La Licorne.

La licorne, parfois nommée unicorne, est une créature légendaire à corne unique. Son origine, controversée, résulte de multiples influences, en particulier de descriptions d’animaux tels que le rhinocéros et l’antilope, issues de récits d’explorateurs. Les premières représentations attestées d’animaux unicornes remontent à la civilisation de l’Indus. Le récit sanskrit d’Ekashringa et les routes commerciales pourraient avoir joué un rôle dans leur diffusion vers le Proche-Orient.

Connue dans l’Occident chrétien depuis l’Antiquité grecque par des récits de voyageurs en Perse et en Inde, sous le nom de « monocéros », la licorne occidentale se distingue de ses consœurs asiatiques par son apparence, son symbolisme et son histoire. Sous l’influence du Physiologus, les bestiaires occidentaux et leurs miniatures la décrivent comme un animal sylvestre très féroce, symbole de pureté et de grâce, attiré par l’odeur de la virginité. Le récit de sa chasse, durant laquelle une jeune fille vierge aide les chasseurs à la capturer, se diffuse dans tout l’Occident chrétien ainsi qu’une partie du monde musulman. La représentation physique de la licorne occidentale se fixe entre le cheval et la chèvre blanche à la fin du Moyen Âge. Elle se voit dotée d’un corps équin, d’une barbiche de bouc, de sabots fendus, et surtout d’une longue corne au milieu du front, droite, spiralée et pointue, qui constitue sa principale caractéristique, comme dans la série de tapisseries La Dame à la licorne.

La licorne devient l’animal imaginaire le plus important de l’Occident chrétien depuis le Moyen Âge jusqu’à la fin de la Renaissance. La croyance en son existence est omniprésente, grâce au commerce de sa « corne » et à sa présence dans certaines traductions de la Bible. Des objets présentés comme d’authentiques « cornes de licorne » s’échangent, et sont crédités du pouvoir de purifier les liquides des poisons et de guérir la plupart des maladies. Peu à peu, ces objets sont identifiés comme des dents de narval, un mammifère marin arctique. L’existence de la licorne reste toutefois discutée jusqu’au milieu du XIXe siècle. De tous temps, cette bête légendaire intéresse des théologiens, médecins, naturalistes, poètes, gens de lettres, ésotéristes, alchimistes, psychologues, historiens et symbolistes. Son aspect symbolique, très riche, l’associe à la dualité de l’être humain, la recherche spirituelle, l’expérience du divin, la femme vierge, l’amour et la protection. Carl Gustav Jung lui consacre une quarantaine de pages dans Psychologie et Alchimie.

La licorne figure depuis la fin du XIXe siècle parmi les créatures typiques des récits de fantasy et de féerie, grâce à des œuvres comme De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll, La Dernière Licorne de Peter S. Beagle, Legend de Ridley Scott, ou encore Unico d’Osamu Tezuka. Son imagerie moderne s’éloigne de l’héritage médiéval, pour devenir celle d’un grand cheval blanc « magique », avec une corne unique au milieu du front. Son association récente à des univers fictifs tels que, entre autres, My Little Pony, lui donne une image plus mièvre. Elle est souvent prétexte à des parodies dans la culture populaire, entre autres à travers le culte de la Licorne rose invisible.


La licorne fascine le monde occidental depuis des siècles. Les légendes et représentations universelles d’animaux à corne unique, en orient comme en occident, et surtout la dimension mystique et ésotérique de la licorne, portée par des « artistes, conteurs et rêveurs » enclins à la méditation, sont source de mystère et d’inspiration. Les œuvres qui mettent en scène une licorne possèdent souvent une forte charge symbolique, à l’image des tapisseries et des bestiaires du Moyen Âge. Les théories concernant ses origines se révèlent plus ou moins sérieuses, à tel point que le professeur et poète américain Odell Shepard suggère avec humour dans son ouvrage The Lore of the Unicorn, publié en 1930, qu’elle doit provenir de l’Atlantide ou des montagnes de la Lune.

Un débat concerne l’influence des créatures unicornes asiatiques, peut-être connues depuis la préhistoire, sur la licorne occidentale dont l’image s’est forgée au Moyen Âge. La théorie d’une influence orientale est défendue par le psychanalyste et érudit Carl Gustav Jung (dans Psychologie et Alchimie), par l’historien d’art Richard Ettinghausen, par l’essayiste et tibétologue Francesca-Yvonne Caroutch, par l’écrivain Roger Caillois, et par quelques études mettant en lien récits et représentations orientales et occidentales. Cette théorie est réfutée, entre autres, par Odell Shepard, par le théologien français Jean-Pierre Jossua (qui juge les parallèles indiens et chinois effectués par Jung et Caillois peu crédibles) et par la thèse de doctorat en sciences sociales de Bruno Faidutti. D’après ce dernier, les travaux de Carl Gustav Jung ont entraîné une tendance au syncrétisme, et donc l’attribution du nom de « licorne » à des créatures distinctes.

L’existence de représentations d’animaux à corne unique dans la  civilisation de l’Indus est source de controverses au moins depuis la fin du XIXe siècle. La plus ancienne image connue d’un animal unicorne (en 2013) provient du Nord de la vallée de l’Indus. Daté d’environ – 2600, son profil ne correspond à aucun animal à cornes connu dans la région (tel que le buffle ou le rhinocéros). Ce motif est retrouvé sur 700 ans, disparaissant vers – 1900. Il remplit une fonction symbolique. Il n’existe pas de preuves qu’il se soit transmis ensuite en Asie de l’Ouest ou au Tibet, mais l’archéologue Jonathan Mark Kenoyer postule qu’il ait pu se transmettre physiquement au Proche-Orient à la faveur des voyages de marchands, et influencer des légendes en Asie occidentale.

Selon Francesca-Yvonne Caroutch, la licorne est connue en Asie dès la période pré-bouddhique. Intégrée à la mythologie chinoise sous le nom de Qilin, elle serait mentionnée dans les Annales de Bambou, et deviendrait un symbole cosmique dans la civilisation mésopotamienne, de fécondité et de fertilité dans la civilisation indo-aryenne. Elle serait présente dans d’anciennes cosmogonies et des textes religieux et philosophiques aussi bien chinois qu’indiens ou perses, notamment en Himalaya, Mésopotamie, et Crète préhellénique. Elle cite des créatures unicornes dans le Bundahishn, l’Atharva-Véda, l’épopée de Gilgamesh, le Rāmāyana et le Mahâbhârata de l’Inde Antique.

Jonathan Mark Kenoyer estime qu’il n’existe aucune preuve d’une connexion directe entre ces exemples de créatures unicornes dans l’espace asiatique. Certains liens entre animaux unicornes indiens et licorne occidentale reposent sur des erreurs de traduction ou des biais, à l’image de l’expression Khaggavisāṇa en pāli, traduite par « semblable à la corne du rhinocéros », mais révisée (2014) par « semblable au rhinocéros ». Une peinture rupestre représentant un bovin dans une grotte de Paphlagonie a parfois été interprétée à tort comme celle d’une licorne, en raison de la présence d’un trait qui servait plus vraisemblablement de guide de tracé. Certains bas-relief perses représentant un bœuf vu de profil (avec une seule corne visible) ont pu jouer un rôle dans la diffusion de la légende de la licorne : Ettinghausen estime que ces représentations ont influencé l’image du Karkadann perse, expliquant ainsi les représentations et mentions d’animaux unicornes dans le monde arabe médiéval. Il ajoute que la « position stratégique » du monde musulman par rapport à l’Inde, à la Chine, et à l’Occident chrétien, a favorisé la diffusion de la légende de la licorne. Pour lui, les représentations d’animaux unicornes dans le monde arabe sont d’origine indienne, l’Inde étant l’origine la plus vraisemblable pour le motif du combat entre le rhinocéros et l’éléphant.

Le conte indien de l’« ermite cornu », ou « Ekasringa », littérature  sanskrite issue des Jātaka (récits des vies antérieures du Bouddha) et du Mahâbhârata, met en scène un ermite solitaire appelé Ekashringa, ce qui signifie « Corne unique ». Il conte le périple d’un mystique méditant et vivant dans la forêt, parmi les animaux. En buvant à la même source qu’une antilope divine, il donne naissance à un enfant doté d’une corne unique sur la tête et de pouvoirs surnaturels. Ce conte est souvent cité pour son influence sur la licorne occidentale : certains éléments se retrouveraient dans les croyances perses, elles-mêmes à l’origine des récits gréco-romains concernant le monocéros. Ettinghausen estime aussi que ce conte a influencé les érudits arabes. D’après Caroutch, différentes versions existent au Japon, en Chine, en Inde et en Perse. Le conte d’Ekashringa aurait, toujours d’après Caroutch, forgé après de nombreux remaniements la légende de l’apparition merveilleuse d’un animal portant une corne unique en ivoire, qui ne peut être capturé que par une jeune fille.

Odell Shepard souligne la difficulté à remonter l’histoire de la licorne occidentale au-delà des récits de Ctésias, au IVe siècle av. J.-C. Au crédit d’une origine préhistorique, l’une des peintures naturalistes de la grotte de Lascaux avait été qualifiée de « licorne » en raison de deux traits rectilignes évoquant une corne sur son front. Il s’agit vraisemblablement de la reproduction déformée d’un lynx.

Les observations mal comprises d’animaux réels expliquent en grande partie les multiples descriptions de la licorne occidentale, mais l’histoire de cette créature se révèle longue et complexe, notamment en raison de sa symbolique. Création du haut Moyen Âge, la licorne occidentale est une chimère. Elle ne provient pas de la mythologie gréco-romaine ni d’une religion puisqu’elle ne présente aucun lien avec la création du monde, les gestes héroïques, ou la fondation d’une ville. Elle naît d’un mélange entre traditions orales et écrites, récits de voyage (depuis Ctésias au VIe siècle av. J.-C. jusqu’au XIXe siècle) et descriptions des naturalistes. Pour Bruno Faidutti, son origine est à rechercher dans les premiers bestiaires inspirés du Physiologus et dans les textes gréco-romains, eux-mêmes issus d’observation d’animaux exotiques. D’après Odell Shepard, la légende de la licorne occidentale est issue du mélange entre la description de Ctésias, qui en a fait un animal féroce ne pouvant être chassé par des techniques conventionnelles et le récit de sa capture par une vierge dans le Physiologus.

Il est fréquent, pour les explorateurs, de confondre des animaux connus avec une créature à corne unique. Pour Odell Shepard, le monocéros de Ctésias mélange des récits sur le rhinocéros indien, dont la corne est traditionnellement créditée de propriétés thérapeutiques, sur l’onagre (ou âne sauvage), réputé dans l’Antiquité pour sa vitesse et sa combativité (cité par exemple dans l’Anabase de Xénophon), et sur l’antilope du Tibet. La découverte de la survie jusqu’à une époque relativement récente de certaines espèces disparues de rhinocéros laineux comme ceux du genre Elasmotherium laisse à penser que ce genre d’animaux a aussi pu influencer la légende (soit de leur vivant, soit par leurs squelettes imposants).

Source : Wikipédia.

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