Igor Grabar, peintre.

Igor Emmanouïlovitch Grabar (en russe : Игорь Эммануилович Грабарь) est un peintre, un historien d’art et un muséologue soviétique né le 13 mars 1871 (25 mars dans le calendrier grégorien) à Budapest (Autriche-Hongrie) et mort le 16 mai 1960 à Moscou (RSFSR).


Lorsqu’il naquit, il avait déjà deux frères, Béla et Vladimir et la sœur qu’il peignit était peut être sa cadette. Il grandirent tous dans un milieu slavophile où le père, Emmanuel était un avocat ruthène et un politicien qui élu au Assemblée nationale hongrois en 1869, milita activement contre la magyarisation des Slaves peuplant les territoires qui étaient passés à la Hongrie. Sa mère, Olga, fille du ruthène pro-russe Adolf Ivanovitch Dobrianski-Satchourov n’était pas en reste. En 1876, le père d’Igor, contraint par le gouvernement hongrois émigra en Russie sous le nom de Khabrov tandis que la mère restait avec ses enfants, en liberté surveillée dans le manoir de son père à Čertižné. En 1880, toute la famille se retrouva en Russie. Igor fut mis en pension dans le gymnase de la ville d’Egorievsk dans le gouvernement de Riazan où son père ayant réussi les épreuves de qualification, enseignait l’allemand et le français. Sa mère retourna en Hongrie pour continuer sa propagande pro-russe mais en 1882 elle fut arrêtée avec son père qui, comme député, avait pris le parti des Ukrainiens russophiles de Galicie. Ils furent tous les deux acquittés et Olga émigra en Russie où elle passa le reste de sa vie.

En 1882, toute la famille fut transférée à Kiev et la même année Igor entra au lycée Tsarévitch-Nicolas, fondé par Katkov à Moscou, où le directeur ne fit pas payer les frais de scolarité car ses parents étaient slavophiles. C’est là que se révélèrent ses penchants artistiques à travers ses premières huiles où il peignit des portraits de ses camarades moyennant une petite rétribution pour survivre. Il fit aussi connaissance, pendant cette période, avec des étudiants de l’école de peinture, de sculpture et d’architecture de Moscou qui étaient déjà des artistes confirmés: Vassili Polenov, Abram Arkhipov, Sergueï Chtchoukine d’une famille de riches mécènes.

En 1889, désirant obtenir une instruction supérieure il entra à l’Université de Saint-Pétersbourg où il s’inscrivit à la faculté de droit, les places vacantes manquant à la faculté de philologie et d’histoire. Après avoir terminé avec succès ses études de droit en avril 1893, il voulut à nouveau tenter de rentrer là où il n’y avait pas eu de place mais cela lui fut refusé car il avait participé à des grèves estudiantines. Pendant ces quatre années de droit, où il passa plus de temps à assister aux cours d’histoire et à fréquenter l’école de peinture Pavel Tchistiakov, pour vivre, à partir de 1891, il écrivit des articles, des nouvelles, des essais sur des peintres  contemporains pour les revues La Sauterelle, Le Bouffon, Niva et illustra aux éditions A. F. Marx une série de nouvelles de Nicolas Gogol sous le nom de Khabrov dont les titres étaient La Nuit avant Noël, La Foire de Sorotchinsty, Nuit de mai, Le Manteau qui inspirèrent Alexandre Guerassimov.

En 1894, il entra à l’Académie impériale des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg où à la fin de l’année, il s’inscrivit à l’atelier de peinture dirigé par Ilia Répine tandis que Pavel Tchistiakov lui enseignait le dessin. Il y travailla aux côtés de Philippe Maliavine, Konstantin Somov, Dmitri Kardovski qui y étaient entrés avant lui. Bien que Grabar fut un fidèle et fervent admirateur de Répine il fut rapidement déçu par l’enseignement et en juillet 1895 il profita de l’offre du magazine Niva qui finançait un court voyage d’étude en Europe occidentale, pour commencer à prendre ses distances. Lors de ce 1er voyage dont le but était d’étudier les monuments d’architecture de renommée mondiale et les chefs-d’œuvre des pinacothèques françaises, allemandes et italiennes, chez le galeriste Ambroise Vollard, il admira les toiles de Paul Gauguin, de Paul Cézanne, de Vincent van Gogh qu’il surnommait « Le roi des peintres » mais au-dessus d’eux tous il plaçait Diego Vélasquez.

Le 2 avril 1913, Igor Grabar fut nommé directeur de la Galerie Tretiakov, responsabilité qu’il accepta car les fiduciaires lui accordèrent, à sa demande, une autorité illimitée dans la réforme du musée. Son passage se traduisit par une sélection et une présentation des œuvres fondées sur le principe historique et quand la galerie rouvrit en décembre 1913, Vassili Sourikov se trouvait au 2e étage et au 1er étage on pouvait voir les toiles de peintres français et russes contemporains comme Petrov-Vodkine, Sarian… Au début de 1915, ses décisions d’achat déclenchèrent l’opposition des milieux conservateurs de Moscou et des artistes comme Vasnetsov, Nesterov, Makovski et même le prince Chtcherbakov qui l’avait tant aidé réclamèrent son départ. Le débat se poursuivit jusqu’en janvier 1916 et s’arrêta lorsque les édiles de la mairie de Moscou approuvèrent la réforme dans son intégralité. Grabar entérina les changements en publiant pour la première fois le catalogue scientifique de ce musée en 1917. Survint la révolution d’Octobre et Grabar eut à faire face dans la gestion de la galerie à des problèmes qu’il n’avait sans doute pas choisis car plus tard il a écrit en substance que « s’il avait su il ne serait pas venu » comme on dit familièrement en France, mais il préféra rentrer dans l’histoire. Pendant la révolution l’argent manqua, et s’il y en avait il était probablement consacré à autre chose. Avec les nationalisations, celle de la galerie en 1918 d’une part, des collections d’œuvres d’art privées et du patrimoine religieux d’autre part il y eut un tel afflux que, une à une, les salles d’exposition furent fermées au public et converties en entrepôts. Le manque de place exigeait l’agrandissement de l’édifice et en 1926 Alexeï Chtchoussev remplaça Grabar pour diriger la nouvelle Galerie Tretiakov.

Il est facile de comprendre pourquoi avec toutes ces activités et  responsabilités, écriture, architecture, muséologie, de 1908 à 1914, l’artiste ait très peu peint mais en 1915 il s’y remit dans un autre esprit. Après la révolution d’Octobre, le ministre de la culture, Lounatcharski l’invita à fonder pour la région de Moscou le service de muséologie et de conservation des monuments historiques sous l’égide du Commissariat du Peuple aux affaires culturelles. Sur ordre des bolchéviques, on commença par faire l’étude puis l’inventaire de tout le patrimoine connu ce qui revenait à une appropriation par le nouvel État de ces biens comme les monuments du Kremlin de Moscou, du monastère Andronikov et de la cathédrale du sauveur, la plus ancienne construction de Moscou qui le jouxte. Cela eut l’avantage dans une certaine mesure, pour les œuvres et les sites, d’être préservés du vandalisme et d’être protégés lors des opérations militaires pendant cette période de troubles. Troubles aussi, mais moins violents, à l’intérieur des services culturels où les partisans de la sauvegarde de l’héritage, Igor Grabar, Alexandre Benois, Alexandre Chayanov, Piotr Baranovski, entre autres, durent affronter ceux qui, pour simplifier, « voulaient du passé faire table rase » comme Sterenberg, Tatline. Grabar arriva à mettre de son côté ceux qui balançaient entre les extrêmes comme Lounatcharski et finalement l’emporta. On créa un petit atelier de restauration pour le service de muséologie qui fut réorganisé peu après en atelier national, le Centre Igor Grabar de restauration scientifique et artistique de Russie, à la tête duquel se trouva, de 1918 à 1930, Igor Grabar. Le patrimoine historique ne se trouvant pas seulement à Moscou, une première mission fut envoyée dans la région de Iaroslavl puis dans le Nord de la Russie, le long de la Dvina septentrionale et des côtes de la Mer Blanche. Le peintre qu’il était toujours profita de l’occasion pour réaliser une série de tableaux inspirés par les régions qu’il découvrait. Les restaurateurs Fiodor Modorov, Grigori Tchirikov et le photographe A. V. Liadov continuèrent le travail jusqu’en 1926 où ils rendirent leurs études sur les icônes et les églises en bois qui les abritaient. Pendant ce temps, l’atelier de restauration d’icônes « fonctionnait à plein » et acquérait une réputation internationale, mais Grabar, malgré l’autorité que lui donnaient ses fonctions, n’empêcha pas les expropriations et fit porter ses efforts sur la préservation des œuvres et la fondation de musées locaux pour les montrer au public. Il ne réussit pas non plus à concrétiser une proposition de Roman Ivanovitch Kleïn (ru) visant à transformer l’ensemble du Kremlin de Moscou en un musée public; ce site prestigieux fut pris en charge par la Croix-Rouge.

Après 1918, on le vit diriger le service de décoration du Théâtre Maly et en 1921 entrer comme professeur à l’université de Moscou où il donna des cours sur la théorie et la pratique de restauration scientifique qui n’étaient enseignées nulle part ailleurs. Ses articles sur l’Art de l’ancienne Russie et sur la restauration des monuments furent publiés dans des revues soviétiques et étrangères. On le vit aussi œuvrer pour faire connaître l’art de son pays à l’étranger. En 1922, il devint membre du comité d’organisation de la section réservée à l’URSS à l’exposition internationale des Arts de Venise et la même année il se rendit à Berlin au premier salon de peinture russe où il présenta ses propres œuvres. En 1923, il rédigea l’introduction et le catalogue de l’exposition d’Art de la Russie aux États-Unis et participa à la présentation des œuvres à New York et dans d’autres villes. En 1925, pour le salon des peintres russes à Toronto, entre autres œuvres, il présenta ses tableaux. Il fit de même à Los Angeles. En 1927, il recommença avec la rétrospective itinérante de Peinture Soviétique qui le conduisit de ville en ville à travers la Japon et de 1927 à 1928, il continua avec le salon commémorant le 10e anniversaire de la République Soviétique qui fut présenté à Berlin, Vienne, Prague, Stockholm, Oslo, Copenhague, etc. En 1929, il supervisa une exposition itinérante d’icônes. Tous ces déplacements ne l’empêchèrent pas, de 1925 à 1930 de poursuivre ses travaux de  restauration.

De 1937 à 1943, il fut directeur de l’Institut national des Arts plastiques de Moscou. En 1940 il avait retrouvé sa place dans l’establishment. Par exemple, on le vit mis en vedette dans les bandes d’actualité produites par la propagande en direction de l’Allemagne nazie. Pendant la Grande guerre patriotique il dirigea l’Académie des Beaux-Arts de Russie, l’Institut de peinture, sculpture et architecture puis reprit la direction scientifique de l’atelier central de restauration qui porte maintenant son nom. Toutes ces responsabilités ne l’empêchèrent pas de terminer, en 1941, la biographie de Valentin Serov. En juin 1943, Grabar proposa de récupérer des œuvres d’art en Allemagne pour compenser les destructions du patrimoine artistique de son pays pendant l’invasion. Mais s’il était facile d’en choisir dans le pays vaincu, l’estimation des pertes en URSS ne l’était pas et en mars 1946 seulement neuf des quarante plus importants musées avaient pu dresser un inventaire de leurs pertes. Le gouvernement plus expéditif se servit de sa proposition comme d’un écran de fumée. Pendant que le député et historien spécialiste d’art byzantin Victor Lazarev dicutait loyalement avec les alliés pour organiser des réparations équitables, des équipes soviétiques de récupération de trophées, ne s’embarrassant pas de tant de considérations avaient organisé et pratiquement achevé un pillage systématique des lieux concernés.

C’est en 1944 que fut fondé l’Institut de recherche scientifique d’Histoire de l’Art placé sous l’égide de l’Académie des sciences d’URSS où il resta directeur jusqu’en 1960. Il y publia une série d’ouvrages sur l’histoire de la peinture russe. Son activité exceptionnelle fut gratifiée du titre de peintre émérite du peuple de l’URSS, décorée de deux ordres de Lénine et de l’ordre du travail. Avec autant d’hommages officiels, d’importantes fonctions, vétéran chevronné des milieux artistiques et administratifs, âgé de 74 ans, Grabar put s’affranchir de la pression idéologique et ainsi rédiger un article nécrologique dans L’Art soviétique à l’occasion du décès de Leonid  Pasternak en juin 1945.

En 1947, il rencontra Staline pour préparer les cérémonies du 800e anniversaire de la fondation de Moscou. Il persuada le secrétaire général du parti de rendre l’ancien monastère Andronikov, qui avait servi de prison, à la communauté artistique. Les vestiges du monastère restaurés par Baranovski devinrent le Musée central de la culture et de la peinture russe ancienne Andreï Roublev, « Andreï Roublev » qui garda ce nom bien que Grabar trouvait contestable l’attribution de la tombe – découverte dans l’enceinte du monument – au célèbre peintre d’icônes. En 1948, avec d’autres il fut la cible d’une campagne dirigée contre des personnalités des arts et des sciences, mais il conserva son siège à l’université et ses postes administratifs. En 1954, il participa à la rédaction de L’Architecture russe dans la première moitié du XVIIIe siècle, étude qui remettait en cause les connaissances recueillies par les historiens avant 1917. Il disait sans modestie qu’il n’y avait que ce qu’il y avait écrit qui éclairait correctement le sujet.

Après la mort de Staline en 1953, Grabar fut le premier à dénoncer publiquement le Réalisme socialiste soviétique et à payer sa dette envers Lentoulov et Konchalovsky. Cela lui valut d’être surnommé l’« anguille tricheuse » ou « Hérode le voleur », mais Baranovski et Vera Khlebnikova remarquèrent que les plus agressifs contre lui étaient ceux dont les œuvres n’avaient pas été sélectionnées lorsque Igor Grabar était à la tête des comités d’achat.

Source : Wikipédia.

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