Jean Monnet, fonctionnaire international et père de l’Europe.

Jean Monnet, né le 9 novembre 1888 à Cognac et mort le 16 mars 1979 à Houjarray (Bazoches-sur-Guyonne), est un fonctionnaire international français, banquier international, promoteur de l’atlantisme et du libre-échange. Il est considéré comme l’un des « pères de l’Europe ».

Après avoir été, dès sa création en 1919, l’un des principaux promoteurs de la Société des Nations dont il est secrétaire général adjoint, organisant à ce titre la Conférence financière de Bruxelles de septembre 1920, il fait fortune à Saint-Pierre-et-Miquelon grâce à la vente de cognac à des contrebandiers américains pendant la Prohibition, ce qui lui permet de fonder en 1929 sa propre banque à Chicago, la Bancamerica.

Agent d’influence au service de la France, puis plus généralement des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, il propose en 1940 le projet d’Union franco-britannique et devient un des artisans de la planification française au moment du Plan Marshall, et un des principaux fondateurs de la Communauté économique européenne (traité de Rome de 1957) et du Marché commun européen (1968). Ceux-ci sont les prédécesseurs de l’Union européenne.


Jean Monnet, carte maximum, Cognac, 15/03/1980.

Jean Omer Marie Gabriel Monnet naît le 9 novembre 1888 à Cognac au 9, rue Neuve des Remparts, dans une famille de négociants en cognac. Il commence sa carrière dans l’entreprise familiale. Sa formation est essentiellement due aux conversations qu’il écoute, dès l’enfance, à la table familiale entre son père et ses clients étrangers, sur le commerce du cognac, un des premiers secteurs français à être très internationalisés.

Il interrompt ses études avant son baccalauréat, à 16 ans, pour travailler dans l’entreprise paternelle. Puis, à 18 ans, Jean Monnet s’installe à Londres et voyage ensuite plusieurs fois en Amérique du Nord pour l’entreprise familiale. Jean Monnet en tire une parfaite maîtrise de l’anglais, une très bonne connaissance des Anglo-saxons et de l’optimisation de l’affrètement maritime : les exportateurs de cognac utilisaient au maximum des capacités de fret des bateaux et veillaient à les charger au retour pour diminuer les coûts.

En 1914, après la bataille de la Marne, à peine âgé de 26 ans et fort de son expérience d’affréteur maritime, réformé pour raisons de santé, il obtient un entretien avec le président du Conseil, René Viviani, replié à Bordeaux lui décrivant le gâchis que représente l’utilisation désordonnée des flottes marchandes françaises et britanniques, il lui explique la nécessité de créer un pôle maritime franco-britannique pour optimiser les transports de vivres, munitions et matières premières et réussit à le convaincre. En effet, les navires français ou anglais partaient vides pour les États-Unis pour revenir pleins, et inversement ! Sous l’impulsion du ministre du Commerce, Étienne Clémentel, il participe ainsi à la délégation du ministère du Commerce à Londres.

À cette fin, il est nommé responsable de la coordination des ressources alliées sous le statut de haut fonctionnaire inter-allié en 1916 pendant toute la durée restante de la Première Guerre mondiale. Il est confirmé dans ses fonctions par Georges Clemenceau.

En avril 1919, sous la pression des Américains, la commission de coordination économique interalliée prend fin.

En 1919, il est un des artisans de la création de la Société des Nations, organisation dont il est nommé le numéro deux. Il effectue des missions en Silésie, en Autriche, en Pologne et en Roumanie. En 1920, il est appelé au poste de secrétaire général adjoint de la nouvelle organisation internationale. À moins de 32 ans, il est le principal organisateur de la Conférence financière de Bruxelles de septembre 1920, reconnaissant que la déflation après la guerre pourrait avoir des répercussions désastreuses sur l’économie mondiale.

Démissionnaire en décembre 1923 pour rejoindre l’entreprise de commerce d’alcool de son père en grande difficulté à cause de la Prohibition (1919-1933), Jean Monnet redresse la situation et s’enrichit en trouvant des appuis pour pratiquer la contrebande. Travaillant entre les États-Unis et la France, il s’engage dans une carrière d’homme d’affaires et de financier international.

Jean Monnet, épreuve d’artiste signée.

Monnet déménage en Amérique pour accepter un partenariat avec Blair & Co., une banque new-yorkaise qui fusionne avec Bank of America en 1929 pour former Bancamerica-Blair Corporation, société appartenant à Transamerica Corporation. La même année, il rencontre Silvia de Bondini (1907-1982), qu’il épouse en 1934 à Moscou.

Il retourne à la politique internationale et, en tant que financier international, joue un rôle important dans les politiques de reprise économique de plusieurs pays d’Europe centrale et orientale. En novembre 1932, le ministre des Finances chinois invite Jean Monnet à présider un comité non politique Est-Ouest en Chine chargé du développement de l’économie chinoise. Pendant son séjour en Chine, la tâche de Monnet consiste à associer des capitaux chinois à des sociétés étrangères et conduit à l’inauguration officielle de la Société chinoise de financement du développement (CDFC) ainsi qu’à la réorganisation des chemins de fer chinois.

En 1935, alors qu’il se trouve encore à Shanghai, Monnet devint partenaire commercial de George Murnane (ancien collègue de Monnet à la Transamerica), dans la société Monnet, Murnane & Co. Murnane était lié à la famille Wallenberg en Suède, à la famille Bosch en Allemagne, les Solvays et Boëls en Belgique, ainsi que John Foster Dulles, André Meyer et la famille Rockefeller aux États-Unis.

Rentré en France, en 1938, il préside, dès décembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, le comité de coordination visant à mettre en commun depuis Londres, les capacités de production de la France et du Royaume-Uni en vue de préparer et de coordonner l’effort d’armement.

Lorsque Winston Churchill est nommé premier ministre du Royaume-Uni le 10 mai 1940, Jean Monnet arrive à le convaincre, dans une note intitulée Anglo-French unity, de l’intérêt d’un projet, voté par la Chambre des communes, d’union franco-britannique immédiate de la France et du Royaume-Uni, avec un seul Parlement et une seule armée, pour être plus forts face à l’Allemagne. Le général Charles de Gaulle essaie de convaincre Paul Reynaud, le président du Conseil, de signer le traité pour cette union. Le 15 mai, ce dernier déclare au téléphone à Churchill : « Nous sommes battus, nous avons perdu la bataille », et le lendemain le général Gamelin donne l’ordre de repli aux forces françaises qui se battent en Belgique, et le 18 mai Paul Reynaud annonce à la radio la nomination du maréchal Pétain au poste de vice-président du Conseil.

Le 14 juin, les troupes allemandes entrent à Paris. Le 16 juin, de Gaulle, en mission à Londres, dicte lui-même au téléphone le texte de la note à Paul Reynaud. Le même jour, il arrive à Bordeaux, apprend que Paul Reynaud s’est démis de ses fonctions le soir-même et que Philippe Pétain est devenu président du Conseil. Le soir du 17 juin, Jean Monnet reçoit à son domicile londonien le général de Gaulle, qui prépare son appel radiodiffusé du lendemain. Jean Monnet coopère momentanément avec lui pour tenter de maintenir le gouvernement de la France aux côtés des Alliés. Néanmoins, il refuse de s’associer à lui pour le lancement de la France libre à laquelle il n’adhère jamais. Monnet croyait qu’il serait plus efficace de coopérer à la victoire des alliés en entrant au service du gouvernement britannique et c’est ce qu’il fit. Paradoxalement, de Gaulle et Monnet, quoique très différents, eurent immédiatement la même analyse sur la nature mondiale de la guerre et sur son issue victorieuse.

Jean Monnet, essais de couleurs.

En août 1940, Jean Monnet est envoyé aux États-Unis par le gouvernement britannique pour négocier l’achat de fournitures de guerre. Les États-Unis ont une politique isolationniste, mais il réussit à persuader le président Franklin Delano Roosevelt de relancer l’industrie de guerre américaine, afin de pouvoir contre-attaquer très vite et très fort le moment venu. C’est la mise en place du « Victory program ». Jusqu’en 1945, il s’emploie à coordonner l’effort de guerre entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Dès 1942, il était prévu de construire 60 000 avions, 45 000 chars d’assaut et huit millions de tonnes de navires de guerre. Jean Monnet résume cette politique par une phrase célèbre : Il vaut mieux 10 000 chars de trop qu’un seul de moins que nécessaire. John Maynard Keynes a dit de lui qu’il avait abrégé la guerre d’un an.

En 1943, il est envoyé par Roosevelt à Alger pour seconder le général Henri Giraud au sein du Commandement en chef français civil et militaire : il contribue largement à l’abandon progressif par Giraud de la législation de Vichy4. Le 6 mai 1943, alors qu’il négocie la création du Comité français de libération nationale, Monnet adresse au principal et très proche conseiller de Roosevelt, Harry Hopkins, une note, alors secrète mais qui sera connue lors de l’ouverture des archives, qui ne laisse aucune illusion sur les sentiments qu’il porte alors au général de Gaulle et sur la conduite à tenir, selon lui, au regard du chef de la France libre : Il faut se résoudre à conclure que l’entente est impossible avec lui ; qu’il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu’il est un ennemi de la construction européenne, qu’en conséquence, il doit être détruit dans l’intérêt des Français.

Réconcilié avec De Gaulle, après que celui-ci eut fait preuve de son attachement à la démocratie, il est ensuite nommé membre du Comité français de Libération nationale institué pour unifier l’effort de guerre des autorités françaises de Londres et d’Alger. Il est un de ses plus proches collaborateurs et joue un rôle clé sur le plan économique pour préparer le redressement du pays. En 1944, il est chargé d’évaluer les besoins de la France après la Libération ; à cet effet, il négocie auprès du gouvernement américain les premiers prêts et les premiers accords de crédit, en marge du plan Marshall.

Dès 1943, ses projets pour l’Europe intègrent les exigences américaines concernant les suppressions des droits de douane et des contingentements européens, ainsi que la création d’une unité économique commune.

Pour lui, l’économie de guerre était planifiée, et il est naturel que l’économie de la reconstruction le soit aussi, mais son but n’est pas d’adopter la philosophie de la planification à la soviétique et surtout de transposer en France ses méthodes autoritaires. Son but est d’insuffler du dynamisme, pas d’imposer des objectifs. À la libération, il est chargé par le général de Gaulle du plan pour relancer l’économie, en tant que commissaire au Plan, de décembre 1945 à 1952, dans le cadre des prêts américains du plan Marshall. Il présente un éphémère plan Monnet, visant à prendre le contrôle de la Ruhr. Il est le père de la planification à la française. Le travail de ses services consiste à étudier la situation, à mettre en évidence les priorités, à évaluer les volumes de production souhaitables, à lancer les discussions sur les moyens de les mettre en œuvre, et surtout à lancer la reconstruction et la modernisation de l’appareil de production. Il est avec Léon Blum le négociateur de l’accord Blum-Byrnes de 1946, qui ouvre le territoire français à la production cinématographique américaine.

Dès 1950, des rapports signalent que l’Allemagne se relève beaucoup plus vite que la France, certains craignent que les vaincus soient à nouveau tentés par une revanche. De plus, il faut définitivement intégrer l’Allemagne dans le camp occidental alors que la guerre froide débute et que le centre de l’Europe risque de devenir un espace d’instabilité et de guerre Est-Ouest. La France se doit de prendre l’initiative, de tendre la main à l’ennemi d’hier et de proposer de lier les destins des deux principaux pays de l’Europe continentale.

Jean Monnet travaille en secret sur un projet de mise en commun du charbon et de l’acier, principales sources d’une possible industrie de guerre. Au printemps 1950, il présente son projet à Robert Schuman, qui s’assure de l’accord du chancelier allemand, Konrad Adenauer, et fait le 9 mai 1950 une déclaration solennelle pour inviter tous les pays intéressés à poser les premières bases concrètes d’une fédération européenne.

Le traité de Paris de 1951 entérine la création de la Haute Autorité qui s’inspire des agences fédérales américaines, l’Assemblée des Six, une Cour de Justice qui veille au respect du traité et un Conseil de ministres qui assure l’harmonisation des politiques des États membres. C’est la préfiguration d’une Fédération européenne. La CECA est créée et Jean Monnet devient, de 1952 à 1955, le premier président de la Haute Autorité (Autorité Monnet) de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), installée à Luxembourg, le 10 août 1952. Dès 1953, le charbon et l’acier circulent librement en Europe.

Jean Monnet, carte maximum, Bonn, 5/05/1988.

Pour lui, cette “Europe des Six” est le seul moyen de lier l’Allemagne et la France et de désamorcer la renaissance d’une rivalité séculaire, en plaçant les productions de l’acier et du charbon, dans le cadre d’une délégation de souveraineté. Il veut aller plus loin toutefois, et envisage une armée nationale allemande, ce qui semble être un dangereux retour en arrière. Il propose finalement la création d’une armée européenne, présentée par René Pleven dans le cadre d’un Plan de Communauté européenne de défense (CED). Un premier traité sera signé, mais sous le gouvernement Mendès France le Parlement français le rejette néanmoins en 1954.

À la suite de cette première grave crise européenne, Jean Monnet démissionne de la Haute Autorité et fonde le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe au 94 boulevard Flandrin (16e arrondissement de Paris), pour poursuivre son activité en faveur de l’unité européenne à travers lui. Ce comité regroupe les forces syndicales et politiques des six pays et représente plus de dix millions de personnes. Il prône une fédération européenne et propose de placer le siège des institutions communautaires dans un district fédéral échappant aux souverainetés nationales. Jean Monnet l’anime jusqu’en 1975, et il travaille sur les projets de traité pour le Marché commun et d’Euratom, qui privilégie une filière américaine d’approvisionnement contre l’indépendance nucléaire française8, projets qui aboutissent au traité de Rome, le 25 mars 1957 et sur le projet d’élargissement de la Communauté au Royaume-Uni.

Jean Monnet résume la philosophie de son projet européen dans la formule :

Nous ne coalisons pas les États, nous rassemblons les hommes.

De Gaulle s’oppose violemment[réf. nécessaire] à la CED et critique fermement la mise en place de la CECA et du traité de Rome. Outre qu’il ignore le détail des intrigues que Monnet avait menées contre lui auprès de Roosevelt, l’ancien chef de la France Libre se méfie de Monnet tout comme il se méfie de Roosevelt. Monnet était un banquier de Wall Street. Monnet s’était rallié directement aux Anglo-Saxons pendant la Seconde guerre mondiale et avait ensuite soutenu le général Giraud, à Alger. Ainsi, De Gaulle n’hésitera pas à le traiter de petit financier à la solde des Américains. Monnet s’oppose à De Gaulle par ses projets concrétisant l’idée de supranationalité. Ceux-ci, selon de Gaulle, mettent en danger le droit à l’indépendance de la France, sous attaque depuis 1939. De Gaulle, dira plus tard que la Commission Européenne doit être une commission commune qui ne soit naturellement pas constituée avec des Jean Monnet, des apatrides soi-disant supranationaux, mais avec des fonctionnaires qualifiés. Néanmoins, quand il revient au pouvoir en 1958, de Gaulle ne remet plus en cause les premiers acquis de la construction européenne, dont Jean Monnet est pourtant un des principaux instigateurs De Gaulle favorise la mise en place de la CEE en lançant les négociations de la politique agricole commune (PAC), qui consacre le principe communautaire et l’autorité de la Commission avec un droit de véto pour la France (principe d’unanimité). Cependant, tant que de Gaulle reste au pouvoir, la France demeurera hostile au transfert important de souveraineté prôné par Monnet.

En effet, selon de Gaulle, la construction européenne doit se fonder « sur des réalités », sur les États et seulement sur eux. A l’inverse de Monnet qui souhaite une intégration du rôle américain, de Gaulle estime en outre que l’Europe unie se résume surtout à un partenariat franco-allemand ; il aurait dit à ce propos : L’Europe ? C’est la France et l’Allemagne ; le reste, c’est les légumes ! Il reste ainsi fidèle à la vision de la France qu’avaient Armand Jean du Plessis de Richelieu et Jacques Bainville sur l’Allemagne. Dès son retour au pouvoir en 1958, il manifeste clairement sa priorité diplomatique en prenant l’ambassadeur de France à Bonn, Couve de Murville, comme ministre des Affaires étrangères. Puis, il reçoit le chancelier Adenauer chez lui, à Colombey, honneur qu’il ne répétera jamais pour quiconque. La messe solennelle, célébrée dans la cathédrale de Reims avec le chancelier allemand, et la libération des derniers Allemands condamnés pour crimes de guerre en France sont autant de gestes symboliques qui doivent se conclure par le traité de l’Élysée de janvier 1963. De Gaulle scelle ainsi la réconciliation entre ce qu’il appelait les Gaulois et les Germains.

Le lobbying des Américains auprès des parlementaires allemands parvient néanmoins à neutraliser ce traité. Le Bundestag allemand, en ratifiant le traité de 1963, le fait précéder d’un préambule, qui replace cet accord dans le cadre de l’Alliance atlantique et réaffirme la priorité de l’alliance germano-américaine sur le partenariat franco-allemand.

Jean Monnet, accorde le primat aux forces de l’économie et au commerce international, qu’il connaît bien. De Gaulle, imprégné d’une profonde culture historique, et conscient de la faiblesse économique française au lendemain de la guerre, privilégie les relations entre États souverains.

En 1963, Monnet crée, à Lausanne, l’Institut de recherches historiques européennes pour rassembler des archives significatives et de leur consacrer des recherches. Il assure la présidence de cet institut jusqu’en 1965.

En 1975, à l’âge de 87 ans, il prend sa retraite définitive dans sa maison d’Houjarray pour écrire ses Mémoires ; il y meurt le 16 mars 1979, à l’âge de 90 ans. Ses obsèques ont lieu le 20 mars 1979 à Montfort-l’Amaury en présence du président français Valéry Giscard d’Estaing et du chancelier allemand Helmut Schmidt. Ses cendres sont déposées au Panthéon de Paris.

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Sources : Wikipédia, YouTube.