Joseph Maurice Ravel, compositeur.

Maurice Ravel, de son nom de baptême Joseph Maurice Ravel, est un compositeur français né à Ciboure le 7 mars 1875 et mort à Paris le 28 décembre 1937.

Avec son aîné Claude Debussy, Ravel fut la figure la plus influente de la musique française de son époque et le principal représentant du courant dit impressionniste au début du XXe siècle. Son œuvre, modeste en quantité (quatre-vingt-six œuvres originales, vingt-cinq œuvres orchestrées ou transcrites), est le fruit d’influences variées s’étendant de Couperin et Rameau jusqu’aux couleurs et rythmes du jazz, dont celle, récurrente, de l’Espagne.

Caractérisée par sa grande diversité de genres, la production musicale de Ravel respecte dans son ensemble la tradition classique et s’étale sur une période créatrice de plus de quarante années qui la rendent contemporaine de celles de Fauré, Debussy, Stravinsky, Prokofiev, Bartók ou Gershwin. La grande majorité de ses œuvres a intégré le répertoire de concert. Parmi celles-ci le ballet symphonique Daphnis et Chloé (1909-1912), le Boléro (1928), les deux concertos pour piano et orchestre pour la main gauche (1929-1930) et en sol majeur (1929-1931) et l’orchestration des Tableaux d’une exposition de Moussorgski (1922) sont celles qui ont le plus contribué à sa renommée internationale. Reconnu comme un maître de l’orchestration et un artisan perfectionniste, cet homme à la personnalité complexe ne s’est jamais départi d’une sensibilité et d’une expressivité qui, selon Le Robert, lui firent évoquer dans son œuvre à la fois « les jeux les plus subtils de l’intelligence » et « les épanchements les plus secrets du cœur ».

Maurice Ravel, carte maximum, Ciboure, 9/06/1956.

Maurice Ravel est né le 7 mars 1875, dans la maison Estebania, quai de la Nivelle à Ciboure, près de Saint-Jean-de-Luz, dans les Basses-Pyrénées. Son père, Joseph Ravel (1832–1908), d’ascendance suisse et savoyarde, était un ingénieur renommé qui travailla notamment à la construction de lignes de chemin de fer et dans l’industrie automobile et étendit les recherches d’Étienne Lenoir sur les moteurs à explosion. Sa mère, née Marie Delouart (1840–1917), femme au foyer après avoir été modiste, était née à Ciboure d’une famille établie dans ce village depuis au moins le XVIIe siècle. Il avait un frère, Édouard (1878–1960), qui devint ingénieur et avec lequel il garda toute sa vie de forts liens affectifs. En juin 1875, la famille Ravel se fixa définitivement à Paris. La légende qui veut que l’influence de l’Espagne sur l’imaginaire musical de Maurice Ravel soit liée à ses origines basques est donc exagérée, d’autant que le musicien ne retourna pas au Pays basque avant l’âge de vingt-cinq ans. En revanche, il revint régulièrement par la suite séjourner à Saint-Jean-de-Luz et dans ses environs pour y passer des vacances ou pour travailler.

L’enfance de Ravel fut heureuse. Ses parents, attentionnés et cultivés, familiers des milieux artistiques, surent très tôt éveiller son don musical et encourager ses premiers pas. Le petit Maurice commença l’étude du piano à l’âge de six ans sous la férule du compositeur Henry Ghys (1839 – 1908) et reçut en 1887 ses premiers cours de composition de Charles René — harmonie et contrepoint. Le climat artistique et musical prodigieusement fécond de Paris à la fin du XIXe siècle ne pouvait que convenir à l’épanouissement de l’enfant qui cependant, au désespoir de ses parents et de ses professeurs, reconnut plus tard avoir joint à ses nombreuses dispositions « la plus extrême paresse ». Dans son Esquisse autobiographique, le compositeur nota : « Tout enfant, j’étais sensible à la musique — à toute espèce de musique. Mon père, beaucoup plus instruit dans cet art que ne le sont la plupart des amateurs, sut développer mes goûts et de bonne heure stimuler mon zèle ».

Maurice Ravel, épreuve d’artiste en couleur brune.

Entré au Conservatoire de Paris en novembre 1889, Ravel fut l’élève de Charles de Bériot et se lia d’amitié avec le pianiste espagnol Ricardo Viñes, qui devint l’interprète attitré de ses meilleures œuvres et avec qui il rejoignit plus tard la Société des Apaches. Enthousiasmé par la musique de Chabrier et de Satie, admirateur de Mozart, Saint-Saëns, Debussy et du Groupe des Cinq, influencé par la lecture de Baudelaire, Poe, Condillac, Villiers de L’Isle-Adam et surtout de Mallarmé, Ravel manifesta précocement un caractère affirmé et un esprit musical très indépendant. Ses premières compositions en témoignèrent : elles étaient déjà empreintes d’une personnalité et d’une maîtrise telles que son style ne devait guère connaître d’évolution par la suite : Ballade de la reine morte d’aimer (1894), Sérénade grotesque (1894), Menuet antique (1895) et les deux Sites auriculaires pour deux pianos (Habanera, 1895 et Entre cloches, 1897).

En année 1897, Ravel entra dans la classe de contrepoint d’André Gedalge, et Gabriel Fauré devint son professeur de composition ; deux maîtres dont il reçut l’enseignement avec comme condisciple Georges Enesco. Fauré jugea le compositeur avec bienveillance, saluant un « très bon élève, laborieux et ponctuel » et une « nature musicale très éprise de nouveauté, avec une sincérité désarmante ». Les deux artistes devaient se vouer leur vie durant une grande estime réciproque. Fauré introduisit son élève dans le salon de madame de Saint-Marceaux, qui aimait découvrir de jeunes talents et chez laquelle il joua régulièrement ses œuvres, dont certaines en première audition privée. À la fin de ses études, Ravel composa une ouverture symphonique pour un projet d’opéra baptisé Shéhérazade — ouverture créée en mai 1899 sous les sifflets du public, à ne pas confondre avec les trois poèmes de Shéhérazade pour voix de femme et orchestre datés de 1903 —, et la célèbre Pavane pour une infante défunte qui reste une de ses œuvres les plus jouées, même si son auteur ne l’estimait pas beaucoup.

À la veille du XXe siècle, le jeune Ravel était déjà un compositeur reconnu et ses œuvres discutées. Pourtant, son accession à la célébrité n’allait pas être chose aisée. L’audace de ses compositions et son admiration proclamée pour les « affranchis » Chabrier et Satie allaient lui valoir bien des inimitiés parmi le cercle des traditionalistes.

Ses déboires au prix de Rome n’avaient pas empêché Ravel, dès 1901, d’affirmer pour de bon sa personnalité musicale avec les Jeux d’eau pour piano, pièce d’inspiration lisztienne qui, la première, lui valut l’étiquette de musicien impressionniste. Très tôt et longtemps dans sa carrière, Ravel fut comparé à Debussy avec une insistance qui voulut le faire passer pour un imitateur, puis rapidement pour un rival. Si l’influence de Debussy ne fut jamais démentie par Ravel, elle ne resta pas à sens unique. Certains critiques musicaux aidant, en particulier Pierre Lalo du Temps, l’un des plus farouches adversaires de la musique de Ravel, ces trajectoires communes tournèrent assez vite au duel à distance et furent mal ressenties par l’auteur de La Mer. Debussy et Ravel ne se fréquentèrent pas et leur relation, d’abord cordiale, devint très distante à partir de 1905. Jusqu’à la fin de sa vie, Ravel ne manqua jamais de rappeler combien il estimait Debussy.

Dès cette époque s’affirmèrent les traits ravéliens les plus caractéristiques : goût pour les sonorités hispaniques et orientales, pour l’exotisme et le fantastique, perfectionnisme, raffinement mélodique, virtuosité du piano. À la période particulièrement féconde qui s’étend de 1901 à 1908 appartiennent notamment le Quatuor à cordes en fa majeur (1902), les mélodies de Shéhérazade sur des poèmes de Tristan Klingsor (1904), les Miroirs et la Sonatine pour piano (1905), l’Introduction et allegro pour harpe (1906), les Histoires naturelles d’après Jules Renard (1906), la Rapsodie espagnole (1908), la suite pour piano Ma mère l’Oye (1908) que Ravel dédia aux enfants de ses amis Ida et Cipa GodebskiN 29,41, puis son grand chef-d’œuvre pianistique, Gaspard de la nuit (1908), inspiré du recueil homonyme d’Aloysius Bertrand.

En avril 1909, Ravel se rendit à Londres chez Ralph Vaughan Williams à l’occasion d’une tournée de concerts à l’étranger. Il put à cette occasion découvrir qu’il était déjà connu et apprécié outre-Manche. Il fut en 1910, avec Charles Koechlin et Florent Schmitt notamment, l’un des fondateurs de la Société musicale indépendante (SMI) créée pour promouvoir la musique contemporaine, par opposition à la Société nationale de musique, plus conservatrice, alors présidée par Vincent d’Indy et liée à la Schola Cantorum. Dirigée à ses débuts par Gabriel Fauré, la SMI fut très active jusqu’au milieu des années 1930, donna en première audition un grand nombre des œuvres de Ravel et contribua à faire connaître la musique de la jeune école française — Aubert, Caplet, Delage, Huré, Koechlin, Schmitt, etc. — et celle de compositeurs d’avant-garde alors peu diffusés en France : Ravel y invita notamment le jeune Béla Bartók. Vers la même époque, en 1911, Ravel participa à la création de la Société Chopin, sur l’initiative de son ami le musicologue Édouard Ganche.

Au début des années 1910, deux œuvres majeures donnèrent à Ravel des difficultés. L’Heure espagnole, premier ouvrage lyrique du compositeur, fut achevé en 1907 et créé en 1911. L’opéra fut mal accueilli par le public et surtout par la critique. Ni l’humour libertin du livret de Franc-Nohain, ni les hardiesses orchestrales de Ravel ne furent compris, et l’œuvre dut attendre les années 1920 pour devenir populaire. Parallèlement, pour répondre à une commande de Serge de Diaghilev dont les Ballets russes triomphaient à Paris, Ravel composa à partir de 1909 le ballet Daphnis et Chloé. Cette symphonie chorégraphique, qui utilise des chœurs sans paroles, est une vision de la Grèce antique que Ravel voulait proche de celle que les peintres français du XVIIIe siècle avaient donnée. L’argument de l’œuvre fut corédigé par Michel Fokine et Ravel lui-même. Il s’agit de l’œuvre la plus longue du compositeur (soixante-dix minutes environ), et celle dont la composition, longue de trois années, fut la plus laborieuse. Là encore l’accueil fut inégal après la création en juin 1912, deux ans après le triomphe du très novateur Oiseau de feu de Stravinsky. Cette même année cependant, triomphèrent les ballets Ma mère l’Oye et Adélaïde ou le langage des fleurs, tous deux des orchestrations d’œuvres antérieures.

Le 29 mai 1913, Ravel fut au nombre des défenseurs de Stravinsky, avec qui il avait noué une solide amitié, lors de la création tumultueuse du Sacre du printemps au théâtre des Champs-Élysées. Cette période qui précédait la guerre, Ravel la décrivit plus tard comme la plus heureuse de sa vie. Il habitait depuis 1908 un appartement avenue Carnot, près de la place de l’Étoile.

La guerre surprit Ravel en pleine composition de son Trio en la mineur qui fut finalement créé en 1915. Dès le début du conflit, le compositeur chercha à s’engager mais, déjà exempté de service militaire en 1895 en raison de sa faible constitution (1,61 m), il fut refusé pour être « trop léger de deux kilos » (ne pesant que 48 kg). Dès lors, l’inaction devint une torture pour Ravel. À force de démarches pour être incorporé dans l’aviation, c’est finalement comme conducteur d’un camion militaire qu’il surnomma Adélaïde qu’il fut envoyé près de Verdun en mars 1916. Depuis le front, tandis que plusieurs musiciens de l’arrière tombaient dans les travers du nationalisme, Ravel fit la démonstration de sa probité artistique en refusant, au risque de voir sa propre musique bannie des concerts, de prendre part à la Ligue nationale pour la défense de la musique française. Cette organisation, créée par Charles Tenroc autour notamment de Vincent d’Indy, Camille Saint-Saëns et Alfred Cortot, entendait faire de la musique un outil de propagande nationaliste et interdire, entre autres, la diffusion en France des œuvres allemandes et austro-hongroises.

Victime selon toute vraisemblance d’une dysenterie puis d’une péritonite, Ravel fut opéré le 1er octobre 1916 avant d’être envoyé en convalescence puis démobilisé en mars 1917. La nouvelle du décès de sa mère, survenu en janvier 1917, parvint au compositeur alors qu’il était encore sous les drapeaux. Elle le plongea dans un désespoir sans comparaison avec celui causé par la guerre : profondément abattu, il devait mettre plusieurs années à surmonter son chagrin.

La guerre, terminée, avait bouleversé la société et remis en cause les canons esthétiques hérités de ce qu’on appellerait bientôt la « Belle Époque » : les années d’après-guerre virent ainsi tout un pan de la musique européenne, de Sergueï Prokofiev (Symphonie classique) à Stravinsky (Pulcinella), prendre un virage néoclassique auquel Ravel allait contribuer à sa manière. Pour les quelque douze années d’activité qui lui restaient, la production du musicien se ralentit considérablement (une œuvre par an en moyenne, non comprises les orchestrations) et son style évolua selon ses propres mots dans le sens d’un « dépouillement poussé à l’extrême » tout en s’ouvrant aux innovations rythmiques et techniques venues de l’étranger, en particulier d’Amérique du Nord.

Les années passant, et après la mort de Claude Debussy en 1918, Ravel était désormais considéré comme le plus grand compositeur français vivant. Sa notoriété croissante, particulièrement à l’étranger, le fit beaucoup réclamer en concert et lui valut plusieurs distinctions. La façon dont s’accommoda de sa célébrité celui qui déclara désabusé, en 1928, à propos du public qui l’acclamait, « Ce n’est pas moi qu’ils veulent voir, c’est Maurice Ravel », dérouta plus d’un observateur. Ce fut d’abord, en 1920, la réaction désinvolte à sa promotion au rang de chevalier de la Légion d’honneur : pour une raison qu’il ne précisa jamais, il ne prit même pas la peine de répondre à cette annonce et obtint d’être radié au Journal officiel. Satie, brouillé avec lui depuis 1913, s’en amusa dans une boutade célèbre : « Ravel refuse la Légion d’Honneur, mais toute sa musique l’accepte ».

Sa première œuvre majeure de l’après-guerre fut La Valse, poème symphonique dramatique commandé pour le ballet par Serge de Diaghilev. Ravel y défigura sciemment la valse viennoise en dépeignant un « tourbillon fantastique et fatal », évocation musicale de l’anéantissement par la guerre de la civilisation européenne qu’incarnaient les valses de Johann Strauss. Refusée par les Ballets russes en 1920, La Valse connut un immense succès au concert et fut finalement adaptée pour le théâtre, en 1929, pour les ballets d’Ida Rubinstein.

En 1922, la vaste Sonate pour violon et violoncelle, dédiée à la mémoire de Debussy et créée par Hélène Jourdan-Morhange, matérialisait le « renoncement au charme harmonique » et la « réaction de plus en plus marquée dans le sens de la mélodie » qui allaient caractériser la plupart des œuvres de Ravel au cours des années 1920.

À partir de l’été 1933, Ravel commença à présenter les signes d’une maladie cérébrale qui allait le condamner au silence pour les quatre dernières années de sa vie. Troubles de l’écriture, de la motricité et du langage en furent les principales manifestations, tandis que son intelligence était parfaitement préservée et qu’il continuait de penser sa musique, sans plus pouvoir bientôt écrire ni jouer. L’opéra Jeanne d’Arc, auquel le compositeur attachait tant d’importance, ne devait jamais voir le jour. On pense qu’un traumatisme crânien consécutif à un accident de taxi dont il fut victime le 8 octobre 1932 précipita les choses, mais Ravel, grand fumeur et insomniaque récurrent, semblait conscient d’un trouble depuis le milieu des années 1920. La thèse d’une atteinte neurodégénérative est aujourd’hui privilégiée. Le public resta longtemps dans l’ignorance de la maladie du musicien ; chacune de ses rares apparitions publiques lui valait une ovation, ce qui rendit d’autant plus douloureuse son inaction.

Source : Wikipédia.