Alexandre Scriabine, pianiste, poète et compositeur.

Alexandre Nikolaïevitch Scriabine (en russe : Александр Николаевич Скрябин,Skriabin en anglais) est un pianiste, poète et compositeur russe né à Moscou le 25 décembre 1871 (6 janvier 1872 dans le calendrier grégorien) et mort à Moscou le 27 avril 1915 (10 mai 1915 dans le calendrier grégorien). Il est l’un des animateurs les plus importants de la musique moderne et de l’avant-garde musicale à l’aube de la Première guerre mondiale, et il est souvent considéré comme l’un des compositeurs les plus marquants du début du XXe siècle.

Personnalité singulière, animée par un refus de toute référence au folklore russe (notion pourtant essentielle chez ses  contemporains Balakirev ou Rimsky-Korsakov), Scriabine a accompagné son œuvre d’une philosophie et d’une religiosité profondément marquées par le symbolisme de Baudelaire en France et de Konstantin Balmont dans l’Empire russe. Ses pièces, presque toutes pour piano (à l’exception de six opus pour orchestre), évoluent progressivement d’un style proche de Chopin et de Wagner à une esthétique individuelle, dont le premier aboutissement est l’accord « mystique » ou « synthétique » qu’on retrouve dans Prométhée et Vers la flamme en 1911. Cet accord synthétique n’est lui-même qu’une ouverture au Mystère, auquel Scriabine travailla de 1903 jusqu’à sa mort et dont il ne reste que des fragments inachevés, récupérés et réorganisés par Alexander Nemtin. Les quelques traces de ce Mystère, œuvre multimédia qui aurait dû être le cœur d’une vaste cérémonie mystique, représentent sans doute l’aboutissement harmonique auquel Scriabine avait abouti, et dans lequel il aurait pu continuer à écrire sans sa mort accidentelle à l’âge de 43 ans.

Longtemps incompris des critiques et du public, ce mystique de l’extase influencé par la théosophie et la synesthésie laisse une œuvre profondément originale d’où se détachent un corpus imposant de dix sonates pour piano, trois symphonies, deux poèmes symphoniques (Poème de l’extase et Prométhée ou le Poème du feu) et de nombreuses pièces pour piano au style atypique.


Fils de Nikolaï Scriabine, diplomate, expert en langues orientales, et de Lioubov Petrovna Scriabine, pianiste talentueuse, Alexandre Scriabine naît le 6 janvier 1872 du calendrier grégorien (même s’il préférait dire qu’il était né le jour de Noël, selon les dates du calendrier julien que l’Empire russe employait) dans une famille noble de tradition militaire. Il est très vite livré à lui-même : sa mère meurt de tuberculose, et son père part pour l’Empire ottoman où il est missionné. Le jeune Alexandre passe son enfance parmi des femmes, dans une ambiance qui favorisera une « espèce d’égocentrisme ». Il est alors recueilli et élevé par sa grand-mère Elizaveta Ivanovna (1823-1916), et surtout par sa tante Lioubov Alexandrovna (1852-1941), qui lui apprend les bases du piano. Il est présenté en 1881 à Anton Rubinstein, grand pianiste et compositeur de l’époque, qui lui prédit un grand avenir (pour l’anecdote, Scriabine reproduira les mêmes encouragements à l’égard du pianiste Vladimir Horowitz, en ces mots adressés à sa mère : « Votre fils sera toujours un bon pianiste, mais cela ne suffit pas. Il doit aussi être un homme cultivé »).

Au début des années 1880, il entre au corps des Cadets de l’École militaire de Moscou grâce à son oncle. Il bénéficie alors d’un régime de faveur, puisqu’il peut faire plusieurs heures de piano par jour, et s’exempter des exercices physiques. Il commence des cours de piano avec Georges Conus (1882-1885) puis avec Nikolaï Zverev (1885-1888). Selon Hull, il compose à cette époque beaucoup de petits morceaux, mais aussi quelques poèmes qui coexistent parfois spirituellement avec les œuvres musicales, ce qui sera déterminant à l’avenir.

En 1888, Scriabine entre au Conservatoire de Moscou comme élève de Vassili Safonov en piano et d’Anton Arenski en composition : il ne passe pas le concours car le directeur Sergueï Taneiev l’a entendu jouer quelques années auparavant. Il y rencontre un autre élève, Serge Rachmaninoff, qui deviendra à la fois un ami et un rival. Ses années au conservatoire sont brillantes et marquées de rencontres professorales variées (bonnes chez Taneiev en théorie et chez Safonov en piano, mauvaises chez Arensky en contrepoint puis en composition).

1892 correspond à la publication de ses premières œuvres aux éditions Jurgenson. Ses premières pièces pour piano sont très clairement inspirées par Frédéric Chopin, à qui il voue un culte tout particulier (certaines légendes veulent que le jeune Scriabine eût l’habitude de dormir en ayant placé sous son oreiller quelques partitions du compositeur). La Valse (op. 1, 1885) et les Dix Mazurkas (op. 3, 1889) s’inspirent des œuvres de Chopin, avec un attachement au romantisme du début du XIXe siècle qu’on retrouve encore dans sa première sonate (op. 6). Cette année 1892 correspond également à la fin de ses études au Conservatoire de Moscou : Rachmaninoff reçoit la Grande Médaille d’Or en piano quand Scriabine reçoit la Petite Médaille, et de façon générale le jeune Rachmaninoff (aidé par le succès de son Concerto no. 1 en 1891) est préféré par la scène moscovite. Scriabine choisit de ne pas achever son cursus en composition avec Arensky dont il accepte mal l’esthétique, et de nombreuses querelles en résultent entre les deux hommes.

Scriabine décide à ce moment-là de devenir pianiste. Il commence sa carrière et voyage en Europe continentale, mais, pour des raisons encore non élucidées (certaines légendes supposent que c’était en jouant les Réminiscences de Don Juan de Liszt, puisqu’il avait des mains petites qui ne pouvaient couvrir qu’une octave ; mais Hull raconte que c’est en raison d’un accident de taxi), il se blesse à la main droite, et les médecins qu’il consulte lui disent que les dégâts sont irréparables : il devra rester paralysé toute sa vie. Cette période de handicap, synonyme de doute intense, aboutit à un renforcement de sa main gauche et à l’écriture du Prélude et Nocturne pour la main gauche seule (op. 9, 1894). La même année, il rencontre Mitrofan Belaïev, dans lequel il trouve un impresario, un mentor et un mécène : celui-ci lui permettra de vivre en tant que compositeur grâce à des rentes qu’il lui verse, et d’organiser des tournées partout en Europe, tournées dans lesquelles il se permettra de ne jouer que ses propres compositions.

En 1895, alors que sa paralysie s’est finalement guérie, Scriabine part ainsi en Europe puis dans les grands lieux de Russie (Saint-Pétersbourg, Yasnaya Polyana) : il restera quelques mois à Paris, à fréquenter le demi-monde symboliste, et il obtient son plus grand succès à Paris le 16 mars 1896, salle Érard. Lors de son séjour dans la capitale française, il s’inscrit par ailleurs à la SACEM. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance du richissime homme d’affaires Mikhaïl Morozov et de son épouse Margarita Morozova qui le lance dans son salon musical de Moscou et devient son mécène.

Son premier grand succès, et sa première incursion hors du répertoire pour piano seul, est le Concerto pour Piano (op. 20, 1896), dans un style post-romantique finalement assez proche du Concerto de Rachmaninoff : certains traits caractéristiques (accords répétés en triolets sur du binaire, harmonies dans l’inspiration de Grieg, importance primordiale de la transformation thématique) se retrouvent dans les deux œuvres. Deux ans plus tard, avec sa première composition pour orchestre seul, Rêverie (op. 24, 1898), Scriabine puise son inspiration dans l’œuvre de Wagner, particulièrement dans certaines distributions orchestrales présentes dans Tristan et Isolde ou Parsifal.

En 1897, il se marie avec Vera Ivanovna Issakovitch, brillante pianiste du conservatoire moscovite, dont il a une fille l’année suivante. En 1898, Scriabine pose également sa candidature au Conservatoire de Moscou, où il obtient le poste de professeur de piano. Les années qui suivent voient se succéder les naissances : en 1898, Rimma, en 1900 Elenanote 1, en 1901 Maria, et en 1902, Lev. Pendant ces quelques années, il visite l’Exposition Universelle de Paris (1900), est nommé inspecteur de la musique à Sainte-Catherine de Moscou, devient membre de la Société de philosophie moscovite, et se plonge dans la lecture des philosophes antiques. En 1902, fatigué des jalousies au sein du Conservatoire de Moscou, il démissionne. Il fait la connaissance d’une élève du conservatoire, Tatiana Fiodorovna Schloezer (Tatiana de Schloezer), et dès lors sa situation familiale se dégrade. Il obtient une rente de la part de Margarita Morozova pour partir vivre aux environs de Genève en 1904, afin de poursuivre ses travaux philosophiques et musicaux.

Les nombreux cours qu’il donne à cette époque, combinés avec la vie de famille et les allers-retours perpétuels entre Moscou et Pétersbourg, ne lui laisse que les étés à dédier à la composition (il ne publie à cette période que les op. 25 à 29, et ne publie rien entre 1901 et 1903), mais c’est à ce moment-là qu’il compose ses deux premières symphonies, aux formes déjà innovantes. La première (1900) est en six mouvements, avec un final construit comme un grand hommage aux Muses, avec mezzo, ténor et chœur (dans l’inspiration de la Neuvième de Beethoven) : ses exécutions seront des échecs. La deuxième (1901) déploie un dispositif plus modeste (considéré tout de même par Sabaneiev comme dérivant d’une grande mégalomanie3) mais garde des ambitions formelles assez grandes, avec cinq mouvements déployés sur quarante minutes d’une musique encore grandement influencée par Wagner dans le traitement de l’orchestre (avec, de plus, l’utilisation du violon solo plus tard caractéristique dans l’écriture pour orchestre de Scriabine) : c’est cette fois-ci la Pastorale de Beethoven qui semble inspirer la construction de la symphonie, mais son exécution est elle aussi un échec. Scriabine quitte dans les mois suivants son poste au conservatoire de Moscou et commence dès cette période à travailler sur un opéra sur Zarathoustra, inachevé, et sur la Troisième Symphonie, qui ne sera finie qu’en 1904.

À partir de la Sonate no. 4, Scriabine commence à développer son style personnel. Le chopinisme semble perdre peu à peu sa place dans son écriture pour piano : certains traits caractéristiques se fixent (voix thématique récurrente au ténor, décomptes irréguliers et complexes à la main gauche) et les formes orchestrales se développent encore plus, pour trouver une première apothéose dans Le Poème de l’Extase (op. 53, 1907). Aussi, Scriabine découvre de nouvelles thématiques à explorer, et une nouvelle ambition : écrire de la musique qui « n’est plus musique mais quelque chose d’autre » (sic). Il rejoint à cette époque la Société  Philosophique de Moscou.

À partir de 1904, le compositeur tient un journal personnel où sont notées ses réflexions musicales et philosophiques. Scriabine poursuit une vie conjugale artificielle avec sa femme, tandis que Tatiana de Schloezer et Margarita Morozova (devenue veuve) le rejoignent en Suisse pour bénéficier de ses leçons. Sa vie personnelle est mouvementée : il quitte sa femme, et perd sa petite fille Rimma en 1905, puis il part quelques semaines plus tard en Italie avec Tatiana de Schloezer bientôt enceinte de sa fille Ariane. Cependant, Vera Issakovitch refuse le divorce. Scriabine s’installe en couple sur la Riviera italienne, puis ne tenant plus compte de sa femme, il se marie civilement avec Tatiana de Schloezer.

Il se lie avec Gueorgui Plekhanov (1865-1918), fervent partisan des idées marxistes. En 1907, il s’installe à Paris avec Tatiana et signe un contrat de nombreux concerts avec Serge de Diaghilev, le fondateur des Ballets russes. Puis il s’installe à Bruxelles (rue de la Réforme 45), et réfléchit  abondamment sur la synesthésie, résultat notamment de ses rencontres avec divers artistes et philosophes. En 1908, c’est l’année de la naissance de son fils Julian Scriabine. En 1909, il retourne en Russie, et continue à composer, tout en imaginant des projets grandioses alliant couleur et musique. Il s’inspire des écrits du Père Louis-Bertrand Castel (1688-1757), inventeur d’un clavecin qui associe couleurs et sons. Il continue ses tournées, notamment en Allemagne et en Angleterre, où ses pièces sont de plus en plus reconnues.

L’année 1911 voit la naissance de sa fille Marina. En 1914, il revient à Moscou, et continue à travailler sur ses projets grandioses. Son père décède la même année, et il ne tarde pas à le suivre dans la tombe : Scriabine donne son dernier concert en avril et décède le même mois. Les circonstances de son décès n’ont pas été éclaircies, certains la relient à une piqûre de mouche charbonneuse qui aurait entraîné une infection sanguine, d’autres ont évoqué une pleurésie, ou un empoisonnement causé par un furoncle à la lèvre.

Comme de nombreux autres artistes russes (puis soviétiques), Scriabine repose au cimetière de Novodiévitchi, à Moscou.

Julian Scriabine, son fils, s’avérera posséder les mêmes dons musicaux que son père. En témoignent quatre préludes composés à un très jeune âge. Il mourra cependant quatre ans après son père en se noyant dans le Dniepr, à l’âge de 11 ans.

Source : Wikipédia.

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