Paul Doumer, un président assassiné !

Joseph Athanase Doumer, dit Paul Doumer, né le à Aurillac (Cantal) et mort assassiné le à Paris, est un homme d’État français. Il est président de la République du au .

Issu d’un milieu modeste, il travaille dès l’âge de douze ans, comme coursier puis ouvrier graveur. En parallèle de ces emplois, il obtient une licence en mathématiques, puis devient enseignant. Il est également journaliste dans l’Aisne et à Paris.

Entré en politique comme radical, il s’éloigne de la gauche à partir de la fin des années 1890. Il est élu plusieurs fois député entre 1888 et 1910, alternativement pour l’Aisne et l’Yonne. Partisan du colonialisme, il occupe de 1897 à 1902 la fonction de gouverneur général de l’Indochine française, dont il assainit les finances publiques et où il lance d’importants travaux, notamment le Transindochinois et le chemin de fer du Yunnan.

Entre 1895 et 1926, il est ministre des Finances à trois reprises. À ce titre, il porte en 1896 un projet de loi visant à instaurer l’impôt sur le revenu qui se heurte à l’opposition du Sénat, et cherche invariablement à atteindre l’équilibre budgétaire. Élu président de la Chambre des députés en 1905, il se présente sans succès à l’élection présidentielle de 1906 face à Armand Fallières. Battu aux élections législatives de 1910, il se consacre un temps au monde des affaires.

Lors de la Première Guerre mondiale, qui coûte la vie à quatre de ses fils, il dirige le cabinet civil du gouvernement militaire de Paris, puis est nommé ministre d’État et membre du comité de guerre. Ministre des Finances après la victoire alliée, il adopte une attitude intransigeante sur les réparations de guerre dues par l’Allemagne. Sénateur de la Corse à partir de 1912, il devient président du Sénat en 1927. Briguant une nouvelle fois la présidence de la République en 1931, il l’emporte sur le pacifiste Aristide Briand grâce au soutien du centre et de la droite.

En tant que chef de l’État, il se montre partisan d’un renforcement de la puissance militaire française, appelle à l’unité nationale, et critique l’attitude des partis politiques. Moins d’un an après le début de son septennat, alors qu’il inaugure un salon d’écrivains anciens combattants, il est assassiné par Paul Gorgulov, un immigré russe aux motivations confuses.

Gouverneur général de l’Indochine française (1897-1902)

Paul Doumer, Gouverneur général de l’Indochine française

À la fin de l’année 1896, après la mort d’Armand Rousseau, le président du Conseil, Jules Méline, lui propose de devenir gouverneur général de l’Indochine française. Paul Doumer répond positivement à l’offre du chef de gouvernement modéré, ce qui est considéré comme une trahison par les radicaux. Les détracteurs de Doumer l’accusent d’avoir accepté la fonction afin de bénéficier d’une rémunération conséquente alors qu’il est de notoriété publique qu’il est endetté59. Il devient gouverneur général le , étant remplacé à la Chambre des députés par Jean-Baptiste Bienvenu-Martin.

Doté d’importants pouvoirs, Paul Doumer est chargé de réorganiser l’Indochine française, qui connaît alors une grave crise. Marquées par l’affaire du Tonkin, l’opinion publique et la classe politique se montrent méfiantes à l’égard du territoire, qui est largement déficitaire et pour lequel d’importantes dépenses sont régulièrement engagées. Dans ce contexte, pendant les premiers temps de sa fonction, Paul Doumer ne bénéficie pas de nouveaux crédits pour l’Indochine. Chargé avant tout de redresser cette situation financière, il s’entoure d’un cabinet restreint, composé d’hommes venus avec lui de métropole. Il réprouve la politique de ses prédécesseurs, qui n’étaient selon lui que de simples « administrateurs », adoptant pour leitmotiv « gouverner partout, n’administrer nulle part ». À l’inverse des précédents gouverneurs généraux, il se rend régulièrement sur le terrain et bénéficie d’une réputation d’ubiquité.

L’Indochine française — qui comprend la colonie de Cochinchine et les protectorats de l’Annam, du Tonkin, du Cambodge et du Laos — doit selon Paul Doumer être gérée par un pouvoir central fort. Estimant que la conquête coloniale par étapes a conduit à un morcellement et jugeant insuffisante l’Union indochinoise, Paul Doumer entreprend une refonte administrative visant à unifier les différents territoires de l’Indochine. En 1899, sur le modèle de l’Indian Civil Service, il crée un corps unique des services civils dont il confie la surveillance à des inspecteurs chargés de lutter contre la corruption et l’arbitraire. Appelant à un État doté d’un appareil administratif et budgétaire performant, il met en place des organes centralisateurs. Mais rapidement, l’organisation initiée par Paul Doumer — surnommé le « Colbert de l’Indochine » — compte un très grand nombre de fonctionnaires et présente d’importantes rigidités.

Pour renforcer le gouvernement général, il réduit l’influence de la dynastie Nguyễn, et fait supprimer la fonction de kinh luoc, qui maintenait une forme de liaison entre le Tonkin et la cour impériale de Hué, au profit du résident supérieur français. Jugeant les Européens plus aptes à décider que les indigènes, il affaiblit ainsi considérablement le gouvernement impérial. Dans un article publié en 1909, il énumère les caractéristiques des races supérieures : propension au travail, patriotisme, amour de la culture, courage et force morale ; dans cette optique, il estime que les Annamites sont supérieurs aux populations voisines en raison de leur intelligence et de leur discipline. Afin de renforcer la connaissance des Français pour les particularités de cette région d’Asie, il crée l’École française d’Extrême-Orient, qui attire nombre de savants. Sa politique mêle ainsi des éléments d’assimilation et d’association.

Sur le plan financier, confronté aux contraintes budgétaires imposées par la métropole, il renforce la lutte contre la fraude, instaure de nouveaux prélèvements obligatoires et augmente ceux déjà existants. L’institution en 1899 d’un budget général se fait au détriment des budgets locaux et notamment de la Cochinchine, principal moteur économique de l’Indochine étant parvenu jusque-là à conserver une forte indépendance. Cette dernière mesure attire à Paul Doumer de vives critiques de la presse et des figures de la Cochinchine, notamment de Paul Blanchy et Charles Le Myre de Vilers, qui affirment qu’il souhaite faire payer la colonie pour les protectorats. Grâce notamment aux droits de douane et à la mise en place — très contestée par la population — des régies (sur le sel, l’opium et l’alcool de riz), le gouvernement général parvient rapidement à dégager des excédents budgétaires.

Si elles appauvrissent et révoltent les populations indigènes, ces nouvelles recettes permettent à Paul Doumer d’obtenir le soutien de la Banque de l’Indochine et de lancer plusieurs grands projets d’infrastructures (chemins de fer, routes, ponts, ports, etc.) en utilisant les techniques et le savoir-faire européens. C’est en particulier le cas à Hanoï, où sont notamment construits le Grand Palais et le pont Paul-Doumer, qui s’étend sur une longueur de 1 670 mètres au-dessus du fleuve Rouge. Paul Doumer organise dans la ville une exposition mondiale, qui se déroule en 1902 et 1903, afin de présenter la modernisation en cours en Indochine ; le coût élevé de cet événement, pénalisé par la démission de Doumer, laisse le budget de la ville en déficit pendant une décennie. Il se fait également construire la Villa Blanche — du nom de sa femme — au cap Saint-Jacques, lieu de villégiature prisé des coloniaux de Cochinchine française. En matière agricole, il permet la répartition des terres en faveur des colons et grandes entreprises françaises.

Considérant que « la civilisation suit la locomotive », il est un ardent partisan de la construction d’un chemin de fer traversant tout le territoire, le « Transindochinois », dont le plan du réseau avait commencé à être dressé par son prédécesseur, Armand Rousseau. Ce chemin de fer, construit par des « coolies » dans des situations précaires, sera achevé en 1936. Pour la réalisation de la ligne du Yunnan, il obtient un emprunt de 200 millions de francs-or. Les services de Paul Doumer font également terminer les travaux du port d’Haïphong. Il transfère le gouvernement à Hanoï, où il fait construire une nouvelle résidence pour les gouverneurs généraux et qu’il désigne comme capitale de l’Indochine en 1902 en remplacement de Saïgon. En collaboration avec le médecin Alexandre Yersin, il ordonne aussi la construction de la ville de Dalat, afin que les travailleurs européens puissent profiter d’un sanatorium et récupérer ainsi du rude climat de l’Annam. À la suite de l’agronome Auguste Chevalier et de l’économiste Henri Brenier, Paul Doumer se montre favorable à l’acclimatation de l’hévéa — dont la culture est déjà importante en Malaisie britannique et aux Indes néerlandaises — dans les terres récemment conquises de Sumatra. Il est également à l’origine de l’université de médecine de Hanoï.

Projet de timbre Paul Doumer (non adopté).

Inquiet de l’avancée en Asie de la Russie et du Royaume-Uni, Paul Doumer semble être favorable à une colonisation de la Chine par la France. Sans en informer Paris, il fait en sorte de créer une situation de fait devant conduire à l’annexion de la prospère province du Yunnan, dans le sud-est du pays. À ce titre, il visite en la capitale de la région, Kunming, où il fait face au refus du vice-roi de satisfaire sa demande d’obtention d’un terrain destiné à construire une gare ferroviaire. Cet incident diplomatique conduit à un soulèvement d’habitants du xian de Mengzi redoutant l’achat de leurs mines d’étain par les Français. Le ministre français des Affaires étrangères, Théophile Delcassé, assure alors à la Chine et au Royaume-Uni qu’il n’entend pas annexer le Yunnan. Quelques mois plus tard, éclate contre les colons la révolte des Boxers, lors de laquelle Paul Doumer fait envoyer des troupes d’Indochine pour soutenir les légations étrangères. Dans le même temps, ses relations avec l’armée coloniale sont tendues, cette dernière n’acceptant pas l’ingérence du gouvernement général dans ses prérogatives69.

Souhaitant revenir en métropole pour briguer un nouveau mandat de député aux élections législatives, Paul Doumer démissionne de sa fonction de gouverneur général en . Il est remplacé en octobre suivant par Paul Beau, réputé plus consensuel que lui. Avec ses cinq années passées en Indochine, Paul Doumer est l’un des gouverneurs généraux du territoire à la longévité la plus importante, la plupart de ses prédécesseurs ayant occupé le poste pendant un ou deux ans. Il est également considéré comme ayant été l’un des gouverneurs les plus actifs. Face aux critiques dont il fait l’objet à son retour en métropole, notamment sur la question indigène, il publie en 1905 un ouvrage de souvenirs d’Indochine, qui servira de référence à plusieurs responsables militaires pendant la guerre d’Indochine. Ayant permis un redressement de la situation financière et administrative de l’Indochine et renforcé la position de la France face au Royaume-Uni, son action lui servira de tremplin pour la suite de sa carrière politique. Ses successeurs inscriront d’ailleurs leur politique dans la continuité de celle de Paul Doumer, qui sera classé par le général de Gaulle parmi les meilleurs « proconsuls » de l’histoire de France.

Paul Doumer prend ses fonctions de président de la République le . Il décide de résider au palais de l’Élysée avec une partie de sa famille. Lors de la cérémonie d’investiture, Gaston Doumergue fait l’éloge du patriotisme de son successeur. De son côté, le nouveau président dénonce « les crises politiques qui tiennent aux rivalités des partis ». Première personnalité issue d’un milieu ouvrier à accéder à une telle fonction, il indique dans son message au Parlement : « Je veillerai au maintien et au perfectionnement de nos institutions démocratiques, auxquelles le pays est ardemment attaché. L’instruction, libéralement dispensée, doit permettre aux travailleurs sans distinction de gravir l’échelle sociale, suivant leurs mérites et leurs aptitudes. La démocratie n’admet ni privilèges, ni castes, et elle a le devoir d’assurer à tous les citoyens une égale liberté. »

Projet de timbre Paul Doumer (non adopté).

Le jour même de son entrée à l’Élysée, il investit le deuxième gouvernement Laval. Toujours très critique envers les partis politiques, il doit gérer plusieurs crises ministérielles. En , après la chute de Pierre Laval, il fait appel à Paul Painlevé pour la présidence du Conseil, mais celui-ci entend former un cabinet orienté à gauche alors que le président souhaite un gouvernement d’union nationale. À la suite de l’échec de Painlevé, il nomme André Tardieu, qui propose un gouvernement de centre droit, dans la formation duquel le chef de l’État intervient pour faire intégrer Pierre-Étienne Flandin et Pierre Perreau-Pradier aux Finances152,153. Contrairement à la tradition, Paul Doumer essaie ainsi d’influencer de façon significative la composition du ministère154.

Pour le reste, même s’il est difficile de tirer des conclusions d’une présidence n’ayant duré que dix mois, Paul Doumer semble exercer son mandat d’une manière assez peu éloignée de la pratique en vigueur sous la Troisième République : contrairement à l’intention qu’il avait exprimée lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 1906, il n’hésite pas à jouer un rôle honorifique. Il reçoit ainsi des personnalités et délégations, inaugure des expositions et préside des manifestations publiques. Albert Thibaudet affirme à son sujet qu’il est « un président dont on a pu dire à la fois qu’il est sorti du rang et resté dans le rang ». Continuant de s’intéresser aux thématiques financières bien qu’il ne puisse prendre position sur ce sujet, qui relève du gouvernement, Paul Doumer réaffirme son attachement au principe d’orthodoxie financière, réduisant les dépenses de fonctionnement et le nombre de réceptions à l’Élysée. Passionné de sciences, il œuvre à la création du parc zoologique du Bois de Vincennes, qui sera inauguré par son successeur.

Sur les questions de politique extérieure et de défense nationale, qui suscitent son intérêt dans un contexte mondial tendu, il se montre résolument anglophile : s’entretenant à de nombreuses reprises avec l’ambassadeur britannique en France, il défend une alliance avec le Royaume-Uni sur le modèle de l’Entente cordiale, dont il était partisan en 1904. Opposé à toute amitié franco-allemande, il refuse de recevoir des représentants de la république de Weimar au palais de l’Élysée, au nom de ses fils morts pour la France. En prévision d’un nouveau conflit mondial, il appelle régulièrement au renforcement du système de défense français, qu’il juge insuffisant et inadapté par rapport à ceux d’autres pays. En tant que chef de l’État, il exprime à nouveau son attachement au colonialisme, en particulier à l’occasion de l’Exposition coloniale internationale, qui se tient de mai à à Paris. Faisant fi des critiques sur le sujet, il n’évoque jamais une possible réforme de l’Empire colonial français, craignant qu’une telle initiative ne débouche sur une perte d’influence de la France dans le monde.

Durant sa présidence, l’une des plus courtes de l’histoire, Paul Doumer est d’abord perçu comme une personne très austère, mais voit sa popularité augmenter au fil des mois, notamment en raison de sa sobriété et de son patriotisme. Après avoir fait état, à l’issue de l’élection présidentielle de 1931, de son intuition qu’il n’achèverait pas son septennat, le président Doumer est victime en d’un empoisonnement qui manque de peu de l’emporter. En , en inaugurant une exposition sur l’aviation en Seine-et-Marne, il s’étonne de l’importance du dispositif de sécurité mis à sa disposition, et confie au haut fonctionnaire Léon Noël : « À mon âge, ce serait une belle fin de mourir assassiné ».  Malgré les mises en garde des responsables de sa sécurité, le chef de l’État continue de se mêler aux foules lors des manifestations auxquelles il participe.

Sources : Elysee.fr, Wikipédia, Henri Pellier, Paul Doumer, Paris, Larousse, coll. « Les livres roses pour la jeunesse » (no 553),

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