, au nom des républicains espagnols, et M. Tchobanian, au nom des Arméniens, lui rendent tour à tour hommage.

Source : Wikipédia.

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