Holodomor, la grande famine en Ukraine (1932-33).

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Le terme Holodomor (ukrainien : Голодомо́р, littéralement « famine », de la racine го́лод, « faim », et мор, « fléau », formé comme calque du tchèque hladomor, « famine », en 1933, mais qu’on peut traduire par « extermination par la faim ») désigne la grande famine qui eut lieu en république socialiste soviétique d’Ukraine et dans le Kouban (république socialiste fédérative soviétique de Russie), en URSS, en 1932 et 1933, et qui fit, selon les estimations des historiens, entre 2,61 et 5 millions de morts. Sans précédent dans l’histoire de l’Ukraine, l’événement se produisit dans le contexte plus général des famines soviétiques de 1931-1933 et fit un nombre particulièrement élevé de victimesa.

Depuis l’ouverture des archives soviétiques après la dislocation de l’URSS en 1991, la négation de la famine a cessé, mais son ampleur et le caractère intentionnel de cette famine sont contestés. Bien avant que le nom de « Holodomor » ne soit forgé, la famine avait été décrite, dès 1935, par Boris Souvarine, et faisait partie de la mémoire collective mais clandestine des populations concernées : seules les publications dissidentes, les samizdats, l’évoquaient par écrit. Quarante ans plus tard, elle est à nouveau révélée par la publication de L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne.

Au début du XXIe siècle, la responsabilité des autorités soviétiques dans la genèse et l’ampleur de la famine (à travers la collectivisation, les campagnes de « dékoulakisation », les réquisitions excessives de denrées alimentaires auprès des paysans et les limitations aux déplacements imposées en pleine famine) est généralement reconnue.

Fin 2006, l’Ukraine indépendante qualifie officiellement le Holodomor de génocide, qualification reconnue par un certain nombre de pays dont les États-Unis. Mais le caractère génocidaire de cette famine est contesté, notamment par le Kazakhstan et la Russie qui ont également beaucoup souffert de cette famine. La négation du Holodomor comme génocide concerne l’importance relative des différents facteurs ayant engendré la famine, ainsi que les intentions de Joseph Staline, dirigeant absolu de l’Union soviétique à l’époque. L’aspect intentionnel de la famine est discuté par certains historiens7,8,9. Le jour commémoratif du Holodomor est fixé au quatrième dimanche de novembre.

Le Parlement européen a reconnu en 2008 le Holodomor comme un crime contre l’humanité, jugeant qu’il s’agissait d’une famine provoquée et d’un « crime contre le peuple ukrainien et contre l’humanité », et le qualifie de génocide en 2022. En avril 2023, l’Assemblée nationale française qualifie également cette famine comme génocide.

Le film L’Ombre de Staline d’Agnieszka Holland, sorti en 2019, ainsi que l’ouvrage collectif Le Livre noir du communisme rappellent comment le pouvoir soviétique a caché et nié la famine.


En Ukraine, l’État collecte 30 % de la production dès 1930, 41,5 % en 1931. Ces plans drastiques, combinés à une mauvaise récolte en 1931, conduisent l’Ukraine à un début de famine de mai à juillet 1932, pendant la période de « soudure » entre deux récoltes. Le 10 juin 1932, le chef du gouvernement ukrainien Tchoubar adresse une lettre à Staline et Viatcheslav Molotov révélant qu’« Au moins cent districts (contre soixante et un en mai) ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence (…). J’ai visité de nombreux villages et j’ai vu des personnes affamées partout. Les femmes étaient en train de pleurer, parfois même aussi les hommes ». Face à cette situation, l’État ne réagit que tardivement et ne consent à envoyer que 107 000 tonnes d’aides alimentaires au printemps 1932, après que les premiers cas de famine ont été déclarés. Ces décisions sont prises dans un contexte de pénurie généralisée en Union soviétique, causée par les décisions des dirigeants, qui ont largement surestimé la récolte de 1931-1932 et utilisé les grains réquisitionnés pour les besoins de l’industrie et des exportations. En 1931, plus de 150 000 personnes meurent en Ukraine des conséquences de la famine, alors que de graves disettes touchent plusieurs régions d’Union soviétique. Dans les villes, les familles ouvrières ne survivent que grâce aux apports d’un système de rationnement au bord de la rupture. Le Kazakhstan connaît dès 1931 une grave famine qui emporte près du tiers de la population kazakhe.

Face à l’aggravation de la crise, le pouvoir est amené à reculer provisoirement afin de garder le contrôle d’une situation qui menace la viabilité même de la prochaine récolte. Entre mai et juillet 1932, Staline prend une série de mesures qui marquent autant de concessions envers les paysans et qui seront parfois à l’époque désignées sous le nom de « nouvelle NEP ». Le plan initial de collecte pour l’année 1932-1933, élaboré en décembre 1931, prévoyait un plan de collecte irréaliste de 29,5 millions de tonnes pour l’ensemble de l’Union soviétique. En Ukraine, le plan était supérieur à celui de 1931 de plus de 30 %. Le plan est revu en mai 1932 par le Politburo à 20,5 millions de tonnes pour l’ensemble de l’Union soviétique. En Ukraine, l’objectif est ramené à 4,75 millions de tonnes ce qui représente une diminution de 40 % par rapport aux objectifs de 1931 et de 35 % par rapport aux résultats de la collecte cette année-là. Le 10 mai 1932, un décret permet aux paysans de vendre leurs surplus sur les marchés kolhoziens. La portée de ces mesures doit cependant être sérieusement relativisée. Ces décrets constituent une réponse d’urgence du pouvoir aux paysans dans une situation qui menace la survie du régime. Dans un télégramme envoyé le 10 juin 1932, Staline recommande même à Molotov d’utiliser la réduction des plans de collectes pour stimuler les paysans, mais de tenter d’en rester aux objectifs initiaux, avec « une exception pour les régions d’Ukraine qui ont particulièrement souffert. C’est indispensable non seulement du point de vue de la justice, mais vu la situation particulière de l’Ukraine, sa frontière commune avec la Pologne etc. ».

Dans le même temps, les difficultés de la collecte de 1931 sont mises sur le compte des responsables locaux du parti communiste et des fermes collectives, accusés de sabotage et de traîtrise. Les administrations de 250 kolkhozes sont dissoutes, et 146 raions sur les 484 que compte la RSS d’Ukraine connaissent des purges. De 1931 à la première moitié de 1932, près de 80 % des secrétaires de comités du parti sont remplacés par le pouvoir.

En dépit des mesures prises par le régime, la campagne des collectes de 1932 se déroule avec énormément de difficultés et les brigades de réquisition ne parviennent pas à atteindre les objectifs fixés, tandis que les dirigeants locaux appellent à de nouvelles réductions du plan pour répondre à la médiocrité de la récolte. Le politburo ukrainien demande même une assistance alimentaire devant l’état des régions, mais Staline blâme la direction, à savoir Tchoubar et Stanislav Kossior, et qualifie un fonctionnaire, qui tente de l’avertir de la situation de famine, de conteur qui devrait entrer à l’Union des écrivains : « Là, tu pourras écrire tes fables et les imbéciles les liront. ». Le régime revient alors rapidement sur les concessions lâchées aux paysans en mai. Des brigades de choc sont recrutées au sein des komsomols et des communistes des villes. Sur une initiative de Staline du 14 juillet 1932, la « loi des épis » est promulguée le 7 août 1932 : celle-ci permet de condamner à dix ans de camp ou à la peine de mort « tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste ». De juin 1932 à décembre 1933, 125 000 personnes sont condamnées, dont 5 400 à la peine capitale, certaines pour avoir volé quelques épis de blé ou de seigle dans les champs.

Malgré ces mesures répressives, les objectifs de la collecte dans les principales régions céréalières sont loin d’être atteints si bien que le bureau politique doit envoyer en Ukraine et dans le Caucase du Nord des commissions extraordinaires présidées respectivement par Viatcheslav Molotov et Lazare Kaganovitch pour mettre au pas les structures locales du Parti. En dépit de la brutalité avec laquelle agit la commission présidée par Molotov, celle-ci autorise alors des réductions conséquentes du niveau de réquisition exigé dans plusieurs régions ukrainiennes.

Lors d’une réunion des secrétaires de district du parti, une résolution est prise qui illustre l’état d’esprit de la commission : « à la suite de l’échec particulièrement honteux du plan de collecte des céréales, obliger les organisations locales du Parti à casser le sabotage organisé par les éléments « koulaks » contre-révolutionnaires, anéantir la résistance des communistes ruraux et des présidents de kolkhoze qui ont pris la tête de ce sabotage »

À la fin 1933, au terme de la famine, l’Ukraine apparaît comme une des régions les plus touchées par le désastre. Le taux de mortalité annuel pour mille habitants dans les campagnes passe de 100 en 1926 à 188,6 en 1933 dans l’ensemble de l’URSS, mais atteint 367,7 en Ukraine cette même année. En 2000, les statistiques portent encore la trace de cette catastrophe démographique73. Nicolas Werth distingue la « zone de la faim » du reste de l’URSS où, pourtant, écrit-il, les pertes démographiques ne furent pas négligeables : par exemple, la région de Moscou où la mortalité augmente de 50 % entre janvier et juin 1933. L’Ukraine fait partie de la « zone de la faim », mais proportionnellement d’autres régions ont été tout autant touchées : les contrées cosaques du Kouban et du Don, peuplées majoritairement d’Ukrainiens, ainsi que la région de Stavropol, la basse et la moyenne Volga. La population kazakhe a proportionnellement encore plus souffert de la famine, puisque le taux de mortalité a atteint de 33 à 38 % de la population. Bien que la famine ait laissé des stigmates profonds dans la démographie de l’Ukraine, la sortie de crise est extrêmement rapide après 1933. En Ukraine, l’espérance de vie fut même plus élevée après qu’avant la crise, alors qu’elle ne remonte que progressivement dans le reste de l’URSS.

Le bilan exact de la famine ukrainienne divise les chercheurs et a fait l’objet d’estimations très variables. Plusieurs difficultés expliquent ces divergences. La première vient du traitement des sources statistiques soviétiques des années 1930, souvent falsifiées et entachées d’erreurs méthodologiques. Le recensement de janvier 1937, qui donnait une estimation de la population soviétique inférieure de six millions à celle officiellement avancée par les autorités, a notamment fait l’objet d’une censure de la part du pouvoir avant d’être remplacé par un nouveau recensement artificiellement réévalué en 1939. Une autre source statistique disponible est constituée par les archives des administrations locales chargées de l’enregistrement des décès. Ainsi, les données des archives de la fédération de Russie donnent les chiffres suivants de mortalité en Ukraine (sans inclure la population d’origine ukrainienne hors Ukraine et en incluant la population non-ukrainienne de l’Ukraine) : 668 000 personnes pour 1932 et 2,1 millions pour 1933, au total : environ 2,8 millions de morts, incluant la mort naturelle mais n’incluant pas la mort des nourrissons de moins d’un an. Il est néanmoins reconnu que ces chiffres sont largement sous-évalués en raison des graves difficultés auxquelles étaient confrontés les fonctionnaires chargés du dénombrement en période de famine. À ce problème de traitement des archives s’ajoute la nécessité de distinguer le bilan de la famine en tant que telle de l’ensemble des pertes démographiques qu’ont connues l’Ukraine et le reste de l’Union soviétique entre la fin des années 1920 et le début de la Seconde Guerre mondiale, notamment d’autres désastres comme la dékoulakisation et les Grandes Purges des années 1930. Enfin, l’ensemble de l’URSS a connu de profonds bouleversements au cours d’une période qui fut marquée par un mouvement sans précédent d’industrialisation et d’urbanisationf. Tandis que 18 millions de personnes ont été envoyées au Goulag sous la dictature de Staline, des peuples entiers ont été déportés (Allemands de la Volga, Tchétchènes, Tatars de Crimée…) et plusieurs républiques — dont l’Ukraine — ont fait l’objet d’une politique délibérée de russification. Ces évènements ont rendu particulièrement complexe l’analyse des données démographiques de la période.

Dans The Harvest of Sorrow, paru en 1986, l’historien britannique et membre du Parti communiste de Grande-Bretagne, Robert Conquest évalue à cinq millions le nombre de victimes ukrainiennes de la famine, pour un total de sept millions de morts dans l’ensemble de l’URSS, estimation que l’auteur juge « modérée ». Robert Conquest fonde notamment son bilan sur l’écart constaté entre les projections démographiques des statisticiens soviétiques dans les années 1920 et les recensements des années 1930, en essayant de prendre en compte l’impact de la dékoulakisation et les mouvements de populations entre l’Ukraine et le reste de l’Union soviétique, tout en soulignant la difficulté de l’exercice d’évaluation. Il note que les estimations officieuses des responsables soviétiques variaient elles-mêmes entre 4,5 et 10 millions de morts et estime que le nombre de victimes ukrainiennes représente 19 % de la population d’Ukraine et 80 % de l’ensemble des personnes tuées par la famine entre 1931 et 1933.

Plusieurs auteurs ont avancé des bilans plus lourds que celui retenu par Robert Conquest. L’historien américain James Mace a estimé à 7,5 millions le nombre de morts ukrainiens dus à la famine. En se contentant de reprendre les écarts entre les projections démographiques des années 1920 et les chiffres du recensement de 1937, certains auteurs ukrainiens ont avancé des chiffres, fantaisistes selon le militant trotskyste Jean-Jacques Marie, atteignant jusqu’à 15 millions de victimes. L’Ukraine a officiellement retenu une fourchette de sept à dix millions de morts, estimation reprise telle quelle par l’ONU. Le Conseil de sécurité d’Ukraine estime pour sa part que le Holodomor a fait 3,941 millions de morts.

À l’inverse, depuis les années 1990 et l’ouverture des archives soviétiques, d’autres estimations tendent à revoir à la baisse le nombre de victimes. Dans un ouvrage paru en 2004, Stephen Wheatcroft et Robert W. Davies ont critiqué la méthodologie de Robert Conquest pour aboutir à un bilan nettement moins lourd de la famine, estimé à 4,5 millions sur l’ensemble du territoire soviétique, dont 3-3,5 millions de morts en Ukraine. L’historien ukrainien Stalislav Kulchytsky, travaillant à partir des archives soviétiques récemment ouvertes, avance prudemment le chiffre de 3,3 millions de victimes dans la RSS d’Ukraine, pour une fourchette plus sûre de 3-3,5 millions de morts83. En évaluant le nombre de victimes de la famine en Ukraine entre 3,5 et 3,8 millions, auxquelles elle ajoute les morts de la région du Kouban, les paysans ayant fui l’Ukraine et les millions d’Ukrainiens « russifiés » après décembre 1932, l’historien italien Andrea Graziosi estime que la « population ethnique ukrainienne » a diminué de 20 à 25 %. Un collectif de démographes français et ukrainiens a récemment donné, sur la base de méthodes statistiques complexes, un bilan de 2,6 millions de morts en Ukraine lors de la famine. Selon John-Paul Himka, professeur d’histoire à l’université de Toronto, l’ensemble des études démographiques menées à la suite de l’ouverture des archives soviétiques donnent un bilan amoindri de la famine, situé dans une fourchette comprise entre 2,5 et 3,5 millions de morts.

Enfin, de nombreuses estimations intermédiaires ont été retenues, souvent comprises entre quatre et six millions de morts. Aussi, il faut considérer que de nombreuses victimes survivantes de la famine, dont l’organisme, et le métabolisme, étaient considérablement affaiblis, moururent avant 1938, ce qui rapprocherait le nombre de victimes à 7 millions de morts au moins, un chiffre qui serait tout à fait cohérent, et vraisemblable pour le Holodomor. Pour les survivants, divers problèmes de santé publique vont perdurer : ainsi, par exemple, de nombreuses jeunes Ukrainiennes, en âges de procréer vont être stériles, aux suites de privations, de fortes maigreurs. Pour l’ensemble de la population, des problèmes psychologiques et psychiatriques vont être observés, accentués par les conséquences de l’invasion et occupation allemande, entre 1941 et 1944.

Source : Wikipédia.

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