Max Liebermann, peintre et graveur.

Max Liebermann est un peintre et graveur allemand né le 20 juillet 1847 à Berlin et mort le 8 février 1935, dans la même ville. Il a été contemporain du mouvement impressionniste, sans s’y associer.

Après une formation à Weimar, et plusieurs séjours à Paris et aux Pays-Bas, il peint tout d’abord des œuvres naturalistes à thème social. L’étude des impressionnistes français lui permettra de trouver, à partir de 1880, la palette claire et le coup de pinceau vigoureux qui caractérisent ses principales toiles.

Son œuvre représente symboliquement la transition entre l’art du XIXe siècle, l’art moderne classique de l’époque wilhelminienne, et celui de la République de Weimar. C’est cette mutation qu’il a encouragée en tant que président de la Sécession berlinoise.

De 1920 à 1933, il dirige l’Académie prussienne des arts de Berlin, avant de démissionner en raison de l’influence grandissante du nazisme sur la politique des arts. Il se retire alors à Berlin, sa ville natale, où il passe les deux dernières années de sa vie.


Après le baccalauréat, Max Liebermann s’inscrit à l’université Humboldt de Berlin, en chimie, matière dans laquelle a réussi son cousin Carl Liebermann. Mais ces études de chimie ne devaient servir que de prétexte pour pouvoir se consacrer aux arts et à sa nouvelle liberté tout en faisant bonne figure devant son père. C’est pourquoi elles ne furent jamais suivies avec sérieux. Au lieu d’assister aux cours, il monte à cheval dans le parc Tiergarten et peint. En outre, il assiste de plus en plus Carl Steffeck dans la création de peintures monumentales de scènes de bataille. C’est chez lui qu’il fait la connaissance de Wilhelm von Bode, le futur mécène de Liebermann et directeur du Kaiser-Friedrich-Museum. Le 22 janvier 1868, il est radié de l’université pour « manque d’assiduité aux cours ». Après une importante dispute avec son père, il obtient de ses parents le soutien nécessaire pour intégrer l’Académie des Beaux-arts (Großherzoglich-Sächsische Kunstschule) de Weimar. Il y devient l’élève du peintre d’histoire belge Ferdinand Pauwels qui l’initie à Rembrandt au cours d’un voyage de classe au Fridericianum de Cassel. Cette rencontre avec Rembrandt va avoir une influence durable sur le style du jeune Liebermann.

Max Liebermann, carte maximum, Allemagne.

Lors de la guerre franco-prussienne de 1870, il succombe pendant un moment à l’engouement patriotique général. Il s’enrôle volontairement dans l’ordre protestant de Saint-Jean, étant donné qu’une fracture du bras mal ressoudée l’empêche d’intégrer le service militaire. Il sert alors comme soldat sanitaire près de Metz. En 1870/1871, 12 000 Juifs au total entrent dans la guerre du côté allemand. Les images des champs de bataille choquent le jeune artiste et atténuent son enthousiasme pour la guerre.

À partir de Pâques 1871, Max Liebermann séjourne à Düsseldorf où l’influence de l’art français est beaucoup plus marquée qu’à Berlin. Il y rencontre Mihály Munkácsy dont la représentation réaliste de femmes effilant la laine – simple scène de la vie quotidienne – attire son attention. Grâce à l’aide financière de son frère Georg, il se rend pour la première fois aux Pays-Bas et visite Amsterdam et Scheveningen où la lumière, les personnes et le paysage l’enchantent.

Son premier grand tableau Les Plumeuses d’oies a été créé pendant les mois suivant son retour. Il montre, dans des tons foncés, une activité prosaïque peu appréciée : le plumage des oies. Dans cette œuvre, Liebermann a intégré, en plus du naturalisme de Munkászy, des éléments de la peinture historique. À la vue du tableau encore inachevé, son maître Pauwels le renvoie, lui disant qu’il ne peut désormais plus rien lui apprendre. Lorsque Liebermann présente le tableau en 1872 à la Hamburger Kunstausstellung (exposition d’arts de Hambourg), ce sujet inhabituel suscite le dégoût et choque. Si la critique loue l’adresse du peintre, elle le surnomme néanmoins « l’apôtre du laid ». La toile est exposée la même année à Berlin. Elle y fait naître les mêmes réactions mais trouve cependant un acheteur auprès du géant des chemins de fer Bethel Henry Strousberg.

L’art de Liebermann est qualifié de « peinture du sale ». Il envoie donc sa deuxième grande œuvre Les Faiseuses de conserve (Die Konservenmacherinnen) à la grande exposition annuelle d’Anvers où il trouve aussitôt deux acheteurs intéressés. Liebermann a trouvé le style qui caractérisera la première période de son œuvre : il peint, de façon réaliste et dénuée de toute sentimentalité, des hommes au travail, sans condescendance ni transfiguration romantique mais sans militantisme non plus. Il montre dans ses motifs la dignité naturelle sans avoir besoin d’embellir quoi que ce soit.

En 1873, Liebermann voit des paysans occupés à la récolte de raves aux portes de Weimar. Il décide de faire de ce motif une peinture à l’huile mais lorsque Karl Gussow lui conseille cyniquement de ne pas même commencer cette peinture, Liebermann gratte les premières couches de la toile entamée. Il se sent vidé de ses forces et démotivé. Il décide alors de partir pour Vienne et de rendre visite au célèbre peintre historique et peintre de salon Hans Makart chez lequel il ne restera pourtant que deux jours. Il est décidé à tourner le dos à l’Allemagne et à son milieu artistique qu’il juge rétrograde et poussiéreux.

En décembre 1873, Max Liebermann déménage à Paris et s’installe un atelier à Montmartre. À Paris, dans ce qui est alors une capitale mondiale des arts, il désire nouer des liens avec les peintres réalistes et les impressionnistes les plus influents de son temps. Mais les peintres français refusent d’entretenir tout contact avec un peintre allemand. En 1874, il expose ses Plumeuses d’oies au Salon de Paris où l’œuvre est particulièrement remarquée, mais reçoit de mauvaises critiques de la presse parisienne, fortement influencée par des motivations nationalistes. À l’été 1874, Liebermann séjourne pour la première fois à Barbizon, près de la forêt de Fontainebleau. « Munkácsy me fascinait énormément, mais plus encore Troyon, Daubigny, Corot et surtout Millet. ».

L’École de Barbizon joua un rôle majeur dans l’émergence de l’impressionnisme : elle refaçonnait la peinture paysagiste, enrichissait les courants de l’époque en les dotant des techniques de la peinture de plein air. Cette influence fait naître chez Liebermann une réaction de rejet envers la peinture de Munkácsy, qu’il jugea lourde et démodée. Mais il s’intéresse plus aux méthodes de l’école de Barbizon qu’à ses motifs. C’est ainsi que son étude de Weimar Arbeiter im Rübenfeld (Travailleurs dans un champ de raves) lui revient à l’esprit. Il se met à la recherche, à Barbizon, d’un motif similaire, et crée la Récolte de pommes de terre à Barbizon qu’il n’achèvera que plusieurs années plus tard. Il essaie, en fait, de marcher dans les pas de Millet mais lui reste inférieur, selon l’avis des critiques contemporains. La représentation des travailleurs dans leur environnement ne paraît pas naturelle ; ils semblent avoir été plantés dans le décor a posteriori.

En 1875, Liebermann passe trois mois à Zandvoort en Hollande-Septentrionale. Il copie, à Haarlem, de nombreux tableaux de Frans Hals. L’étude de la peinture de portrait de Hals lui ouvre des perspectives pour son propre style. La méthode de Frans Hals pour appliquer les couleurs, qui est à la fois vigoureuse et imprécise, se retrouve dans la période tardive de Liebermann, tout comme une influence des impressionnistes français. Liebermann prend l’habitude de laisser s’écouler une longue période entre l’apparition de l’idée et la réalisation de ses grands tableaux. Ce n’est qu’à l’automne 1875, une fois rentré à Paris et installé dans un plus grand atelier, qu’il s’inspire du vécu pour créer une première toile représentant de jeunes pêcheurs en train de se baigner ; il réutilisera ce motif plusieurs années après, et le couchera sur la toile.

À l’été 1876, il effectue à nouveau un séjour de plusieurs mois aux Pays-Bas. Il y poursuit son étude de Hals. C’est grâce à cela qu’il trouvera plus tard son propre style, qui profitera tout particulièrement à ses portraits. À Amsterdam, il fait la connaissance du graveur William Unger qui le met en contact avec Jozef Israëls et l’école de La Haye. Dans son tableau École de couture en Hollande, Liebermann emploie l’effet de la lumière de façon déjà impressionniste. Par le biais du professeur August Allebé, il découvre la Synagogue portugaise d’Amsterdam, ce qui l’amène à une réflexion picturale sur ses origines juives. C’est à cette même époque qu’il réalise ses premières études de l’orphelinat d’Amsterdam.

Face à la pression de ses parents et à sa propre autocritique, il sombre à Paris dans une profonde dépression, souvent proche du désespoir5. Pendant cette période, rares sont les tableaux qu’il peint. Sa participation répétée au Salon de Paris ne lui amène pas non plus la réussite escomptée. Liebermann ne peut rien apporter au milieu artistique parisien qui refuse même de le reconnaître en tant qu’artiste, toujours pour des raisons patriotiques. Après toutes ces années, ses peintures ne sont toujours pas perçues comme « françaises ». En revanche, ses séjours répétés aux Pays-Bas lui valent une notoriété grandissante. Finalement, Liebermann se résout à quitter définitivement Paris.

En 1878, à trente et un ans, Liebermann se lance tout d’abord dans un voyage en Italie. Il désire contempler à Venise des œuvres de Vittore Carpaccio et de Gentile Bellini pour y puiser une nouvelle inspiration. Il fait, à cette occasion, la connaissance d’un groupe de peintres munichois – parmi lesquels se trouve Franz von Lenbach – en compagnie duquel il reste à Venise pendant trois mois. Puis il suit le groupe dans la capitale bavaroise qui, avec l’école de Munich, constitue alors le centre allemand de l’art naturaliste.

En décembre 1878, Liebermann commence son Jésus à 12 ans au temple, en s’aidant des premières esquisses qu’il a commencées dans les synagogues d’Amsterdam et de Venise. Il n’a encore jamais consacré autant de travail à la mise en scène d’un tableau : il combine ses études de l’intérieur de la synagogue à des personnages individuels dont il a fait auparavant des études de nu et qu’il habille finalement dans le tableau. Il fond le sujet dans une lumière quasi mystique qui semble émaner de l’enfant Jésus, véritable centre lumineux.

Cette peinture provoque une vague d’indignation dans tout l’empire allemand. Tandis que le prince régent Léopold soutient Liebermann, le journal Die Augsburger Allgemeine reproche à l’artiste d’avoir peint « le garçon juif le plus infatué et le plus laid qu’on puisse s’imaginer ». Dans l’opinion publique, Max Liebermann passe pour un « blasphémateur ». Au Parlement bavarois, le député conservateur Daller lui retire le droit en tant que Juif de représenter Jésus de cette façon. À Berlin, le prêtre de la cour poursuit le débat antisémite sur le tableau dans des termes très blessants.

Tandis que l’opposition de l’Église et des critiques est de plus en plus impitoyable, des artistes de renom tels que Friedrich August von Kaulbach et Wilhelm Leibl interviennent en faveur de l’œuvre. D’un point de vue artistique, ce tableau apparaît comme le résumé de cette période de la peinture du jeune Liebermann, qualifiée d’« années d’apprentissage ».

Liebermann est alors déjà un artiste célèbre mais sa peinture connaît une période de stagnation lors de son séjour aux Pays-Bas en 1879. La lumière dans la représentation d’une rue de village datée de cette époque semble blafarde et artificielle. En 1880, il participe au Salon de Paris. Les tableaux qu’il y expose ont cela de commun qu’ils représentent des hommes travaillant ensemble paisiblement au sein d’une communauté harmonieuse. Cette ambiance, Liebermann ne la doit en aucun cas au Munich échauffé par les querelles antisémites, mais plutôt aux Pays-Bas où il se rend désormais chaque année. Il effectue également des séjours dédiés à la peinture dans la région de Dachau, à Rosenheim et dans l’Inntal qui lui inspire son tableau Brasserie de campagne à Brannenbourg.

À l’été 1880, il se rend au village de Dongen dans le Brabant. C’est là qu’il crée les études qu’il utilisera plus tard pour sa toile L’Atelier du cordonnier. Une fois ce travail terminé, il retourne encore une fois à Amsterdam avant de repartir pour Munich. Et dans la capitale néerlandaise se passe quelque chose qui va bouleverser sa carrière artistique. Il jette un œil sur le jardin de la maison de retraite catholique où de vieux messieurs en habits noirs prennent le soleil, assis sur des bancs. Liebermann décrira cet instant de la façon suivante : « C’était comme quelqu’un qui marche sur un chemin plat et pose soudain le pied sur un ressort et se trouve alors propulsé ». Il commence à peindre ce motif en utilisant pour la première fois une lumière traversant un feuillage (ou un autre obstacle) que l’on appellera plus tard les « taches de soleil à la Liebermann ». Cet effet se caractérise par la représentation ponctuelle de la lumière afin de créer une atmosphère pleine de poésie. Il laisse déjà entrevoir le style de la période tardive de Liebermann.

Au Salon de Paris de 1880, ce tableau lui vaut les honneurs. Liebermann est ainsi le premier allemand à jouir de cette considération. De plus, Léon Maître, un grand collectionneur d’œuvres impressionnistes, fait l’acquisition de plusieurs toiles de Liebermann. Encouragé par ce succès tant attendu, il se consacre à un ancien sujet : à l’aide d’anciennes études de peinture, il compose Dans l’orphelinat, Amsterdam (cf. illustration ci-dessous), toile, elle aussi, pleine de « taches de soleil ».

En automne, Liebermann repart à Dongen pour achever sur place L’Atelier du cordonnier. Il exprime également dans cette œuvre son orientation vers la peinture de lumière. Mais il reste cependant fidèle à ses travaux antérieurs, en évitant toute transfiguration romantique. Les tableaux L’Atelier du cordonnier et Dans l’orphelinat, Amsterdam trouvent en 1882 au Salon de Paris un acheteur en la personne de Jean-Baptiste Faure. La presse française le célèbre en tant qu’impressionniste. Le collectionneur Ernest Hoschedé écrit plein d’enthousiasme à Édouard Manet : « Si c’est vous, mon cher Manet, qui nous avez initiés aux secrets du plein air, Liebermann, lui, a le don de capter la lumière dans un espace fermé. ».

Mais au lieu de se laisser englober par le mouvement impressionniste, Liebermann délaisse la peinture de lumière pour se consacrer à nouveau au naturalisme dans son tableau La Blanchisserie. Alors qu’il travaille à ce tableau, Vincent van Gogh tente de faire sa connaissance à Zweeloo, rencontre qui n’aura pas lieu. De retour des Pays-Bas, Liebermann répond à l’appel de la comtesse de Maltzan résidant à Militsch en Silésie et réalise sa première commande : une vue de village.

En 1884, Liebermann décide de retourner à Berlin, sa ville natale tout en sachant qu’il va au-devant de conflits inévitables. D’après lui, Berlin jouera tôt ou tard le rôle de capitale des arts car elle abrite le plus grand marché d’art. En outre, Liebermann considère la tradition munichoise de plus en plus comme un fardeau.

En mai 1884, il se fiance à la sœur de sa belle-sœur, Martha Mackwald. Le mariage a lieu le 14 septembre, une fois le déménagement de Munich à Berlin terminé. Le premier appartement du jeune couple se trouve dans la rue In den Zelten 11 à la limite nord du Tiergarten. Le voyage de noces ne les conduit pas, comme c’était la tradition, en Italie mais à Scheveningen aux Pays-Bas, avec comme étapes à Brunswick et Wiesbaden. À Scheveningen, Jozef Israëls se joint au couple ; tous les trois partent ensuite à Laren où Liebermann fait la connaissance du peintre Anton Mauve. Le voyage se poursuit par Delden, Haarlem et Amsterdam. Liebermann fait, à chaque étape, des esquisses et rassemble suffisamment d’idées pour l’occuper les prochaines années.

Une fois de retour, il est admis à l’Association des artistes berlinois (Verein Berliner Künstler). Il doit son admission, entre autres, à Anton von Werner qui sera plus tard son adversaire. En août 1885 naît sa fille unique. Elle reçoit le nom de « Marianne Henriette Käthe » mais sera appelée tout simplement Käthe. Très peu de tableaux datent de cette époque. Liebermann se consacre entièrement à son rôle de père.

Carl et Felicie Bernstein habitent en face de la famille Liebermann. C’est chez ces voisins extraordinairement cultivés que Max Liebermann voit des tableaux d’Édouard Manet et d’Edgar Degas, qui l’accompagneront le reste de sa vie. Dans le cercle d’amis de ses voisins, Liebermann se sent, pour la première fois, reconnu comme membre de la communauté des artistes berlinois : Max Klinger, Adolph von Menzel, Georg Brandes et Wilhelm von Bode en sont des habitués tout comme Theodor Mommsen, Ernst Curtius et Alfred Lichtwark. Ce dernier, directeur de la Kunsthalle de Hambourg, reconnaît très tôt le don pour l’impressionnisme de Liebermann. L’adhésion de Liebermann à la Société des amis (Gesellschaft der Freunde) contribue également à le faire accepter auprès de la classe bourgeoise supérieure.

Après huit années d’absence loin de Berlin, Liebermann participe à nouveau, en 1886, à l’exposition de l’Académie des Beaux-Arts à laquelle il destine les tableaux Dans l’orphelinat, Amsterdam, Maison de retraite, Amsterdam et Das Tischgebet (la prière du souper). Ce dernier tableau qui représente une famille de paysans néerlandais à l’heure de la prière, dans un cadre austère, a été créé sur le conseil de Jozef Israëls au cours du voyage de noces. Le « faiseur d’opinions » Ludwig Pietsch qualifie Liebermann d’homme de grand talent et de parfait représentant de l’art moderne.

À l’été 1886, Martha Liebermann et sa fille vont en cure à Bad Homburg vor der Höhe, ce qui donne à son mari l’occasion de se consacrer à des études aux Pays-Bas. Il retourne à Laren où le lin est travaillé dans des chaumières. Liebermann, à nouveau sous le charme des travaux en commun, commence des esquisses et une première version à l’huile. Dans son atelier berlinois, il se sert de ces études pour composer un tableau de grand format qu’il achève au printemps 1887. La représentation des travaux collectifs a pour objectif de souligner la patience héroïque du quotidien.

En mai 1887, ce tableau est exposé au Salon de Paris où il reçoit un accueil réservé. Lors de l’Exposition internationale de Munich, un critique décrit le tableau de la façon suivante : « la représentation réelle d’un mal sourd, provoqué par une multitude de durs travaux. […] Des paysannes en tabliers bien serrés et en sabots dont les visages prennent dès la jeunesse les traits d’une vieillesse morose accomplissent de manière mécanique leur pensum quotidien, dans une pièce aux poutres pesantes. » Adolph von Menzel, en revanche, loue le tableau et décrit le peintre comme étant « le seul à représenter des hommes et non des modèles ».

À cette époque, le critique d’art Emil Heilbut publie une Etude sur le naturalisme et Max Liebermann (Studie über den Naturalismus und Max Liebermann) dans laquelle il décrit Liebermann comme « le peintre le plus téméraire de l’art nouveau en Allemagne ». En mars 1888, l’empereur Guillaume Ier décède. Frédéric III lui succède alors sur le trône. Son règne fait naître l’espoir d’un changement politique en Prusse. En ce printemps de l’« année des trois empereurs », Max Liebermann séjourne à Bad Kösen. Choqué par la mort de Frédéric III, il peint une commémoration fictive en l’honneur de l’empereur Frédéric III à Bad Kösen, ce qui montre qu’il était attaché à la monarchie des Hohenzollern malgré ses convictions politiques de gauche. Il désirait être un libre penseur mais ne pouvait se résoudre à renier les traditions prussiennes.

Max Liebermann, carte maximum, Berlin, 1972.

En 1889, l’Exposition universelle a lieu à Paris, à l’occasion du centenaire de la Révolution française. Les monarchies russe, britannique et austro-hongroise refusent de participer par opposition à la célébration de la Révolution. La nomination des Allemands Kuehl, Karl Koepping et Max Liebermann comme membres du jury enflamme le climat politique à Berlin. Liebermann s’adresse au ministre prussien de l’Éducation et de la Culture Gustav von Goßler qui le laisse faire et lui offre ainsi son appui de façon officieuse. Le journal La France lance, à la même époque à Paris, une campagne contre la participation de la Prusse.

Liebermann projette avec Menzel, Leibl, Trübner et von Uhde de présenter l’élite de la peinture allemande. La presse allemande lui reproche de servir les idées de la révolution. Le vieil Adolph von Menzel prend alors à nouveau parti pour Liebermann et la première exposition de l’art allemand non officiel a lieu sur le sol français. L’Exposition universelle fait connaître Liebermann définitivement du grand public. À Paris, il est récompensé par une médaille d’honneur et est admis à la Société des Beaux-Arts. Il refuse la Légion d’honneur par égard au gouvernement prussien.

En 1889, Liebermann se rend à Katwijk où, en peignant Femme avec des chèvres dans les dunes, il prend pour la dernière fois la classe sociale comme sujet. Le succès grandissant, Liebermann trouve le loisir de se consacrer à des toiles représentant des scènes de vie plus légères. En 1890, il reçoit plusieurs commandes de tableaux de Hambourg, toutes grâce à l’aide d’Alfred Lichtwalk : outre un pastel de la Kirchenallee à Hambourg, il reçoit sa première commande de portrait. Le bourgmestre Carl Friedrich Petersen, à la vue de son portrait achevé fortement inspiré de la peinture de Hals, s’indigne. Le naturel du tableau sur lequel sa fonction de dignitaire semble être représentée de façon anecdotique par un costume historique le répugne. Aux yeux de Lichtwark, le portait du Bourgmestre est un véritable « coup manqué ». Liebermann remporte plus de succès avec son œuvre, Femme avec des chèvres dans les dunes pour lequel il reçoit la grande médaille d’or au printemps 1891, à l’exposition du Münchner Kunstverein (cercle d’art de Munich).

Trois semaines après le déclenchement de la Première guerre mondiale, Liebermann, âgé alors de 67 ans, écrit : « Je travaille aussi calmement que possible en pensant que c’est ainsi que je sers le mieux les intérêts généraux.». Malgré ces propos, il est sensible au patriotisme ambiant. Il se consacre à la propagande artistique de la guerre et dessine pour le journal Kriegszeit – Künstlerflugblätter, hebdomadaire publié par Paul Cassirer. Le premier numéro montre une lithographie de Liebermann représentant la foule amassée devant le Château de Berlin à l’occasion du « discours de partis » de Guillaume II au début de la guerre. Liebermann interprète les paroles de l’empereur comme une exhortation à servir la cause nationale au-delà des barrières sociales. Sa place de marginal en tant que Juif et artiste peut être ainsi occultée (du moins en apparence) à cette époque. L’appel prosémite de l’empereur « À mes chers juifs » l’encourage à apporter sa contribution civile à la guerre. L’ancien pionnier du mouvement sécessionniste est rendu entièrement à la cause de l’empire. Il s’identifie à la politique Burgfrieden du chancelier Bethmann Hollweg qui essaie de faire fi des contradictions au sein de la société allemande. Bethmann Hollweg nourrit des convictions plus libérales que son prédécesseur. Liebermann fait son portrait en 1917 dans une lithographie.

À l’automne 1914, Max Liebermann fait partie des 93 signataires (rassemblant professeurs, écrivains et artistes) de l’appel « Au monde civilisé » dans lequel les crimes de guerre allemands sont réfutés six fois de suite par l’expression « Il n’est pas vrai ! ». À la fin de la guerre, il commentera cet appel dans des termes pleins d’autocritique : « Au début de la guerre, on ne tergiversait pas longtemps. On était solidaire avec son pays. Je sais bien que les socialistes sont d’un autre avis. […] Je n’ai jamais été socialiste et on ne le devient plus à mon âge. Toute mon éducation, je l’ai acquise ici, toute ma vie, je l’ai passée dans la maison où vivaient déjà mes parents. Et la patrie allemande vit dans mon cœur comme un idéal intouchable et immortel ».

Il rejoint, en 1914, la Société allemande regroupant, sous la présidence du libéral conservateur Wilhelm Solf, des personnalités publiques pour s’entretenir de questions politiques et privées. La seule condition d’adhésion est de ne pas appartenir à un courant politique particulier mais de vouloir défendre la politique Burgfrieden du chancelier Bethmann Hollweg13. Plus la guerre s’accentue, plus Liebermann se retire dans son intimité, dans sa maison de campagne au bord du Wannsee. Au début de la guerre en revanche, même la peinture de portraits se limite au début uniquement aux militaires, comme Karl von Bülow. Dès l’éclatement de la guerre, Liebermann devient le peintre portraitiste incontesté de la bourgeoisie berlinoise. Quiconque est fier de son nom, se laisse faire une peinture à l’huile par Liebermann. C’est ainsi que se constitue une collection considérable de portraits qui conforte Liebermann dans sa place de peintre contemporain. Son enthousiasme pour la guerre lui vaudra plus tard des critiques acerbes. L’écrivain d’art Julius Meier-Graefe écrit au sujet des lithographies parues dans Kriegszeit : « Certains abandonnent tout aujourd’hui et découvrent soudain de nouveaux motifs à la guerre, d’autres donnent un sabre à leur joueur de polo et s’imaginent en faire un vainqueur. »

À l’exception de deux cures à Wiesbaden en 1915 et en 1917, Liebermann ne quitte plus Berlin. Il ne passe plus ses étés aux Pays-Bas mais à Wannsee, tandis qu’il vit sur la Pariser Platz l’hiver. Sa famille n’est pas dans le besoin mais face aux aléas de l’approvisionnement, elle transforme les parterres de fleurs de sa maison de campagne en potager. En mai 1915, la fille du peintre Käthe Liebermann épouse, à presque 30 ans, le diplomate Kurt Riezler qui, conseiller du chancelier Theobald von Bethmann Hollweg. C’est cette année-là que décèdent Anton von Werner, véritable symbole d’une ère révolue, ainsi qu’Emil Rathenau, le cousin de Liebermann. La génération des fondateurs trépasse et une nouvelle époque s’amorce.

En avril 1916, l’essai de Liebermann « Die Phantasie in der Malerei » (L’imagination dans la peinture) est édité pour la première fois sous forme de livre. Dans l’introduction retravaillée, il écrit : « Les conceptions de l’esthétisme ont-elles jamais été aussi déroutantes qu’aujourd’hui ? Alors qu’un jeune historien de l’art nommé Wilhelm Worringer écrit depuis les tranchées de Flandre que la guerre ne décide pas seulement de l’avenir de l’Allemagne mais aussi de la victoire de l’expressionnisme ». Lorsqu’en 1916, le journal Kriegszeit, à la suite du désenchantement face à la guerre, change son nom en « Bildermann », Liebermann cesse d’y contribuer. À la place, il se consacre pour la première fois à l’illustration des nouvelles parutions en 1916 et en 1917 de Nouvelle et de Der Mann von fünfzig Jahren (L’homme de cinquante ans) de Goethe et de Petits écrits de Kleist. Le style de ses illustrations crée une atmosphère typique des tournants dramaturgiques et ne se prête pas à la narration, c’est pourquoi il ne réussit pas à percer dans ce domaine et délaissera les illustrations pendant 10 ans.

En 1917, l’Académie des Beaux-Arts de Prusse propose une grande rétrospective des œuvres de Liebermann pour fêter ses 70 ans. Près de 200 toiles sont exposées. Julius Elias nomme les honneurs rendus au peintre une « consécration ». Le directeur de la Nationalgalerie Ludwig Justi (successeur de Tschudi) lui promet son propre cabinet. Guillaume II autorise l’exposition-anniversaire et décore Liebermann de l’Ordre de l’Aigle Rouge de troisième classe. Le décoré constate avec satisfaction que l’empereur ne se montre plus hostile à l’art moderne. Walther Rathenau publie dans le quotidien Berliner Tageblatt un essai sur l’exposition: « Les œuvres de Liebermann mettent en scène la nouvelle Prusse mécanisée des grosses villes. […] Le fils des villes, du patriciat juif, de la culture internationale était destiné à remplir cette fonction. Il fallait que ce soit un homme d’esprit et de volonté, de combat, de passion et de réflexion.»

Œuvre de Liebermann, carte maximum, Suisse.

Le 18 janvier 1918, a lieu la cérémonie d’ouverture du cabinet Max Liebermann de la Nationalgalerie. Le discours d’inauguration est tenu par le ministre de l’éducation et de la culture Friedrich Schmidt-Ott. Quelques semaines plus tard, 500 000 ouvriers se mettent en grève rien qu’à Berlin – l’empire est au bord du gouffre. Lorsque la Révolution allemande éclate enfin, Liebermann réside dans sa maison sur la Pariser Platz. Les monarchistes y ont installé des mitrailleuses, c’est pourquoi son palais est pris d’assaut par les soldats révolutionnaires. Après qu’une balle a percé la paroi du premier étage pour venir se planter dans le salon, les défenseurs se rendent. À la suite de cet incident, Liebermann met à l’abri sa précieuse collection de toiles et déménage avec sa femme pour quelques semaines dans la maison de sa fille. Liebermann voit les changements politiques d’un mauvais œil. Il est, certes, en faveur de l’institution de l’égalité du droit de vote en Prusse et des réformes pour faire de l’empire une démocratie parlementaire mais pour lui, c’est « tout un monde, quand bien même il est pourri », qui s’écroule. Déjà en 1917, il regrette le départ de Bethmann Hollweg et voit dans la républicanisation la fin de l’espoir en une monarchie parlementaire. « Nous avons, entre-temps, traversé de sales périodes. […] Berlin est en haillons, sale et noir la nuit, une ville morte. À cela s’ajoutent des soldats qui vendent des allumettes ou des cigarettes dans la Friedrichstraße ou Unter den Linden, des aveugles joueurs d’orgue de barbarie en uniforme moisi ; en un mot : misérable. ».

Une fois la guerre et la révolution passées, Liebermann assume à partir de 1920 la fonction de président de l’Académie prussienne des arts de Berlin. Les sécessionnistes continuent à exister en parallèle jusqu’à ce qu’ils disparaissent sans bruit. La nomination de Max Liebermann comme président de l’Académie met un terme de facto à l’époque du mouvement sécessionniste. Il essaie de regrouper les différents courants sous l’égide de l’Académie et y intègre aussi l’expressionnisme. Dans le discours d’ouverture de l’exposition de l’Académie, il s’exprime en ces termes : « Quelqu’un qui a fait l’expérience, dans sa jeunesse, du rejet de l’impressionnisme, se gardera bien de condamner un mouvement qu’il ne comprend pas ou ne comprend plus, notamment en tant que directeur de l’Académie, qui, aussi conservatrice soit-elle, se figerait totalement si elle désapprouvait systématiquement la jeunesse. » Avec ce discours, il retrouve son attitude libérale du temps précédant la crise de la sécession et essaie de tirer, avec tolérance, les rênes de l’Académie.

Contraint de rebâtir l’institution impériale en ruines, Liebermann parvient à lui donner une structure démocratique, un enseignement libre et à lui attirer le respect de l’opinion publique. Grâce à son intervention, Max Pechstein, Karl Hofer, Heinrich Zille, Otto Dix et Karl Schmidt-Rottluff sont admis à l’Académie.

En 1922, Walther Rathenau est assassiné par des activistes d’extrême droite. Liebermann est profondément choqué par ce meurtre commis sur un proche et un compagnon. À côté des nombreuses œuvres sur son jardin, il réalise des lithographies pour l’ouvrage de Heinrich Heine Le rabbin de Bacharach et des dessins en hommage aux soldats juifs morts au front. Le 7 octobre 1924, décède son frère cadet Felix Liebermann qui lui a toujours été un ami. Et deux jours après, Liebermann doit faire face à la mort de son proche Hugo Preuß, le père de la Constitution de Weimar. Le peintre se renferme de plus en plus sur lui et se réfugie dans son jardin. Il apparaît souvent renfrogné et grincheux aux yeux de son entourage.

Malgré tout, il continue à prôner un art progressiste mais aussi politique, bien que ses propres œuvres soient considérées soit comme des « classiques », soit comme démodées. C’est ainsi qu’il soutient la toile La tranchée d’Otto Dix qui représente la noirceur de la Guerre mondiale et à laquelle on reproche d’être une « croûte tendancieuse ». Pour Liebermann, il s’agit d’« une des œuvres les plus significatives de l’après-guerre ». D’un autre côté, il polémique contre Ludwig Justi qui expose les expressionnistes à la Nationalgalerie. Ses attaques publiques constituent un triste chapitre de sa biographie. En septembre 1926, Max Liebermann s’exprime dans le journal Jüdisch-Liberale Zeitung. Dans l’édition de Yom Kippour, il affirme publiquement sa foi à laquelle il se consacre davantage avec la vieillesse. De plus, il aide financièrement l’orphelinat juif « Ahawah » et l’association caritative juive « Jüdischer Hilfsverein ».

En 1927, Liebermann revient sur le devant de la scène publique : les médias et le monde artistique le célèbrent, lui et son œuvre, à l’occasion de son 80e anniversaire. Parmi les congratulants, on trouve, outre l’archétype berlinois Zille, également des personnages internationaux tels qu’Albert Einstein, Heinrich et Thomas Mann ainsi que Hugo von Hofmannsthal. Encore aucun artiste n’a été aussi honoré par sa ville natale que Liebermann par Berlin lui offrant une exposition-anniversaire de plus de 100 toiles. Son œuvre est entrée parmi les classiques. Son style autrefois provocateur fait l’effet en 1927 d’un document d’une autre époque. C’est pourquoi le vieux Liebermann réplique, dans le catalogue de l’exposition, aux critiques qui lui reprochent son retranchement hors du monde et son conservatisme : « Le fléau de notre époque est de toujours rechercher la nouveauté […] : le véritable artiste n’aspire à rien d’autre que de devenir celui qu’il est. ».

La ville de Berlin lui décerne le titre de citoyen d’honneur après de vifs débats au conseil municipal. Le Président du Reich Paul von Hindenburg décore Liebermann de la Grande Croix de l’ordre de l’Aigle germanique « comme remerciement de la part du peuple allemand ». Le Ministre de l’intérieur Walter von Keudell lui décerne la médaille nationale d’or gravée des mots « pour ses mérites envers l’état ».

À la fin de l’année 1927, Liebermann fait le portrait du Président du Reich Hindenburg. Bien qu’il ne l’appuie pas politiquement, il accepte volontiers cette commande et la considère comme un honneur. Il renonce dans sa toile à utiliser tout élément pathétique pour la représentation. Les séances de pose avec son modèle qui est du même âge sont empreintes de respect mutuel et de sympathie. Le « Vieux maître du courant moderne allemand » voit dans Hindenburg un vieux patriote prussien qui ne peut basculer dans la déraison. Liebermann écrit : « Récemment, un journal pro-hitlérien a écrit- on me l’a envoyé – c’est une honte qu’un Juif fasse le portait du Président du Reich. Je ne peux qu’en rire. Je suis persuadé que si Hindenburg l’apprend, il en rira aussi. Je ne suis qu’un peintre. Qu’est-ce que la peinture a à voir avec le judaïsme ? ».

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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