Le Kabuki.

Le kabuki (歌舞伎?) est la forme épique du théâtre japonais traditionnel. Centré sur un jeu d’acteur à la fois spectaculaire et codifié, il se distingue par le maquillage élaboré des acteurs et l’abondance de dispositifs scéniques destinés à souligner les paroxysmes et les retournements de la pièce.

Les trois idéogrammes du mot signifient : chant (歌, ka), danse (舞, bu) et habileté technique (伎, ki). Il s’agit vraisemblablement d’ateji (caractères utilisés pour leur seule valeur phonétique), et il semble qu’il s’agisse de la forme ancienne du verbe katamuku (傾く), à l’époque kabuku, désignant ce qui était peu orthodoxe, en référence à une forme de théâtre considérée à l’époque comme d’avant-garde.


L’origine du kabuki remonte aux spectacles religieux d’une prêtresse nommée Okuni, en 1603. Au cours de ces spectacles, une séquence la présentait déguisée en homme en train de prendre du bon temps dans un quartier de plaisirs1. Le Musée national de Kyoto conserve un paravent du xviie siècle qui représente le Kabuki d’Okuni. Réalisé par l’école Hasegawa, c’est sans doute l’œuvre la plus ancienne sur ce thème. Il représente le premier spectacle intitulé Scènes de plaisir dans une maison de thé. Déguisée en kabukimono, terme désignant un samouraï de mauvaise vie, Okuni, accompagnée d’un bouffon, entreprend de courtiser la patronne d’une maison de thé dont le rôle est joué par un homme.

En 1607, Okuni vint jouer ses spectacles à Edo et le succès incita des prostituées à monter à leur tour sur la scène. Ce yujo kabuki (littéralement « kabuki des prostituées ») devint rapidement très populaire, en partie du fait de son rôle de mise en valeur des prostituées, qui donnaient délibérément un caractère sexuellement suggestif aux danses.

Le premier théâtre de kabuki, le théâtre Saruwaka-za (猿若座?), fut fondé en 1624 dans un quartier qui couvre aujourd’hui Nihonbashi et Kyōbashi à Edo, par Saruwaka Kanzaburō3. Un tambour est placé en haut d’une tour au-dessus du théâtre pour attirer les clients. Il fut par la suite déplacé à Ningyōchō3. Quand le shogunat Tokugawa imposa en 1629 des quartiers réservés à la prostitution (kuruwa), les théâtres s’y installèrent.

Entre-temps, à partir de 1612, les troupes de femmes (onna kabuki) avaient vu émerger la concurrence d’un kabuki d’hommes (wakashu kabuki ou ōkabuki), pour éviter les troubles à l’ordre public. L’interdiction des troupes de femmes propulsa ce type de troupes au premier rang, les jeunes garçons pouvant jouer les rôles féminins à s’y méprendre.

Avec le changement de sexe, le jeu des acteurs changea, la danse étant délaissée au profit de l’action dramatique et des postures mettant en valeur le physique de l’acteur. La réprobation quant aux mœurs dissolues des jeunes acteurs ainsi que les troubles à l’ordre public (il n’était pas rare que les représentations se terminent en bagarres pour s’assurer les faveurs des acteurs en vue) conduisirent à l’interdiction en 1642 des plus jeunes acteurs, jusqu’à ce qu’en 1653, seuls les hommes d’âge mûr soient autorisés à jouer, aboutissant au yarō kabuki.

Le yarō kabuki (野郎歌舞伎) subit, sous l’influence du kyōgen (théâtre comique lié au théâtre nô, très apprécié du shogunat), un changement de style radical vers une haute sophistication et de la stylisation du jeu. Parallèlement, des hommes se spécialisèrent dans les rôles féminins. Appelés onnagata ou oyama (deux lectures des caractères 女形), le but de ces acteurs est d’exprimer la féminité aussi bien sinon mieux qu’une femme. Depuis quelques années, des actrices étudient de nouveau le kabuki avec succès, sans pour autant détrôner les stars onnagata traditionnelles telles que Tamasaburō ou Jakuemon.

C’est à cette époque qu’apparurent deux styles de jeu importants : le style « rude » (aragoto), créé par Ichikawa Danjūrō (1660–1704), et le style « souple » (wagoto) créé par Sakata Tōjūrō I dans le Kamigata. Le premier se caractérise par un jeu outré, où les acteurs accentuent la prononciation des mots et leur gestuelle (les costumes et le maquillage sont aussi exagérés). L’appellation dérive d’un mot désignant les manières brutales des guerriers. En outre, le jeu des acteurs met l’emphase sur l’action, et les personnages sont souvent dotés de facultés exceptionnelles. En revanche, dans le wagoto, le jeu des acteurs a un phrasé plus réaliste et plus adapté à des pièces tournant pour l’essentiel autour d’une romance tragique.

Ces différences reflètent celles du public. Le public de Kyoto, formé d’aristocrates raffinés, préférait le wagoto et des pièces racontant la descente sociale de jeunes hommes pris de passion pour des prostituées et abandonnant leur état pour une vie misérable, ou au contraire une vie de plaisir. Formé de marchands, le public d’Osaka affectionnait les pièces mettant en avant des samouraïs indignes ou méchants, avec des histoires liées à des faits divers d’actualité. La jeune ville d’Edo, avec une population largement masculine et remuante, fut enfin logiquement le creuset pour un style plus rugueux, convenant à des pièces où le héros redresse les torts à la force du poignet.

La période initiée par l’ère Genroku fut celle de la véritable constitution du kabuki. Il y avait alors quatre théâtres à Edo : le Saruwaka-za, l’Ichimura-za (市村座?) à Ningyōchō, le Morita-za (森田座?), le plus connu, et le Yamamura-za (山村座?), tous deux à Kobikichō, le même quartier que le Kabuki-za aujourd’hui. Le processus de formalisation des pièces, du jeu et des rôles est indissociable de celui du ningyō jōruri, théâtre de marionnettes (le futur bunraku).

C’est d’ailleurs pour le bunraku que l’écrivain Chikamatsu Monzaemon écrivit à l’origine plusieurs de ses pièces majeures avant de les transposer pour le kabuki. La plupart de ces transpositions étaient spécifiquement destinées à l’acteur vedette d’Osaka, Sakata Tōjūrō I, spécialisé dans les rôles de méchant. Même s’il retourna ensuite au bunraku, préférant le respect absolu du texte de l’auteur qui prévaut là où le kabuki est entièrement dédié au jeu d’acteur, son travail fut fondamental en cela qu’il dota le kabuki d’un riche fonds de pièces de qualité. La moitié à peu près du répertoire traditionnel de kabuki est ainsi formé de pièces écrites à l’origine pour le bunraku.

En 1714, le scandale Ejima-Ikushima impliquant Ejima, une dame de haut rang de l’Ōoku (大奥?, le harem du Shōgun dans le château d’Edo), et l’acteur Ikushima Shingorō aboutit à la destruction du Yamamura-za, et à la punition de plus de mille personnes. Le kabuki est cependant sauvé de cette crise grâce à Ichikawa Danjūrō I qui réorganise les théâtres et supprime les représentations tardives en soirée, afin de pouvoir conserver les trois théâtres restants. Dans le même temps, il met en place deux éléments essentiels du style aragoto, la pose (mie), arrêt du mouvement de l’acteur destinée à souligner un moment particulièrement important de l’intrigue, et le maquillage (kumadori) qui indique visuellement le type de personnage représenté et accentue ses expressions.

À partir de la seconde moitié du xviiie siècle, le kabuki déclina, supplanté auprès des classes populaires par le bunraku, le succès de ce dernier s’expliquant par la présence de plusieurs écrivains majeurs. L’événement essentiel de la période est la fusion des écoles du Kansai (Kyoto et Osaka) en une seule école, dont l’influence sur la suite de l’histoire du kabuki fut fondamentale.

Le kabuki connut un retour en grâce à partir de l’ère Meiji, en réaction à l’introduction de la culture occidentale. Le développement des journaux fournit également un nouveau gisement d’histoires, ajoutant au fonds des faits divers les adaptations des romans feuilletons qui y étaient publiés. Parallèlement, l’ensemble des acteurs du monde du kabuki tenta de redresser l’image de ce théâtre dans l’esprit des nouvelles classes dirigeantes, avec un succès certain, couronné le 21 avril 18879 par une représentation devant l’Empereur. Un nouveau théâtre de kabuki prestigieux est construit en 1889, le Kabuki-za.

Les bombardements de la Seconde Guerre mondiale détruisirent de nombreux théâtres, et les représentations furent interdites dès le début de l’occupation, comme la plupart des manifestations pouvant servir de cristallisateur d’un sentiment national. Toutefois, l’interdiction fut levée dès 1947, et les troupes reprirent rapidement leur activité.

À l’image d’autres pratiques ayant servi de point d’appui à l’idéologie nationaliste, le kabuki subit après la Seconde Guerre mondiale un phénomène de rejet. Le renouveau de l’intérêt pour le kabuki dans la région du Kansai est attribué aux efforts du metteur en scène Tetsuji Takechi, qui s’attacha à présenter des productions novatrices. Il fut secondé en cela par le jeune acteur Nakamura Ganjiro III (né en 1931), qui laissa son premier nom de scène, Nakamura Senjaku, à cette période de la production de kabuki à Osaka.

Actuellement, le kabuki demeure le plus populaire des styles de théâtre traditionnel japonais en termes d’audience. Même s’il mobilise moins de professionnels que le théâtre nô, ces acteurs jouissent d’une plus grande notoriété, apparaissant souvent dans des films ou des téléfilms se passant hors de son univers, à l’image de l’onnagata Bandō Tamasaburō V. Les salles de spectacles consacrées au kabuki restent rares, et concentrées dans les grandes agglomérations.

Hors des grandes institutions, plusieurs troupes emploient des femmes pour jouer les rôles d’onnagata. Dans la même veine de reconnaissance du rôle des femmes dans la création du kabuki, une statue d’Okuni a été érigée à Kyoto dans le quartier de Pontochō.

Les principales troupes de kabuki effectuent régulièrement des tournées hors du Japon, contribuant à faire connaître cette forme de théâtre, jouant parfois des adaptations de pièces occidentales (au style du kabuki). Comme pour le nô, le kabuki a bénéficié des efforts de l’écrivain Yukio Mishima, qui a montré qu’il était possible d’écrire des pièces dont l’intrigue se déroule dans un univers contemporain.

Le kabuki a été classé parmi les chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’UNESCO dans la troisième proclamation (24 novembre 2005).

Source : Wikipédia.

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