Le paquebot “France”.

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Le paquebot France, (troisième du nom, rebaptisé Norway en 1979, puis Blue Lady en 2006) est un ancien paquebot transatlantique construit aux Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, où il est mis à l’eau, le 11 mai 1960, en présence du président de la République française, le général de Gaulle. Avec ses 316 mètres de long, il est pendant toute sa période d’activité le plus long paquebot (navire à passagers) jamais construit au monde jusqu’au lancement en 2004 du RMS Queen Mary, long de 345 m (1 132 ft). Symbole du prestige de la France gaullienne, et de son effondrement dans les années 19702, il fut surnommé le « petit frère du Normandie » par les chantiers de l’Atlantique.

Son port d’attache est Le Havre et il est mis en service en janvier 1962, pour le compte de la Compagnie générale transatlantique (CGT). Luxueusement meublé, le paquebot a été décoré par plusieurs peintres de l’École de Paris, notamment par Louis Vuillermoz.

Pendant douze ans, il assure des traversées transatlantiques et quelques croisières autour du monde, jusqu’en septembre 1974. Son désarmement est brutalement décidé avec l’accord du président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, pour cause de non-rentabilité, alors qu’il s’était engagé, au cours de sa campagne électorale, à le maintenir en service.

Revendu d’abord à l’homme d’affaires saoudien Akram Ojjeh, en 1977, puis à un armateur norvégien en 1979, rebaptisé Norway, il assure alors, après plusieurs transformations, des croisières en mer des Caraïbes. Revendu à un ferrailleur, il est rebaptisé Blue Lady en 2006 et son démantèlement prend fin en 2009 en Inde, sur le chantier d’Alang.


Le lancement a lieu le mercredi 11 mai 1960, devant une centaine de milliers de spectateurs, pour certains venus par des trains et avions spécialement affrétés pour l’occasion. Après les discours de circonstance, le navire est béni par Mgr Villepelet, évêque de Nantes, à 15 h 50. Sous la coque, des ouvriers s’activent pour enlever les cales et accores8 qui retiennent le navire. Sur le pont, le commandant Georges Croisille assure la manœuvre.

Le “France” carte maximum, Le Havre, 27/01/1980.

Le navire est lancé à 16 h 15, une demi-heure avant la pleine mer, afin de profiter du courant de flot (le jour a été choisi car il correspondait à un jour de la première marée avec une amplitude suffisante), et quinze ans jour pour jour après la libération de la poche de Saint-Nazaire. Sa marraine, Mme Yvonne de Gaulle, épouse du général, coupe le ruban qui retient la bouteille de champagne, et le France glisse sur les rampes de bois, puis pénètre dans l’eau à 33 km/h. Sept minutes plus tard, six remorqueurs le prennent en charge et l’amènent vers la forme Joubert, d’où quatre le conduisent ensuite au quai de Penhoët. À 16 h 30, le Général de Gaulle prononce un discours, qui s’achève par « Et maintenant, que France s’achève et s’en aille vers l’océan, pour y voguer et servir ! Vive le France, vive la France ! »

Bien que lancé à la fin de l’époque des grands paquebots transatlantiques, et que la direction de la CGT savait qu’il ne serait pas rentable à long terme, le France a relativement bien réussi commercialement parlant. Il a transporté plus de 588 000 passagers sur la ligne Le Havre-New York, soit un taux de remplissage moyen de 77%, taux qui monte à 91% pour les croisières touristiques d’hiver.

Malgré cela, les comptes d’exploitation ne sont jamais à l’équilibre, et seule la subvention de l’État maintient le paquebot à flot. Un rapport de Valéry Giscard d’Estaing préconisait d’ailleurs sa suppression avant le choc pétrolier de 1973 qui fit exploser les coûts d’exploitation et provoqua son désarmement, l’État refusant d’ajuster la subvention.

La première traversée transatlantique a lieu le 3 février 1962. 1 806 passagers sont à bord : 580 en première classe et 1 226 en classe touriste. Des milliers de Havrais sont présents afin d’assister au premier départ du France vers New York. Propulsé par 160 000 chevaux, la traversée dure cinq jours dont quatre se déroulent par gros temps. À son arrivée dans la rade de New York le 8 février 1962, le France est accueilli par une parade de remorqueurs, bateaux-pompes, embarcations privées, qui l’accompagnent, ainsi que d’hélicoptères et avions. Pendant sa remontée de l’Hudson, il est salué par des milliers de personnes présentes sur les rives. Le bateau reste amarré cinq jours au quai 88 — le Pier 88, celui qui avait été aménagé pour le Normandie — où est organisée une exposition du goût français. François Reichenbach a réalisé un film documentaire pendant ce voyage, Week-end en mer, sorti en 1962.

Pendant sa carrière, le paquebot eut plusieurs personnalités comme passagers, à l’instar de Jackie Kennedy, Audrey Hepburn et Grace Kelly.

En 1965, les recettes dégagées par le navire sont pour la première fois inférieures aux dépenses, ce qui est accentué par les grèves et événements de mai 68 qui entraînent de fortes augmentations de charges. Le Queen Elizabeth 2 entre en service en 1969 et lui mène une rude concurrence. Cette même année, le paquebot-amiral américain United States est désarmé pour non-rentabilité. La dévaluation du dollar en 1973 fait perdre encore plus d’argent à la Compagnie Générale Transatlantique. Les hausses du prix du mazout provoquées par le premier choc pétrolier de 1973, conjuguées avec la baisse des subventions d’État comblant le déficit, aggravent encore la situation, augmentant les rumeurs de désarmement, notamment après le deuxième tour du monde du paquebot. En 1974, le paquebot transatlantique est en effet devenu un moyen de transport déclinant inexorablement depuis plus de dix ans. Le nombre de passagers ne cesse de chuter après un âge d’or dans les années 1950, qui se termine avec l’arrivée des premiers avions à réaction, DC-8 et Boeing 707.

Le suspense continue à propos d’un éventuel désarmement du navire, alors qu’une réunion interministérielle doit se tenir en avril 1974. Mais Georges Pompidou meurt le 2 avril et Valéry Giscard d’Estaing, candidat à la présidence, déclare durant la campagne présidentielle vouloir maintenir le navire en service. Pourtant, la promesse est oubliée après son élection et le nouveau gouvernement de Jacques Chirac décide, le 1er juillet, de mettre fin à la prise en charge du déficit de la Compagnie Générale Transatlantique. Celle-ci annonce, le 8 juillet, que le France doit être désarmé à la fin de la saison, le 25 octobre. Les réactions sont nombreuses : des comités de soutien se forment, des pétitions sont signées, de nombreux articles le défendent dans la presse.

Voyage inaugurale du France, carte maximum, Le Havre, 3/02/1962.

À quai, on peut voir des manifestations de soutien : des passagers occupent le navire à plusieurs reprises, par solidarité avec l’équipage. La Transat annonce tout de même les deux dernières traversées : Le Havre—New York du 11 au 17 octobre, puis New York—Cannes du 18 au 25 octobre. De nombreuses places sont réservées pour ces traversées, même si célébrer la fin du France au champagne est aussi vu comme une provocation.

Le 19 juillet 1974, une manifestation menée par Henri Krasucki, délégué national de la CGT, et par André Duroméa, maire du Havre, entraîne un retard de huit heures à l’appareillage, le France ne partant qu’à 21 h 5.

Le 19 décembre 1974, le France est remorqué, depuis le quai Joannès-Couvert, jusqu’au canal central dans la zone industrielle du Havre, par quatre remorqueurs. Le navire est amarré près des complexes pétrochimiques et va rester à cet endroit pendant quatre ans et demi, endroit qui est alors surnommé le « quai de l’oubli » ou le « quai de la honte ». Le commandant Pettré débarque le 21 décembre, et seuls quarante hommes restent à bord pour maintenir la chaudière en activité, afin de produire le minimum de chauffage et d’éclairage nécessaire. Cet abandon signifie aussi la fin des traversées transatlantiques pour la ville du Havre et de nombreuses suppressions d’emplois, malgré les promesses de réemploi de la CGM. 2 500 emplois sont directement supprimés par le désarmement du France, quelques milliers d’autres sont menacés indirectement.

Paquebot France, épreuve d’atelier, Sénégal.

L’entretien, le gardiennage et les frais de port du navire coûtant encore 200 000 francs par mois, la dernière chaudière est arrêtée le 29 avril 1975. Six hommes restent à bord pour la veille, pendant que l’électricité vient de la terre. Le France ne sortira du « quai de l’oubli » qu’une seule fois pendant ces quatre années, le 6 mai 1975, alors qu’une tempête casse ses amarres et le met en travers du chenal. Il revient à plusieurs reprises en tête de l’actualité : lorsque Michel Sardou écrit et interprète la chanson Le France, dont 500 000 exemplaires sont vendus en deux semaines et près de 1 000 000 écoulés au total ; ou lorsque, le 17 octobre 1975, une cinquantaine de grévistes d’ATO-chimie montent à bord pour déployer leurs banderoles ; d’autres grèves et manifestations utilisent le France comme symbole. Cinq ou six jours par an, des visites sont organisées, avec 50 à 60 000 visiteurs ; le quai de l’oubli devient un but de promenade : le France devient un symbole d’une ville et d’un pays en crise.

Diverses propositions de réutilisation du navire apparaissent : ainsi Michel Crépeau, maire de La Rochelle, propose de l’amarrer entre l’île de Ré et La Pallice, pour en faire une maison de retraite pour marins ; un chirurgien parisien propose de le convertir en navire-hôpital au large du Liban, alors en pleine guerre civile ; une suggestion d’école hôtelière itinérante apparaît même. Des propositions plus sérieuses consistent en la revente du navire à une société de loisirs pour être reconverti en navire de croisière ou en hôtel flottant. Le musicien et patron de boîte de nuit marseillais Marcel Rossi crée un comité de sauvegarde du paquebot qui vise à le transformer en centre de loisirs flottant et en casino, amarré face au port de l’Estaque à Marseille. Le projet le plus sérieux vient de la ville de Montréal, pour les Jeux olympiques d’été de 1976, mais il échoue. En novembre 1976, le France est mis quelques semaines en cale sèche, pour le débarrasser des algues et coquillages accrochés sur sa coque, puis il revient à son quai.

Le France, essais de couleurs.

Finalement, le France est racheté le 24 octobre 1977 par Akram Ojjeh, riche homme d’affaires saoudien, pour 80 millions de francs. S’il dit l’avoir fait pour « le protéger des ferrailleurs », le France ne navigue toujours pas. L’armateur norvégien Knut Ulstein Kloster, propriétaire de la société Norwegian Caribbean Line (NCL), négocie alors avec Akram Ojjeh et lui rachète le navire le 25 juin 1979, pour 77 millions de francs. L’armateur annonce que le paquebot va être renommé Norway et qu’il naviguera, mais dans une configuration pouvant accueillir plus de passagers et avec un équipage réduit et « bon marché ».

Malgré diverses propositions, les chantiers navals du Havre ne remportent pas l’offre pour la transformation du navire ; le départ du Norway est annoncé pour le 15 août 1979 à destination de Bremerhaven, en Allemagne. Après plus de quatre ans à quai, le navire est devenu un symbole pour une ville en crise : une grève générale transforme Le Havre en ville morte. Les Havrais manifestent ce jour-là, bloquent l’écluse François Ier pour retenir le remorqueur Abeille Provence, soutenus par l’équipage, solidaire du mouvement. Les contestataires sont délogés par les CRS pendant la nuit, mais les remorqueurs ne sortent pas. La situation s’envenime même politiquement et l’armateur fait intervenir deux remorqueurs néerlandais pour que le navire appareille le 17 août. Un coup de vent oblige le Norway à rester une nuit de plus.

Il quitte Le Havre et la France, le lendemain matin, 18 août 1979, remorqué par l’Abeille Provence. L’émotion est forte dans la foule qui observe silencieusement le départ et est également traduite par l’absence de réponse des remorqueurs aux trois coups de sirène traditionnels du paquebot. Dans son voyage tout au long des côtes françaises, un public nombreux le regarde passer.

Le paquebot est fortement endommagé lors de l’explosion de l’une des quatre chaudières à Miami, le 25 mai 2003, causant la mort de plusieurs marins. Remorqué, il part de Floride le 4 juillet 2003, en direction de Bremerhaven, où il arrive le 24 juillet 2003, pour la réparation du système de propulsion. Son état général reste très bon, mais il a déjà 41 ans de service. Au cours de l’hiver 2003, une tempête s’abat sur la mer du Nord et fait chavirer le dernier-né de la compagnie NCL, le Pride of America. La compagnie décide la réparation de celui-ci, alors en construction, ce qui anéantit tout espoir de revoir le Norway naviguer. Il reste amarré, jusqu’au 23 mai 2005, au Kaiserhafen III (le quai de l’Empereur) de Bremerhaven, qu’il quitte avec l’aide de cinq remorqueurs. Sorti du port, le paquebot est pris en charge par le remorqueur De Da. Il arrive le 10 août 2005 au large de Port Kelang, un grand port à environ 100 km à l’ouest de Kuala Lumpur en Malaisie occidentale, où il attend son sort. Revendu à un ferrailleur indien, Sanjay Mehta, il change de nom pour Blue Lady fin janvier 2006.

Courrier posté à bord du Paquebot France, oblitération canadienne sur timbre français.

Le 16 février 2006, le gouvernement bangladais interdit le démantèlement au Bangladesh du navire qui contient de l’amiante. La veille, la décision du Conseil d’État français obligeait Paris à rapatrier le Clemenceau qui devait être aussi démoli en Inde. Le 2 août 2006, la Cour suprême de l’Inde autorise finalement le démantèlement en Inde du paquebot, et le 14 août 2006, le Blue Lady est amarré devant la plage d’Alang pour y être démoli.

Attendue en mars 2007, puis repoussée au 13 mai 2007, une décision de la Cour suprême indienne a autorisé PriyaBlue, le démolisseur qui a racheté le bateau, à commencer le pompage de l’huile et du fioul se trouvant à bord, sous le contrôle d’experts de l’État de Gujarat28. Cette opération rend inéluctable son démantèlement sur place car le navire, échoué pendant presque un an sur une plage d’Alang, est devenu hors d’état de naviguer, malgré deux projets de reprise, dont l’un proposait sa transformation en hôtel-casino, près de Honfleur. Le 11 septembre 2007, la Cour suprême indienne donne son feu vert au démantèlement du navire29. Entièrement pillé lors de son passage en Malaisie, son démantèlement intégral nécessite près de deux ans.

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Sources : Wikipédia, YouTube.