La Dobroudja.

La Dobrogée ou Dobroudja (en bulgare : Добруджа, en roumain : Dobrogea, en turc: Dobruca, Dobrogée dans les documents français anciens) est une région historique d’Europe, appelée Mésie inférieure puis Scythie mineure dans l’Antiquité, aujourd’hui partagée entre le Sud-Ouest de l’Ukraine, l’Est de la Roumanie et le Nord-Est de la Bulgarie.


Selon Ion Bitoleanu et Adrian Rădulescu, la Dobrogée est habitée depuis le Paléolithique, et les cultures néolithique de Hamangia en Dobrogea roumaine, et chalcolithique de Varna-Durankulak en Dobroudja bulgare IVe millénaire av. J.-C., sont mondialement connues pour leurs sculptures, leurs constructions déjà en pierre et leurs tombes riches en or.

Dans l’Antiquité, la région est habitée par les tribus Daces et Gètes. La population locale, progressivement hellénisée, fait du commerce avec les colonies grecques du Pont  Euxin (Dionysoupolis, Callatis, Tomis, Histrios, Argamos) jusqu’à la conquête romaine. Rome contrôle la Mésie pendant sept siècles et l’intègre à la Dacie aurélienne qui, par la christianisation, entre dans la civilisation byzantine.

Selon Ion Barnea et Ștefan Ștefănescu, les migrations des peuples slaves et turcophones (Huns, Avars, Proto-Bulgares, Ouzes, Petchénègues, Coumans, Mongols, Tatars, Ottomans) mettent fin à l’existence des cités gréco-romaines telles Capidava et des ports de la côte, mais d’autres, comme Dorostolon (ou Drăstăr) sur le Danube, se maintiennent à travers les différentes dominations politiques.

À l’issue de la bataille d’Ongal, la Dobrogée est intégrée au Premier État bulgare de 681 à 971, redevient romaine d’Orient (byzantine) de 971 à 1186, puis fait partie du royaume bulgaro-valaque, tant ces deux peuples, Bulgares et Valaques, ainsi que celui turcophone des Coumans et sans oublier les Pontiques de la côte, étaient alors mélangés dans le bassin du Bas-Danube, sur les deux rives du fleuve.

En 1325 la Dobrogée est mentionnée pour la première fois comme despotat semi-indépendant vassal de l’Empire byzantin, ayant comme prince Balică ou Balko de Dobritch, avec la capitale à Kaliakra près de Karvouna  (aujourd’hui Kavarna). En 1346, ses fils, Dobrotitch et Théodore, s’impliquent dans les rivalités dynastiques de l’Empire byzantin comme alliés de l’impératrice Anne de Savoie. En rétorsion à cela, en 1347, l’empereur Jean V Paléologue envoie l’un de ses vassaux, l’émir turc Bahoud d’Umur, en expédition navale contre la Dobrogée. Balică et Théodore perdent la vie dans le naufrage de leur nef amirale et Dobrotitch resté à terre devient le nouveau despote.

Peuplé (selon les chroniques génoises) de Bulgares, de Valaques (Roumains), de « Romées » (Grecs), de Juifs yévaniques (« Romaniotes ») et d’Arméniens (« Hermins »), ce despotat s’étend sur le bas-Danube depuis les bouches du fleuve au cap Hæminos (Emina) au sud de Varna. Les langues les plus parlées y sont le bulgare, le grec et le « valaque ». Les portulans génois le décrivent tantôt comme un despotat grec (« terra graecorum »), tantôt comme une petite Valachie (« Velacia minor »), tantôt comme une troisième Bulgarie (« Bulgaria tertia », les deux autres Bulgaries étant les Tzarats de Vidin et de Tarnovo). Il s’ouvre aux marchands génois qui en assurent la prospérité, lui fournissent nefs et armes, et installent les comptoirs de San Giorgio (Giurgiu, Djurdjevo), Dorostolo (Silistra), Barilla (Brăila, Ibrahil), Caladda (Galați), Licovrissi (Oblucița ou Izmail), Licostomo (Periprava près de Chilia Veche), Constanza (Constanța), Carvouna (Kavarna), Danissa (Baltchik) et Odessa (aujourd’hui Varna ; le nom moderne d’Odessa, en Ukraine, vient bien de là, mais l’Odessa moderne n’a été fondée qu’au XVIIIe siècle).

Entre 1352-1359, la puissance des Tatars de la Horde d’or déclinant, un second despotat apparaît autour des bouches du Danube, gouverné par le prince Demetrios, qui se met sous la protection de la Valachie : dès lors celle-ci étend sa domination sur le Bas-Danube (Galați, actuel Boudjak, Chilia).

En 1357, Dobrotitch perd Messembria (aujourd’hui Nesebăr) et Anhialos (aujourd’hui Pomorié) au profit de l’empereur Jean V Paléologue, mais en 1359, il prend à Demetrios les cités de Vicina et de Chilia dont il expulse les Génois qui ne gardent que le port de Licostomo. Hyacinthe, archevêque de Vicina, passe en Valachie dont il devient le premier métropolite. En 1366, Jean V Paléologue se rend à Budapest et à Rome, chercher des financements pour sa campagne contre la Dobrogée et contre les Turcs ottomans qui ont pris pied en Europe depuis 1354 : il les obtient et assiège Kaliakra, mais est capturé par les assiégés. Dobrotitch apparaît alors comme un allié des Ottomans. Amédée VI de Savoie mène aussitôt campagne contre la Dobrogée avec le soutien génois. Dobrotitch négocie, libère l’empereur byzantin, et en fait son beau-père en mariant sa fille à Michel Paléologue.

En 1369, Dobrotitch s’allie à Vladislav Ier de Valachie pour restaurer le tzar bulgare Ivan Sratsimir sur le trône de Vidin. En 1379, une guerre  commerciale oppose devant Constantinople les Génois à une flotte valaque, bulgare et dobrogéenne : l’affaire se conclut par un compromis.

Dobrotitch meurt en 1386 et lègue son trône à son fils Ivanko ou Iancou, alors que les Ottomans ont déjà commencé la conquête des Balkans et l’encerclement de Constantinople. Ivanko fait la paix avec le sultan ottoman Mourad I et signe aussi un traité avec Gênes. Mais en 1388 le grand vizir ottoman Çandarli Ali Pacha attaque à nouveau et Ivanko est tué au combat : la Bulgarie tombe sous la domination turque pour près de cinq siècles, tandis que la Dobrogée passe sous souveraineté valaque pour quelques décennies.

Mais la Valachie à son tour doit plier devant les sultans ottomans qui occuperont la Dobrogée entre 1421 et 1878 en y colonisant de nombreux tatars et turcs musulmans. Après avoir formé durant quelques années une province militaire, la Dobrogée (en turc Dobruca) est intégrée dans l’Özi Eyaleti, province turque gouvernée par les pachas de Silistra, tandis que ses habitants chrétiens relèvent tantôt de l’exarchat du Proïlavon qui a pour siège Brăila et inclut les territoires ottomans à majorité chrétienne entre Varna et l’estuaire du Dniestr, tantôt de celui de Tǎrnovo.

Lors de la guerre russo-turque de 1877-1878, la Dobrogée est revendiquée tant par la Roumanie que par la Bulgarie, nouvellement indépendantes de l’Empire ottoman. Les deux pays, alors alliés, sont d’accord sur le principe d’un partage, mais Roumains et Bulgares sont mélangés (aux Turcs et aux Tatars) dans toute la Dobrogée : où placer la frontière ? Les Roumains étant plus nombreux au nord et les Bulgares au sud, une commission austro-allemande attribue à la Roumanie les deux tiers nord et à la Bulgarie le tiers sud. La frontière part de la sortie est de la ville bulgare de Silistra et aboutit entre les deux hameaux de pêcheurs grecs et turcs d’Ophidaki (Yilanlik en turc, Vama-Veche aujourd’hui) et de Limanaki (Durankulak en turc : nom actuel, et Mlaștina en roumain) sur la mer Noire.

En 1913 la Roumanie profite des difficultés de la Bulgarie lors de la deuxième guerre balkanique, pour lui arracher la Dobroudja du Sud au premier traité de Bucarest : la Dobrogée devient dès lors une pomme de discorde entre les deux pays. La Bulgarie prend sa revanche aux côtés des Allemands pendant la Première Guerre mondiale, en occupant elle aussi toute la Dobrogée, et en annexant sa moitié sud (jusqu’à une ligne Rasova-Agigea) au second traité de Bucarest. La paix de novembre 1918 la redonna entièrement à la Roumanie, mais l’arbitrage allemand de 1940 remit en vigueur le partage initial de 1878 (accords de Craiova). La frontière de 1878 et de 1940 est aujourd’hui pleinement reconnue par la Roumanie et la Bulgarie, membres de l’Union européenne depuis 2007, qui n’ont plus aucune revendication territoriale l’une sur l’autre. La frontière est désormais ouverte et une commission mixte inter-académique bulgaro-roumaine d’histoire a même été mise en place le 5 juillet 2001 pour combattre les dérives nationalistes et protochronistes dans l’historiographie (notamment scolaire) des deux pays.

Source : Wikipédia.

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