Léopold III, roi des Belges.

Léopold III (3 novembre 1901 – 25 septembre 1983) est le quatrième roi des Belges du 23 février 1934 au 16 juillet 1951, et le fils d’Albert Ier et  d’Élisabeth en Bavière. Déclaré dans l’impossibilité de régner de juin 1940 à juin 1950, il abdique l’année suivante au terme d’une longue polémique sur la question royale suscitée par son comportement controversé lors de la Seconde Guerre mondiale.


Léopold Philippe Charles Albert Meinrad Hubertus Marie Miguel de Saxe-Cobourg naît le 3 novembre 1901 au palais du marquis d’Assche au Quartier Léopold à Bruxelles où habitent alors ses parents, à deux pas de l’église Saint-Joseph, dans le bâtiment qui abrite depuis 1948 le Conseil d’État.

Lors de la Première Guerre mondiale, il est incorporé, encore adolescent, comme simple soldat au sein du 12e régiment de ligne. Après la guerre, il est inscrit au St. Anthony Seminary à Santa Barbara, Californie.

Son père Albert Ier s’étant tué le 17 février 1934 dans un accident d’alpinisme, Léopold accède au trône, le 23 février 1934, sous le nom de Léopold III de Belgique.

En 1935, un accident de voiture à Küssnacht (Suisse) cause la mort de la reine Astrid et blesse le roi, qui était au volant. La disparition de cette reine très populaire est ressentie comme un deuil national particulièrement douloureux.

Sous la pression du Mouvement flamand et par antipathie pour le Front populaire français de Léon Blum (juin 1936-avril 1938), les gouvernements et le roi Léopold III proclament en juillet 1936, la neutralité de la Belgique, alors qu’elle avait été l’alliée de la France et du Royaume-Uni pendant la Première Guerre mondiale. Le roi des Belges, Léopold III, appuyait pleinement cette politique dite des « mains libres ». Celle-ci signifiait le retour à la neutralité qui, jusqu’en 1914, avait été une obligation depuis le traité international de 1831 garantissant l’existence de la Belgique. La raison de la décision belge résidait dans la faiblesse des démocraties face aux coups de force successifs des Allemands au mépris du traité de Versailles (réoccupation de la Rhénanie, démantèlement de la Tchécoslovaquie avec la complicité résignée de la France et du Royaume-Uni).

Léopold III, carte maximum, Belgique.

La première conséquence de la neutralité belge fut, dès 1936, de supprimer tout contact officiel entre les états-majors militaires français et belges. En réalité, dès le 28 mars 1939, le général Laurent, attaché militaire français à Bruxelles commença des contacts secrets avec le général van Overstraeten, conseiller militaire particulier du roi et avec l’accord de celui-ci. Il en retira de quoi communiquer de précieux renseignements sur les plans militaires belges au « Deuxième bureau » du service de renseignements français du ministère de la Défense, à Paris. En plus de cela, en octobre 1939, après la déclaration de guerre de la France et du Royaume-Uni à l’Allemagne, le roi convint avec le général en chef français Maurice Gamelin d’une concertation renforcée. Vu la nécessité de parachever le réarmement, vu l’attentisme des Franco-Britanniques sur le front, il était nécessaire pour la Belgique d’éviter toute provocation vis-à-vis de l’Allemagne, l’armée n’étant pas encore prête à résister à une attaque allemande que l’on sentait venir. Ces contacts franco-belges furent révélés par le général français lui-même dans ses mémoires et aussi par la parution, après la guerre, d’une publication officielle française. Connaissant l’existence en Belgique d’une « cinquième colonne » d’espions pro-nazis, on avait voulu protéger le secret en organisant la transmission des informations par la liaison la plus courte, assurée par le lieutenant-colonel Hautcœur, attaché militaire français à Bruxelles qui avait succédé au général Laurent et qui communiquait personnellement avec le généralissime français. Parfois même, la liaison entre le roi Léopold III et le général en chef français Gamelin se faisait directement, ou alors par l’intermédiaire du général van Overstraeten, conseiller militaire du roi, qui avait des contacts suivis avec Hautcœur qu’il connaissait personnellement pour l’avoir eu comme élève à l’École royale militaire de Bruxelles. Avec l’accord du gouvernement dont le Premier ministre était le très catholique Hubert Pierlot et le ministre des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak représentant le Parti socialiste (qui s’appelait alors Parti ouvrier), ces échanges continuèrent jusqu’à l’attaque allemande.

En janvier 1940, le général belge van Overstraeten prévint les Français que l’attaque allemande était prévue en Ardenne, comme le prouvaient des documents stratégiques saisis par les Belges dans un avion allemand qui avait fait un atterrissage forcé en Belgique. Encore, dès le 8 mars, puis le 14 avril 1940, sur la foi de renseignements de l’attaché militaire à Berlin recoupés par des sources provenant d’espions alliés en Allemagne, le roi en personne avertit le général Gamelin, chef suprême de l’armée française, que le plan allemand prévoyait une attaque par l’Ardenne. Et l’attaché militaire français à Berne envoyait, le 1er mai, un message radio à son état-major disant que l’attaque aurait lieu entre le 8 et le 10 mai avec Sedan comme but de l’effort principal. Mais l’état-major français se rangeait à l’avis du maréchal Pétain, personnalité prestigieuse et vice-président du Conseil supérieur de la Guerre de France, selon qui l’Ardenne était impénétrable pour une armée moderne. Aussi, les avertissements belges restèrent-ils sans suite.

Le 10 mai 1940 a lieu l’attaque allemande redoutée. C’est ce que l’on appellera la campagne des 18 jours. À cette date, l’armée belge occupe un arc de cercle de 500 kilomètres depuis l’Escaut jusqu’à l’Ardenne. La quasi-totalité de l’effectif de 650 000 hommes (plus 50 000 conscrits et 10 000 gendarmes équipés militairement) est engagé dans des combats tandis qu’il est fait appel aux futurs soldats des classes 40 et 41 pour un total de 95 000 hommes – qui seront envoyés en France dès le 15 pour y recevoir un entraînement avec l’accord du gouvernement français – et un ordre est également lancé de préparer l’enrôlement de tous les jeunes de 16 à 20 ans des classes 42 et 43, soit 200 000 hommes, tout en y joignant les sursitaires des classes précédentes et les démobilisés provisoires pour cause d’utilité publique (ingénieurs, mineurs de fond entre autres), soit 89 000 hommes. En théorie, l’armée belge est la plus forte jamais vue avec, plus ou moins, 1 000 000 de mobilisés en perspective et un peu moins de 700 000 hommes effectivement engagés. Effectif énorme pour un pays de 8 000 000 d’habitants. C’est le plan du roi et du ministre Devèze, conçu dès 1937. Mais le temps manque pour organiser la totalité de la levée en masse car l’armée est bousculée sur le canal Albert où le fort d’Ében-Émael tombe en vingt-quatre heures, pris par des troupes déposées par avions légers et utilisant des charges creuses, munition que les Allemands sont seuls à posséder. Cependant, au nord, en trois jours la défaite éclair de l’armée hollandaise menace le flanc gauche de l’armée belge. Et, pendant ce temps, comme le service belge de renseignement en avait prévenu les Français longtemps à l’avance, la Wehrmacht perce vers Sedan, en Ardenne française. C’est le 12 mai que commence la percée, soit après deux jours de résistance d’éléments avancés belges, les chasseurs ardennais, qui remplissent donc le rôle de retardement qui leur était imparti à Bodange, Martelange et Chabrehez, allant même jusqu’à repousser avec des blindés des troupes allemandes déposées par des avions légers Fieseler Fi 156 à l’arrière de l’armée belge, dans la région de Witry, Nimy et Léglise. Pendant ce temps, les troupes françaises de Sedan, qui avaient disposé d’un ultime délai de 48 heures pour se préparer depuis le 10 mai, mais qui étaient composées de réservistes de série B, mal équipés et installés dans des défenses embryonnaires15 étaient bousculées le 12 mai et faisaient retraite (la « panique de Bulson ») devant la Wehrmacht qui atteignait rapidement la Meuse. C’était le résultat de la doctrine de Pétain selon laquelle il n’y avait rien à craindre en Ardenne.

Le roi et son état-major s’étant placés sous le commandement du général en chef français Gamelin, l’armée belge, en recul devant la percée de la Meuse, et aussi menacée sur son flanc gauche par le vide laissé par les Hollandais, lie ses mouvements à ceux des Français qui reculent au sud. Le roi avait accueilli, dès le 10 mai, un nouvel officier supérieur français de liaison, le général Champon arrivé au Grand quartier général belge de Breendonck, porteur des plans alliés et d’une délégation de commandement que le roi acceptait pour lui-même, comme elle avait déjà été faite par le général en chef français Gamelin au général Georges16. Mais les tentatives de ressouder un front franco-belgo-anglais n’aboutissent pas, la stratégie alliée du front continu, inspirée de 1914-1918, se révélant inadaptée à la stratégie allemande faite de puissantes percées étroites menées par des chars rapides sous le parapluie d’une aviation en surclassement.

Finalement, après des reculs successifs en liaison avec les alliés franco-anglais auxquels elle ne pouvait que lier son sort, l’armée belge se trouva acculée sur la Lys après deux semaines de combats. Mais, dès le 15 mai, le mot défaite avait été prononcé par le président du Conseil français Paul Reynaud dans un appel téléphonique angoissé au Premier ministre britannique Winston Churchill. Des bruits pessimistes commençaient à courir dans les états-majors et dans le personnel politique des pays attaqués par l’Allemagne. Ils parvenaient jusqu’au roi par des amis qui avaient des relais dans les milieux politiques français et anglais et, notamment, dans l’aristocratie anglaise.

Le 25 mai 1940, dans le château de Wynendaele a lieu l’entretien décisif entre le roi Léopold III et ses principaux ministres, à l’issue duquel le roi refuse de suivre ceux-ci hors du territoire national18. Celui-ci est parfois appelé drame de Wynendaele.

Après la dure et coûteuse bataille de la Lys livrée par l’armée belge pendant cinq jours, la seule bataille d’arrêt de toute la campagne de mai 1940, le roi Léopold III décida la reddition des forces belges combattant sur le front des Flandres. Il n’y eut pas de signature du roi, ce qui aurait été nécessaire s’il se fut agit d’une capitulation générale de toutes les forces. Or, si la constitution affirme que le roi déclare la guerre et fait la paix, des actes considérés comme étant civils autant que militaire, cela entraîne la cosignature d’au moins un ministre, comme pour tout acte gouvernemental du roi. Aussi, le Premier ministre Pierlot et le ministre des Affaires étrangères Spaak, restés en Belgique, entendaient-ils être associés à toute décision royale de cesser les hostilités. Mais, selon le roi, il ne s’agissait pas d’un acte de gouvernement, mais d’une décision purement militaire concernant uniquement le chef de l’armée, et cela sous l’empire de la loi martiale qui subordonne aux décisions militaires tous les effets des lois civiles. S’estimant seul en droit de décider d’une reddition purement militaire, n’ayant de compte à rendre à aucune autorité supérieure, le roi prend le mot reddition, le 28 mai 1940, dans le sens limité d’une cessation des combats dans une zone donnée, ce qui ne concerne pas les forts de l’Est dont le dernier, Tancrémont, ne succombe que le 29 mai, après dix-neuf jours de résistance sous les assauts de l’infanterie et le pilonnage allemands. Et les forces du Congo belge n’étaient pas incluses dans la reddition, au contraire des forces françaises d’Afrique du nord que les Français allaient accepter d’inclure dans l’armistice de juin. La Force publique du Congo belge put ainsi continuer le combat. En 1941, aux côtés des anglais en Afrique orientale, elle remportera les victoires qui permettraient à la Belgique de se ranger aux côtés des alliés durant toute la guerre, de même que la reconstitution de forces belges de terre et de l’air en Grande-Bretagne. La reddition du 28 mai était donc d’une décision strictement militaire du ressort exclusif du commandement sur le terrain et il n’y avait pas lieu d’y associer le gouvernement, l’état de guerre entre la Belgique et l’Allemagne n’étant en rien remis en cause. Et, pour que les choses soient claires, c’est le sous-chef d’état-major, le général Derousseau, qui, en sa qualité de responsable de la situation des troupes sur le terrain, fut chargé de se rendre auprès des Allemands et de signer avec eux une reddition au sens le plus étroit, celle-ci ne concernant que l’armée de campagne. Aussi, les Allemands exigèrent-ils un ordre séparé de reddition adressé par radio aux derniers forts de l’Est encore tenus par l’armée de forteresse — dont le commandement était distinct de celui de l’armée de campagne — pour qu’ils acceptent de se rendre. Mais l’armée du Congo ne fut en rien comprise dans la reddition (ce n’était pas l’intention du roi ni du gouvernement qui craignaient que, dans ce cas, les possessions belges d’Afrique tombent dans les mains anglaises). La situation belge, à ce moment-là, se situait à l’inverse de ce qui se passa lors de l’armistice franco-allemand qui incluait un contrôle germano-italien des troupes françaises d’Afrique.

On ne peut donc parler de capitulation belge, comme on le fait en général, et encore moins d’armistice qui est un acte politique entre gouvernements, mais d’une reddition limitée à la seule zone où combat l’armée belge de campagne. Le roi a estimé nécessaire d’arrêter les combats là où ceux-ci devenaient impossibles de par l’épuisement des réserves de munitions et aussi en conséquence du rembarquement anglais à Dunkerque préparé depuis le 25 mai et qui ne prévoyait rien pour les Belges. Faute de quoi les choses menaçaient de tourner au massacre, surtout pour les réfugiés, deux millions de civils belges, hollandais et français acculés dans un espace restreint sous les coups de l’aviation ennemie toute puissante et exposés au risque de revivre les massacres de 1914 comme, déjà, cela venait de se produire à Vinkt.

Dès qu’il eut pris sa décision, le roi l’écrivit dans une lettre au roi d’Angleterre en précisant qu’il s’agirait d’une reddition militaire et que, en aucun cas, il ne serait question de traiter politiquement avec l’Allemagne. Le roi fit part de sa décision en s’adressant personnellement au général français Blanchard, commandant de l’armée du Nord, dès le 26 mai. Il décrivait la situation de l’armée belge, ne donnant plus que peu de temps à celle-ci, pour s’effondrer, ce qui se produisit le 28. Au moment de la reddition, des troupes lâchaient prise, tant pour des raisons morales que parce que l’on arrivait au bout des stocks de munitions. La communication de la décision royale fut enregistrée par le colonel Thierry des services français d’écoute, comme le précise un auteur français, le colonel Rémy. On ne sait si cette communication arriva jusqu’à l’état-major français19. Avant même de prendre sa décision, le roi avait constaté que son armée épuisée était abandonnée, à sa droite, par l’armée britannique qui préparait son rembarquement à Dunkerque, aussi informa-t-il l’officier de liaison anglais, Keyes en personne, des conséquences qui allaient en résulter. Cet officier anglais avoue dans ses mémoires : « J’ai l’intention de ne pas dire encore aux Belges que le corps expéditionnaire britannique a l’intention de les abandonner ». Mais le roi Léopold et l’État-major belge, avant même d’être avertis officiellement par Keyes, avaient été mis au courant par leurs propres soldats qui avaient constaté le vide laissé à leur droite par l’abandon anglais. À ce moment, une parole qui mérite d’être qualifiée d’historique est prononcée par le général en chef anglais Gort. Forcé, sur ordre express de Londres, d’abandonner l’armée belge, il dit à l’officier de liaison anglais Keyes : « les Belges nous considèrent-ils comme de vrais salauds ? ». Il a été vérifié depuis, et avec une absolue certitude, que le Premier ministre britannique Winston Churchill, d’accord avec Anthony Eden des Affaires étrangères, avait donné l’ordre formel à Lord Gort de retraiter vers Dunkerque pour y rembarquer en lui interdisant d’en informer le haut commandement belge. Tout cela, le général en chef français Maxime Weygand l’ignorait, quoiqu’il ait eu toute raison d’être pessimiste en constatant l’absence de Lord Gort à la conférence d’Ypres du 25 mai convoquée pour tenter d’établir une nouvelle tactique entre les Français, les Anglais et les Belges. Mais les troupes anglaises avaient reçu l’ordre de « filer vers la mer » selon l’expression même de l’attaché militaire anglais dans ses mémoires.

Le général Raoul Van Overstraeten, conseiller personnel du roi et héros de 1914-1918, en Belgique et en Afrique, était d’avis de continuer les combats pour qu’il soit clair que les Belges ne baissaient pas les bras les premiers. Les quelques ministres belges restés au pays, exposés à tomber aux mains de l’ennemi, étaient opposés non à la reddition, mais à la date de celle-ci qu’ils voulaient au moins repousser, en tout cas pour permettre au roi de les accompagner en France en vue d’y continuer la lutte. Mais le roi leur signifia qu’il pensait, au contraire, qu’il devait rester au pays, comptant que sa position royale, qu’il croyait propre à en imposer à Hitler, pourrait lui permettre de s’opposer à toute entreprise allemande envers l’intégrité nationale, comme cela avait été le cas pendant la Première Guerre mondiale lorsque le pays avait été divisé. Après de dramatiques confrontations avec les principaux ministres, dont Hubert Pierlot, Premier ministre, et Paul-Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères, qui voulaient le convaincre de se soustraire à l’ennemi, le roi renonça à les révoquer comme il en avait pourtant le droit constitutionnel. Il est important de savoir que la révocation aurait été valable si un seul membre du gouvernement y avait associé sa signature. Or le ministre de la Défense, le général Denis, y était prêt. Mais le roi renonça à cette mesure qui eut privé la Belgique d’un gouvernement et laissa partir les ministres porteurs de tous les pouvoirs légaux. Cela devait se révéler hautement profitable pour le maintien de la Belgique dans le camp des Alliés, et cela jusqu’à la victoire.

Derrière l’apparence de l’autorité, le roi Léopold III de Belgique montrait alors, selon certains témoins, les signes d’un effondrement psychologique. Le Premier ministre Hubert Pierlot décrit le roi : « Échevelé, l’œil fixe et, pour tout dire, hagard… Sous l’influence des émotions des derniers jours25. » Les faiblesses que les démocraties avaient montrées avant la guerre, l’insuffisance militaire alliée, y compris belge, devant l’armée allemande, venant s’ajouter au lâchage anglais constituèrent, pour le roi, une somme qui, soudain, le laissa seul et nu devant l’évidence d’une défaite qui lui parut un abîme dans lequel la Belgique risquait de disparaître. Se fondant sur une conception aristocratique de sa fonction royale, il crut alors qu’il pourrait, à lui tout seul, faire obstacle à des menées allemandes contre la survie du pays.

Mais, quand il prend sa décision, il ne s’agit pas, pour Léopold III, de conclure un armistice entre la Belgique et l’Allemagne. Le roi fait savoir à l’officier de liaison britannique, l’amiral Sir Roger Keyes « qu’il n’est pas question de faire quoi que ce soit qui ressemble à une paix séparée ». L’armée, à bout, s’effondra, mais la Belgique restait, de fait, en état de guerre. Au contraire de ce que répètent des ouvrages étrangers, Léopold III ne signa aucune capitulation, il faut le rappeler, ni les ministres partis en exil porteurs de tous leurs pouvoirs. L’acte de reddition ne comporta aucune clause politique, au contraire de l’armistice que les Français négocieront trois semaines plus tard, engageant la France dans la voie de la collaboration.

De cette reddition a découlé toute « la Question royale » qui a provoqué, après la guerre, l’abdication de Léopold III. Le roi fut tout d’abord accusé d’avoir trahi la cause alliée dans un discours radiophonique prononcé le 28 mai 1940 par Paul Reynaud, président du Conseil français. Cependant, Winston Churchill, dans ses mémoires d’après la guerre, lavera l’armée belge de tout soupçon d’avoir compromis le rembarquement de Dunkerque, mais après l’avoir condamnée en mai-juin 1940. La décision du roi de se constituer prisonnier, prise contre l’avis du gouvernement, fut d’ailleurs blâmée, plus tard, par une partie du Parlement belge replié en France (à Poitiers, puis Limoges) sans que cela ait un effet, comme de prononcer la déchéance du roi, puisque c’est 143 présents sur 369 qui condamnèrent la décision du roi. La majorité simple n’était pas atteinte, vu l’insuffisance de l’effectif réuni, ce qui s’explique par l’impossibilité de convoquer tous les parlementaires, beaucoup ayant rejoint l’armée, les autres étant soit restés en Belgique, soit injoignables au sein de la masse des réfugiés. D’ailleurs, le roi avait signifié aux ministres qu’étant légalement le commandant en chef de l’armée, il n’avait pas de comptes à rendre aux autorités civiles pour décider une reddition, cela de par la loi martiale qui, en temps de guerre, donne tous les pouvoirs aux militaires, ce qui entraîne, ipso facto, un pouvoir total pour le roi, alors que, pour un armistice (à la façon des Français, un mois plus tard), la signature d’au moins un ministre est nécessaire pour avaliser la décision royale, car c’est un acte politique et non plus militaire. Mais, comme le roi l’avait dit à l’attaché militaire anglais, il ne s’agissait pas, pour lui, de signer une paix séparée. En plus de son pouvoir civil, le roi des Belges détenait de par la Constitution, et comme beaucoup de chefs d’État, le commandement suprême des forces armées. Mais, au contraire de la plupart des chefs d’État dont le pouvoir militaire est purement symbolique, Léopold III avait une véritable autorité à la tête de son état-major à la tête duquel il n’a cessé d’être présent en uniforme de lieutenant-général durant les dix-huit jours de combat. C’est donc comme chef d’armée qu’il entend rester avec les soldats. Il s’y croit encouragé par l’attaché militaire anglais Keyes. Selon celui-ci, Churchill, interrogé sur le sort de la famille royale, a répondu : « La place d’un chef est au milieu de son armée ». Et c’est toujours Keyes, le 24 mai, qui transmet au ministre belge Gutt un mémorandum anglais qui signale que l’évacuation de la famille royale et des ministres est possible, mais qu’il n’est pas souhaitable, selon les meilleurs avis militaires, qu’il faille presser le roi de quitter son armée dans la nuit32. L’opinion anglaise eut-elle été différente le 28 ? On ne pouvait le savoir car les communications avec Londres cessèrent dès le 27. Et, de toute façon, on sait que, dans la conception rigide que Léopold III a toujours eue de sa fonction royale, il n’était pas question pour lui se plier à des décisions étrangères, même alliées, et encore moins ennemies. Il était donc résolu à n’exercer aucun pouvoir sous la pression allemande, se refusant à toute collaboration, comme ce fut par contre le cas du gouvernement du maréchal Pétain après l’armistice franco-allemand de juin.

Il s’agissait, pour le roi, de n’abandonner en aucun cas le pays dont il avait juré par son serment de défendre l’intégrité. Considérait-il, dès lors, qu’il voulait, par sa seule présence faire obstacle au démantèlement du pays, comme l’Allemagne l’avait entrepris en 1914-1918 ? En tout cas, la dernière phrase de sa proclamation à l’armée du 28 mai dit explicitement que : « la Belgique doit se remettre au travail pour relever le pays de ses ruines », et il ajoutera : cela « ne signifie nullement que les Belges doivent travailler pour l’Allemagne ».

D’un point de vue militaire, le roi se considérait comme prisonnier, n’ayant pas voulu abandonner ses soldats, d’un point de vue politique il comptait utiliser sa présence dans le pays pour se dresser, face à l’Allemagne, en incarnant à lui tout seul la légitimité belge, sans collaboration d’aucune sorte, conception qui parut porter ses fruits, au début, l’Allemagne étant obligée de gérer le pays en y installant un gouverneur militaire sans intention, apparemment, de le diviser. On peut citer trois témoignages, parmi d’autres, de la foi du roi dans une victoire finale qui chasserait l’Allemagne de Belgique. Le 6 juillet 1940, une déclaration au recteur f. f. de l’université de Gand : « Les Anglo-Saxons gagneront cette guerre, mais ce sera long… et dur et nous devons nous organiser en vue de sauver l’essentiel ». Déjà, le 27 mai 1940, une déclaration du roi à l’officier de liaison britannique Keyes : « Vous (l’Angleterre) aurez le dessus, mais non sans passer par un enfer ». Une autre déclaration, du 29 juillet 1940, au député-bourgmestre de Namur Huart : « Je ne crois pas à une paix de compromis avec l’Allemagne, mais à une victoire de l’Angleterre, ce qui ne sera pas avant 1944 au plus tôt ».

Les ministres, n’ayant pu convaincre le roi de les suivre en exil, partirent pour la France afin d’y continuer la guerre, comme le gouvernement belge l’avait fait en 1914-1918. Au début, le gouvernement n’avait à sa disposition que quelques rares forces militaires belges rejetées vers la France et les conscrits et sursitaires sans formation militaires des classes 1924 à 1926. Il y avait aussi l’énorme potentiel économique du Congo belge dont les autorités inclinaient vers les Alliés. Les ministres Pierlot, Spaak et Gutt quittaient la Belgique, décidés à incarner la légitimité nationale face à l’étranger, croyant que la France allait continuer la guerre. Une masse considérable de Belges s’y étaient réfugiés, mais la défaite française les ramena en Belgique, tandis que le Premier ministre Pierlot et le ministre des Affaires étrangères Spaak allaient rester en France jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la défaite française. Les autres membres du gouvernement étant, pour la plupart, partis en Angleterre, les deux rescapés allaient voir la confiance qu’ils avaient mise en la France trahie par la décision du gouvernement du maréchal Pétain de les priver de toute protection diplomatique vis-à-vis de l’Allemagne. Se sentant menacés dans leur refuge du village de Sauveterre de Guyenne, et après une vaine tentative d’entrer en rapport avec Bruxelles où le silence de l’occupant allemand à leur égard ne leur disait rien de bon, les deux rescapés du gouvernement belge entreprirent une rocambolesque et dangereuse fuite à travers l’Espagne franquiste (alliée de fait avec l’Allemagne) cachés dans une camionnette à double fond qui les conduiraient au Portugal d’où le gouvernement anglais les fit sortir pour les amener à Londres.

En attendant ces péripéties, les ministres arrivés en France le 29 mai avaient déjà pu mesurer l’effondrement du prestige de la Belgique à travers le discours radiophonique du Premier ministre Paul Reynaud accusant le roi de trahison pour avoir, soi-disant, capitulé sans prévenir les alliés franco-anglais. En l’occurrence, Reynaud témoignait de son ignorance des faits. Car Léopold III avait prévenu le roi d’Angleterre en personne, par une lettre du 25 mai, de l’effondrement de l’armée belge qu’il estimait proche, lettre remise personnellement à l’envoyé spécial de Churchill, le général Dill, en présence de l’attaché militaire Keyes. Et du point de vue français, le colonel français Thierry, chef du central de téléphonie par radio de l’armée française, a témoigné au colonel français Rémy qu’il avait capté, dès le 26 mai, les messages du roi au général français Blanchard avertissant celui-ci qu’il serait dans la nécessité de se rendre dans les deux jours. Le roi prit une décision qui apportait encore un ultime concours aux alliés en profitant de la pagaille qui accompagnait la débâcle militaire pour soustraire à la captivité la 60e division française qui combattait aux côtés des Belges en la faisant transporter dans des camions belges vers Dunkerque sous un ciel occupé par une aviation allemande toute puissante qui mitraillait tout ce qu’elle pouvait sans égard pour les 800 000 réfugiés (et certains auteurs vont jusqu’à citer 2 000 000 de réfugiés pour la totalité de la zone encore tenue par l’ensemble des forces alliées. Avec un minimum de connaissances militaires et de bon sens, on comprend que ces masses de civils opposaient passivement leur foule terrorisée à la progression des troupes de la Wehrmacht sans que les généraux allemands trouvent encore un prétexte pour les faire massacrer, comme quelques jours auparavant, lorsque leurs soldats utilisaient des masses d’otages en les faisant avancer devant eux sous le feu des troupes belges, à Vinkt, pendant la bataille de la Lys. En 1940, des massacres de civils furent donc perpétrés en pleine bataille sans motif militaire, répétant les atrocités allemandes de 1914. Après l’arrêt des combats, les chefs de l’armée allemande se trouvaient obligés de respecter la population de réfugiés qui encombraient la zone des combats s’ils ne voulaient pas devoir endosser les mêmes accusations que lors la guerre précédente au sujet du comportement violent de leur armée sur la personne des civils. L’armée allemande perdit donc encore 24 heures à se frayer un chemin à travers la pagaille engendrée par la défaite belge, terrain encombré d’ambulances, de pièces d’artillerie et de charroi militaire et civil détruit ou en panne, les soldats belges se laissant désarmer tout en se réfugiant dans une totale inertie. Les Franco-Anglais de Dunkerque y gagnaient un jour supplémentaire pour organiser leur défense. À l’issue de ces dix-huit jours de guerre de la Belgique, on peut citer, entre autres témoignages allemands, celui de Ulrich von Hassell : « Parmi nos adversaires, ce furent les Belges qui combattirent le mieux ».

Devant le fait indéniable d’une réelle résistance belge, on ne peut expliquer le discours du président du Conseil français Paul Reynaud du 28 mai, dans lequel il traitait la capitulation belge de traîtrise, que par la nécessité de se décharger sur plus faible que lui de la défaite qui se profilait, mais aussi parce que l’on peut, à coup sûr, avancer qu’il n’était pas au courant des derniers développements de la situation en Belgique. Si cela peut constituer une excuse, on doit savoir, par un aveu ultérieur anglais, que Winston Churchill ne l’avait pas mis au courant de l’ordre qu’il avait donné d’évacuer les troupes anglaises en abandonnant les Belges, ce qui entraînait de mettre ceux-ci dans une situation désespérée tout en condamnant définitivement les combats à se terminer en défaite, y compris pour les troupes françaises. On a d’ailleurs une autre preuve de l’ignorance du président du Conseil français quant aux événements militaires par le fait que, déjà, le 16 mai, au cours d’une réunion franco-anglaise, il avait constaté ne pas être au courant de la situation de l’armée française en apprenant de la bouche du général en chef Gamelin qu’on lui avait caché l’absence de réserves militaires françaises pour combler le vide laissé devant l’armée allemande par la percée de Sedan, d’où découlait que les Franco-Anglo-Belges étaient dans une situation dramatique, étant tournés par le Sud. Manifestement, le président du Conseil français Paul Reynaud ne recevait pas à temps les informations sur la situation militaire.

Quoi qu’il en soit et sans s’informer davantage, Paul Reynaud, en proie à une colère impuissante devant les événements, fit radier le roi de l’ordre de la Légion d’honneur. Pendant ce temps, la reine Wilhelmine des Pays-Bas, dont l’armée s’était rendue au bout de cinq jours, était arrivée à Londres amenée par un navire de guerre néerlandais qui n’avait pu la débarquer en Zélande où elle aurait voulu s’installer pour incarner la légitimité nationale. La grande-duchesse Charlotte de Luxembourg, elle, s’était réfugiée à Londres dès le 10 mai. Le gouvernement belge, quant à lui, réfugié en France, nanti de tous ses pouvoirs, déclara le roi « dans l’impossibilité de régner », comme le prévoit la Constitution belge lorsque le roi est dans une situation qui le met hors d’état d’exercer sa fonction, ce qui était incontestablement le cas puisqu’il était soumis à l’ennemi. Dans ce cas, la Constitution prescrit que le gouvernement doit exercer le pouvoir collégialement, mais avec l’approbation du Parlement, lequel doit alors nommer un régent. Devant l’impossibilité de réunir valablement les députés et les sénateurs en nombre suffisant, alors que plusieurs étaient partis à l’armée et que les autres étaient soit restés en Belgique, soit réfugiés on ne savait trop où, le gouvernement décida de se passer de formalités légales et d’exercer son pouvoir de fait et par force majeure jusqu’à la libération de la Belgique. Finalement, en 1944, les chambres réunies à Bruxelles, peu après la libération de la ville, ratifièrent le comportement du gouvernement durant la guerre.

Le motif qui résiste le mieux à l’examen parmi ceux qui ont été invoqués par Léopold III pour justifier sa décision de rester en Belgique en 1940 est que l’on pouvait craindre que l’Allemagne reprendrait sa politique de division de 1914-1918. Le roi jugea que par sa seule présence il pourrait s’y opposer, étant dans l’obligation, pour être fidèle à son serment constitutionnel, de défendre l’intégrité du territoire, faute de quoi il serait traître à la patrie. L’armée ayant cessé d’exister, en Belgique, et le gouvernement étant à l’étranger d’où il gérait les intérêts de la Belgique libre engagée dans la guerre, il s’était créé une situation dans laquelle Léopold III estimait que c’était à lui, présent en Belgique, d’empêcher l’Allemagne d’y faire ce qu’elle voulait. Ce choix, qui consistait à croire qu’un seul homme pouvait s’opposer à la machine hitlérienne, parut d’abord empêcher les pires projets allemands, grâce d’ailleurs à la complicité au moins tacite du gouverneur allemand von Falkenhausen. Ce dernier, par calcul, ne favorisa pas les collaborateurs de l’Allemagne dans leurs visées séparatistes. Aristocrate prussien secrètement opposé aux nazis et à leurs visées, il finira d’ailleurs par être arrêté sur ordre d’Hitler et remplacé, au début de 1944, par le Gauleiter nazi Grohé. À ce sujet, dans les mémoires du ministre allemand de la Propagande Joseph Goebbels, on relève, en date du 4 mars 1944, une plainte contre le roi dont le ministre voudrait se débarrasser en même temps que de von Falkenhausen61. C’était la répétition des plaintes formulées, par le même ministre et par Hitler, en 1940, quand ceux-ci voulaient éliminer Léopold III pour que l’Allemagne soit totalement débarrassée de la fiction politique d’une survie de la Belgique à travers son roi. Cette situation contrastait avec celle des Pays-Bas et de la Norvège où les nazis avaient les mains libres, les souverains de ces pays s’étant enfuis après une résistance symbolique. Quant au Danemark, pratiquement dépourvu d’armée, il s’était trouvé occupé d’emblée. Les Allemands purent y compter sur la collaboration officielle par décision royale en accord avec le gouvernement sans qu’il fut nécessaire de procéder à des réquisitions ou des révocations et des arrestations, comme ils durent le faire en Belgique.

Les diplomates allemands traditionalistes, qui avaient gardé une certaine influence malgré les nazis, parvinrent à imposer une réserve inspirée par la vieille école aux dépens, provisoirement, de la conception nazie des relations humaines et protocolaires. Cela n’avait pas empêché cette dernière de se manifester au lendemain de la capitulation, le 31 mai 1940, lorsqu’un médecin allemand nommé Ghebhardt s’invita d’office chez le roi qui venait d’être mis en résidence surveillée à Bruxelles. Ce visiteur tentait d’organiser une rencontre « spontanée » avec Hitler dans le but d’orienter la politique belge vers une collaboration active comme celle de Pétain-Laval. Cette démarche ne produisit aucun résultat. Il y eut bien une rencontre, le 19 novembre 1940, mais le roi se borna à réclamer la libération de tous les prisonniers belges et le respect de l’indépendance. Mais il n’obtint aucun engagement de la part d’Hitler. Il faut signaler que, lors d’une deuxième visite forcée de Ghebhardt, en 1943, celui-ci alla jusqu’à présenter au roi et à son épouse des fioles de poison qu’il tenta de leur faire accepter, comme s’il avait voulu faire d’eux des complices des dirigeants allemands qui, disait-il, en possédaient tous et ne manqueraient pas de s’en servir62,63. Léopold III et la princesse de Rethy, qui n’avaient aucune raison de se suicider, comme s’ils avaient été les complices des dirigeants allemands, refusèrent ce cadeau empoisonné avec l’impression que leur vie était de plus en plus en danger. Finalement, Hitler ordonna la déportation du roi et de sa famille en juin 1944, comme l’avait voulu Joseph Goebbels depuis 1940. Heinrich Himmler ordonna que la famille soit gardée dans la forteresse de Hirschstein en Saxe depuis l’été jusqu’à la fin de l’hiver 1944-45, puis à Strobl, près de Salzbourg. Pendant ce temps, la Belgique était divisée par les nazis en deux Gaue (territoires), comme elle l’avait été en 1917. La Flandre et Bruxelles étaient séparées de la Wallonie, celle-ci étant destinée à être germanisée, tandis que la Flandre devait, avec les Pays-Bas, devenir allemande à bref délai par annexion. La crainte de Léopold III se réalisait donc dès sa déportation. La principale des raisons qui avaient décidé le roi à rester en Belgique, à savoir empêcher par sa présence la division du pays, se révéla finalement n’avoir offert qu’un délai de grâce qui venait de prendre fin dès qu’il ne fut plus là.

Le roi et sa famille furent libérés par l’armée américaine le 7 mai 1945 à Strobl, en Autriche, où les Allemands les avaient déplacés. Des entrevues avec le gouvernement rentré d’exil ne permirent pas de régler à l’amiable le différend né le 28 mai 1940, aucune des deux parties ne voulant faire de concessions. Le roi ne voulait pas admettre qu’il aurait dû quitter le territoire national en 1940 et le gouvernement refusant de revenir sur la condamnation de cette attitude qu’il avait prononcée en 1940 devant les parlementaires belges réfugiés en France. Léopold III et sa famille s’établirent alors en Suisse en attendant qu’une solution intervienne et la Belgique entama sa reconstruction sous le règne du frère du roi, le régent Charles. Celui-ci était doté des mêmes pouvoirs que le roi et d’aucuns suggéraient qu’il devint roi sous le nom de Charles Ier de Belgique. On dit que celui-ci y songea. Mais il ne favorisa pas publiquement ce projet, ne voulant pas bafouer ouvertement son frère aîné et il fallut attendre 1950, après le référendum organisé en Belgique sur la question royale, pour qu’intervienne un apaisement avec l’accession au trône du fils aîné de Léopold III, Baudouin.

Le roi n’avait pu rentrer en Belgique immédiatement après sa libération du fait qu’une partie du personnel politique et de la population belge était opposée à son retour jusqu’à ce que fût réglée la question fondamentale de savoir si le roi aurait dû ou non quitter le pays en 1940 pour continuer la lutte plutôt que de se constituer prisonnier. Sous la régence de prince Charles, son frère appelé à cette fonction par le Parlement et réputé avoir été plus favorable aux thèses du gouvernement belge de Londres et de ses partisans, des dissensions apparaissaient entre Wallons et Flamands. Les premiers paraissaient majoritairement moins favorables au roi dont ils demandaient, pour le moins, des excuses pour ce que l’on considérait comme son défaitisme, ce que ne pouvait accepter un homme comme Léopold III qui estimait que la royauté a des privilèges. Les Flamands semblaient majoritairement favorables au retour du roi, mais sans que l’on puisse, en 1945, estimer valablement où se situait la majorité de l’opinion publique belge. En cas de fêlure dans le corps de la nation, l’existence de la Belgique aurait-elle pu être menacée à l’époque ? Sans doute pas, mais la couronne chancelait et donc la dynastie risquait de devoir quitter la scène. On aurait vu alors s’installer, sur la Côte d’Azur ou en Suisse, une de ces familles d’ex-souverains en exil comme d’autres, ce qui, au vu de la situation financière, à ce moment-là, de la famille royale belge, n’aurait pas été un sort enviable. Plus tard, revenu à la vie privée, le régent Charles eut ce mot, pour justifier la régence qui lui permit de préserver le trône, « J’ai sauvé la baraque ». Le côté simple et familier de l’ex-régent apparaît dans cette apostrophe qui le montre très différent de son frère aîné Léopold dont la mentalité aristocratique l’avait empêché de comprendre que l’Allemagne et son Führer n’avaient rien à voir avec les monarchies des siècles passés avec lesquelles on pouvait espérer s’entendre entre gens de bonne compagnie.

Le caractère aristocratique de Léopold III était clairement apparu dans son « Testament politique » confié par lui à des personnes sûres au moment de sa déportation en Allemagne et destiné à être publié dans le cas de son absence lors de la libération de la Belgique. Ce document, d’abord gardé quelque temps secret par le gouvernement Pierlot à son retour à Bruxelles, fut la cause, dès qu’il fut porté à la connaissance des Belges, d’une controverse qui aggrava le débat au sein de l’opinion. Le gouvernement belge à Londres, qui n’avait jamais mis en cause publiquement le Roi pendant ses années d’exil et avait espéré jusqu’au bout un compromis avec lui, n’apprécia pas de lire que le roi demandait des excuses publiques de la part des ministres l’ayant « diffamé », disait-il, en 1940. Les Alliés n’aimèrent pas davantage la demande du Roi de reconsidérer les traités conclus par le gouvernement en exil que le roi estimait défavorables aux intérêts belges. Il en naquit une controverse principalement centrée sur les traités économiques avec les États-Unis concernant la livraison de minerais et surtout de l’uranium congolais indispensable pour la construction des bombes atomiques américaines. Pourtant, la participation militaire de la Belgique libre, en Afrique et en Europe, ainsi que les livraisons économiques avaient constitué un argument qui, plus tard, joua un rôle fondamental dans le payement des dettes alliées, ce qui constitua la cause principale du retour rapide du pays à la prospérité. Grâce à la politique du gouvernement en exil, la Belgique était ainsi un cas exceptionnel parmi les pays vaincus en 1940. Ni les Pays-Bas, privés de leur colonie d’Indonésie par les Japonais dès 1941, ni le Danemark, ni la Norvège ne mirent, au service des Alliés des ressources humaines et des richesses comparables à celles que la Belgique libre investit dans la lutte contre les forces de l’Axe. On a comptabilisé que 100 000 personnes, environ, travaillèrent et combattirent en comptant les auxiliaires, les marins les aviateurs et les forces terrestres en Angleterre et en Afrique. Le texte du testament politique du roi ne formulait pourtant aucune reconnaissance pour l’action des Belges exilés et des ministres belges de Londres, alors qu’en quittant le pays ils avaient exposé leurs familles aux persécutions nazies (ce qui fut le cas, entre autres, de la famille du ministre des Affaires étrangères, Paul-Henri Spaak, dont l’épouse et les enfants durent se cacher et dont une belle-sœur fut exécutée et du Premier ministre Pierlot dont le beau-frère assuma une mission secrète en Belgique qui entraîna sa mort, et du ministre Camille Gutt qui perdit deux fils au service des Alliés). De plus, le testament politique de Léopold III traduisait une vision étroite du monde et se fixait surtout sur les problèmes belgo-belges, ne disant mot de la Résistance, à laquelle il avait pourtant apporté un soutien en autorisant le chef de la maison militaire royale, le général Tilkens à apporter une aide armée au Mouvement national royaliste. Se voyant exclu des événements politiques et militaires, avec pour conséquence son maintien de force en Allemagne par les Américains qui l’avaient libéré avec sa famille, le roi allait critiquer, en 1946, la persistance de la présence alliée en Belgique libérée comme une « occupation ». Winston Churchill, frappé du décalage entre la situation réelle de la Belgique et la vision du monde que révélait le testament politique du roi, remarqua : « Il n’a rien oublié et rien appris ».

Cependant, en 1946, une commission d’enquête officielle exonéra Léopold III de toute accusation de trahison en 1940, au vu de son renoncement à un armistice, acte politique qui lui eut ouvert les voies pour la constitution d’un gouvernement collaborationniste, à l’instar de ce qui se passa en France avec le gouvernement Laval installé par le maréchal Pétain avec l’accord de l’Allemagne. Néanmoins la controverse sur sa loyauté continua. Une consultation populaire eut lieu en 1950 qui autorisa à 57 % le roi à rentrer en Belgique. Cependant, le scrutin révélait un pays coupé en deux. En majorité, les Wallons et certains noyaux industriels ou urbains flamands avaient voté contre son retour, mais celui-ci fut nettement approuvé par les habitants des campagnes wallonnes et par une forte majorité des Flamands, ce qui fit taxer le souverain de « roi des Flamands » par certains de ses opposants.

À peine le souverain rentré le 22 juillet 1950, des troubles éclatèrent, surtout dans les provinces wallonnes. La grève générale paralysa une bonne partie du pays, le parti communiste se montrant particulièrement actif dans l’action anti-monarchique, notamment à Anvers dans le milieu des dockers. On compta plusieurs dizaines de sabotages à l’explosif en Wallonie et quatre morts, abattus par la gendarmerie au cours d’une manifestation: la fusillade de Grâce-Berleur (commune de la périphérie liégeoise).

Le 31 juillet, après une entrevue dramatique avec d’anciens déportés politiques, le roi Léopold III accepta de confier la lieutenance générale du royaume à son fils aîné le prince Baudouin afin de préserver l’unité du pays, puis il abdiqua le 16 juillet 1951, la situation n’ayant pas évolué.

Léopold III influença le règne de son fils Baudouin jusqu’au mariage de ce dernier. En 1959, le gouvernement lui demanda alors de cesser de vivre sous le même toit que son fils et de quitter le palais de Laeken. L’ancien monarque se retira alors au château d’Argenteuil, proche de Bruxelles, dans la forêt de Soignes et n’eut plus aucun rôle politique.

Léopold III décède dans la nuit du 24 au 25 septembre 1983, à l’âge de 81 ans à la clinique universitaire Saint-Luc de Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles) des suites d’une lourde intervention chirurgicale sur les coronaires. Il est inhumé, comme tous les rois et reines des Belges, à l’église de la crypte royale de Notre-Dame de Laeken à Bruxelles, aux côtés de ses deux épouses.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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