Raymond Aron, philosophe, sociologue, politologue, historien et journaliste.

Raymond Claude Ferdinand Aron est issu d’une famille juive et d’un milieu aisé des deux côtés. Ses parents sont Gustave Émile Aron (1870-1935) et Suzanne Levy (1877-1940). Son grand-père maternel, Léon Levy, possédait une usine de textile dans le nord de la France. Sa famille paternelle venait de Lorraine où elle était établie depuis la fin du XVIIIe siècle. Son grand-père paternel, Isidore (dit Ferdinand) Aron, était grossiste en textile à Rambervillers puis Nancy (Lorraine). Un de ses grands-oncles paternels, Paul Aron, était le père de Max Aron, biologiste à Strasbourg. Ferdinand, le grand-père paternel de Raymond, prédit à celui-ci à sa naissance une grande carrière. Gustave Aron refusa de prendre la suite de l’affaire familiale et fit de brillantes études de droit ; il publia des travaux juridiques, mais n’étant reçu que deuxième à l’agrégation de droit alors qu’un seul poste était attribué, il abandonna la perspective d’enseigner à l’université et devint professeur de droit à l’École normale supérieure de l’enseignement technique. Il arrêta de travailler au début du xxe siècle, vivant dès lors de l’héritage familial, faisant construire une maison à Versailles en 1913-1915 avec un court de tennis. La famille Aron retourna ensuite à Paris. Après la guerre, Gustave Aron investit en bourse, mais sa fortune fut perdue du fait de la crise économique de 1929 et il fut obligé de reprendre un emploi. Il mourut en 1934 d’une crise cardiaque. La mère de Raymond quant à elle mourut en juin 1940 à Vannes.

Cette fortune familiale disparue avait permis aux trois enfants Aron de mener une vie aisée et de faire de bonnes études. Le frère aîné de Raymond, Adrien Aron (1902-1969), a étudié au lycée Hoche, poursuivant par une classe de mathématiques supérieures et une licence en droit, mais il était plus attiré par une vie facile et devint un grand joueur de tennis et de bridge, menant une vie de « flambeur », à l’opposé de Raymond et au grand dam de leur père. Avant la naissance d’Adrien, la mère avait accouché d’un enfant mort-né. Après Raymond vint un troisième garçon, Robert Aron, qui obtint une licence en droit et en philosophie, publia une étude sur Descartes et Pascal puis, après son service militaire, entra dans l’administration de la Banque de Paris et des Pays-Bas (devenue BNP-Paribas), selon certains grâce à Raymond qui jouait régulièrement au tennis avec son directeur.

Raymond Aron épouse en 1933 Suzanne Gauchon (1907-1997), d’ascendances dauphinoise et lyonnaise. Ils auront trois filles : Dominique Schnapper, sociologue et membre du Conseil constitutionnel de 2001 à 2010, Emmanuelle et Laurence.

Il étudie au lycée Hoche à Versailles où il obtient son baccalauréat en 1922. Il est élève en khâgne au lycée Condorcet (Paris) d’octobre 1922 à 1924, date à laquelle il est reçu à l’École normale supérieure, rue d’Ulm. Ses camarades sont alors Paul Nizan, Georges Canguilhem et Jean-Paul Sartre. Paul Nizan est plus qu’un camarade pour lui, c’est un véritable ami, au moins pendant ses années à l’École normale supérieure. Il admire aussi bien Paul Nizan que Jean-Paul Sartre pour leur intelligence ; il juge le premier meilleur écrivain (il admire Aden Arabie, mais aime moins Les Chiens de garde), le second meilleur philosophe. Il est alors influencé par les idées pacifistes du philosophe Alain, influence dont il se détachera à partir des années 1930. Engagé politiquement, il milite quelque temps à la SFIO. En 1927, il signe avec ses condisciples la pétition — parue le 15 avril dans la revue Europe — contre la loi sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre, qui abroge toute indépendance intellectuelle et toute liberté d’opinion. Son nom côtoie ceux d’Alain, Lucien Descaves, Louis Guilloux, Henry Poulaille, Jules Romains, Séverine…

En 1928, il est reçu 1er à l’agrégation de philosophie, alors que Sartre est recalé à l’écrit, avant d’être à son tour reçu 1er l’année suivante, et avec un total de points supérieur à Aron l’année précédente. Emmanuel Mounier est second. Il effectue son service militaire à l’Office national de la météorologie au Fort de Saint-Cyr. Aron se rend à partir de 1930 en Allemagne où il étudie un an à l’université de Cologne, puis de 1931 à 1933 à Berlin, où il est pensionnaire de l’Institut français créé en 1930 et fréquente l’université de Berlin. Il observe alors la montée du totalitarisme nazi, phénomène qu’il relate dans ses Mémoires.

Il revient en France en 1933, tandis que Sartre est à son tour pensionnaire à l’Institut français de Berlin. Il enseigne un an la philosophie au lycée du Havre (le lycée François-Ier, où Sartre lui succèdera également) puis vit à Paris jusqu’en 1940. Il est alors secrétaire du Centre de documentation sociale de l’École normale supérieure et professeur à l’École normale supérieure d’enseignement primaire à Paris.

En 1935, il publie La sociologie allemande contemporaine où il introduit l’idée — nouvelle — de la relativité et d’indéterminisme en sociologie20.

En 1938, il obtient son doctorat ès-lettres avec une thèse intitulée Introduction à la philosophie de l’histoire ainsi qu’un essai sur la théorie de l’histoire dans l’Allemagne contemporaine. En 1939, il est maître de conférences en philosophie sociale à la faculté des lettres de Toulouse, avant d’être mobilisé dans l’armée française.

Le 24 juin 1940, il embarque sur un navire britannique transportant une division polonaise, le HMS Ettrick, à Saint-Jean-de-Luz et il rejoint Londres où il reste jusqu’en 1945. Engagé dans les Forces françaises libres, il devient rédacteur de La France Libre, une revue créée par André Labarthe, indépendante de la France libre et souvent critique vis-à-vis du général de Gaulle. Il fait ainsi sa première expérience de l’écriture journalistique qu’il n’abandonnera plus jusqu’à sa mort. Il côtoie Stéphane Hessel et Daniel Cordier durant leur entrainement militaire.

Raymond Aron, carte maximum, Paris, 7/10/2005.

En 1944 le doyen de l’université de Bordeaux lui propose la chaire de sociologie, mais il refuse car il veut s’orienter vers le journalisme (il regrettera ce choix plus tard).

Une fois la guerre achevée, il s’installe à Paris et devient professeur à l’École nationale d’administration de Paris entre 1945 et 1947. Puis, de 1948 à 1954, il est professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il est chargé d’enseignement dès 1955 puis, à partir de 1958, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Paris ; directeur d’études à l’École pratique des hautes études de 1960 à 1983 ; professeur au Collège de France titulaire de la chaire « Sociologie de la civilisation moderne » de 1970 à 1978.

Il crée en 1960 le Centre de sociologie européenne avec pour assistant Pierre Bourdieu, qui en est alors le secrétaire et en prendra la direction en 1968.

En 1978, il fonde avec notamment Alain Ravennes le CIEL (Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés) et avec l’aide de Jean-Claude Casanova, il crée la revue Commentaire. Un Centre d’études de philosophie politique porte le nom de Centre Raymond-Aron à l’École des hautes études en sciences sociales, boulevard Raspail à Paris (EHESS).

Il est élu en 1963 à l’Académie des sciences morales et politiques, au fauteuil de Gaston Bachelard. Il fait graver sur son épée une citation d’Hérodote : « nul homme n’est assez dénué de raison pour préférer la guerre à la paix ».

À la suite de son expérience de rédaction dans la revue La France libre et Combat, il se lance après guerre dans le journalisme, qu’il ne quittera plus jusqu’en 1983. Cette même année 1945, il fonde avec Sartre la revue Les Temps modernes. De 1946 à 1947, il collabore à Combat, avec Albert Camus.

En 1947, en désaccord avec Sartre, Raymond Aron quitte la rédaction des Temps modernes et rejoint Le Figaro comme éditorialiste, poste qu’il occupe jusqu’en 1977. De 1965 à 1966, il est président de la société des rédacteurs. De 1975 à 1976, il est membre du directoire de la société. De 1976 à 1977, il est directeur politique du journal.

Il quitte le journal en 1977 et rejoint le journal L’Express comme président du comité directeur, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1983. Parallèlement, il est chroniqueur à la radio Europe 1 de 1968 à 1972.

Le 17 octobre 1983, il meurt d’une crise cardiaque en quittant le palais de justice de Paris après avoir témoigné en faveur de Bertrand de Jouvenel lors du procès qui oppose ce dernier à Zeev Sternhell.

Élève à l’École normale supérieure, Raymond Aron s’inscrit à la SFIO30. Séjournant à Berlin, Aron assiste aux autodafés organisés par le régime nazi en mai 1933. Cette catastrophe politique lui inspire une profonde aversion pour les régimes totalitaires, qu’il ne cessera de dénoncer dans ses écrits. Ses convictions de gauche, pacifistes et socialistes, évoluent. En 1938, il participe au colloque Walter Lippmann, qui réunit des intellectuels et économistes libéraux venus débattre à Paris de l’avenir de la démocratie face au totalitarisme.

Mobilisé en septembre 1939 dans un poste météorologique des Ardennes, il rejoint Bordeaux pendant la débâcle. Séparé de son détachement début juin pour aller voir sa mère mourante à Vannes, il le retrouve brièvement à Toulouse où il décide de gagner l’Angleterre pour s’engager auprès du général de Gaulle. Il part à Bayonne et embarque à Saint-Jean-de-Luz pour l’Angleterre, le 23 juin 1940. Sur le bateau, L’Ettrick, un transatlantique britannique transportant une division polonaise, il fait la rencontre de René Cassin. À Londres, il s’engage dans les Forces françaises libres et retrouve Robert Marjolin, qui travaille pour Jean Monnet. Il adopte une opinion paradoxale à propos de Pétain : bien que le choix de celui-ci mise de fait sur la victoire de l’Allemagne nazie, il indique également que la décision a le mérite d’avoir épargné le sang et les camps de travail à des millions de Français ; de plus il n’accorde pas un soutien sans faille à de Gaulle, dont il redoute le césarisme. Au Reform Club, il fait la connaissance de Lionel Robbins et de Friedrich Hayek. Envoyé à Aldershot, il est brièvement engagé dans la 1re compagnie des chars de combat, au sein des Forces françaises libres, où il est affecté aux écritures. Le 22 juillet, il rencontre à Carlton Gardens André Labarthe, qui le convainc d’abandonner son unité, en août, quelques jours avant l’embarquement pour l’opération Menace, pour devenir rédacteur en chef de la revue La France Libre (Londres), qu’il est en train de créer. Il écrit sous le nom de René Avord. Son premier article s’intitule « Le machiavélisme, doctrine des tyrannies modernes ». En 1943, l’article « L’ombre des Bonaparte », paru dans La France libre, est considéré comme une attaque contre le chef de la France combattante, qui ne se voit pas sans agacement comparé à Badinguet.

Dans ses Mémoires, il écrit : « Dans mon milieu, imprégné de hégélianisme et de marxisme, l’adhésion au communisme ne faisait pas scandale, l’adhésion au fascisme ou au PPF était simplement inconcevable. De tous, dans ce groupe, j’étais le plus résolu dans l’anticommunisme, dans le libéralisme, mais ce n’est qu’après 1945 que je me libérai une fois pour toutes des préjugés de la gauche. » Il conçoit néanmoins pour le philosophe Karl Marx une admiration qui n’a d’égale que son mépris pour le courant « marxiste-léniniste ».

Le paradoxe est bien le maître-mot de cet intellectuel controversé, qui développe un sens critique toujours en éveil face au politique. À la Libération, il accepte un poste de conseiller au ministère de l’Information, dirigé par André Malraux. Il s’engage au sein du RPF dès 1947 et anime la revue intellectuelle du Rassemblement, La Liberté de l’esprit.

Dénonçant dans les années 1950-1960 le « conformisme marxisant » de l’intelligentsia française, il devient l’intellectuel de droite de l’époque, face à Sartre qui symbolise l’intellectuel de gauche. Ils se rejoindront bien plus tard, en 1979, pour déplorer le sort réservé aux boat-people fuyant le régime communiste vietnamien sur la mer de Chine, dans des embarcations de fortune.

Dans L’Opium des intellectuels paru en 1955, il traite des « mythes » que constituent à ses yeux la révolution ou le prolétariat, écrivant notamment : « La fin sublime excuse les moyens horribles. Moraliste contre le présent, le révolutionnaire est cynique dans l’action, il s’indigne contre les brutalités policières, les cadences inhumaines de la production, la sévérité des tribunaux bourgeois, l’exécution de prévenus dont la culpabilité n’est pas démontrée au point d’éliminer tous les doutes. Rien, en dehors d’une « humanisation » totale, n’apaisera sa faim de justice. Mais qu’il se décide à adhérer à un parti aussi intransigeant que lui contre le désordre établi, et le voici qui pardonnera, au nom de la Révolution, tout ce qu’il dénonçait infatigablement. Le mythe révolutionnaire jette un pont entre l’intransigeance morale et le terrorisme. […] Rien n’est plus banal que ce double-jeu de la rigueur et de l’indulgence. »

Esprit indépendant, il n’hésite pas à prendre le contre-pied d’une partie de la droite : ainsi, il préconise de renoncer à une Algérie française dès avril 1957 (La Tragédie algérienne) et se rallie à l’indépendance de l’Algérie avant 1962 ; il s’oppose à la politique anti-atlantiste du général de Gaulle après 1966. Il soutient Georges Pompidou, puis Valéry Giscard d’Estaing, et combat François Mitterrand après 1981. Avant son élection, il estime que le candidat socialiste créerait « une situation redoutable pour le pays et pour la garantie de nos libertés. »

Peu avant sa mort, en octobre 1983, il estime que la percée électorale du Front national est « moins grave que d’accepter quatre communistes au conseil des ministres. »

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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