Ville d’Éphèse (Turquie).

Éphèse est l’une des plus anciennes et plus importantes cités grecques d’Asie Mineure, la première de l’Ionie.

Bien que ses vestiges soient situés à près de sept kilomètres à l’intérieur des terres, près des villes de Selçuk et Kuşadası dans l’Ouest de  l’actuelle Turquie, Éphèse était dans l’Antiquité, et encore à l’époque byzantine, l’un des ports les plus actifs de la mer Égée, situé près de l’embouchure du grand fleuve anatolien Caÿstre.

L’Artémision, le grand sanctuaire dédié à Artémis, la déesse tutélaire de la cité, qui comptait parmi les Sept Merveilles du monde et auquel Éphèse devait une grande part de sa renommée, était ainsi à l’origine situé sur le rivage.

C’est l’œuvre combinée des sédiments charriés par le Caÿstre, des  changements climatiques, et peut-être d’accidents sismiques ou tectoniques, qui explique le déplacement progressif de la côte vers l’Ouest, et l’ensablement subséquent des ports de la ville, prélude de leur abandon (le cas de Troie est sans doute assez comparable).


L’occupation de la région d’Éphèse remonte au Ve millénaire av. J.-C., comme l’attestent diverses découvertes archéologiques (fragments de céramique et d’obsidienne) faites au sud de la Porte de Magnésie.

Des sites du Néolithique ont été identifiés à Çukuriçi Höyük ainsi qu’à Arvalya Höyük. Le premier établissement humain important se trouvait toutefois sur les pentes nord-est de la colline d’Ayasoluk : il est daté par la présence de céramique de la fin de l’âge du bronze. Au XVIe siècle av. J.-C., s’y trouvait une implantation d’époque mycénienne dont il reste une tombe, datée par la présence de céramique de l’époque Helladique récent III A27, et un mur de grands blocs rectangulaires. On identifie souvent le site avec Apasa, la dernière capitale du royaume d’Arzawa, mentionnée dans les sources hittites du règne de Mursili II : le nom grec Ephesos serait la forme hellénisée de ce toponyme, mais cette hypothèse reste controversée.

La tradition grecque attribuait la fondation d’Éphèse à Androclos10, l’un des fils de Codros, roi légendaire d’Athènes. Comme celle d’autres  établissements Ioniens, la colonisation d’Éphèse remonte au XIe siècle. Le site était alors occupé par les Lélèges et les Cariens et les colons durent se confronter au culte de la déesse mère Cybèle, culte alors dominant dans la majeure partie de l’Anatolie.

Ephèse, carte maximum, France.

Pour se concilier les populations autochtones, les Grecs optèrent pour une politique de syncrétisme en fusionnant les cultes d’Artémis et de Cybèle.

Le premier établissement fortifié se trouve à environ 1 200 mètres à l’ouest de l’Artémision, au port de Koressos. Cet emplacement primitif est aujourd’hui situé sous le sol marécageux qui a remplacé la lagune originelle. Cette première agglomération semble avoir été lourdement fortifiée. Une fois la communauté établie, la cité fut gouvernée par des rois : la monarchie était alors un mode de gouvernement répandu dans le bassin  méditerranéen. Entre le xe et le début du VIIe siècle av. J.-C., la monarchie a été remplacée par une oligarchie aristocratique, qui à son tour fut remplacée par des tyrans.

Vers 675, la cité tomba aux mains des Cimmériens, un peuple scythe venant de la steppe du Moyen-Orient, qui détruisit le tout premier autel dédié à Artémis, lors de la prise de la ville. Cette destruction fut la conséquence de la résistance des Éphésiens, qui, avec la Phrygie du roi Midas, furent l’un des rares peuples à s’opposer à cette conquête.

C’est à cette époque, au milieu du VIIe siècle, qu’apparurent les premiers monnayages publics, et taxes. Avec l’essor de l’activité portuaire et commerciale, des taxes portuaires furent mises en place au début du VIe siècle.

La cité s’enrichit alors de plus en plus et, en 570, lorsque les Samiens se dotèrent d’un temple monumental, les Éphésiens ne purent souffrir que la puissance et la splendeur de leur cité soit surpassée. Ils décidèrent donc de faire construire un temple plus grandiose encore, et, à cette fin, ils n’hésitèrent pas à faire venir des architectes de Crète.

La cité devint à cette époque un véritable foyer culturel. De nombreuses écoles y virent le jour : médecine, rhétorique, philosophie, etc. Cette profusion culturelle fit d’Éphèse un centre intellectuel et artistique de tout premier plan dans le monde méditerranéen. Ceci se traduisit par un agrandissement de la cité vers l’est, en direction de l’Artémision. Cette expansion est d’abord le fait de la construction de nombreux bâtiments publics comme le gymnase et le stade : ceux-ci étaient alors en périphérie de la cité, dont le cœur était occupé par des habitations.

Vers 561, la ville passa sous le contrôle de la Lydie et de son roi Crésus, qui finança la construction des colonnes pour l’édification du temple. Sous sa domination, les Éphésiens furent contraints d’abandonner leur implantation au Koressos pour aller s’établir dans les environs de l’Artémision. Crésus voulait peut-être ainsi affaiblir le potentiel défensif de la cité, mais ce déplacement résulte également de la nécessité vitale pour la cité, conduite à l’asphyxie par l’augmentation rapide de sa population, de trouver de nouveaux espaces pour se développer.

À partir de 547, et après la défaite de Crésus à la bataille de la Ptérie (bataille de l’Halys), la cité passa sous la domination perse : l’empire perse, en pleine expansion, absorbait progressivement les royaumes de l’ouest anatolien. Le royaume de Lydie, qui s’étendait alors sur une grande partie de l’Asie Mineure, ne fit pas exception.

Éphèse, bien que jouant un rôle central dans la région, était en quelque sorte en marge des affaires lydiennes. Cette relative indépendance politique la mit à l’abri des destructions de la conquête perse. Vivant dans une relative autonomie, la cité ne chercha pas à défendre le royaume duquel elle dépendait jusque-là, et pour lequel sa population n’avait pas d’affection particulière. Les Perses ne firent preuve d’aucune marque d’hostilité à l’égard de la plupart des cités d’Ionie. Conformément à la pratique ancestrale des souverains du Moyen-Orient, les Perses n’imposèrent rien aux cités nouvellement soumises. Aucun culte officiel n’y fut instauré, la présence de l’occupant se fit discrète, chaque cité conservant ses  institutions. Finalement, De cette tutelle perse sur Éphèse, les sources ne parlent que fort peu.

Éphèse semble jouer un rôle minime dans la révolte de l’Ionie contre la tutelle perse, qui entraîna la première guerre médique. La cité fait bien partie intégrante de l’union des douze cités créée par Aristagoras de Milet, théoricien de la libération de l’Ionie, mais elle reste en second plan par rapport à Milet, figure de proue de la révolte, et qui sera la principale victime de la défaite. Éphèse se borne à apporter un soutien logistique aux insurgés. Ses hauteurs sont le théâtre d’un affrontement entre le corps expéditionnaire grec mené par le frère d’Aristagoras et celles du satrape Artapherne, qui remporte finalement la victoire.

À l’issue de la première guerre médique, Éphèse se retrouve presque débarrassée de la tutelle des Perses. La paix de Callias de 449 ne lui apporte toutefois qu’une protection relative contre les Perses, restés à proximité.

Éphèse rejoint alors la ligue de Délos16 formée à l’issue du conflit, sous la direction d’Athènes. Au fil du temps, et comme les autres cités, Éphèse devient moins une alliée qu’un contributeur au trésor de la Ligue. Elle se retrouve dans une situation ambiguë, tiraillée entre une allégeance confortable mais pesante à Athènes, et une volonté farouche, comme les autres cités d’Ionie, de conserver son indépendance.

Le déroulement de la longue période qui va de la fin des Guerres médiques au début de la guerre du Péloponnèse est mal connu, en ce qui concerne Éphèse : trop peu d’inscriptions de cette époque ont survécu. D’une manière quasi certaine, Éphèse disparaît de la scène politique internationale, et poursuit son existence à travers ses activités commerciales et religieuses.

Sur le plan intérieur, la cité est partagée entre les partisans d’Athènes, qui mettent en avant la relative protection dont bénéficie la cité contre une menace perse latente, et les partisans de Sparte, qui trouvent en la cité lacédémonienne une alternative refuge contre l’hégémonie athénienne. Cette opposition des deux camps, que l’on retrouve dans un grand nombre de cités de l’ensemble du monde grec, animera la vie politique d’Éphèse du milieu du Ve siècle av. J.-C. jusqu’en 335 environ.

Éphèse se range au côté d’Athènes au début de la guerre du Péloponnèse, mais, sur l’instigation d’Alcibiade, elle se révolte en 412 contre la cité attique, avec le reste de l’Ionie. L’aventure est de courte durée : l’Ionie est ramenée à l’obéissance vers 411-410 par Athènes.

En 404, l’hégémonie athénienne n’est plus, et la ligue de Délos est dissoute. Les cités d’Ionie passent de nouveau sous tutelle perse. L’impopularité d’Athènes est si grande que le parti pro-spartiate prend le pouvoir à Éphèse. Il ne fait pourtant pas l’unanimité, et Athènes conserve des partisans dans la cité. En 395, un retournement pro-athénien s’opère alors que le roi  spartiate Agésilas II est de passage à Éphèse, dans le cadre de sa campagne contre le satrape Tissapherne. Alors qu’il a proposé ses services pour la restauration de l’Artémision, victime d’un incendie au cours des combats, il doit quitter précipitamment la cité. La campagne d’Agésilas se soldera toutefois par la libération des cités d’Ionie de la tutelle perse.

Le climat politique reste tendu jusqu’en 371, où la bataille de Leuctres met fin à la suprématie spartiate sur le monde égéen. L’hégémonie thébaine qui s’ensuit n’a que peu d’impact sur le monde anatolien. Malgré tout, Éphèse, membre de l’amphictyonie de Delphes, se retrouve impliquée dans la Troisième Guerre sacrée.

Les Perses, profitant du désordre du monde grec, se réapproprient l’Ionie. Leur nouvelle domination est similaire à celle précédant les Guerres médiques : la seule mesure contraignante est la contribution financière exigée par le grand roi. Pour le reste, les activités commerciales, religieuses et culturelles d’Éphèse ne sont pas vraiment perturbées. Ainsi, c’est en 350 que le sculpteur Scopas, de Paros, aurait décoré les colonnes de l’Artémision. Néanmoins, Parménion et Attale, de passage en Ionie au printemps 336 pour préparer l’assaut des troupes d’Alexandre sur l’Orient, sont accueillis en libérateurs par les Éphésiens.

Alexandre le Grand passe à son tour par l’Ionie l’année suivante. Il propose à la cité de participer à la reconstruction de l’Artémision, détruit en 356. Les Éphésiens refusent ce geste généreux, arguant « qu’il n’appartient pas à un dieu de bâtir un temple pour un autre dieu », et préfèrent lancer une vaste campagne de collecte de fonds sur l’ensemble de l’Ionie.

Éphèse était restée à l’écart de la domination macédonienne, mise en place progressivement sous l’influence de Philippe II à partir du milieu  du IVe siècle. Désormais sous tutelle macédonienne, elle continue, à l’instar du reste de l’Ionie, à vivre en toute autonomie, jusqu’à ce que l’empire d’Alexandre éclate, et que n’apparaissent les disputes fratricides entre ses généraux pour la succession.

À l’époque hellénistique, Éphèse devint un centre administratif important. Sous contrôle macédonien à la mort d’Alexandre, l’Ionie et l’Asie Mineure en général passent en 301 sous le contrôle de Lysimaque. Cette passation de pouvoir s’opère à la suite de la bataille d’Ipsos, où Lysimaque l’emporte sur Antigone le Borgne. L’ancienne cité fut refondée par Lysimaque. C’est à Lysimaque que la ville doit la construction de son enceinte, encore visible aujourd’hui ; en effet, la ville d’origine s’était envasée. Le diadoque embellit, assainit et agrandit la cité, et y transfère les habitants de Colophon. Elle comptait alors environ 100 000 habitants. Son théâtre pouvait accueillir 24 000 spectateurs.

Lorsque Lysimaque met la main sur les cités d’Ionie, il se retrouve face d’une « coalition » formée peu avant 315, couramment appelée la «confédération ionienne». Cette confédération, dont les structures sont à peu de chose près semblables à celles de la ligue de Délos, regroupe l’ensemble des cités d’Ionie, dans le but d’associer leurs forces  économiques et militaires. Une réunion de cette confédération se tient à Éphèse. C’est à cette confédération que se heurte brutalement Lysimaque en 284, lorsqu’une partie de l’Asie Mineure se rebelle, après qu’il a fait exécuter son propre fils. La répression de la révolte se termine par une reconquête brutale d’Éphèse.

Éphèse passera ensuite sous le contrôle des Séleucides, dynastie issue d’un autre diadoque, après la disparaition de Lysimaque. À cette occasion, le monde hellénistique se trouve partagé entre ces nouvelles dynasties, créées par les anciens généraux d’Alexandre.

Les Séleucides contrôlent un espace très étendu, qui s’étend de la Méditerranée à l’Indus, mais ils n’occupent pas l’intégralité de l’Asie Mineure. Éphèse se retrouve au centre de conflits d’influences et d’intérêts que se livrent les Séleucides à l’est, les rois de Pergame au nord et les Lagides en Égypte. Ptolémée de Milet, un fils du roi lagide Ptolémée II, est tué à Éphèse en 260 ou 259 par ses mercenaires au cours d’une révolte.

L’Asie Mineure passe d’une main à une autre. Dominées par les Attalides, les cités anatoliennes vont prendre progressivement leur indépendance, et des tyrans y prennent alors le pouvoir. Ces derniers seront ensuite chassés par Antiochos II, qui donne leur liberté à toutes les cités.

À la faveur des guerres de Syrie, Éphèse intègre l’empire maritime des Lagides. En 197, elle est reconquise par Antiochos III, ce qui scelle la réintégration de l’Anatolie dans le giron des Séleucides.

Eumène II, de la dynastie des Attalides — rois de Pergame — s’étant allié aux Romains, pour contrer l’expansion Séleucide vers la mer Égée, obtient par la paix d’Apamée, en 188, le contrôle d’une partie de l’Asie Mineure. Éphèse se trouve dans la région nouvellement attribuée, et restera sous la domination des Attalides jusque sous le règne d’Attale III. Les sources témoignent des relations qu’entretenaient les souverains de Pergame avec Éphèse : des rapports cordiaux et de confiance (on peut noter que le précepteur d’Attale III venait d’Éphèse).

À la mort d’Eumène II, Attale II prend la direction du royaume de Pergame; et continue d’entretenir des relations étroites avec Éphèse, relations principalement économiques et culturelles. L’ingérence de plus en plus grande de l’Empire romain dans les affaires orientales conduit Attale III, qui arrive au pouvoir en 138 av. J.-C., à la suite de son père Attale II, à léguer progressivement ses biens privés au pouvoir romain. Celui-ci prit dès lors le contrôle progressif du royaume de Pergame, malgré une ultime résistance menée par Eumène III. La porte était alors ouverte pour l’intégration de l’Anatolie et d’Éphèse dans le monde romain.

En 134 avant J-C, Éphèse est déclarée libre par le roi de Pergame, Attale III. À la mort d’Attale III en 133, l’ensemble des possessions attalides est sous contrôle romain. Seul Eumène III s’oppose encore à ce qu’il considère comme une annexion. Face aux contestations de son testament par Aristonicos, Éphèse, par peur de perdre sa liberté, agrandit son corps civique pour lutter contre Aristonicos et mobilise des troupes et des flottes. Ainsi en 131, la flotte d’Eumène III est détruite par celle d’Éphèse. Après sa défaite définitive en 130, plus rien ne viendra remettre en question la mise sous tutelle romaine de cette partie du monde méditerranéen.

Les cadres de l’administration romaine sont alors progressivement mis en place. L’Anatolie devient une province romaine, placée sous la direction d’un proconsul. Il semble qu’en raison de son engagement aux côtés des Romains, Éphèse garde son statut de cité libre . En effet en 129 avant J-C, un décret de la cité, adressé au Sénat de Rome, retrouvé dans les fouilles du Capitole, indique que les Éphésiens remercièrent ce dernier pour lui avoir offert la libertas et délivrer de la tutelle attalide. Mais malgré son statut libre, le proconsul s’installe à Éphèse qui devient capitale de la province romaine. Est créé un réseau routier depuis la Macédoine permettant de rejoindre Pergame et Éphèse destiné au déplacement des troupes. Cette route favorise aussi le développement économique de la cité.

En 88 av. J.-C. le roi du Pont, Mithridate VI (120-63) conquit l’Anatolie occidentale et trouve le soutien de nombreuses cités dont Éphèse. Les directives de Mithridate et la haine ressentis vis-à-vis des romains présents aboutissent à ce que l’on a appelé « Les Vêpres d’Éphèse », épisode où 80 000 citoyens romains et italiens d’Asie Mineure furent massacrés. Parmi eux beaucoup vivaient à Éphèse. Mais face à l’avancée des romains et le comportement violent de Mithridate, Éphèse change de camp, se révolte et déclare la guerre à Mithridate. Une fois Mithridate vaincu, après la paix de Dardanos, Sylla, général romain se rend à Éphèse et convoque les notables des cités d’Asie mineures pour les sanctionner, preuve de l’importance administrative de la cité. Éphèse malgré son soutien bien que tardif à Rome perd alors sa liberté.

Après l’assassinat de César, une lutte plus féroce encore oppose Marc Antoine à Octave et en 33 av. J.-C. Antoine, accompagné de Cléopâtre, s’établit à Éphèse d’où il prépare la bataille finale. Il sera vaincu deux ans plus tard à Actium, en Grèce.

Au début de l’Empire, Octave, devenu Auguste, décide de redonner à Éphèse son statut de capitale. Une autre série de grands travaux débute marquant son statut. Éphèse devient une des trois grandes métropoles de l’Empire romain, et peut alors être considéré comme un lien indispensable entre l’Orient et l’Occident. Au iiie siècle, plusieurs familles de notables d’Ephèse font d’ailleurs carrière à Rome, en intégrant le Sénat.

La ville n’est pas épargnée par les troubles qui affectent la plus grande partie de l’Empire au milieu du IIIe siècle : alors que son enceinte est en ruine faute d’avoir été entretenue, et après avoir été endommagée par un séisme88, la ville est durement affectée en 262 sous l’empereur Gallien par un raid maritime d’Ostrogoths et de pirates hérules : ils pillent et incendient le Temple d’Artémis, selon l’Histoire Auguste et Jordanes, et ravagent probablement d’autres quartiers. La ville se relève lentement de cette double catastrophe, comme l’attestent la rareté des inscriptions du troisième quart du IIIe siècle, et l’arrêt apparent de toute nouvelle activité édilitaire d’envergure.

La prospérité de la ville antique tardive prend fin, comme pour toutes les villes d’Asie Mineure, au VIIe siècle, par les effets combinés de plusieurs facteurs. Un séisme important frappe la ville vers 614 et détruit notamment les riches maisons en terrasses sur l’Embolos. Les ruines sont rapidement abandonnées et remblayées pour laisser la place plus tard à des constructions de fonction radicalement différente — probablement des entrepôts. Il est possible que les invasions perses, qui en 616 auraient atteint Sardes et la côte Ouest de l’Asie Mineure, aient également joué un rôle dans ce déclin. Mais la catastrophe du premier quart du VIIe siècle sert davantage de révélateurs du déclin rapide de la civilisation urbaine antique tardive qu’elle n’en est la cause première : l’incapacité à reconstruire, du moins sur la même échelle, les édifices détruits à cette occasion révèle un changement de conceptions sociales et politiques en même temps qu’une rétraction de l’économie locale, probablement déjà durement touchée par la pandémie de 542.

L’insécurité chronique du VIIe siècle participe pleinement de ces  phénomènes : les Arabes mènent une première tentative contre Constantinople dès 654-655 qui, si elle échoue à prendre la capitale, entraînent au retour le sac d’Éphèse, Smyrne et Halicarnasse. Le premier grand siège de Constantinople entre 674 et 678 par les flottes de Mu’âwiya s’accompagne aussi probablement de nouvelles attaques contre les villes d’Asie Mineure dont Éphèse, même si elle n’est pas expressément mentionnée dans les sources narratives. Il en va de même pour le grand assaut arabe de 716-717 à travers l’Asie Mineure sous la direction de Maslama : si Éphèse n’en a peut-être pas été victime directement, à l’inverse de Pergame et Sardes par exemple, les ravages causés par les raids répétés des Arabes n’en eurent pas moins des effets destructeurs sur l’économie urbaine. En 781, une nouvelle attaque entraîne une brève occupation, la réduction en esclavage et la déportation de 7 000 habitants de la ville. Un dernier raid arabe en 798 menace la cité, mais il n’est pas certain qu’elle ait été prise en cette occasion.

Si la menace arabe disparaît pratiquement pour l’Asie Mineure à compter du milieu du IXe siècle en raison du redressement militaire byzantin et des dissensions internes du califat, Éphèse encore à souffrir de nouvelles incursions militaires : les Pauliciens qui harcèlent l’empire dans les années 860 sous la conduite de leur chef Chrysocheir prennent en effet la ville en 868157. Genesios rapporte que Chrysocheir utilisa l’église Saint-Jean comme étable pour ses chevaux.

La conséquence la plus visible de l’insécurité, de la dépopulation et du déclin économique est la rétraction de la ville sur une aire urbaine considérablement réduite, défendue par un nouveau rempart. Cette fortification s’étend des deux sommets du Panayirdağ jusqu’au port en prenant appui sur le théâtre et en empiétant sur les boutiques de l’Arkadianè au Sud, et en longeant le gymnase de Vedius et l’Olympiéion au Nord : l’essentiel du centre résidentiel et civique de la ville antique est ainsi laissé à l’abandon, à l’extérieur de cette enceinte, selon un processus bien attesté dans d’autres villes de cette époque, telles Athènes ou Corinthe. Significativement aussi, l’église de Marie et le « palais du proconsul » se trouvent à l’intérieur de l’aire fortifiée. La construction du rempart est mal datée : une inscription retrouvée en remploi dans une chapelle sur le Panayirdağ mentionne uniquement la construction d’un kastellin qui lui correspond probablement. La datation généralement proposée pour cette refortification est le viie ou le viiie siècle, dans la perspective d’une construction visant à protéger la ville contre les raids arabes. À l’intérieur de ce réduit fortifié, les grands monuments antiques sont abandonnés et recouverts par des habitats de construction médiocre, faits essentiellement de remplois : c’est le cas sur l’Arkadianè, abandonnée, à l’étage du bâtiment de scène du théâtre, ou encore au-dessus des ruines du gymnase du port.

L’importance prise à cette époque par l’église Saint-Jean, où est transféré le siège épiscopal après le sac de 654-655, se manifeste par la construction d’une enceinte fortifiée séparée sur la colline d’Ayasoluk, destinée à protéger la cathédrale, ainsi que le quartier résidentiel qui a pu se développer entre l’église et la porte, ainsi que plus au Nord. La colline constitue dès lors le second pôle de l’urbanisme éphésien qui, progressivement, supplante le premier distant de près de plus d’un kilomètre. Cette deuxième enceinte connaît au moins deux phases dont la chronologie reste incertaine. Elle comprend dans son premier état de nombreuses spolia provenant des édifices ruinés de la cité antique, l’Artémision et le stade notamment. La porte Sud flanquée de deux tours, d’abord carrées puis renforcées selon un plan pentagonal à une date indéterminée, est ainsi surmontée de plusieurs fragments sculptés dont des fragments de sarcophage païen portant le thème iconographique d’Achille à Skyros : c’est à un contresens des premiers voyageurs sur la signification de cette scène montrant un homme en armes courant au milieu de jeunes femmes que la porte doit son nom de Porte des Persécutions.

La reconquête de Constantinople en 1261 entraîne un changement de priorité militaire, la défense de la capitale l’emportant désormais sur celle des territoires asiatiques de l’Empire de Nicée. La conséquence en est une dégradation rapide de la situation militaire dans les provinces d’Asie Mineure : la Carie est perdue dès les années 1260, malgré une expédition de Jean Paléologue en 1269, et depuis la vallée du Méandre, les Turcs menacent l’arrière-pays d’Éphèse, Milet et la vallée du Caystre. À moins d’une journée de marche des Turcs, Éphèse est dès lors pratiquement sur la frontière de l’Empire. L’un des généraux envoyé combattre les Turcs, Alexis Philanthropénos, fait duc du thème des Thracésiens en 1293, mène une campagne victorieuse dans la vallée du Méandre en 1295, avant de se rebeller contre l’empereur Andronic II et de tenter d’établir dans la région son propre État indépendant : Éphèse en fait partie, puisque c’est dans la forteresse qu’il emprisonne Théodore, le propre frère d’Andronic envoyé mettre fin à sa rébellion190. Philanthropénos est arrêté et aveuglé peu après, le 25 décembre 1295.

Andronic II confie ensuite la lutte contre les Turcs aux mercenaires de la Compagnie catalane, qui parviennent dans la région d’Éphèse au printemps 1304 : Roger de Flor et ses troupes séjournent ainsi quelque temps à Éphèse et sont victorieux contre les Turcs locaux. Ces succès ont malgré tout un prix, car les mercenaires catalans n’hésitent pas à se payer sur les régions libérées. Éphèse compte avec Philadelphie et Pyrgion parmi les villes victimes de leurs exactions. Significativement, il n’y a jamais mention de troupes byzantines dans les récits de ces opérations : la menace turque réapparaît donc aussitôt que la Grande compagnie quitte la région, rappelée à Constantinople à la fin de l’été 1304.

Le 24 octobre 1304, Sasa Bey, un lieutenant du clan de Menteşe, des Turcs Oghouzes qui s’étaient établis en Carie et dans la vallée du Méandre, s’empare d’Éphèse, après avoir progressivement pris le contrôle de la vallée du Caystre depuis le printemps, malgré l’intermède catalan. L’église Saint-Jean est pillée, une partie de la population de la ville est déportée dans la ville fortifiée de Thyraea et le reste massacré. Éphèse échappe définitivement à l’Empire byzantin, malgré une tentative pour la reconquérir quelques années plus tard.

Sasa Bey entre rapidement en conflit avec son ancien allié, l’émir d’Aydın, et s’allie même avec les chrétiens, mais il est rapidement défait. Son domaine, autour des vallées du Méandre et du Caystre, passe alors aux mains de l’émirat d’Aydın.

Si l’intégration définitive d’Éphèse dans l’empire ottoman rétablit la paix dans une région durement éprouvée pendant un quart de siècle, elle marque aussi la fin progressive de sa prééminence politique et commerciale. La principauté d’Aydın est divisée en deux provinces par les Ottomans, l’une pour l’intérieur des terres autour d’Aydın, et l’autre côtière, le sancak de Sığla, qui appartient à l’eyalet de Cezair-i Bahr-i Sefid, la « province des îles de la Méditerranée ». Cette dernière comporte Éphèse, Smyrne, Karaburun et Milet. Éphèse n’y conserve qu’un petit rôle administratif en tant que kaza, siège d’un cadi, un juge à la tête de l’administration locale.

Sous le règne de Mehmed le Conquérant (1451-1481), la description du fief d’Ishak Pasa, le beylerbey d’Anadolu, fournit une estimation démographique importante pour la ville : divisée en 14 quartiers, elle compte alors 481 maisons au total, soit probablement autour de 2 000 habitants. Trois quartiers sont occupés par les chrétiens avec 73 maisons, soit autour de 300 personnes peut-être, habitant autour de la citadelle et près de l’aqueduc. Ces chiffres s’accordent avec les archives ottomanes, notamment les registres fiscaux, qui témoignent d’une relative croissance de la population au xvie siècle.

Au XVe siècle, la ville conserve encore une certaine importance commerciale : elle est citée par un document vénitien de 1446 comme un port de commerce avec Murad II, et continue d’apparaître dans les portolans de cette époque.

Mais l’ensablement progressif du dernier port qui entraîne finalement le déplacement des activités commerciales vers Scalanova (Kuşadası) et Izmir215. Significativement, le Kitab-ı Bahriye, un recueil de cartes marines turques de Piri Reis en 1521 la mentionne comme un lieu en ruines.

Le maintien d’une activité commerciale est aussi indirectement attesté par l’existence d’un atelier de frappe monétaire, qui produit un monnayage d’argent et de cuivre daté respectivement de 1431 et 1421 sous Murad II, et de Mehmed II tout au long de son règne. La supervision générale des opérations et des finances incombe au cadi local. Le fonctionnement de cet atelier apparaît aussi dans plusieurs mesures de Mehmed II : en 1455, un inspecteur est envoyé à Ayasoluk et dans les autres villes possédant un atelier pour faire appliquer la législation sur les réserves de métal non monnayé et les monnaies démonétisées, qui doivent être confisquées. Une autre loi de 1470, concernant le prix d’achat de l’argent et le rapport légal entre la masse de métal précieux et le nombre de monnaies frappées, mentionne Ayasoluk dans la liste des ateliers monétaires impériaux.

Le premier siècle de domination ottomane voit la continuation, sur une moindre échelle, de l’activité de construction publique. Le gouverneur Yahşi Bey dote la ville d’une nouvelle mosquée et d’une madrasa. D’autres mosquées viennent s’y ajouter durant le xve et le début du xve siècle. On répertoriait à Ayasoluk 14 mosquées, 5 ou 6 bains et plusieurs mausolées au début du xxe siècle, et la majorité de ces constructions étaient datées de la première partie de la domination ottomane.

Source : Wikipédia.

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