La reconstruction des villes détruites pendant la guerre 1939-45.

Penser la reconstruction, c’est aussi voir la façon dont les sociétés jugent la guerre et ses effets, et les conséquences au point de vue législatif. Ace propos, on peut constater,avec la définition progressive du «sinistré»,l’idée généralisée que les pouvoirs publics ont pour devoir de considérer le risque de guerre au nom de la solidarité nationale, ce qui entraîne une évolution du droit dont tous les régimes placés face au problème de la reconstruction

doivent tenir compte: l’indemnisation des dommages de guerre a tout autant été envisagée par la IIIe République (loi du 17 avril 1919), par le régime de Vichy (loi du 11 octobre 1940)que par la IVe République naissante (28 octobre 1946), faisant du sinistré une figure incontournable des après-guerres et un objet nouveau de la compétition politique. Aujourd’hui,

les historiens ne considèrent plus les conflits en eux-mêmes, mais comprennent l’intérêt des périodes qui les suivent, où tout est à rebâtir5. Cela revient à s’interroger sur le terme de «reconstruction»: est-il synonyme d’après-guerre? Désigne-t-il un phénomène économique et social? Doit-on s’en tenir aux problèmes architecturaux posés par les destructions?Peut-on observer à l’échelle urbaine un continuum entre les reconstructions de la Première puis de la Seconde Guerre mondiales ? Nous tenterons de voir, à travers l’exemple français, hélas riche en exemples dans la première moitié du siècle (1918, 1945 et, dans une certaine mesure au point de vue des réalisations administratives et juridiques, 1940), si reconstruction rime bien avec renouveau.

Le Havre, carte maximum, Le Havre, 29/03/1958.

LA IVe République naissante (28 octobre 1946), faisant du sinistré une figure incontournable des après-guerres et un objet nouveau de la compétition politique. Aujourd’hui, les historiens ne considèrent plus les conflits en eux-mêmes, mais comprennent l’intérêt des périodes qu iles suivent, où tout est à rebâtir5. Cela revient à s’interroger sur le terme de

«reconstruction»: est-il synonyme d’après-guerre? Désigne-t-il un phénomène économique et social? Doit-on s’en tenir aux problèmes architecturaux posés par les destructions?Peut-on observer à l’échelle urbaine un continuum entre les reconstructions de la Première puis de la Seconde Guerre mondiales ? Nous tenterons dee voir, à travers l’exemple français, hélas riche en exemples dans la première moitié du siècle (1918, 1945 et, dans une certaine mesure au point de vue des réalisations administratives et juridiques, 1940), si reconstruction rime bien avec renouveau.I-Destructions et déblaiements.1) Une conséquence directe de la guerre totale.L’après-guerre est,par définition,une période de remise en ordre, mais cette remise en ordre dépend du contexte politique,économique et social dans lequel on tente de l’effectuer, et plus

prosaïquement de l’étendue des dégâts et des moyens dont on dispose pour les effacer.Si l’on prend en compte les deux après-guerres qui concernent la France, le constat est que les destructions, des points de vue quantitatif et qualitatif, sont très différente sen 1918 et en1945: -660.000 bâtiments d’habitation sont touchés à l’issue du premier conflit mondial contre 1.900.000 après le second(soit 18% du capital immobilier); dans le premier

cas, ce sont les zones rurales d’un seul tenant, concentrées sur 13 départements,qui ont le plus souffert, alors qu’en 1945, ce sont des villes entières qui ont été «coventrysées» (Le Havre, Caen, Saint-Nazaire, etc…) :1.851communes de 64 départements furent ainsi ravagées entre 1939 et 1945 (à comparer aux 80% de la surface bâtie des principales villes en Allemagne «volatilisée»par les flottes alliées depuis des bases lointaines). Le paysage lunaire qui en découle fait aujourd’hui partie de notre patrimoine mental, sans lequel on ne peut imaginer qu’une guerre a eu lieu ; ces images terribles font d’autant plus partie de notre passé et ont tant marqué nos sensibilités que certaines d’entre elles ont été utilisées afin de susciter la compassion et l’aide à la reconstruction de puissances étrangères, en particulier aux Etats-Unis.-20.000 établissements industriels ont été détruits en 1914-1918 contre

Maubeuge, carte maximum, Maubeuge, 29/03/1958.

120.000 en 1940-1945; en 1918, ces destructions sont cantonnées à la région Nord-Est, théâtre principal des opérations; en 1945, elles sont beaucoup plus diffuses et se prolongent jusqu’aux principales infrastructures, volontairement endommagées à l’extrême fin du conflit, par un camp ou l’autre, le plus souvent pour des raisons stratégiques (4.000 ponts fluviaux, 7.500ponts routiers, 115 gares, 1.900 ouvrages d’art, 22.000 km voies de chemin de fer).-200.000 exploitations agricoles sont atteintes en1918(ce qui représente 3 millions d’hectares), 250.000 en 1945, détruites pour les mêmes raisons que précédemment.

De manière générale, le problème de la reconstruction est rarement posé en terme de besoins en logements, même après 1945, où le premier réflexe consiste à «réparer», par le biais des indemnisations, ce qui a été détruit (logements ou patrimoine), parfois en se référant à des textes de lois datant de 1919: on ne remet donc pas en cause le principe de la prise en charge intégrale par l’état du montant des dommages, accentué même par la loi du 28 octobre 1946 qui précise que cette réparation intégrale s’effectue dans le cadre du plan général d’équipement et de modernisation. Cependant, la réparation en question, qui doit se faire «sur place»et «à l’identique» (et donc souvent au prix fort)est plutôt tournée vers le passé et difficile à financer: selon les chiffres officiels, seulement 2% des 310.000 édifices totalement sinistrés étaient reconstruits à la date du 1erjuillet 1946,

Saint-Dié, carte maximum, Saint-Dié, 29/03/1958.

essentiellement les entreprises 8industrielles et les constructions officielles. C’est seulement la loi du 18 juin 1948 qui annonce la mise en place d’une véritable politique de reconstruction et d’aménagement, par l’intermédiaire des associations syndicales et des sociétés coopératives de reconstruction: et encore, cette loi ne se réfère pas tant à la guerre mais plutôt à l’avenir, qui semble annoncer une crise du logement qu’il faut impérativement résorber.Elle permettra dans les faits d’appliquer certains principes préconisés par les «modernistes» (hygiène, ensoleillement, «zoning», fonctionnalité de l’espace urbain)tout en privilégiant les méthodes industrielles et l’occupation d’espaces de plus en plus grand set d’un seul tenant.Il n’y a cependant pas rupture avec la conception traditionnelle de l’espace urbain, qui privilégie la construction d’îlots bordés de rues, ce qui dénote le manque d’un véritable plan directeur.

N’oublions pas les conditions d’après-guerre, qui obligent dans un premier temps à prendre en compte le désir des sinistrés de récupérer ce qu’ils avaient perdu, ce qui entraîne un travail hâtif au vu des besoins, qui par définition ne favorise pas l’effort de réflexion et de coordination. On aboutit ainsi à des «reconstructions historiques» (Saint-Malo), des «modernisations raisonnables» qui tentent de regrouper des services jusque-là dispersés en un même endroit tout en ne touchant pas à l’aspect des bâtiments et à la dispersion d’habitations qui restent le plus souvent individuelles (Saint-Lô,Rouen, Caen); rares sont les cas de «table rase», où sont conçus de véritables plans masse obéissant à une organisation

générale,appliquant la notion moderne de trame à l’ensemble d’un cadre urbain, préconisant la mise en place de larges artères, l’alignement et l’homogénéisation des façades: ce cas s’applique dans certaines villes(Le Havre reconstruit par l’architecte Auguste Perret),mais la conception en est difficilement transposable dans la mesure où elle ne s’applique que dans les espaces urbains totalement détruits26.Qui plus est, on dénonce dans ces derniers projets l’aspect utopique, au regard des préoccupations plus terre-à-terre des habitants: l’exemple de Sarrebruck en Allemagne est à cet égard probant. Dans le cadre des relations spéciales qui devaient unir la France à ce Land, les autorités d’occupation, représentées par le commandant en chef des Forces françaises en Allemagne, le général Koenig, et le haut gouverneur militaire de la Sarre, Gilbert Grandval,imaginèrent une refonte complète des villes, dont certaines étaient effectivement entièrement détruites. Dans cette optique,un projet fut remis à Georges-Henri Pingusson, architecte qui avait

un temps collaboré avec Le Corbusier et participé à la préparation de l’Exposition universelle à Paris, en 1937. Le plan qu’il remît le 14 juillet 1947comprenait le réaménagement complet des quartiers historiques de la capitale sarroise en créant des rangées linéaires de gratte-ciels à vitres reliés par un vaste axe routier d’est en ouest, une immense place centrale regroupant les principaux services (centre de vie publique avec la mairie, la direction des mines, l’ambassade de France)et tout un réseau permettant la réglementation des trafics (séparation selon les véhicules) ainsi qu’une circulation continue favorisant les contacts d’une zone à l’autre. Cependant, ces projets «futuristes» restèrent pour une large part sur le papier, rappelant précisément que les périodes d’après-guerres ne sont pas faites pour imaginer l’avenir mais d’abord pour panser les plaies: comme l’exprime un contemporain, «la question d’une annexion de la Sarre à la France sur le plan politique et économique ne suscita pas de débats incontrôlés. On pouvait définir l’atmosphère de manière suivante: qu’ ‘ils’fassent ce qu’ils veulent mais qu’on ne nous pose pas de questions. Par ‘ils’, on entendait à la fois les partis allemands, la France ou tous les Alliés. Cette attitude exprime la défaite totale telle qu’elle n’avait jamais été perçue à l’époque contemporaine.

Reconstruction des villes dévastées par la guerre. Essais de couleurs.

Comment pouvait émerger, dans une telle grisaille, une volonté vraiment artistique?». On peut faire le même constat face aux projets avortés de reconstruction des villes de Saint-Dié ou de Mayence, où les suggestions de modernisation, s’appuyant surl’étendue des destructions,sont malgré tout remises en cause par la population elle-même. Pourtant, dans le premier cas, Le Corbusier estimait que «les conditions[étaient] exceptionnelles, [la] zone urbaine [étant] détruite de façon extrêmement favorable». Les plus novateurs des acteurs de la reconstruction se casseront les dents sur l’alternative reconstruction ou aménagement. Eugène Claudius-Petit, désireux de mettre en place une véritable politique moderne et audacieuse d’aménagement du territoire ne se limitant pas à une simple reconstruction à l’identique, est coiffé sur le poteau à la Libération par le très conventionnel Raoul Dautry, à la tête d’un ministère de la Reconstruction et de l’Urbanismeà  peine épuré et d’un appareil législatif tout juste toiletté. L’innovation est alors dans l’opposition, et son message est clair: pour Claudius-Petit, c’est un plan directeur qu’il réclame à la tribune de l’Assemblée le 5 mars 1945, car«ou bien la France recommencera son passé, reconstituera un musée en toc […] ou bien la France continuera sa tradition. Sa tradition ? Elle est de tenir compte des événements, de tenir compte des possibilités nouvelles, de tenir compte des matières nouvelles, et de construire des villes jeunes, où l’homme sera réconcilié avec la nature»30.C’est seulement le 11 septembre 1948 que Claudius-Petit devient ministre, alors que l’opinion semble plus ouverte à certaines idées novatrices en matière d’urbanisation31. Il présente ses grands axes dans un livre «vert»intitulé Pour un plan national d’aménagement du territoire, dans lequel sont exposées des idées relatives au rééquilibrage des activités en France, la volonté d’étudier les problèmes urbains à l’échelle globale de l’agglomération et de la région ainsi que celle de développer les transports en commun. Pour ce faire, Claudius-Petit décide de présenter une loi foncière permettant d’élargir le droit à l’expropriation de l’État mais, face aux réticences de certains (en particulier le Commissariat au Plan de Jean Monnet, qui estime que le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme empiète sur ses prérogatives), cette loi, si nécessaire à la mise en place d’un plan directeur permettant à L’État d’avoir les coudées franches en matière d’urbanisation, sera repoussée à deux reprises par l’Assemblée nationale(2 novembre 1950 et 8 novembre 1951) puis discrètement enterrée.Finalement, la politique novatrice de Claudius-Petit ne parvient pas à s’implanter, se limitant à quelques réalisations, prestigieuses mais isolées (implantation en province d’usines prévues pour Paris comme Gillette à Annecy, Citroën à Rennes, Renault à Cléon). L’aménagement du territoire était repoussé sine die.

Source : Archives ouvertes.