Simone Adolphine Weil, philosophe humaniste et écrivain.

Simone Adolphine Weil est une philosophe humaniste et écrivain, née à Paris le 3 février 1909 et morte à Ashford (Angleterre) le 24 août 1943.

Sans élaborer de système nouveau, elle souhaite faire de la philosophie une manière de vivre, non pour acquérir des connaissances, mais pour être dans la vérité. Dès 1931, elle enseigne la philosophie et s’intéresse aux courants marxistes antistaliniens. Elle est l’une des rares philosophes à avoir partagé la « condition ouvrière ». Successivement militante syndicale, proche ou sympathisante des groupes révolutionnaires trotskystes et anarchistes et des formations d’extrême-gauche, mais sans toutefois adhérer à aucun parti politique, écrivant notamment dans les revues La Révolution prolétarienne et La Critique sociale, puis engagée dans la Résistance au sein des milieux gaullistes de Londres, Simone Weil prend ouvertement position à plusieurs reprises dans ses écrits contre le nazisme, et n’a cessé de vivre dans une quête de la justice et de la charité. S’intéressant à la question du sens du travail et de la dignité des travailleurs, elle postule un régime politique proche du socialisme démocratique, où le débat et la décision démocratiques des travailleurs quant à l’objet et la fin de leur travail est centrale.

Née dans une famille alsacienne d’origine juive et agnostique, elle se convertit à partir de 1936 et sur la base d’un choix purement individuel à ce qu’elle nomme l’« amour du Christ », et ne cesse d’approfondir sa quête de la spiritualité chrétienne. Bien qu’elle n’ait jamais adhéré par le baptême au catholicisme, elle se considérait et est reconnue comme une mystique chrétienne. Elle propose une lecture nouvelle de la pensée grecque ; elle commente la philosophie de Platon, en qui elle voit le père de la mystique occidentale ; elle traduit et interprète aussi les grands textes littéraires, philosophiques et religieux grecs, dans lesquels elle découvre des intuitions préchrétiennes, qu’elle met en parallèle avec les écritures sacrées hindoues et avec le catharisme. Ses écrits, où la raison se mêle aux intuitions religieuses et aux éléments scientifiques et politiques, malgré leur caractère apparemment disparate, forment un tout dont le fil directeur est à chercher dans son amour impérieux de la vérité, qu’elle a définie comme le besoin de l’âme humaine le plus sacré. À bout de forces, elle meurt d’épuisement moral et physique et de tuberculose dans un sanatorium anglais le 24 août 1943.


Simone Weil, carte maximum, Paris 10/11/1978.

Au cours de l’hiver 1932-1933, au Puy-en-Velay, elle est solidaire des syndicats ouvriers, elle se joint au mouvement de grève contre le chômage et les baisses de salaire, ce qui provoque un scandale. Décidée à vivre avec cinq francs par jour, comme les chômeurs du Puy, elle sacrifie tout le reste de ses émoluments de professeur à la Caisse de Solidarité des mineurs. Syndicaliste de l’enseignement, elle milite dans l’opposition interne à la CGTU, et elle est favorable à l’unification syndicale avec la CGT. Elle écrit dans les revues syndicalistes révolutionnaires L’École émancipée et La Révolution prolétarienne de Pierre Monatte, notamment sous le pseudonyme « S. Galois ». Suivant avec beaucoup d’attention l’évolution de l’expérience communiste en Union soviétique, elle participe à partir de 1932, au Cercle communiste démocratique de Boris Souvarine, qu’elle a connu par l’intermédiaire de l’anarcho-syndicaliste Nicolas Lazarévitch. Elle écrit dans la revue marxiste La Critique sociale, dirigée par Souvarine, en 1933 et 1934. Hostile au régime instauré par Staline, elle a le courage de critiquer le communisme et même de tenir tête à Trotski.

Elle passe quelques semaines en Allemagne, au cours de l’été 1932, dans le but de comprendre les raisons de la montée en puissance du nazisme. À son retour, elle commente la montée au pouvoir de Hitler dans plusieurs articles, entre autres dans La Révolution prolétarienne. Ayant obtenu un congé d’une année pour études personnelles, elle abandonne provisoirement sa carrière de professeur, à partir de septembre 1934 ; elle décide de prendre, dans toute sa dureté, la condition d’ouvrière, non pas à titre de simple expérience, mais comme incarnation totale, afin d’avoir une conscience parfaite du malheur ; elle veut penser le rapport entre la technique moderne, la production de masse et la liberté : dès le 4 décembre, elle est ouvrière sur presse chez Alsthom dans le 15e arrondissement de Paris, devenue depuis Alstom, puis elle travaille à la chaîne aux Forges de Basse-Indre, à Boulogne-Billancourt, et enfin, jusqu’au mois d’août 1935, comme fraiseuse chez Renault. Elle connaît la faim, la fatigue, les rebuffades, l’oppression du travail à la chaîne sur un rythme forcené, l’angoisse du chômage et le licenciemen. Elle note ses impressions dans son Journal d’usine.

L’épreuve surpasse ses forces. Sa mauvaise santé l’empêche de poursuivre le travail en usine. Simone Weil souffre en particulier de maux de tête qui dureront toute sa vie. Elle reprend son métier de professeur de philosophie au lycée de Bourges, à l’automne 1935, et donne une grande partie de ses revenus à des personnes dans le besoin. Elle prend part aux grèves de 1936 et milite avec passion pour un pacifisme intransigeant entre États. En août 1936, malgré son pacifisme, elle décide de prendre part à la guerre d’Espagne, expliquant à Georges Bernanos : Je n’aime pas la guerre ; mais ce qui m’a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c’est la situation de ceux qui se trouvent à l’arrière et bavardent de ce qu’ils ignorent. Elle prend le train pour Barcelone et arrive à Portbou le 8 août 1936. Son Journal d’Espagne montre qu’elle est surtout désireuse d’aller au plus près du peuple, des paysans espagnols, sans porter les armes ; elle s’engage dans la colonne Durruti au début de la guerre civile espagnole aux côtés des anarchistes et des révolutionnaires, tels Boris Souvarine, Diego Abad de Santillan, Juan Garcia Oliver et Buenaventura Durruti. Bien qu’intégrée dans une colonne de la CNT anarcho-syndicaliste, elle s’élève contre l’exécution d’un jeune garçon de quinze ans qui affirme avoir été enrôlé de force comme phalangiste, et stigmatise la vengeance aveugle et les exécutions arbitraires, ce qu’elle appellera plus tard « la barbarie ». Dans une lettre adressée à Georges Bernanos, elle rappelle comment elle faillit assister à l’exécution d’un prêtre franquiste, et rapporte l’attitude de cynisme tranquille à l’égard du meurtre qu’elle découvre dans les rangs des républicains : Je n’ai jamais vu personne même dans l’intimité exprimer de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l’égard du sang inutilement versé. […] J’ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n’auraient pas eu l’idée d’aller eux-mêmes tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. La même année, elle est gravement brûlée après avoir posé le pied dans une marmite d’huile bouillante posée à ras du sol, elle doit repartir le 25 septembre pour la France. En à peine un mois et demi, elle a jeté un regard critique sur la révolution et sur son propre militantisme, et elle a compris l’impossibilité du rêve anarchiste, dans les conflits au sein du Front populaire espagnol, les oppositions entre les différentes gauches et la guerre civile. Volontairement, elle ne reviendra plus en Espagne. En 1937, elle collabore aux Nouveaux cahiers, revue économique et politique défendant une collaboration économique franco-allemande.

Simone Weil, essais de couleurs.

Après l’expérience de la condition ouvrière, puis la guerre d’Espagne, Simone Weil avoue : Le malheur des autres est entré dans ma chair et dans mon âme ; ces épreuves l’amènent à rompre avec l’humanisme de la volonté cher à Alain. Car l’homme, irrémédiablement séparé du bien qu’il désire, est faible face au mal et impuissant à se sauver seul : La faute de Chartier est d’avoir refusé la douleur, dira Simone Weil en 1941.

Dans l’expérience directe de la barbarie en Espagne, Simone Weil a su discerner le phénomène, à l’œuvre dans le totalitarisme moderne, d’identification du bien et de la puissance ; cette identification perverse interdit toute réflexion personnelle par le jeu des passions collectives et l’opinion dominante du plus grand nombre ; pire encore : entraîné par la force collective du groupe, l’individu cède à l’adoration de cette puissance. En abandonnant le rationalisme d’Alain et une philosophie centrée sur l’homme, la pensée de Simone Weil va donc franchir un seuil important, grâce à la révélation que seul l’amour surnaturel est capable de répondre au malheur.

Née dans une famille agnostique, Simone Weil se rapproche du christianisme, à l’occasion de trois contacts avec la foi catholique qu’elle a elle-même jugés décisifs dans son évolution : le premier eut lieu en septembre 1935, dans le petit port de Póvoa de Varzim au Portugal, où entendant chanter des cantiques d’une tristesse déchirante, elle a soudain la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves, et qu’elle ne peut pas ne pas y adhérer. La deuxième expérience est celle vécue en 1937, alors qu’elle passe deux jours à Assise dont elle parle en ces termes : Là, étant seule dans la petite chapelle romane de Sainte-Marie-des-Anges, incomparable merveille de pureté, où saint François a prié bien souvent, quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux. Enfin, en 1938, elle assiste à la Semaine sainte à Solesmes en suivant tous les offices, centrés sur la Passion du Christ. Elle éprouve en même temps une joie pure et parfaite dans la beauté inouïe du chant et des paroles : elle découvre ainsi, par analogie, la possibilité d’aimer l’amour divin à travers le malheur ; quelques mois plus tard, elle connaît l’expérience mystique qui va changer sa vie. Elle éprouve la présence du Christ, notamment à la lecture du poème Amour de George Herbert, affirmant : Le Christ lui-même est descendu et m’a prise. Elle entre en contact avec des prêtres et des religieux, afin de leur poser des questions sur la foi de l’Église catholique. Le père Joseph-Marie Perrin, religieux dominicain, l’accompagne et a un rôle important lorsqu’elle est à Marseille, entre 1940 et 1942. Elle lit la Bhagavad-Gita, s’intéresse aussi aux autres religions, hindouisme, bouddhisme et aux religions anciennes d’Égypte et de la Grèce antique. Mais elle sera toujours opposée au syncrétisme et elle s’est clairement défendue d’être panthéiste39. Elle reste néanmoins très discrète sur son évolution, et ce n’est qu’après sa mort que ses amis découvrent sa vie spirituelle.

Elle est sans illusion sur ce qui les menace, elle et sa famille, dès le début de la guerre. Au printemps 1940, croyant qu’on se battrait dans la capitale, elle propose aux autorités militaires la formation d’un corps mobile d’infirmières de première ligne, destiné à sauver des soldats : son « Projet d’une formation d’infirmières de première ligne » fait l’objet d’un rapport favorable du Ministère de la Guerre en mai 1940. Mais la rapidité de l’avancée allemande empêche de réaliser ce projet. Lorsque Paris est déclarée « ville ouverte », le 13 juin 1940, elle se réfugie, avec sa famille, à Marseille où elle participe à des actions de résistance. C’est à cette époque qu’elle commence la rédaction de ses Cahiers. Chrétienne selon l’Évangile, elle réfléchit aux dogmes du catholicisme, cherchant des réponses à la fois dans les livres sacrés des Égyptiens, des Hébreux, des Hindous, mais aussi chez saint Jean de la Croix et Thomas d’Aquin. De peur de se tromper sur des questions comme l’Incarnation ou l’Eucharistie, elle va trouver le père Perrin. En juin 1941, le père Perrin écrit à Gustave Thibon pour lui demander d’accueillir Simone Weil dans sa ferme en Ardèche : « Elle est exclue de l’université par les nouvelles lois et désirerait travailler quelque temps à la campagne comme fille de ferme ». Après un premier mouvement de refus, Gustave Thibon accepte finalement ; elle est embauchée comme ouvrière agricole et mène une vie volontairement privée de tout confort durant plusieurs semaines, jeûnant et renonçant à la moitié de ses tickets d’alimentation au profit des résistants. Durant ce séjour à la ferme et jusqu’en 1942, elle fait une lecture intégrale du Nouveau Testament, s’attachant tout particulièrement à l’Hymne sur l’Abaissement du Christ dans l’Epître aux Philippiens42 de Paul de Tarse ; la découverte de la prière du Notre Père l’amène à en rédiger un commentaire spirituel et métaphysique, où s’exprime aussi sa conception des relations de l’homme au temps. De retour à Marseille, à l’automne, elle reprend ses discussions avec le père Perrin, avec le projet de réunir les plus beaux textes de tout ce qui a été écrit sur Dieu et sur son amour, sa bonté et les moyens d’aller à lui. Elle traduit alors de nombreux textes en grec ancien (Platon, Anaximandre, Eschyle, Sophocle, mais aussi saint Jean) et en sanskrit, qu’elle lit et commente dans des réunions amicales organisées dans la crypte du monastère dominicain. Les études qu’elle rédige ainsi sur la Grèce, sur la philosophie grecque, en particulier sur Platon, sont rassemblées après la guerre dans deux volumes : La Source grecque et Intuitions pré-chrétiennes. Elle entre en contact avec Les Cahiers du Sud, la revue littéraire la plus importante de la France libre, et y collabore sous le pseudonyme d’Émile Novis, anagramme de son nom. Le 18 octobre 1941, elle écrit une lettre de remerciements ironique à Xavier Vallat, où elle dénonce le statut injuste et absurde récemment imposé aux Juifs par le régime de Vichy. Elle participe à la Résistance en distribuant les Cahiers du Témoignage chrétien, réseau de résistance organisé par les jésuites de Lyon.

Le 16 mai 1942, elle s’embarque avec ses parents pour les États-Unis mais, refusant de rester à New York, ville qu’elle ressent comme trop confortable en ces temps de guerre, elle fait tout pour se rendre en Grande-Bretagne où elle arrive fin novembre 1942. Elle y travaille comme rédactrice dans les services de la France libre, où elle est chargée de rendre un rapport sur la situation morale de la France. Elle rédige plusieurs études sur la nécessaire réorganisation de la France une fois la guerre terminée, en particulier Note sur la suppression générale des partis politiques, Idées essentielles pour une nouvelle Constitution, sa très importante Étude pour une déclaration des obligations envers l’être humain, et son œuvre fondamentale, l’Enracinement ; mais ce qu’elle souhaite par-dessus tout, c’est obtenir une mission pénible et dangereuse. Son projet de formation d’un corps d’infirmières de première ligne est pour elle une manière de vivre le rapport à la violence de l’Histoire sans y consentir, mais ce projet est jugé irréalisable. Soucieuse de partager les conditions de vie de la France occupée, son intransigeance dérange. Elle démissionne de l’organisation du général de Gaulle en juillet 1943, trois mois après son admission à l’hôpital. Elle souhaitait rejoindre les réseaux de résistance sur le territoire français et est déçue par le refus de l’entourage de de Gaulle (Maurice Schumann, Jean Cavaillès, André Philip) de la laisser rejoindre ces réseaux de la résistance intérieure. Elle y risquait en effet d’être rapidement capturée par la police française, identifiée comme juive puis déportée. Sa santé est de plus en plus défaillante, elle est déclarée tuberculeuse et admise au Middlesex Hospital de Londres le 15 avril, puis transférée le 17 août 1943 à Grosvenor Sanatorium, à Ashford dans le Kent. C’est là qu’elle meurt, le 24 août 1943, à l’âge de 34 ans d’une crise cardiaque. Elle est enterrée au cimetière catholique d’Ashford.

Les causes de la mort de Simone Weil ont soulevé des débats. Le médecin légiste a constaté que le corps de Simone Weil avait été privé de nourriture, ce qui aurait accéléré sa mort. De ce constat du légiste qui l’a examinée s’est ensuivie une série de spéculations concernant les causes psychologiques ayant pu entraîner un jeûne. Une hypothèse communément répandue à ce sujet est que Simone Weil souhaitait faire preuve de solidarité envers ses concitoyens en refusant de se nourrir plus que les tickets de rationnement ne le permettaient alors. Mais cette charité compatissante n’a pas entraîné chez elle le désir de mourir : Simone Weil a résolument condamné le suicide par désespoir, sans jamais varier sur ce point, comme on le voit dans ses écrits : Ne jamais désirer sa propre mort. Le suicide n’est permis que quand il est seulement apparent, quand il y a contrainte et qu’on a pleinement conscience de cette contrainte. Selon sa principale biographe, Simone Pétrement, des lettres du personnel du sanatorium dans lequel elle se trouvait lors de sa mort prouvent au contraire qu’elle a essayé à diverses reprises de manger durant son hospitalisation ; selon elle, le jeûne aurait en fait simplement été une conséquence de la détérioration de son état de santé.

L’œuvre écrite de Simone Weil a été publiée après sa mort, à l’exception de plusieurs articles, études et rapports publiés dans des revues entre 1933 et 1942.

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Sources : Wikipédia, YouTube.