Primo Levi, écrivain et chimiste.

Primo Levi, né le 31 juillet 1919 à Turin et mort le 11 avril 1987 dans la même ville, est un écrivain et docteur en chimie italien rendu célèbre par son  livre Si c’est un homme, dans lequel il relate son emprisonnement au cours de l’année 1944 dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Monowitz.

Juif italien de naissance, chimiste de profession et de vocation, il entre dans une carrière d’écrivain orientée par l’analyse scientifique de cette  expérience de survivant de la Shoah, dans le but de montrer, retranscrire, transmettre, expliciter. Il est l’auteur d’histoires courtes, de poèmes et de romans.


  En septembre 1930, Primo Levi entre avec un an d’avance au gymnase Royal Massimo d’Azeglio, où est alors dispensé l’ensemble de l’enseignement secondaire. Étant le plus jeune, le plus petit et le plus intelligent de sa classe, en plus d’être le seul Juif, il est l’objet privilégié des brimades de ses camarades. Moins par conviction que par respect des traditions, il suit une formation de deux ans au Talmud Torah de Turin afin de pouvoir chanter à la synagogue lors de sa Bar Mitzvah, laquelle a lieu en août 1932.

En 1933, il est inscrit, comme cela est alors devenu quasiment obligatoire pour les jeunes Italiens, dans le mouvement des Avanguardisti des jeunesses fascistes. Il parvient à éviter les exercices de maniement du fusil en rejoignant la division de ski, ce qui lui permet de passer chaque samedi de la saison d’hiver sur les pentes au-dessus de Turin. Adolescent, Primo Levi souffre d’infections pulmonaires à répétition, qui ne l’empêchent néanmoins pas de manifester du goût pour les activités physiques. Il participe à des compétitions d’athlétisme clandestines organisées par des amis dans un stade de sport abandonné.

En juillet 1934, à l’âge de quatorze ans, il présente l’examen d’admission au lycée classique Massimo d’Azeglio, où se poursuit l’enseignement du gymnase, et y est reçu en candidat libre. Les professeurs de ce lycée sont connus pour leur antifascisme affirmé. Parmi ceux-ci, Norberto Bobbio et, pour quelques mois, Cesare Pavese, qui deviendra l’un des romanciers les plus connus d’Italie. Bien que n’étant plus le seul Juif de sa promotion, Primo Levi demeure la bête noire de ses condisciples. En lisant Concerning the Nature of Things de William Henry Bragg, il se découvre une vocation de chimiste. Il souhaite, grâce à cette science, découvrir les secrets du monde. Levi est diplômé de l’école en 1937, mais mis en cause pour avoir ignoré une convocation de la Marine royale italienne la semaine précédant ses examens, et peut-être pour des raisons d’ordre antisémite, il devra repasser son diplôme, à la fin de l’été 1938.

En octobre de la même année 1938, il s’inscrit à l’université de Turin, pour étudier la chimie. Au terme d’un examen écrit, Primo Levi fait partie des vingt candidats, sur quatre-vingts, à être admissible et devoir passer l’épreuve orale. Il n’est admis qu’en février après avoir suivi le cursus de chimie à plein temps.

Bien que l’Italie soit un pays fasciste et que ce régime promulgue des lois antisémites, il n’y a pas de véritables discriminations envers les Juifs dans les années 1930. La communauté juive italienne est historiquement l’une des plus assimilées par son pays d’accueil, et les Italiens non-Juifs, sans particulièrement les apprécier ni farouchement les détester, ignorent ou contournent toute loi raciale, par esprit d’opposition aux Allemands qui inspirent ces lois au régime fasciste de plus en plus dépendant du Reich. Cependant, en 1938, le gouvernement fasciste déclare que les Juifs sont une impureté au sein du peuple italien, et promulgue en juillet de cette année des lois raciales, dont l’une a pour effet de restreindre, avant d’interdire totalement aux citoyens juifs, de s’inscrire dans les écoles publiques. Toutefois, les Juifs ayant déjà entamé leurs études sont autorisés à les poursuivre, ce qui est le cas de Primo Levi.

En 1939, Primo Levi commence à pratiquer activement la randonnée en montagne14, que lui apprend son ami Sandro Delmastro, futur héros de la lutte partisane. Tous deux passent de nombreux weekends sur les  montagnes au-dessus de Turin. L’exercice physique, le risque, la lutte contre les éléments lui fournissent une soupape de décompression par rapport à toutes les frustrations qu’il rencontre dans la vie. S’ajoutent bientôt à celles-ci les bombardements de Turin, qui commencent quelques jours après que l’Italie a déclaré la guerre à la Grande-Bretagne et à la France, ainsi que le cancer du côlon qui se déclare chez son père et le cloue au lit.

Du fait de la montée croissante du fascisme, et des lois antisémites, Primo Levi éprouve de fortes difficultés à trouver un superviseur pour sa thèse de fin d’études, qui porte sur l’inversion de Walden, une étude sur l’asymétrie de l’atome de carbone. Finalement dirigé par le Docteur Nicolo Dallaporta, il obtient son diplôme pendant l’été 1941 avec la plus haute mention, ayant en outre soumis des mémoires sur le rayonnement X et l’énergie  électrostatique. Cependant, comme son diplôme mentionne que le docteur Primo Levi est « de race juive », les lois raciales ne lui permettent pas de trouver d’emploi approprié.

La situation évolue brusquement en septembre 1943 lorsque Mussolini est démis de ses fonctions et que son successeur, le maréchal Pietro Badoglio, signe l’armistice avec les Alliés. Mussolini est rapidement libéré par les Allemands et installé à la tête de la République de Salò, un État fantoche d’une extrême violence dont le territoire se limite à la partie nord de l’Italie encore occupée par l’Allemagne. Les opposants au fascisme exhortent les Italiens à la révolte active.

Primo Levi rentre à Turin pour découvrir que sa mère et sa sœur se sont réfugiées à La Saccarello, leur maison de campagne située dans les collines entourant la ville. Ils embarquent tous pour le val d’Aoste. Arrivés à Saint-Vincent, ils trouvent à se cacher provisoirement. Se sachant repérés par les autorités, ils s’enfuient jusqu’à Amay dans le Col de Joux, étape sur la route qui conduit en Suisse. Ils se retrouvent là parmi de nombreux autres réfugiés alors que les mouvements de la Résistance italienne deviennent de plus en plus actifs dans la zone occupée. Primo Levi et quelques camarades prennent le chemin des alpages et rejoignent en octobre le mouvement partisan Giustizia e Libertà, d’orientation libérale.

Inexpérimenté, son petit détachement de partisans, « les plus désarmés du Piémont et probablement les plus démunis », n’aurait pas été retenu par l’histoire si Primo Lévi n’en avait été membre. Le groupuscule est infiltré par un agent des forces fascistes. Deux camarades, probablement innocents, sont soupçonnés et exécutés par surprise, chacun d’une balle dans la tête. Primo Lévi sort de cet épisode « démoli et démoralisé, désireux de voir tout finir et de finir nous-mêmes ». Il restera rongé par ce « vilain secret », qu’il ne révélera qu’en 1975. L’infiltré appelle en renfort la milice fasciste et prend la tête d’une rafle. Le groupe est arrêté le 13 décembre 1943 à Brusson, dans le Val d’Aoste. Pour éviter d’être fusillé, Primo Levi « préfère déclarer sa condition de citoyen italien de race juive ». Il est donc transféré dans le camp d’internement des Juifs de Fossoli, près de Modène, où il demeure deux mois, puis il est déporté en février 1944 vers Auschwitz. Il est âgé de 24 ans.

Ces faits sont reportés dans le livre Partigia de l’historien Sergio Luzzatto en 2013, qui déclenche une polémique en Italie. L’auteur s’est basé sur un procès-verbal établi par la milice à la suite de l’interrogatoire d’un partisan. L’auteur indique lui-même que c’est un document « à prendre avec précaution ». Rien ne permet de savoir si Primo Levi a pris part à l’exécution des deux partisans. La Stampa publie alors un extrait du journal d’un curé, Adolphe Barmaverain, qui a vécu les événements — non pris en compte par Luzzatto —, donne une autre version des faits et contredit la version d’une exécution sans motifs. En effet, dans une entrée de « Demi-siècle de vie paroissiale à Brusson », Barmaverain fait mention du suicide d’une femme juive autrichienne à la suite de vexations et de menaces de la part de partisans.

La déportation de Primo Levi dans le camp d’extermination d’Auschwitz est l’événement déterminant de sa vie, devenant le principal thème de son œuvre, mais aussi l’aune à laquelle il mesure les événements ultérieurs de son existence.

Le 22 février 1944, les 650 « pièces » (dans le vocabulaire d’un camp, le terme allemand employé était «Stück» : pièce, morceau) du camp de Fossoli sont transportées à Auschwitz dans douze wagons à bestiaux surchargés. L’espérance de vie d’un prisonnier ayant échappé à la Selektion, qui désigne d’emblée les personnes destinées à la chambre à gaz, est de trois mois. De ces 650 Juifs italiens, une vingtaine seulement reverront l’Italie.

Levi est assigné au camp de Monowitz, un des camps auxiliaires  d’Auschwitz, dont la principale mission est de fournir la main-d’œuvre au chantier de construction d’une usine de caoutchouc synthétique appartenant à IG Farben, la Buna. Soumise à de nombreux bombardements, l’usine de la Buna n’entra jamais en activité.

Levi attribue sa survie à une « concaténation de circonstances », entre autres pour avoir été déporté à une période où il avait été décidé de rallonger quelque peu la vie des prisonniers et d’arrêter les exécutions arbitraires. Possédant quelques notions d’allemand grâce à sa formation scientifique, il parvient — à l’aide d’un prisonnier italien plus expérimenté (qu’il paye en rations de pain) — à les développer et à s’orienter dans la vie du camp sans trop attirer l’attention des Prominente, les prisonniers privilégiés du  système. Pendant de nombreux mois, dont l’hiver 1944, Levi manque de mourir d’épuisement, de froid et de faim avec les autres prisonniers, employés comme main d’œuvre « esclave » à des travaux forcés et au-dessus de leurs forces. À partir de novembre 1944, sa formation professionnelle lui permet d’obtenir un poste relativement privilégié d’assistant dans le laboratoire de l’usine de production de caoutchouc de la Buna. Surtout, il reçoit pendant plusieurs mois, de Lorenzo Perrone, un civil italien, maçon de son état, une ration de soupe et de pain, lui permettant de survivre jusqu’à l’évacuation du camp devant l’avancée du front soviétique. Lors de celle-ci, Primo Levi, atteint de scarlatine, est abandonné à son sort dans l’infirmerie du camp au lieu de partir pour la marche de la mort, où meurent la plupart de ses compagnons. Il parvient à survivre en créant avec deux camarades de chambrée une organisation permettant de subvenir un minimum à leurs besoins. Le 27 janvier 1945, alors qu’ils partent enterrer le premier mort de leur chambre, ils sont libérés par l’Armée rouge.

Primo Levi ne regagnera cependant pas Turin avant le 19 octobre de cette année, après avoir passé un certain temps dans le camp de transit soviétique pour anciens prisonniers des camps de Staryïa Darohi, dans l’actuelle  Biélorussie. Au terme d’un long périple en compagnie d’anciens prisonniers de guerre italiens capturés sur le front russe. Il traverse en train la Pologne, la Biélorussie, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie, l’Autriche et l’Allemagne.

En 1965 paraît une collection des poèmes de Levi sous le titre de L’osteria di Brema. Il écrit également deux autres mémoires fort bien accueillis,  le Système périodique, faisant référence avec une ironie propre à l’auteur au tableau périodique de Mendeleïev, où chaque élément recèle un moment de la vie du chimiste juif turinois, et, en 1978, Lilith, où il revient sur des personnages et moments d’Auschwitz qu’il n’a pas évoqués dans ses livres précédents. Le Système périodique a été salué par le Royal Institute de Londres, le 19 octobre 2006, comme « le meilleur livre de science jamais écrit. »

En 1978, il écrit le roman La chiave a stella (La Clé à molette), un livre qui est un dialogue, lors d’un séjour dans une ville russe, entre l’auteur et un technicien turinois, qui est envoyé en déplacement dans le monde entier pour l’installation de machineries industrielles, dans le cadre des grands projets d’ingénierie, où dans les années 1960 et 1970 les entreprises italiennes sont souvent impliquées. Pour l’auteur, la fierté du travail bien fait est nécessaire à une vie épanouie. Primo Levi doit alors faire face aux critiques de la gauche, car son approche élégiaque du travail comme moyen d’épanouissement personnel néglige les aspects les plus sordides de l’exploitation ouvrière, ainsi que toute critique sociale32. Néanmoins, le livre lui vaut le prix Strega en 1979, et un succès auprès des lecteurs à l’avenant.

En 1984, il publie un autre roman, Se non ora, quando? (Maintenant ou jamais), s’inspirant d’une rencontre, brièvement mentionnée dans La Trève avec un groupe de sionistes qui avaient accroché leur wagon au train des rapatriés italiens. Maintenant ou jamais relate les tribulations d’un groupe de partisans juifs évoluant derrière les lignes allemandes durant la Seconde Guerre mondiale, cherchant à lutter contre l’occupant et survivre. Lorsque l’idée de gagner la Palestine et de participer à la construction du foyer national juif devient clairement leur objectif, l’équipée gagne la Pologne puis l’Allemagne, avant que les survivants du groupe ne soient officiellement reçus dans un territoire aux mains des Alliés en tant que personnes déplacées. Ils parviennent à rejoindre l’Italie, pénultième étape sur le chemin vers la Palestine. Le roman est récompensé par les prix Campiello et Viareggio.

Primo Levi est alors au faîte de sa célébrité en Italie. La Trève est incluse dans le programme scolaire italien. Si c’est un homme est suivi d’un carnet résultant des discussions avec les étudiants et se lit à l’étranger. En 1985, Primo Levi se rend aux États-Unis pour un cycle de conférences de 20 jours, qui l’éprouve fortement. En revanche, l’URSS boude ses livres, parce que les soldats russes sont présentés comme trop humains eu égard aux canons héroïques des Soviets. En Israël, où la société israélienne ne prend  conscience de l’ampleur de la Shoah qu’avec le procès d’Eichmann à Jérusalem et est longtemps ambivalente face à ces Juifs dont on dit qu’ils se sont laissés mener à l’abattoir sans résistance, ses livres ne seront traduits qu’après sa mort.

En 1985 paraît un recueil d’articles précédemment publiés dans La Stampa, sous le titre L’altrui mestiere (inclus en français dans L’Asymétrie et la Vie). S’y trouvent des fictions courtes, des réflexions sur des curieux  phénomènes naturels, ou des revues de livre. Parmi ces dernières, figure son analyse de l’autobiographie de Rudolf Höss, insérée en introduction à la publication de l’édition italienne. Il y dénonce la tentative faite par Höß (Rudolf Franz Ferdinand Höss) pour se reconstruire un passé d’exécutant servile, entré au NSDAP par enthousiasme, arrivé à Auschwitz par ignorance et tentant d’obéir aux ordres avec « conscience ».

En 1986, il publie I sommersi e i salvati (Les naufragés et les rescapés). Écrit « quarante ans après Auschwitz, » le livre revient sur son expérience  concentrationnaire, d’un point de vue analytique plutôt que biographique, s’interrogeant sur la fidélité de la mémoire, tentant de comprendre la « zone grise » dans laquelle se trouvaient les prisonniers des camps collaborant au régime, de la place de l’intellectuel à Auschwitz. Comme dans ses autres livres, il n’émet pas de jugement, présente les faits et pose les questions. En 1986, il publie Racconti e saggi (également inclus dans L’Asymétrie et la Vie).

En avril 1987, il travaille sur une autre sélection d’essais appelés Le Double Lien, qui prennent la forme d’une correspondance épistolaire avec « La Signorina ». Ces essais portent sur des thèmes très personnels. Cinq ou six chapitres du manuscrit existent. Carole Angier, qui a consacré une biographie à Primo Levi, écrit en avoir lu quelques-uns, mais la majorité, distribuée par Levi à des amis proches, n’a pas été rendue publique, et certains pourraient même avoir été détruits.

Primo Levi meurt le 11 avril 1987 à la suite d’une chute qu’il fit dans l’escalier intérieur de son immeuble. La plupart de ses biographes, notamment Carole Angier et Ian Thomson, abondent dans le sens du légiste, qui conclut que Levi s’est suicidé. Lui-même avait déclaré souffrir de dépression. Des facteurs de risque auraient pu être sa responsabilité envers sa mère et sa belle-mère, le fait de partager le même logement et son passé de déporté.

Cependant, un sociologue d’Oxford, Diego Gambetta, a établi douze ans plus tard un dossier détaillé remettant en cause ce qu’il considère comme un lieu commun. Selon Gambetta, la thèse du suicide de Primo Levi n’est étayée ni par des faits ni par des preuves indirectes. Levi n’a pas laissé de lettre d’adieux, et n’a jamais fait part d’idées noires. En outre, des documents et témoignages semblent indiquer qu’il avait des projets avant sa mort. Diego Gambetta penche donc pour une mort accidentelle. Son ami et médecin, David Mendel, affirme qu’il est possible que Primo Levi soit tombé à la suite d’un étourdissement provoqué par les antidépresseurs qu’il prenait à l’époque.

La question de la mort de Primo Levi est importante. En effet, son œuvre est communément interprétée comme une puissante affirmation de la vie face à des puissances violentes et guerrières organisées. Le fait qu’il soit mort volontairement ou par accident constitue donc un commentaire final sur la validité de son propre message, lucide, positif et humaniste.  L’interprétation d’Elie Wiesel, qui défend la thèse du suicide, a été acceptée jusqu’à ce jour, sans que l’on sache encore si elle est fondée sur des faits ou sur une intuition personnelle.

Source : Wikipédia.

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