Ilia Répine, peintre.

Ilia Iefimovitch Répine (en russe : Илья́ Ефи́мович Ре́пин) est un peintre russe né le 24 juillet 1844 (5 août 1844 dans le calendrier grégorien) et mort le 29 septembre 1930 à Kuokkala (Finlande).

Répine naît à Tchouhouïv, près de Kharkiv (à l’époque dans l’Empire russe, aujourd’hui en Ukraine). Ses parents font du commerce de chevaux, son père est un ancien soldat cosaque et sa mère tient une petite école rurale. Il travaille dans sa jeunesse comme peintre d’icônes, étudie le dessin avec Ivan Kramskoï, et poursuit sa formation à l’Académie impériale des beaux-arts.

Il est membre, à partir de 1878, des ambulants (un groupe de peintres réalistes), et est ensuite nommé académicien de l’Académie impériale des beaux-arts. Professeur, maître d’atelier (1894-1907) puis recteur (1898-1899) de l’académie, enseignant à l’école d’art et d’artisanat de Maria Tenicheva, il a parmi ses élèves Boris Koustodiev, Igor Grabar, Ivan Koulikov, Philippe Maliavine, Anna Ostroumova-Lebedeva et Nikolaï Fechine. Il est aussi le maitre d’étude de Valentin Serov.

Dès le début de son activité créatrice, dans les années 1870, Répine devient une des figures clés du réalisme russe. Il réussit à refléter dans sa production picturale la diversité de la vie qui l’entoure, à embrasser dans son œuvre toutes les dimensions de la contemporanéité, à aborder les thèmes qui traversent la société et à réagir vivement à l’actualité. Son langage pictural a une plasticité qui lui est personnelle, et il s’approprie différents styles, depuis celui des peintres espagnols et hollandais du XVIIe siècle jusqu’à ceux d’Alexandre Ivanov ainsi que des éléments des impressionnistes français qui lui sont contemporains, mais qu’il n’a jamais vénérés.

L’œuvre de Répine s’épanouit dans les années 1880. Il compose alors une galerie de portraits de ses contemporains, travaille comme peintre d’histoire et de scènes de genre. Dans la peinture historique, il est attiré par la possibilité d’exprimer la force émotionnelle de la scène représentée. Il trouve aussi son inspiration dans la peinture de la société qui lui est contemporaine, et même quand il dépeint un passé légendaire, il reste un maître de la représentation de l’immédiat, en abolissant toute distance entre le spectateur et les héros de son œuvre.

Selon Vladimir Stassov, l’œuvre de Répine est ainsi une « encyclopédie de la Russie d’après l’abolition du servage ». Il passe les 30 dernières années de sa vie en Finlande, dans sa propriété des Pénates à Kuokkala. Il continue à y travailler, bien que moins intensément qu’avant. Il écrit des mémoires, dont une partie est publiée dans le livre de souvenir «Далёкое близкое» (Loin et proche).


Ilia Répine nait à Tchouhouïv (Tchougouïev), dans le gouvernement de Kharkov. Son grand-père paternel, le cosaque hors-cadre Vassili Iefimovitch Repine, fait du commerce et tient une auberge. D’après les registres d’état civil, il meurt dans les années 1830, et c’est alors à sa femme, Natalia Titovna Repine, qu’échoit la responsabilité de la propriété. Le père du peintre, Iefim Vassilevitch (1804-1894) est l’aîné des enfants. Dans les esquisses des mémoires consacrées à son enfance, Ilia Iefimovitch indique que son père était un « soldat à billet », qui allait avec son frère chaque année au « service », et, parcourant une distance de trois cents verstes, y amenait un taboun de chevaux pour les vendre. Pendant son temps de service au 11e régiment de uhlans du Tchougouïevsk, Iefim Vassilevitch participe à trois campagnes de guerre, et il est décoré5. Ilia Répine s’efforcera de conserver jusqu’à la fin de sa vie un lien avec sa ville natale, avec la Slobojanchtchina et avec l’Ukraine ; en outre, les motifs ukrainiens prennent une place importante dans son œuvre.

Son grand-père maternel, Stepan Vassilievitch Botcharov, a également consacré nombre d’années au service de l’armée. Le nom de famille de sa femme, Pelageïa Minaïevna, ne nous est pas parvenu. Leur fille Tatania Stepanova (1811-1880) se marie au début des années 1830 avec Iefima Vassilevitch. Ils vivent d’abord chez les parents de l’époux ; ensuite, après des gains dans le commerce des chevaux, la famille s’installe dans une maison spacieuse sur les berges du Donets. Tatania Stepanovna, femme active, sait lire et écrire, et éduque ses enfants en leur lisant à haute voix des œuvres de Pouchkine, Lermontov et Joukovski. Elle crée aussi une petite école pour les paysans des environs, enfants et adultes. Elle dispose de peu pour enseigner : un manuel de calligraphie, une arithmétique et la Loi de Dieu («Закон Божий»), l’équivalent d’un catéchisme. La famille est régulièrement confrontée à des difficultés financières, et Tatania coud pour vendre des fourrures de lièvre.

Le premier à apporter dans la maison des Repine des couleurs d’aquarelle est le cousin d’Ilia Iefimovitch, Trofim Tchaplyguine. Le peintre écrira par la suite que sa vie change à ce moment même, quand il voit le « retour à la vie » d’une pastèque : le dessin en noir et blanc de l’abécédaire de l’enfant trouve subitement dans la couleur éclat et consistance. L’idée de transfigurer le monde par la couleur ne le quittera plus.

En 1855, à 11 ans, Ilia est envoyé par ses parents dans une école de topographie — ce métier, prestigieux pour Tchouhouïv, comporte des travaux de relevé et de dessin. Toutefois, au bout de deux ans, l’établissement est fermé, et l’enfant entre dans l’atelier de peinture d’icônes d’I. M. Bounakov. La nouvelle du talent de ce nouvel élève circule vite dans les environs et au-delà ; le jeune maître est invité à se rendre en ville par des entrepreneurs du bâtiment, qui ont besoin de peintres et de doreurs. À seize ans, Ilia quitte et l’atelier et la maison familiale : on lui propose 25 roubles par mois pour travailler dans un artel d’icônes itinérant, qui se déplace de ville en ville en fonction des commandes.

À l’été 1863, les compagnons de l’artel travaillent dans le gouvernement de Voronej, non loin d’Ostrogojsk, ville natale d’Ivan Kramskoï. Ilia Répine apprend des compagnons locaux que leur compatriote, qui a déjà reçu à cette époque une médaille d’or pour son tableau Moïse fait jaillir l’eau du rocher (Моисей источает воду из скалы), est parti il y a sept ans pour enseigner à l’Académie impériale des beaux-arts. Le récit des habitants d’Ostrogojsk décide Ilia Iefimovitch à changer de nouveau de vie : à l’automne, avec tout ce qu’il a gagné pendant les mois d’été, il se rend à Petersbourg.

Sa première visite à l’Académie des beaux-arts est une déception pour Répine : le secrétaire des conférences, F. Lvov, feuilletant les dessins du jeune homme, trouve qu’il ne maîtrise pas l’estompage, et qu’il ne sait pas faire les traits et les ombres. Cette déconvenue n’ôte pas le désir d’apprendre à Ilia Iefimovitch. Il prend pour 5 roubles et demi une chambre mansardée, s’impose un régime de sévères économies, et rentre dans une école de cours du soir de dessin, dont il devient vite le meilleur élève. Il passe à nouveau l’examen d’entrée à l’académie et le réussit. Après l’admission, de nouvelles difficultés l’attendent ; il doit payer 25 roubles pour pouvoir suivre les cours en auditeur libre. Cette somme est apportée par un protecteur, Fiodor Prianichnikov, directeur de la poste impériale, auquel il a demandé de l’aide.

Durant les huit années passées entre les murs de l’académie, Répine n’a que peu d’amis. Il y a néanmoins parmi eux Vassili Polenov, chez lequel le peintre débutant est toujours reçu chaleureusement, et Mark Antokolski, venu dans la capitale de Vilnius apprendre la sculpture, et qui écrira par la suite « qu’ils se sont vite rapprochés l’un de l’autre, comme seulement le peuvent des gens seuls dans un pays étranger ». En 1869, Répine fait connaissance du critique d’art Vladimir Stassov, qui fera pour longtemps partie du « cercle des plus proches » du peintre. Il considère Ivan Kramskoï comme son maître direct : Répine est à ses côtés lorsqu’il crée l’Artel des artistes, et lui montre ses esquisses de débutant, attentif à ses conseils. Après la mort de Kramskoï, Répine écrira qu’il était celui qui lui avait enseigné la peinture.

Ses années d’études valent à Répine quelques prix, dont une médaille d’argent pour l’esquisse L’ange de la mort frappe tous les premiers-nés égyptiens («Ангел смерти избивает всех перворожденных египтян», 1865), une petite médaille d’or pour Job et ses frères («Иов и его братья», 1869) et une grande médaille d’or pour le tableau La Résurrection de la fille de Jaïre («Воскрешение дочери Иаира», 1871).

Des années après, Répine racontera qu’il manquait d’argent lorsqu’il s’était mis à la préparation de cette toile. Perdant espoir, il avait finalement composé une scène de genre à partir de ce qu’il voyait de sa fenêtre d’étudiant, quand il observait une jeune fille d’un appartement voisin. Il apporta ensuite cette œuvre à la galerie Trenti, pour une vente en dépôt, et fut étonné de recevoir une avance non négligeable. « Je n’avais jamais éprouvé un tel bonheur, me semble-t-il, de toute ma vie ». L’argent ainsi obtenu suffisait pour les couleurs et la toile, mais il lui restait à trouver l’idée créatrice avec laquelle il traiterait le sujet du programme évangélique de l’Académie.

Le premier tableau célèbre de Répine est aussi inspiré d’un projet de montrer la vie. En 1868, travaillant à des études, il voit des haleurs sur la Neva. Le contraste entre les passants désœuvrés et tranquilles, se promenant sur les berges, et ces hommes, dont le corps est strié par les sangles, marque tant l’élève de l’académie, qu’il commence, dès son retour dans sa chambre, à composer des esquisses représentant « cette force vivante du trait ». Le concours pour la petite médaille d’or de l’académie, qu’il est en train de préparer, ne lui donne pas la possibilité de se consacrer pleinement à ce nouveau projet, mais, de l’aveu du peintre, jamais alors, ni dans ses sorties en ville avec ses camarades, ni dans ses conversations avec les jeunes filles de sa connaissance, il ne peut libérer sa pensée de ce projet en train de mûrir.

À l’été 1870, il se rend sur la Volga, avec son frère et deux amis peintres, Fiodor Vassiliev et Ievgueni Makarov. Ce sont de riches protecteurs de Vassiliev qui ont donné les 200 roubles nécessaires pour les frais. Répine écrira ensuite qu’ils n’avaient pas fait que regarder des paysages, le carnet de croquis à la main : les jeunes gens rencontrent les habitants, passent quelquefois la nuit dans des isbas inconnues, ou leur soirée auprès d’un feu de camp. Les immensités de la Volga les enflamment par leur envergure épique ; la Kamarinskaïa de Mikhaïl Glinka et le petit volume de l’Iliade d’Homère qu’il a pris avec lui contribue aussi à l’atmosphère de la future toile. Un jour, le peintre aperçoit « le modèle le plus achevé du haleur » qu’il recherchait, un homme du nom de Kanine. Il figurera sur la toile dans le trio de tête, « un trapèze de tissu sale noué autour de la tête ».

Selon l’historien de l’art allemand Norbert Wolf, la toile Les Bateliers de la Volga (Бурлаки на Волге) fait sensation dans la société internationale de l’art parce que son auteur a « monumentalisé la scène de genre », « inférieure » dans la hiérarchie académique. Chacun de ses héros porte complètement en lui son individualité, et, en même temps, tout le groupe, placé dans un paysage « existentialiste et primordial », rappelle la procession des damnés de la Divine Comédie de Dante.

En 1871, Répine a déjà acquis une certaine notoriété dans la capitale. Il a obtenu aux examens de l’académie une première médaille d’or pour La résurrection de la fille de Jaïre, le titre de peintre de première classe et le droit à un voyage de 6 ans à l’étranger. L’écho du talent du lauréat de l’académie arrive jusqu’à Moscou : le propriétaire du restaurant Le Bazar slave (ru), Alexandre Porokhovchtchikov propose à Ilia Iefimovitch de peindre une « réunion de compositeurs russes, polonais et tchèques », promettant 1 500 roubles pour ce travail. Il y a déjà à cette époque dans la salle du restaurant de nombreux portraits de personnalités de l’art et de la culture, qui laissent à peine « une grande tache de vide à décorer ». Le peintre Constantin Makovski, auquel s’était d’abord adressé Porokhovchtchikov, a estimé que cette somme ne suffisait à couvrir les frais, et a demandé 25 000 roubles. Mais la commande de l’entrepreneur moscovite offre à Répine une chance de sortir enfin de longues années de privations ; dans ses mémoires, il reconnaîtra que « la somme indiquée lui avait semblé énorme ».

L’ouverture du Bazar slave a lieu en juin 1872. La présentation au public des Compositeurs slaves («Славянские композиторы») est un succès, et son auteur est comblé de louanges et de félicitations. Parmi ceux qui restent insatisfaits figure l’écrivain Ivan Tourgueniev. Il dit à Répine qu’« il ne peut se faire à cette peinture » ; il qualifie ensuite, dans une lettre à Stassov, la toile de « salade composée, froide, de vivants et de morts — un galimatias guindé, qui n’a pu naître que dans l’esprit d’une sorte d’Ivan Khlestakov (ru)note 3 — un Porokhovchtchikov ».

Korneï Tchoukovski, devenu ami de Répine, rapportera que la première femme du peintre, « peu cultivée, n’avait que peu d’intérêt pour son œuvre »43. Ilia Iefimovitch connaît depuis leur enfance Vera Chevtsova, sœur d’un camarade de l’école de dessin, Aleksandr : jeunes, ils se retrouvaient souvent chez leur père, l’académicien et architecte Alekseï Chevtsov. Avec le temps, ils commencent à se voir plus souvent. La critique d’art Aleksandra Pistounova, commentant le portrait de la jeune fiancée de Répine, peint en 1869, dit d’elle qu’elle regarde vers le peintre comme si elle attendait d’être invitée à danser, mais aussi :

« qu’elle était belle dans sa seizième année : une natte de jais, lourde et noire jusque sous la taille, une frange d’enfant sur un front rond et un nez droit, l’arc des lèvres relevé en une fine gouttière, perchant ou tordant confortablement sa fine silhouette au fond d’un fauteuil jaune et douillet. »

Ilia Iefimovitch et Vera Alekseïevna se marient en 1872. Répine, plutôt qu’un voyage de noce, propose à sa jeune femme de l’accompagner dans son travail, d’abord à Moscou, pour le vernissage du Bazar slave, et ensuite pour des études à Nijni-Novgorod, où le peintre continue de chercher des modèles pour Les Bateliers de la Volga. Ils ont une fille à la fin de l’automne, qu’ils appellent aussi Vera. Vladimir Stassov et Modeste Moussorgski, « qui improvise, chante et joue beaucoup », sont à son baptême.

Le premier mariage de Répine dure quinze ans. Vera Alexeïevna donne naissance à quatre enfants : Véra, l’ainée, Nadejda, Iouri et Tatiana. Le couple, selon les historiens, n’est pas heureux : Ilia Iefimovitch aimerait vivre à maison ouverte, prêt à recevoir ses invités à tout moment, entouré de femmes qui souhaitent poser pour de nouveaux tableaux ; Vera Alexeïevna pense surtout à l’éducation des enfants et n’est pas attirée par une vie de salon. Ils se séparent en 1887, et se partagent les enfants : les aînés restent avec leur père, les puinés partent avec leur mère. Cette rupture marque si sérieusement le peintre, que Stassov fait part à Mark Antokolski de son inquiétude sur l’état moral de son ami :

Pendant son mariage comme après cette rupture, Répine peint de nombreux portraits de ses proches. De Vera Alekseïvitch, on retient le portrait Repos («Отдых», 1882), dans lequel le visage « peu attrayant, ou plutôt, maussade » de la femme assoupie, selon Alekseï Fiodorov-Davydov, est adouci par le « lyrisme charmant » du peintre.

Répine peint avec un « lyrisme » tout aussi « fin et inspiré » des portraits de ses enfants. Cela vaut tout particulièrement pour deux de ses tableaux, Libellule («Стрекоза», 1884) et Bouquet d’automne («Осенний букет», 1892)48. Le modèle de ces deux œuvres est sa fille aînée Vera Ilinitchna. Sur le premier, à douze ans, illuminée par le Soleil, elle est assise sur une barrière. Les critiques font l’hypothèse que le peintre a fait le tableau de mémoire, et en voient un indice dans des discordances entre le fond et la silhouette de la petite fille. Mais pour Bouquet d’automne, auquel Répine travaille dans sa propriété de Zdravnievo, Vera pose. Elle est devenue une demoiselle, et le bouquet d’automne qui a donné son nom à la toile souligne « la sensation de vie, de jeunesse et de volupté » qui émane d’elle. C’est à Zdranievo qu’est aussi peint le portrait de Nada, dont le peintre se souvient qu’« elle est dans une tenue de chasse, le fusil sur l’épaule et l’apparence héroïque ».

Les parcours des enfants de Répine divergent. Vera Ilinitchna, employée quelque temps au théâtre Alexandra, revient ensuite chez son père aux Pénates. Elle déménage ensuite à Helsinki, où elle meurt en 1948. Nadejda, plus jeune que Vera de deux ans, termine un cours féminin d’aide-soignante, et ensuite travaille dans un hôpital rural. Après s’être rendue dans une zone touchée par une épidémie de typhus en 1911, elle commence à souffrir de névroses. Vivant seule avec son père à Kuokkala, elle ne quitte pas sa chambre, et meurt en 1931. Iouri Ilitch (1877-1954) suit les traces de son père et devient peintre. Sa vie est marquée par la disparition tragique de son fils Dia. L’ouverture des archives soviétiques a en outre révélé son arrestation en 1935 pour avoir traversé la frontière, et sa condamnation sur le fondement des articles 58-8 et 84 du code pénal de la RSFSR. La fille cadette de Répine, après avoir suivi les cours Bestoujev, enseigne à l’école de Zdranievo ; après la mort de son père, elle se rend en France et y meurt en 1957.

En avril 1873, quand sa fille ainée a grandi, la famille de Répine, qui a droit à un voyage à l’étranger en tant que pensionnaire de l’Académie des beaux-arts, quitte la Russie. Après avoir visité Vienne, Venise, Florence, Rome et Naples, le peintre prend un appartement et un atelier à Paris. Dans une lettre à Stassov, il se plaint que la capitale de l’Italie l’a déçu (« Une multitude de galeries, mais… je manquais de patience pour découvrir les belles choses ») et que Raphaël s’est révélé « ennuyeux et vieilli ». Des fragments de cette lettre sont rendus publics, et la revue Amusement (Развлечение) répond en mars 1875 par une caricature fielleuse, où Stassov « aide Répine à briser sa coquille et à sortir du nid ».

Répine met du temps pour s’habituer à Paris, mais il commence vers la fin de son séjour à fréquenter les impressionnistes français, tout particulièrement Manet, sous l’influence duquel il peint la toile Un café parisien, témoignant de sa maîtrise de la peinture sur le motif. À leur contact, il évolue dans son usage des lumières et couleurs, et peint des paysans, des poissonnières et des scènes de la vie marchande. Pour autant, comme le souligne le peintre Iakov Mintchenkov, il verra « jusqu’à la fin de sa vie dans la nouvelle manière une impasse, et les paysagistes-impressionnistes l’irritent ». Eux, de leur côté, reprochent à Ilia Iefimovitch « son incompréhension de la beauté ».

Il leur répond par la toile Sadko, peinte à Paris, dont le personnage a « le sentiment d’être dans un empire immergé ». Le projet est difficile, et Répine passe beaucoup de temps dans la recherche d’un commanditaire et d’un financement ; son intérêt pour son idée fond peu à peu, et dans une lettre à Stassov, le peintre, vexé, reconnaît que « son œuvre le déçoit horriblement ».

Après être revenu à Moscou, Répine vit et travaille presque un an, d’octobre 1876 à septembre 1877, dans sa propriété de Tchougouïev. Il correspond pendant toute cette période avec Polenov, lui proposant de s’installer à Moscou. Mais le déménagement est difficile : comme il l’écrit à Stassov, il doit emporter avec lui « un stock considérable de matériel d’artiste », qui n’est pas déballé à la suite d’une poussée de malaria du peintre. Après son rétablissement, il confie à Stassov qu’il a décidé d’entrer chez les Ambulants.

Malgré son succès, Répine restera toujours proche des Ambulants. Il démissionne toutefois en 1891 pour protester contre un nouveau statut qui restreint les droits des jeunes artistes, pour y revenir ensuite en 1897.

La Régente Sophie (Царевна Софья), de son intitulé complet La Régente Sophie Alexeïevna un an après son enfermement au couvent de Novodievitchi, en 1698, du temps de l’exécution des streltsy et de la mise à la torture de tous ses serviteurs, est un des premiers tableaux que Répine entreprend après son emménagement à Moscou. Les chercheurs pensent que c’est pour mieux s’imprégner de son sujet qu’il déménage deux fois, en se rapprochant du couvent.

Il travaille à cette toile plus d’un an dans son atelier, étudiant les documents historiques et les matériaux que lui a rapportés Stassov de Saint-Pétersbourg. Pour mieux rendre les détails, il visite des musées et des ateliers de costumes de théâtre, en faisant de nombreux croquis. Valentina Serova (mère de Valentin Serov), Ielena Apreleva (sœur du compositeur Pavel Blaramberg) et une couturière posent pour le personnage de Sophie. La femme de Répine, Vera Alekseïevna, coud de ses mains une robe d’après les esquisses faites au palais des Armures.

En 1877, Ilia Iefimovitch, qui se trouvait dans sa ville natale de Tchougouïv, écrivait à son ami Polenov, que les peintres mûrs, capable d’un apport à l’Académie, « devaient y entrer, bien qu’ils puissent y trouver des désagréments ». En 1890, il est membre d’une commission  gouvernementale qui travaille sur un nouveau statut de l’Académie des beaux-arts, et en 1893, il visite les écoles des beaux-arts de Varsovie, Cracovie, Munich, Vienne et Paris pour étudier leurs méthodes d’enseignement.

Depuis longtemps détenteur du titre de professeur, il revient en 1894 à l’Académie des beaux-arts en qualité de directeur de l’atelier de peinture. Tant que les premiers élèves ne sont pas arrivés dans son atelier, il est préoccupé de ce qu’il adviendra de cette maîtrise. Il attire bien des jeunes peintres, et des artistes comme Philippe Maliavine, Dmitri Kardovski, Boris Koustodiev, Anna Ostroumova-Lebedeva, Dmitri Chtcherbinovski, Ivan Bilibine, Nikolaï Fechine et d’autres choisiront et suivront à différentes périodes son atelier.

Mais ses méthodes pédagogiques feront l’objet d’appréciations contrastées. Le critique Victor Bourenine considère que « Répine était sûr de lui et voulait avoir confiance dans les autres, envie que l’Académie avait fait renaître en lui confiant cette charge ». Selon le peintre Iakov Mintchenkov, Ilia Iefimevitch, comme professeur de l’Académie, « était d’un attrait irrésistible pour les jeunes gens », et ce n’est pas par hasard que des peintres de nombreuses écoles russes se sont efforcés d’être ses élèves. Igor Grabar, élève du peintre, en fait une description paradoxale : « Répine était un mauvais pédagogue, mais un grand enseignant ». Il est en tout cas attentif à la situation de ses pupilles, et, se souvenant de ce que l’apprentissage était pour beaucoup une période de « difficultés financières », il les place dans l’édition comme illustrateurs, et leur établit des recommandations pour pouvoir participer à des projets artistiques rémunérateurs.

Par deux fois, il présente sa démission : la première en 1905, quand apparaissent des désaccords avec Serov et Polenov. Valentin Serov, assistant d’une fenêtre de l’Académie aux évènements du Dimanche rouge, voit le choc de la foule contre la troupe ; selon les affirmations de Répine, c’est à partir de ce moment que son caractère doux se transforme brusquement. Avec Polenov, Serov prépare une lettre au conseil de l’Académie, par laquelle il rappelle, que la personne (Vladimir Alexandrovitch de Russie) qui avait le commandement en chef de ces troupes, était aussi à la tête de leur institution. En janvier, selon le « souhait des élèves », l’Académie est temporairement fermée ; Répine réagit à ces évènements par une question : « que pouvons-nous faire, dans « une époque de calamités et d’infamies  »? ». Puis, il part en septembre pour l’Italie, et, quand il revient, il insère dans sa lettre de démission cette motivation : « en raison de la situation indéfinissable de la H[aute] É[cole des] A[rts] dans le présent et des changements possibles dans le futur ». En décembre, la démission est confirmée, mais Répine revient à son poste dès avril 1906, à la demande de ses collègues.

Son départ définitif intervient en 1907. Selon les chercheurs, bien que l’activité de l’atelier de Répine soit intense, une fracture s’établit peu à peu entre le peintre et ses pupilles. La veille de la démission, l’élève de Répine Gavriil Golerov (ru) rapporte un dialogue déplaisant entre Ilia Iefimevitch et Konstantin Lepilov : ce dernier regrette que beaucoup de peintres débutants, rentrant à l’Académie, soient déçus de leur choix. Un autre étudiant fait le reproche que d’autres, professeurs, vivent dans des appartements spacieux, alors que leurs pupilles manquent d’argent pour leurs repas. Après cette conversation, Répine remet à nouveau sa démission, rend l’appartement et part chez Tolstoï à Iasnaïa Poliana. Dans ses explications adressées au président de l’Académie, il indique que la raison déterminante de sa démission est « le peu de temps qui lui reste pour son travail personnel » 159. Une partie des étudiants tente de le faire changer d’avis, mais leur tentative n’a pas de succès.

En dehors de ses fonctions de maître d’atelier de l’Académie, Répine a eu aussi pour élèves Igor Grabar, Ivan Koulikov, Valentin Serov, comme indiqué plus haut, et d’autres. Il a enseigné également à l’école d’art et d’artisanat de Maria Tenicheva. En 1898 et 1899, il est recteur de l’Académie des beaux-arts.

Après 1918, quand Kuokkala devient territoire finlandais, Répine est coupé de la Russie. Dans les années 1920 il se rapproche de collègues finlandais, fait quelques décors pour des théâtres locaux et d’autres établissements culturels, et donne un grand nombre de peintures aux musées d’Helsinski.

Il ne peut avoir des relations avec ses anciens amis que par correspondance. Ses lettres montrent que le spleen le prend souvent. En 1925, il espère pouvoir se rendre à l’exposition de ses propres œuvres au Musée russe et il s’enthousiasme à l’idée d’aller avec ses enfants Vera et Iouri à Moscou, pour visiter le Musée Roumiantsev et la Galerie Tretiakov. Cependant, ses rêves s’effondrent, à cause de sa fille « qui avait promis de l’accompagner et qui n’a pas tenu sa promesse ».

En 1925 également, Répine reçoit la visite de Korneï Tchoukovski. Elle alimente la rumeur d’une mission pour inviter le peintre à déménager en URSS, mais « Répine n’est pas convaincu de revenir ». Les lettres découvertes des décennies plus tard montrent que l’écrivain, ayant compris que son ami « ne quitterait pas à cause de son âge » les Pénates, le regrette néanmoins et continue néanmoins à l’inviter en Russie.

Des années plus tard, une délégation de peintres soviétiques, conduite par un élève de Répine, Isaak Brodsky, se rend à Kuokkala. Ils passent deux semaines aux Pénates. À en juger par les rapports de la sécurité finnoise, ils devaient convaincre Répine de déménager pour la Russie. La question de son retour avait été débattue au niveau le plus élevé : d’après le compte rendu d’une session du Politburo du Parti communiste de l’Union soviétique, la résolution suivante avait été présentée  par Staline : « Autoriser Répine à retourner en URSS. À Anatoli Lounatcharski et Ilia Ionov de prendre les mesures correspondantes ». En novembre 1926, Ilia Iefimovitch reçoit une lettre du commissaire du Peuple Kliment Vorochilov, qui lui indique « qu’en décidant de revenir dans votre patrie, vous ne ferez pas une erreur pour vous-même, mais vous réaliserez aussi une action vraiment grande et historiquement utile ». Ces discussions sont interrompues par le fils de Répine, et elles se révèlent en tout cas infructueuses : le peintre reste à Kuokkala.

La suite de la correspondance entre Répine et ses amis montre son dépérissement. En 1927, dans une lettre à Mintchekov, le peintre confie : « j’aurai 83 ans en juin, le temps fait son ouvrage, et je deviens franchement paresseux ». Sa fille cadette l’aide à sortir de chez lui, malgré son état d’affaiblissement, et elle racontera par la suite que tous ses enfants se sont relayés auprès de lui jusqu’à sa fin. Il meurt le 29 septembre 1930 et est inhumé dans le parc de sa propriété des Pénates. Dans une de ses dernières lettres à ses amis, le peintre tente de prendre congé de tous :

« Adieu, adieu, chers amis ! Il m’a été alloué beaucoup de bonheur sur cette terre, et j’ai eu de la chance de façon si imméritée. Je suis, semble-t-il, illustre, et pourtant je ne m’en suis pas préoccupé. Et bientôt dispersé en poussière, je remercie, je remercie, complètement ému par ce monde si bon, qui m’a toujours si chaudement honoré. »

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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