La Dacie.

La Dacie (en roumain : Dacia) est, dans l’Antiquité, un territoire de la région des Carpates, du bas-Danube et du littoral pontique occidental, correspondant approximativement aux actuelles Roumanie, Moldavie et aux régions adjacentes. Le mot Dacie (du latin Dacia) vient du nom romain de ses occupants principaux, les Daces, qui sont très proches des Thraces. Il a aussi donné leur nom à la marque automobile roumaine Dacia et à la roche volcanique dacite.


La Dacie était également peuplée par des Celtes (Scordices, Britolages), des Scythes, des Sarmates et des Bastarnes. Ses côtes ont été colonisées par une dizaine de cités-ports helléniques, vecteurs d’une influence hellénique (lorsque les Daces écrivaient, ils utilisaient, comme les Gaulois, le grec). Il y avait aussi des commerçants romains. Les tribus daces se sont souvent affrontées entre elles, mais se sont parfois unies contre les Macédoniens et les Romains. Leurs alliés sont les Celtes, les Thraces et les Grecs, jusqu’à la conquête de la Grèce par l’Empire romain. Les tribus vivant dans la plaine céréalière du Danube se sont souvent alliées aux Romains contre celles, montagnardes et pastorales, des Carpates (un fossé antique, défensif contre les assauts venus des montagnes, et nommé brazda lui Novac en roumain, s’étire d’ouest en est à travers l’actuelle Valachie).

Après 256, les tribus daces épargnées par la conquête romaine (essentiellement les Carpes) s’allient avec les Goths et les Sarmates dans une « fédération de peuples barbares » constituée autour des « goths ». On évoque aussi des alliances ultérieures avec les Huns vers le IIIe siècle, et plus tard encore avec des Vénèdes, ancêtres des Slaves. Avec les Goths, les Carpes pénètrent dans les Balkans mais, contrairement aux Goths, ils s’y fixent : les linguistes y voient l’origine des Albanais et expliquent ainsi le lexique commun entre la langue albanaise et les langues romanes orientales.

Les grandes invasions sont l’une des raisons de l’abandon de la Dacie  romaine par l’empereur Aurélien. L’autre est l’épuisement des filons aurifères, rendant le maintien de cette province frontalière déficitaire. C’est la première grande province abandonnée par l’Empire romain à un moment où il était encore assez puissant. Pour que la province ne disparaisse pas des tables impériales et pour que ses légionnaires et fonctionnaires ne se retrouvent pas sans solde, le nom et l’ensemble des structures militaires et administratives furent officiellement déplacées en 271 au Sud du Danube dans la partie occidentale de l’ancienne province de Mésie, alors nommée Dacie aurélienne, puis divisée en 285 en Dacie ripuaire et Dacie méditerranéenne. Selon l’historien romain Eutrope la population romanisée aurait été intégralement déplacée au sud du Danube, laissant la Dacie « déserte » jusqu’à l’arrivée des Avars au vie siècle (thèse dite de l’« Awarenwüste »).

Quoi qu’il en soit et quelle qu’ait pu être la répartition des populations de part et d’autre du Danube, les actuelles langues romanes orientales sont la preuve que les populations romanisées n’ont pas disparu. Les controverses entre spécialistes, ne disposant pour cette période que de rares sources peu explicites, portent donc sur des thèses contradictoires concernant les éventuels déplacements, thèses archéologiquement et historiquement invérifiables en l’état actuel des sources et des recherches, mais fortement teintées par les nationalismes antagonistes des états modernes de la région, et aussi par le protochronisme qui lui, est hors du champ historique, mais très influent. Selon ces thèses, les populations romanophones auraient initialement évolué soit exclusivement au nord du Danube, pour migrer ensuite partiellement vers les Balkans (mais après l’arrivée des Slaves) soit exclusivement au sud du Danube, pour migrer ensuite tardivement vers la Dacie nordique (mais après l’arrivée des Magyars).

Ces thèses nationalistes font fi de la permanence du pastoralisme et de la transhumance, qui ont, pendant au moins un millénaire, maintenu le contact entre les deux rives du fleuve chez les locuteurs des langues romanes orientales. Cela est démontré d’une part par la « pidginisation pastorale » de ces langues qui n’ont commencé à se différencier qu’à partir du XIIe siècle et d’autre part par le fait qu’elles ont intégré l’« union linguistique balkanique ». Si, du XIe au XIVe siècle, le nombre de ces locuteurs augmente au nord du fleuve et diminue au sud, c’est pour des raisons politiques et économiques : à ce moment le royaume de Hongrie commence à stabiliser la situation au nord, favorisant la sédentarisation des pasteurs romanophones, tandis qu’au sud, les Slaves établis en masse assimilent les communautés valaques d’ailleurs menacées par l’insécurité croissante des guerres bulgaro-byzantines de Basile II, des violences de la quatrième croisade, de la conquête ottomane et de leurs conséquences.

  • vers 2400-1700 av. J.-C., à la fin du néolithique, des peuples parlant des langues indo-européennes commencent à s’installer dans les territoires qui deviendront plus tard ceux de la Dacie, de la Mésie, de la Thrace et de la Grèce. Une civilisation agricole prend le relais de celles qui l’ont précédée (surnommées « pélasgiques ») et les nécropoles présentent de nombreux objets en or et argent.
  • 700 av. J.-C., installation de colonies grecques sur les bords du Pont Euxin.
  • 350 av. J.-C., installation de tribus celtiques (Scordices,Britolages, Bastarnes) parmi les Daces.
  • 112-109 av. J.-C., puis 74 av. J.-C., 60-59 av. J.-C. et plus tard : conflits avec les Romains. Le chef Burebista, ayant rassemblé les autres chefs daces, gagne sans difficulté toutes ses batailles et prend parti pour Pompée contre César, mais il arrive trop tard. Burebista est assassiné par l’aristocratie dace (les « Tarabostes ») la même année que Jules César, très peu de temps après celui-ci.

Des détails sur les deux conflits majeurs entre Rome et les Daces se trouvent dans Dion Cassius et sur la colonne Trajane, érigée à Rome par Apollodore de Damas. Pour ces campagnes, l’Empire romain mobilise plus de 150 000 hommes pendant six ans. Ils construisent un pont en pierres sur le Danube, conçu par Apollodore de Damas et utilisé non seulement pour la conquête, mais aussi longtemps après celle-ci. On le voit sur la colonne Trajane, ainsi qu’un pont flottant utilisé plus en aval.

Après la conquête des forteresses daces (davae) situées entre le Danube et la capitale, commence le siège de la capitale dace, Sarmizégétuse : conquise après une résistance prolongée, celle-ci est détruite jusqu’à ses fondations. Seul le calendrier sacré est épargné.

Toutes les forteresses daces sont détruites. Une partie des Polistes (prêtres) et des Tarabostes (aristocrates) daces réussissent néanmoins à s’échapper de Sarmizégétuse, avec Décébale à leur tête, et organisent une résistance. Pourchassés, bientôt acculés, leur chef Décébale se suicide pour ne pas tomber prisonnier, et leur permettre une reddition honorable.

Ensuite les Tarabostes ralliés à Rome aident Trajan à récupérer le trésor de guerre de Décébale, évalué par l’historien Jérôme Carcopino à 165 500 kg d’or et 331 000 kg d’argent. Il fera partie du butin de la campagne. Une légende naît au xixe siècle, lorsque le récit de Dion Cassius est étudié par les historiens, légende selon laquelle il resterait encore un grand nombre de trésors cachés dans les Alpes de Transylvanie. De fait, certains objets précieux ont été trouvés lors de « fouilles sauvages », qui n’ont apporté à leurs « inventeurs » que jalousies et ennuis avec les autorités, mais qui ont irrémediablent détruit des sites archéologiques. Les habitants de cette région croient depuis à une « malédiction de Décébale », une série de malheurs pour qui trouve les trésors du roi dace et les vend.

Du côté romain, la construction de la colonne Trajane n’est pas la seule façon de célébrer la conquête d’une partie de la Dacie et d’employer le butin saisi. L’État romain donne une fête de 123 jours, pendant lesquels la population peut boire et manger à volonté aux frais de l’État. Au Forum de Trajan, également dû à Apollodore de Damas, on érige des statues des tarabostes capturés, qui se trouvent actuellement en haut des colonnes de l’Arc de Constantin.

La province romaine de Dacie se limite aux actuelles Transylvanie et Olténie. Le reste de l’ancien royaume dace revient aux tribus daces restées libres, qui ne s’étaient pas ralliées à Décébale, voire avaient aidé les Romains : les Carpiens, les Costoboces et les Tyrgètes. On peut le voir sur certaines cartes. Elle reste sous l’autorité d’un gouverneur de rang prétorien. La Légion XIII Gemina et ses nombreux auxiliaires ont leurs quartiers dans la province.

  • 85-89 ap. J.-C., les Daces engagent deux grandes guerres contre les Romains, avec des incursions profondes dans l’Empire romain qui font des ravages. Victoire de Décébale, roi des Daces. Décébale accepte de se reconnaître client de l’Empire, mais omet de rendre les prisonniers et les étendards des légions. Un traité sanctionne le statu quo.
  • 101-102 ap. J.-C., pour mettre fin à cet accord humiliant, Trajan lance sa première campagne. En 105-106 ap. J.-C., lors de la deuxième campagne, une partie de la Dacie devient province romaine.

La retraite romaine de Dacie inaugure une période de l’histoire des ancêtres des Roumains et des Aroumains surnommée par les historiens roumains « Âge pastoral » en référence à l’occupation principale des Thraco-Romains, période connue surtout à travers l’archéologie, la linguistique comparée et la toponymie, car les sources écrites, tant épigraphiques que  paléographiques, sont très succinctes et sujettes à controverses. Cette « diète documentaire » fait appeler cette période « Âge obscur » ou « Âge sombre » par les historiens hongrois, slaves, allemands ou occidentaux qui affirment que, puisqu’il n’y a pas de sources fiables, c’est que les ancêtres des Roumains ne s’y trouvaient pas. Suivant le postulat « absence de preuve égale preuve d’absence », les atlas historiques de ces pays ne mentionnent même pas l’existence des locuteurs des langues romanes orientales entre 271 et 1300, bien qu’ils soient attestés non seulement par la toponymie, mais tout de même aussi par des chroniqueurs comme Théophane le Confesseur, Théophylacte Simocatta, Kedrenos, Nicétas Choniatès et Anne Comnène. L’historien roumain Neagu Djuvara remarque avec humour que : « Les arguments des thèses antagonistes peuvent tous être contestés, mais ils ont le mérite d’exister, tandis qu’aucun fait archéologique et aucune source écrite n’étayent l’hypothèse d’une disparition pure et simple des roumanophones pendant mille ans, qu’ils se soient envolés avec les hirondelles pour migrer en Afrique, ou qu’ils soient allés hiberner avec les ours dans les grottes des Carpates ou des Balkans… ». De plus, même s’il n’y avait aucune preuve archéologique ou toponymique et aucune mention écrite, la simple existence des langues romanes orientales suffit à prouver que les Thraco-Romains n’ont pas disparu lors de l’arrivée des Slaves, des Bulgares et des Magyars dans la région, pour réapparaître par « génération spontanée » après des siècles d’absence.

  • en 271, la retraite romaine est définitive au nord du Danube. Les relations commerciales continuent néanmoins avec les habitants au nord du Danube, comme le prouve l’archéologie. Suivant ces relations, le christianisme aussi s’étend au nord du Danube. La création de la Dacie aurélienne vise à assurer aux légions et administrations retirées de la province abandonnée une pérennité au sud du Danube et peut-être à préparer la reconquête de la Dacie nord-Danubienne en cas de redressement de la situation.
    la mère de l’empereur romain Galère qui règne de 293-311, était une Taraboste (aristocrate) dace élevée à Rome. Parce que Galère a persécuté les chrétiens, l’auteur chrétien Lactance le présente sous un jour très noir dans son livre La Mort des persécuteurs (vers 250, vers 325) : « au moment où il est devenu empereur, il s’est déclaré l’ennemi du nom même de “Romain” : il proposa alors que l’empire soit appelé, non pas l’Empire romain, mais l’Empire dace » ; les protochronistes roumains modernes prennent cette affirmation à la lettre pour y voir du « patriotisme dace », mais en réalité cet empereur gouverne et défend efficacement l’Empire romain pendant près de vingt ans.
  • de 271 à 381, les Daces du nord du Danube passent sous contrôle des tribus carpiennes, des Daces libres, et forment les Carpo-Daces ; ceux du sud du Danube restent citoyens romains en Dacie aurélienne et en Mésie où se poursuit leur romanisation.

la présence au VIe siècle des Thraco-Romains à travers des citations de leur langue, est mentionnée par les chroniqueurs Théophane le Confesseur et Théophylacte Simocatta mais, à ce moment, ils n’ont pas de désignation spécifique, étant, comme tous les citoyens de l’Empire romain d’orient quelles que soient leurs langues, dénommés « Romées » (Ῥωμαίοι).
plus tardivement (du IXe siècle au XIIIe siècle) les descendants romanisés des Daces (au nord du Danube) et des Thraces (au sud du Danube) apparaissent sous le nom de Valaques (notamment dans le cadre du Regnum Bulgarorum et Valachorum (royaume des Bulgares et des Valaques) au XIIe siècle). Néanmoins ces populations, dans leur mémoire collective et dans leurs auto-désignations (endonymes) n’oublient pas leurs origines romanes, comme le montrent de nombreuses sources.

Depuis l’Etymologicum Magnum Romaniae de Bogdan Petriceicu Hasdeu (1886) faisant descendre la noblesse roumaine directement des tarabostes daces, et la Dacie préhistorique de Nicolae Densușianu (1913) imaginant la Dacie comme le centre d’une « civilisation pélasge » allant de l’Atlantique à l’Inde, base de toute la culture européenne, un courant pseudo-historique appelé « protochronisme » postule que les Daces sont la plus ancienne civilisation au monde, les premiers à avoir inventé l’écriture, et que les ancêtres des Grecs et des Latins étaient en fait des tribus daces ayant migré en Grèce ou en Italie.

Ce courant ne s’imposait cependant pas aux milieux universitaires, et n’était pas enseigné dans les écoles tant que l’État roumain restait pluraliste, mais après 1938, avec la succession de dictatures durant un demi-siècle (carlisme, état national-légionnaire, fascisme  collaborationniste et communisme de type stalinien), le protochronisme est devenu officiel et fut « enseigné » aux habitants, dès l’école primaire, pour les convaincre que le pays devait se fermer à toute influence étrangère, qu’il pouvait se suffire à lui-même sur tous les plans et que le régime en place s’enracinait dans l’histoire la plus ancienne. Pour étayer ces thèses, des artefacts apocryphes anciens (comme le Codex Rohonczi) ou plus récents (comme les tablettes de Tărtăria supposées dater de 7 300 ans avant le présent), ont été utilisés et ont fait l’objet d’études et de publications d’aspect scientifique, mais dont les sources sont soigneusement triées et les assertions invérifiables par d’autres chercheurs.

Pour prolonger leur crédibilité, les protochronistes, une fois le communisme abandonné dans leurs pays, ont donné à leurs hypothèses un aspect mystique en avançant que les religions des Illyriens, Thraces et Daces seraient parmi les plus élaborées ayant existé à l’époque dans le monde. Ces postulats sont contestés par le milieu universitaire dont les représentants expriment à ce sujet un profond scepticisme, mais les protochronistes sont beaucoup plus actifs dans la sphère médiatique, sur les réseaux sociaux et au sein de l’église orthodoxe roumaine.

Source : Wikipédia.

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