Le don du sang, une nécessité, un devoir.

Pour la médecine, le sang a d’abord été considéré comme devant être éliminé, et la saignée fait partie de l’arsenal thérapeutique des médecines développées de manière indépendante en Europe, au Moyen-Orient ou en Asie.

Le concept d’injecter du sang dans un objectif de soin est en revanche beaucoup plus récent, et s’est heurté à de grandes difficultés qui n’ont pas été seulement d’ordre technique. C’est cette histoire dont nous allons présenter quelques étapes déterminantes.

  • 17ème siècle : préliminaires et précurseurs
  • 19ème siècle : début de la démarche médicale moderne
  • 1900- 1910 : découverte de la « barrière immunologique » et de la transmission de maladie.

Les deux guerre mondiales et l’entre-deux guerres : anticoagulation et la conservation du sang et organisation des réseaux de solidarité
1952 et après : poches plastiques et séparation des composants du sang.


Les autres étapes-clés de la recherche d’amélioration de la qualité des PSL
17ème siècle : Précurseurs et premières tentatives Découverte de la circulation sanguine C’est William Harvey (1578-1657) qui fut le premier à décrire la circulation sanguine. L’ensemble de ses travaux sur le sujet, débutés en 1616, fait l’objet d’un ouvrage complet en 1628 : exercitato anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus.

Mise au point de techniques d’abord vasculaires Christofer Wren (1632-1723) a acquis une renommée mondiale en tant qu’architecte de la Cathédrale Saint-Paul à Londres. Cet homme d’esprit éclectique s’est aussi intéressé à un problème très utile pour la transfusion sanguine, à savoir comment arriver en pratique à injecter du liquide dans la circulation sanguine. Pour cela, il a développé des outils opérationnels, testés sur des animaux, qui seront utilisés pour les premières transfusions sanguines. Ses travaux sur ce sujet sont publiés dans les transactions de la Royal Society en 1665.

Dong du sang, carte maximum, Paris, 17/10/1959.

Première transfusion chez l’Homme Jean Baptiste Denis (1635 – 1704) réalise la première transfusion de sang chez l’Homme le 15 juin 1667.Le patient est un jeune homme de 15-16 ans, atteint de fièvre depuis deux mois, et déjà traité par plus de 20 saignées ! Il présente une perte de mémoire et une incapacité à produire le moindre effort, signes attribués par Denis à l’effet des saignées. Le traitement transfusionnel consiste en fait en l’échange de 3 onces (environ 100 mL) de sang du patient contre 9 onces (environ 300 mL) de sang de mouton. Le suivi à court terme montre une amélioration clinique très rapide, avec reprise de l’activité.

Les conditions de publication de cette première médicale méritent d’être rapportées. Tout d’abord, il y avait à l’époque un compétition certaine entre la France et l’Angleterre sur ce sujet, et en fait, deux anglais, Lower et King, réalisent une transfusion dans des conditions très similaires quelques mois plus tard, le 23 novembre 1667. Par ailleurs, le lieu privilégié de publication d’intérêt scientifique était la Royal Society, et Denis y a publié son expérience sous forme de lettre écrite en anglais. Enfin, les délais de publication étaient plus courts qu’aujourd’hui (tout au moins pour les membres de la Royal Society) , puisque la lettre relatant la transfusion réalisée le 15 juin 1667, et écrite le 22 juillet 1667 est quasiment immédiatement publiée par la Royal Society.

En 1667, JB Denis a transfusé 4 patients : les deux premiers survécurent, le troisième mourut rapidement après, mais le décès put aisément être attribué à une autre cause que la transfusion sanguine. Le quatrième s’appelait Antoine du Mauroy, âgé de 34 ans, et a été transfusé deux fois pour traiter des crises intermittentes de « comportement maniaque » : le 19 décembre 1667, il reçoit une première transfusion de 10 onces (environ 330 mL) de sang de veau, et ne présente pas d’amélioration clinique notable, ce qui incite à réaliser une deuxième transfusion, toujours de sang de veau, quelques jours plus tard. Au décours immédiat de cette deuxième transfusion, le patient présente des signes cliniques d’intolérance majeurs : une accélération du pouls, une sueur de la face, une très forte douleur lombaire, et une nausée. Le lendemain, le patient émet un « grand verre » d’urine noire « comme si elle avait été mélangée à de la suie ». La récupération est complète après quelques jours. Jean-Baptiste Denis venait de décrire le premier accident hémolytique, lié à la destruction des globules rouges transfusés par le receveur.

Don du sang, carte maximum, Metz, 8/04/1988.

Deux mois plus tard, devant une reprise des comportements maniaques, l’épouse de Monsieur du Mauroy exerce auprès de Jean-Baptiste Denis une pression importante pour qu’il réalise une troisième transfusion. En fait, le patient décède avant que la troisième transfusion ait lieu. L’épouse du patient tente apparemment d’extorquer de l’argent à Jean-Baptiste Denis, lequel finit par porter plainte contre elle.

Le jugement du procès qui s’ensuit est prononcé au Châtelet à Paris le 17 avril 1668 : Jean-Baptiste Denis est totalement disculpé, et Madame du Mauroy est condamnée pour l’empoisonnement de son mari par l’arsenic ! Cependant, le jugement précise que « à l’avenir, aucune transfusion ne peut être autorisée qu’après approbation des médecins de la faculté de Paris ». Sachant que, d’une part Jean-Baptiste Denis ne faisait pas partie du corps des médecins de la faculté de Paris, et que ces derniers étaient majoritairement hostiles à la transfusion sanguine, ou à Jean-Baptiste Denis, ou à l’association des deux, on comprendra que l’expérience transfusionnelle se soit arrêtée là en France. Enfin, en prolongement de ce jugement, un édit du parlement interdisant la transfusion sanguine a été promulgué en 1676.

Tout au long du 18ème siècle, on peut trouver des essais de transfusion de sang d’animal à l’Homme, réalisés dans de nombreux pays européens, sauf en France. Si les techniques de voie d’abord progressent, il n’en est pas de même pour les indications de la transfusion sanguine, qui restent en règle totalement en dehors de ce que nous concevons aujourd’hui. Par ailleurs, la règle est de transfuser du sang d’animal (mouton, veau) et l’idée de transfuser du sang humain n’est émise par personne à cette période.

19ème siècle : Les débuts de la démarche médicale moderne Premières transfusions de sang humainEn 1818, James Blundell publie dans la revue « The Lancet » les premières transfusions de sang humain.Non seulement il va utiliser du sang humain, mais surtout, l’indication retenue est l’hémorragie aiguë, car James Blundell, qui est obstétricien, espère ainsi contrôler les hémorragies du post-partum.

Nous sommes 70 ans avant la découverte des groupes sanguins ABO, aussi le choix du donneur se fixe en règle sur le mari de la parturiante.

Par ailleurs, on ne connaît pas encore de moyen d’empêcher le sang de coaguler. James Blundell continue donc à pratiquer la saignée traditionnelle, et développe des appareillages d’injection qui, bien que très ingénieux, ne fonctionnent que peu de temps, du fait de la coagulation sanguine.

De 1818 à 1829, James Blundell publie les résultats de 10 patients transfusés et considère les résultats efficaces chez cinq d’entre eux (4 hémorrragies du post-partum et 1 hémorragie massive après amputation de jambe), et cinq échecs (4 hémorrragies du post-partum et 1 hémorrragie du post-partum associée à une infection). En fait, les patientes sont transfusées à un stade où leur pronostic est très mauvais. Aussi, un succès dans la moitié des cas reste très positif.

Les situations nécessitant l’infusion intra-veineuse de sang sont probablement rares. Cependant, on observe parfois des cas où le patient va mourir en l’absence de cette opération, et plus fréquemment des situations où l’apport de sang est nécessaire pour prévenir les conséquences d’une perte de grands volumes de ce fluide vital, même si elle n’aboutit pas au décès du patient. En l’état des connaissances, bien qu’il n’ait pas été décrit de complication fatale, et sans parler de possibles risques inconnus, une inflammation du bras a certainement été produite par la transfusion à une ou deux reprises, et par conséquent, il semble juste de la réserver aux cas de « première classe seulement, c’est-à-dire ceux pour lesquels il n’y a pas d’espoir en l’absence d’injection de sang dans les veines. »

Parmi les échecs, James Blundell décrit l’aggravation du saignement, probablement liée à une CIVD consécutive à une incompatibilité ABO, ainsi que des signes classiques d’hémolyse. Aujourd’hui, nous savons que si des transfusions étaient faites au hasard, sans tenir compte du groupe sanguin ABO, près de 2/3 d’entre elles se passeraient bien.

En 1900, Karl Landsteiner découvre le groupe sanguin ABO , en comparant le sang de différents sujets. En fait, constatant le fait que, dans certains cas, il observe l’agglutination de globules rouges en présence de sérum humain, il a l’idée de tester systématiquement (en commençant par tout le personnel du laboratoire..) ce phénomène. Il arrive à la conclusion que l’explication la plus simple est la présence ou l’absence de deux antigènes sur les globules rouges qu’il appelle A et B, et la présence dans le sérum d’anticorps dirigés contre ces antigènes chez les individus qui en sont dépourvus. Il obtient le prix Nobel de médecine en 1930.

Karl Landsteiner contribue de manière extraordinnaire à nos connaissances en matière de groupes sanguins, et son équipe, établie à New-York depuis 1922, est à l’origine de la découverte de nombreux systèmes de groupes sanguins, y compris le système RH.

A noter que, en hommage à sa contribution à la transfusion sanguine, la date du 14 juin, jour de sa naissance, a été retenue par l’OMS pour célébrer la journée internationale du don de sang.

Dès le début de la guerre de 1914-1918, les médecins militaires appliquent la transfusion sanguine. Cependant, ils ont de grandes difficultés à mettre en œuvre les techniques de connexion directe d’artère à veine.

Un formidable mouvement de recherche à la fois sur le terrain des opérations et dans les laboratoires de recherche des pays en guerre a permis des progrès considérables, et sauvé de nombreuses vies.

L’entre deux guerres Les connaissances acquises pendant la première guerre mondiale sont très vite intégrées dans la médecine civile, et les techniques de conservation commencent à se développer.

Pendant cette période, coexistent la transfusion « historique », de bras à bras, et les débuts de la transfusion moderne, avec séparation de la phase de recueil du sang chez le donneur de la transfusion effective chez le patient.

Dans le domaine de la transfusion de bras à bras, les avancées technologiques concernent la meilleure maîtrise du volume de sang transfusé. Deux illustrations en sont fournies par l’appareil de Tzanck de 1925, et la pompe à galets de Bakey de 1935, qui a été utilisée.

Le développement de la transfusion sanguine ne peut se faire sans le développement de réseaux de solidarité, basés sur la connaissance des besoins pour assurer les transfusions sanguines des patients. L’engagement des donneurs de sang est très exigeant, comme en témoigne le « règlement pour être donneur » élaboré par le centre de transfusion sanguine de l’hôpital Saint-Antoine à Paris. C’est à partir de ces expériences que naîtra la Fédération Française pour le Don de Sang Bénévole en 1949, et la Fédération Internationale des Organisations de Donneurs de Sang en 1951.

La première réserve de sang conservé est mise en place à la Mayo Clinic aux USA en 1935, mais le terme de « banque de sang » (« Blood Bank ») est créé par Bernard Fantus (1874-1940), du Cook County Hospital. Très actif dans tous les domaines thérapeutiques, Bernard Fantus avait tout d’abord développé la fabrication de solutés pour injection intra-veineuse, avant de créer le 15 mars 1937 une authentique « banque de sang ». La conservation du sang s’y faisant en flacons scellés, dont le principe a été appliqué dans le monde entier pendant plus de 30 ans, Le sang total pouvait alors être conservé jusqu’à 10 jours au maximum.

Beaucoup de voies nouvelles sont explorées, dont certaines se révèlent des impasses, telle l’utilisation de sang de cadavre en 1936.

Un acteur important des progrès de cette époque a été très certainement Norman Bethune, formé à Toronto, engagé en 1915 et blessé en France, et chirurgien thoracique à Montréal de 1928 à 1936. De novembre 1936 à juin 1937, il rejoint les républicains dans la guerre civile espagnole, et il crée la première banque de sang en Europe le 23 décembre 1936. Il invente le concept de collecte mobile (en pratique, les collectes ont lieu à l’arrière où des donneurs sont disponibles, et les produits vont vers le front là où les blessés en ont besoin). En janvier 1938, il rejoint la Chine et les troupes de Mao Tse Toung, y anime le service médical, et meurt le 30 novembre 1939 d’une piqûre septique.

La prise en charge transfusionnelle des blessés est assurée par les services de santé de toutes les armées impliquées avec essentiellement du sang conservé, mais les recherches se poursuivent activement pour être en mesure de conserver le sang plus longtemps.

Cette période est vraiment à l’origine de la transfusion moderne, par trois développements majeurs : fractionnement du plasma, mise au point d’une solution de conservation du sang, et introduction des poches en plastique en remplacement des flacons de verre.

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Source INTS, YouTube.