Albert 1er, roi des Belges.

Albert, prince de Belgique, duc de Saxe, prince de Saxe-Cobourg et Gotha et héritier de la couronne belge (de 1905 à 1909), puis roi des Belges (de 1909 à 1934), est né à Bruxelles le 8 avril 1875 et mort dans un accident d’escalade à Marche-les-Dames le 17 février 1934.

Il devient le troisième roi des Belges le 23 décembre 1909, sous le nom d’Albert Ier, après la mort de son oncle Léopold II.

En 1900, il épouse Élisabeth en Bavière, avec qui il partage une vision humaniste et pacifiste de la société. Le roi et la reine forment un couple très vite populaire et donnent une image modernisée de la monarchie, dont ils renouvellent le style. Issu d’une lignée aux racines germaniques et mari d’une princesse allemande, le roi choisit en 1914 de défendre son pays, pourtant créé neutre, et de combattre contre l’invasion allemande, affirmant le caractère belge de sa dynastie.

Albert 1er, carte maximum, Belgique, 1934.

À partir de la Première Guerre mondiale, Albert devient l’objet d’un véritable mythe dépassant largement le cadre des frontières belges, recueillant les surnoms guerriers de Roi Soldat ou de Roi Chevalier. Après l’armistice de 1918, le roi intervient fréquemment dans les questions politiques belges. En 1919, alors que la Constitution borne ses pouvoirs, il réussit lors de l’entrevue de Lophem à convaincre les hommes politiques belges les plus éminents de la nécessité d’adopter le suffrage universel masculin pur et simple.

Le roi prône l’égalité effective des deux langues nationales, la  reconnaissance de la liberté syndicale, l’extension de la législation sociale et l’essor des sciences. Sur le plan des relations internationales, il accomplit de longs voyages officiels et privés à l’étranger : les États-Unis en 1919, le Brésil l’année suivante, les Indes en 1925, sans oublier le Congo en 1928 et en 1932 et enfin la Syrie et la Palestine en 1933.

Passionné d’alpinisme comptant à son actif plusieurs ascensions importantes, il trouve la mort, en 1934, lors d’une escalade dans la vallée de la Meuse en Belgique. Son fils aîné lui succède sous le nom de Léopold III.


Le 17 décembre 1909 le roi Léopold II meurt d’une embolie foudroyante au château de Laeken. Selon l’article 85 de la Constitution, Albert devient le troisième roi des Belges. Il est immédiatement confronté à un dilemme : le défunt roi avait exprimé la volonté que seuls Albert et les gens de sa Maison suivent son convoi funéraire. Il transgresse les consignes et mène le deuil avec la pompe royale requise lors de funérailles solennelles célébrées à Bruxelles le 22 décembre 1909.

Le 23 décembre 1909, la foule présente à Bruxelles pour assister aux cérémonies entourant la prestation de serment réserve un accueil particulièrement chaleureux au nouveau roi. Albert Ier est le premier souverain à prêter le serment constitutionnel en français et en néerlandais. Dans le discours qu’il prononce, il définit deux objectifs du nouveau règne : davantage d’humanité envers la population congolaise et davantage de justice sociale. Durant les premières années de son règne, Albert Ier se limite strictement à son rôle constitutionnel. Il s’entoure de personnalités de tendance libérale, comme Jules Ingenbleek, son secrétaire, et Harry Jungbluth, le chef de sa maison militaire.

Le roi tente, dès le début de son règne, de rapprocher la monarchie du peuple, notamment en supprimant l’escorte armée qui le séparait de la foule et en autorisant des journalistes à l’accompagner dans ses déplacements. En termes d’image, le couple qu’il forme avec la reine offre une impression de modernité. Leurs personnalités sont contrastées, mais la réserve d’Albert et la spontanéité d’Élisabeth sont complémentaires. Ils partagent la même vision humaniste de la société. Albert sollicite les encouragements de son épouse et lui demande de le seconder : « Tu as tout pour remplir ce rôle-là : cœur, intelligence, tact et grâce. Fais-le ! C’est vraiment du fond du cœur un appel que je t’adresse au nom de l’amour si sincère qui nous unit et qui pourrait trouver des voies nouvelles si fécondes. » À la reine qui s’implique tout particulièrement dans la vie artistique et intellectuelle du royaume, le roi donne une véritable visibilité médiatique.

Après avoir promptement écarté l’entourage de Léopold II, Albert met fin à la politique des grands travaux menée par son oncle : la question de la « Grande coupure d’Anvers » consistant à redresser un méandre de l’Escaut et la création d’une « école mondiale » à Tervuren sont abandonnées dès le début du nouveau règne. Le roi entend mener sa propre politique et éloigne fermement ceux qui s’y opposent. Sous un vernis de timidité, Albert dissimule une nature volontaire et jalouse de ses prérogatives.

Le 28 avril 1910, le souverain inaugure l’Exposition internationale et universelle de Bruxelles qu’il clôture le 18 octobre. Cette année 1910 est placée sous le signe des relations internationales car en mai, neuf souverains européens, dont le roi Albert, se rendent aux funérailles du roi Édouard VII à Windsor. En octobre, le roi Albert reçoit la première visite officielle d’un chef d’État de son règne : l’empereur allemand Guillaume II et l’impératrice se rendent en Belgique. À cette occasion, les observateurs soulignent la cordialité qui règne de nouveau entre les deux maisons souveraines car les relations avec les Hohenzollern s’étaient quelque peu relâchées à la fin du règne de Léopold II.

Avant la guerre, Albert Ier, chef d’État d’un pays neutre, est parfois appelé pour arbitrer des conflits internationaux, par exemple entre l’Italie et l’Uruguay en 1910 et entre l’Allemagne et Haïti en 1911.

Le 8 novembre 1910, le roi renoue avec la tradition des discours du trône, abandonnée par Léopold II. À cette occasion, le roi à cheval et la famille royale traversent Bruxelles, sous les acclamations de la foule. Sur son parcours, des socialistes distribuent des tracts en faveur du suffrage universel. À son arrivée au Parlement, les députés socialistes crient : « Vive le suffrage universel ! » Le discours du roi porte sur l’encouragement des arts, le développement de l’enseignement, l’octroi de la personnalité civile aux universités libres, les pensions de vieillesse et tout particulièrement celles des anciens travailleurs des charbonnages, ainsi que la réforme des contrats de travail.

Au printemps 1911, le roi et la reine séjournent incognito en Égypte et au Soudan. À leur retour, le pays est en pleine agitation à la suite du dépôt d’un projet de loi sur l’enseignement, surnommée « loi du bon scolaire », par le gouvernement de Frans Schollaert. Ce projet émanant des catholiques vise, aux dires de leurs opposants, à étendre les subventions aux établissements scolaires qu’ils dirigent et ravive dès lors d’anciennes querelles entre catholiques et socialistes en matière d’enseignement8. Le roi tente d’abord la modération en consultant le président de la Chambre Gérard Cooreman et les ministres d’État Auguste Beernaert et Charles Woeste. Le 6 juin, il a un entretien assez houleux avec le chef du cabinet Frans Schollaert. Le projet de loi scolaire est abandonné le lendemain. Le 9 juin, le ministère remet sa démission. Le roi tente de confier la conduite d’un nouveau gouvernement à Gérard Cooreman, avant de faire appel à Charles de Broqueville.

En Europe, la tension internationale belliciste augmentant, les pays commencent à conclure des alliances et à fourbir leurs armes. La comtesse de Flandre, mère du roi, meurt le 26 novembre 1912. L’empereur allemand envoie son fils aîné le Kronprinz pour le représenter lors des funérailles qui ont lieu à Bruxelles quatre jours plus tard. Un témoin rapporte la fâcheuse impression laissée par le représentant allemand : lors de la réception à l’issue du déjeuner donné à Bruxelles, les princes européens conversent amicalement. Seul le Kronprinz se tient à l’écart, la main sur son sabre, ne parlant à personne ; alors que durant l’office funèbre, il ne cessait, en dépit de la proximité du roi, de s’agiter et d’adresser la parole à son voisin le prince Rupprecht de Bavière qui, lui, restait digne. En 1913, le roi Albert se rend en France (en avril) et en Allemagne (en novembre) pour rappeler à ses voisins la neutralité de la Belgique et pour les prévenir que s’ils violaient le territoire belge, le pays se défendrait. À l’empereur allemand qui lui rappelle son ascendance germanique, le roi répond : « Je suis Saxe-Cobourg, je suis aussi Orléans, mais je ne saurais oublier que je suis surtout belge ! »

En août 1913, il impose avec l’aide du chef du cabinet Charles de Broqueville l’autonomie du haut commandement de l’armée et, en novembre, le service militaire obligatoire pour tous par extension d’une loi signée par son prédécesseur Léopold II sur son lit de mort en 1909 et qui prévoyait le service militaire d’un fils par famille. Cette mesure porte le contingent de l’armée de 180 000 à 340 000 hommes. La même année, une grève générale est déclenchée en vue d’obtenir le suffrage universel. À cette occasion, une partie de la presse socialiste appelle le roi à intervenir en faveur de leur lutte (par exemple en dissolvant les chambres), mais le souverain n’agit pas.

Le 31 juillet 1914, en fin d’après-midi, trois jours après la déclaration de guerre de l’Autriche-Hongrie à la Serbie, Albert Ier réclame devant le Conseil des ministres la mobilisation générale immédiate de l’armée, qu’il obtient grâce au soutien de Prosper Poullet, chef de cabinet, et du ministre Paul Segers.

Le soir du 1er août 1914, aidé dans sa rédaction par la reine, Albert tente une ultime démarche et adresse une missive en allemand à Guillaume II : « Votre Majesté et cher cousin, la guerre qui menace d’éclater entre deux puissances voisines me plonge dans de graves réflexions […] les relations de parenté et d’amitié qui unissent étroitement nos deux familles m’ont incliné à t’écrire et à te prier aussi, dans ces heures graves, de me donner, ainsi qu’à mon pays, la garantie que notre neutralité sera respectée. »

Le 2 août, le Reich adresse un ultimatum à la Belgique, pays pourtant neutre à l’instar du Grand-duché de Luxembourg voisin : l’empereur allemand Guillaume II réclame le libre passage de ses troupes, faute de quoi la Belgique serait considérée comme ennemie. Devant le Conseil des ministres, le roi déclare que l’ultimatum est inacceptable et qu’il faut se défendre. La décision de refuser l’ultimatum est prise conjointement par le roi et Charles de Broqueville. Le Conseil de la couronne se réunit peu après. Les discussions sont animées et plusieurs options sont envisagées par les ministres : laisser passer les Allemands, protester pour la forme ou résister. Finalement, dans l’indignation générale et suivant les arguments du ministre d’État Jules Van den Heuvel, tous se rallient à l’avis du roi : résister à l’Allemagne et faire appel aux puissances garantes de la neutralité de la Belgique dès que les frontières seront violées.

En même temps, dès les premiers jours d’août, le Congo belge est mis en état de se défendre par des transferts de fonds, par la mise en alerte de la Force publique africaine et par l’organisation de communications maritimes indépendantes de la Belgique permettant de maintenir des relations économiques entre le domaine colonial belge et le reste du monde, quelle que soit l’évolution de la guerre en Belgique. C’est le secrétaire général du ministère des colonies Pierre Orts qui, de Bruxelles, gère autoritairement la politique de défense de la Belgique en Afrique, fort du soutien du roi.

Le 4 août, à 8 heures du matin, les Allemands pénètrent dans le territoire belge. Conformément au plan Schlieffen, l’armée allemande viole la neutralité belge. La nouvelle n’est pas encore connue quand, à 10 heures, le roi, vêtu d’une tenue de général de campagne, traverse Bruxelles à cheval au milieu d’une foule enthousiaste et vient prononcer un discours devant le Parlement : « Un pays qui se défend s’impose au respect de tous, ce pays ne périt pas. J’ai foi en nos destinées. » Il est acclamé par l’ensemble des députés. Alors que le prince héritier Rupprecht de Bavière, beau-frère du roi, est le commandant en chef des troupes allemandes en Lorraine, la résistance de la Belgique et particulièrement de son roi à l’envahisseur surprend une grande partie de l’Europe, notamment parce que les souverains belges, membres de la maison de Saxe-Cobourg et Gotha et alliés aux maisons de Wittelsbach, de Habsbourg-Lorraine et de Hohenzollern, étaient toujours considérés comme des « princes allemands ».

Après son discours devant les chambres, le roi rejoint immédiatement le grand quartier-général et prend le commandement effectif de l’armée. L’armée belge résiste à l’attaque allemande, notamment lors de combats menés par les troupes de campagne devant les forts de Liège. L’armée belge retient ainsi 150 000 soldats ennemis, privant de la sorte le haut commandement allemand de troupes pour mener pleinement son offensive contre la France. Après avoir dû abandonner les forts de Liège et remporté une victoire à la bataille de Haelen, l’armée belge se retire à la fin août dans la place forte d’Anvers, réputée une des plus efficaces d’Europe grâce à ses trois ceintures concentriques de forteresses. Au cours de trois sorties, les troupes de campagne s’appuyant sur les forts parviennent à tenir l’armée allemande en respect.

Sous l’indignation internationale, l’armée allemande, tout au long de sa progression, sème la terreur parmi la population belge : des massacres d’hommes, de femmes et d’enfants sont perpétrés sous le prétexte d’attaques de francs-tireurs. La ville de Dinant est mise à sac lors de violences préméditées contre les civils. Les troupes allemandes incendient des maisons et exécutent des civils dans tout l’est et le centre de la Belgique, y compris à Aarschot (156 morts), Andenne (211 morts), Seilles (383 morts) et à Dinant (674 morts). Les 21, 22 et 23 août 1914, lors du massacre de Tamines, l’armée allemande tue, à coups de baïonnettes, de gourdins et de haches, 613 habitants, avant de se livrer à un pillage intensif de la ville. Le 25 août 1914, l’armée allemande ravage la ville de Louvain et met le feu à sa bibliothèque universitaire riche de 230 000 livres, 800 incunables et 950 manuscrits, tandis que 248 habitants sont tués. Ces actions sont fermement condamnées dans le monde entier.

Pour les protéger, le roi envoie ses enfants en Grande-Bretagne. Ils embarquent avec la reine le 31 août pour Douvres et sont mis à l’abri chez Lord George Curzon. Une semaine plus tard, Élisabeth revient auprès du roi. Tout au long de la guerre, elle jouera le rôle d’intermédiaire entre son mari et les autorités britanniques lorsqu’elle rendra visite à ses enfants restés Outre-Manche. Pour échapper à l’encerclement, les renforts promis par le Royaume-Uni n’arrivant pas, le roi Albert ordonne la retraite. Certains auteurs, dont Marie-Rose Thielemans, avancent qu’à cette occasion le roi avait envisagé de capituler. Henri Haag affirme le contraire, en se basant sur une riche documentation. Après avoir dû évacuer Anvers le 10 octobre, l’armée belge se retranche finalement derrière l’Yser, le 15 octobre 1914. Elle y résistera quatre années aux côtés des Britanniques et des Français jusqu’à l’offensive victorieuse qui libérera la Belgique en 1918.

Pendant toute la guerre, le roi refuse de suivre le gouvernement belge, qui s’est réfugié en France à Sainte-Adresse, dans la banlieue du Havre, et il reste à la tête de l’armée pour la diriger. Il établit son quartier-général à La Panne, où la reine le rejoint. Il visite fréquemment le front. En tant que commandant en chef de l’armée, il estimait pouvoir la diriger sous sa seule responsabilité, c’est-à-dire sans contreseing. En effet, l’article 68 de la constitution disait : « le roi commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait des traités de paix, d’alliance et de commerce […]. » Charles de Broqueville n’était pas du même avis et jugeait qu’en tant que ministre de la Guerre, il était responsable devant le pays des actes posés par le roi. Cette différence d’interprétation causa de fréquentes dissensions entre le chef du cabinet et l’état-major, voire le roi lui-même. Progressivement un modus vivendi s’établit : le roi prend les décisions militaires en se passant du contreseing ministériel, mais il consulte son ministre.

Durant tout le conflit, le roi défend un statut particulier pour la Belgique vis-à-vis des Alliés : selon lui, elle n’était pas un Allié en tant que tel, mais un État neutre secouru par ses garants à la suite de l’agression allemande, conformément à ce qui était prescrit par le traité des XXIV articles. Cependant, la Belgique se devait d’être fidèle aux alliés britannique et français, qui lui avaient porté secours en tant que garants et, à ce titre, de rester liée à eux jusqu’à la libération de son territoire, à l’exclusion d’une paix séparée. C’est ainsi que, dès 1914, en application de cette solidarité, le roi décide d’envoyer des troupes du Congo belge pour appuyer les Français en lutte contre les Allemands au Togo. En 1915 et 1916, agissant en toute indépendance dans l’Ouest de l’Afrique orientale allemande, les troupes coloniales belges remportent les victoires de Tabora et de Mahenge, tandis que les Britanniques s’emparent du Nord et de l’Est.

En avril 1915, le roi Albert autorise son fils le prince Léopold, âgé de treize ans, à s’engager au 12e régiment de ligne, où il sert comme caporal durant six mois. Cette implication directe de l’héritier du trône en qualité de simple soldat et le rôle d’infirmière que joue durant les quatre années du conflit la reine auprès des blessés de guerre hospitalisés dans l’ambulance de l’Océan à La Panne contribuent à sceller un lien fort entre la population belge et la dynastie.

De bonne heure, le roi se montre partisan de l’élargissement du gouvernement à des membres de l’opposition libérale et socialiste. Charles de Broqueville accepte finalement l’entrée le 18 janvier 1916 des ministres d’État de l’opposition dans son gouvernement. Mécontents, deux ministres catholiques, Joris Helleputte et Armand Hubert, remettent leur démission au roi, qui la refuse. La même année, les Allemands, qui occupent les neuf dixièmes de la Belgique et y imposent un gouverneur, décrètent la scission administrative entre la Flandre et la Wallonie. En 1917, le Conseil de Flandre instauré par l’occupant proclame la déchéance du roi Albert, suivant les arguments juridiques autrefois avancés par Alfons Jonckx à propos de la prétendue illégalité de son accession au trône.

Le 11 juillet 1917, des frontistes adressent au roi une lettre ouverte réclamant une réforme linguistique au sein de l’armée. En effet, la langue du commandement était exclusivement le français. Le roi, pourtant convaincu de la nécessité du bilinguisme dans les divers secteurs de la société, n’y donne cependant pas suite, car il estime que cette réforme est impossible à mener en temps de guerre.

Jusqu’à la fin de 1918, le roi ne croyait pas certaine la victoire alliée car l’échec des grandes offensives assorties de leurs hécatombes inutiles montraient, pensait-il, que la guerre ne pourrait être gagnée sur le terrain. Déjà, en 1915-1916, il contacte secrètement son beau-frère le comte Hans Veit zu Toerring-Jettenbach, pour connaître les intentions de l’Allemagne. Des tentatives sont également entreprises par l’entremise du prince Sixte de Bourbon-Parme et de son frère François-Xavier de Bourbon-Parme, cousins germains de la reine et frères de l’impératrice d’Autriche, qui combattent tous deux dans l’armée belge mais qui ont de la famille dans le camp des empires centraux.

Marie-Rose Thielemans voit dans ces tractations des négociations secrètes de paix. Cependant, aux yeux d’Henri Haag, ces contacts n’ont d’autre objectif que d’évaluer les conditions nécessaires à une paix de réconciliation générale, sans que la Belgique ne prenne aucun engagement, si ce n’est celui d’exiger la reconquête de son indépendance et l’indemnisation des pertes considérables humaines et matérielles que l’invasion allemande avait causées.

Le 7 février 1916, le roi reçoit à La Panne Lord George Curzon, membre du cabinet de guerre britannique, et sir Douglas Haig, commandant en chef des forces britanniques en France. Tous deux proposent un plan pour reconquérir la Belgique : l’armée belge devrait être solidement encadrée par l’armée britannique avant une offensive de choc pour briser la ligne allemande par le pilonnage de la côte belge par la Royal Navy qui permettrait de foncer à travers la Belgique. Le roi Albert, qui espérait convaincre la Grande-Bretagne qu’une paix de compromis valait mieux qu’une longue guerre même victorieuse, s’oppose radicalement à ce plan.

En 1916, Alphonse XIII d’Espagne demande à Albert Ier une audience pour son ambassadeur le marquis de Villalobar. Celui-ci avait reçu du chancelier allemand Bethmann Hollweg une proposition de paix séparée entre l’Allemagne et la Belgique : les troupes allemandes évacueraient la Belgique, lui rendraient son indépendance et l’Allemagne l’indemniserait pour les dommages subis. Le roi refuse, en accord avec son gouvernement, de recevoir le diplomate espagnol, par loyauté envers les Alliés et parce qu’il croit qu’une paix séparée est irréalisable pratiquement. Durant la guerre, des socialistes des deux camps ennemis, voulant raviver la camaraderie de l’Internationale, avaient établi des contacts à Stockholm, mais sans suite. Le négociateur belge était Camille Huysmans.

Le 31 mai 1918, Charles de Broqueville remet la démission de son cabinet, probablement en raison du mécontentement du roi auquel il a rappelé que le commandement de l’armée est une prérogative gouvernementale et requiert par conséquent le contreseing ministériel. Début octobre 1918, de Broqueville reçoit pourtant un message du roi lui témoignant sa reconnaissance pour les services rendus. Albert Ier charge Gérard Cooreman de former un nouveau cabinet. Celui-ci accepte par devoir patriotique et précise qu’il remettra sa démission dès la fin des hostilités. Contrairement à son prédécesseur, il laisse le roi conduire seul les affaires militaires.

Jusqu’en 1918, le roi refuse de rejoindre le commandement unique interallié et de participer aux grandes offensives meurtrières de la Somme, de Verdun et de Passchendaele. Ce choix permet de limiter le taux de mortalité dans l’armée belge à 1 sur 50, bien différent, par exemple, de celui de 1 sur 6 dans l’armée française. En septembre 1918, lorsqu’il est enfin convaincu de la victoire finale des Alliés à la suite de leur offensive victorieuse, il accepte, sur l’avis de son conseiller constitutionnel et diplomatique Pierre Orts, le commandement unique interallié et ordonne en septembre 1918 d’engager l’offensive contre l’armée allemande dans les Flandres. Après la victoire de la forêt d’Houthulst et au bout de deux mois de combats qui ont repoussé l’ennemi jusqu’à Gand, l’armée belge et le roi entrent dans cette ville, où leur parvient la nouvelle que l’Allemagne vient de signer l’armistice de Compiègne. Le bilan des victimes humaines belges militaires et civiles s’élève entre 75 000 et 130 000, dont 36 000 à 46 000 tués.

Après la guerre, le roi Albert intervient plus fréquemment dans la politique. Son prestige acquis pendant le conflit et l’évolution des mentalités lui épargnent d’être accusé d’exercer un pouvoir personnel, contrairement à son prédécesseur. Il consacre également une partie de ses efforts à favoriser la reconstruction et le redressement économique du pays par de multiples initiatives et interventions dans les domaines économique et social.

Après les élections de novembre 1919, les premières tenues au suffrage universel, Léon Delacroix remet sa démission au roi, qui lui demande de former un nouveau gouvernement d’union nationale, à l’instar du précédent.

À l’issue de la Première Guerre mondiale, la Belgique est représentée en 1919 à la Conférence de la paix de Paris par Paul Hymans, Émile Vandervelde et Jules Van den Heuvel. À court d’arguments lors des négociations avec les grandes puissances, Paul Hymans, ministre des Affaires étrangères, fait appel au roi en avril. Celui-ci s’apprête à partir pour Londres, mais il décide de se rendre à Paris sans délai quand il reçoit le message de son ministre. Du 2 au 5 avril, il séjourne dans la capitale française. Le roi réclame des indemnités de guerre et la révision du traité des XXIV articles concernant le statut de l’Escaut. Il ne semble pas avoir demandé la possession du Limbourg néerlandais, ni celle du grand-duché de Luxembourg, ni même les villes d’Eupen et de Malmedy.

La conférence de Paris accorde à la Belgique les cantons de l’Est, région frontalière détachée de l’Allemagne, la tutelle sur le Ruanda-Urundi, soustrait à l’empire colonial allemand (accords Orts-Milner), ainsi qu’une indemnité prioritaire de deux milliards et demi de marks. Le roi tente aussi, mais en vain, de s’opposer à la politique d’humiliation excessive de l’Allemagne. Il se montre réticent quant à la participation de la Belgique à l’occupation de la rive gauche du Rhin. Celle-ci a cependant lieu, de concert avec les Français. Par ailleurs, le roi refuse que la diplomatie belge instrumentalise les atrocités allemandes d’août 1914, car il estime qu’il ne faut pas accabler l’Allemagne, avec laquelle il serait judicieux de reprendre des relations économiques.

Albert 1er, entier postal, Belgique.

Pour la première fois de l’Histoire, un président américain, Woodrow Wilson, se rend en Belgique en juin 1919. En retour, du 23 septembre au 13 novembre 1919, le roi, la reine et le prince Léopold sont reçus en visite officielle aux États-Unis. À la demande du roi Albert, la légation américaine présente en Belgique depuis 1832 est promue au rang d’ambassade en reconnaissance des services rendus durant la guerre. Le secrétaire de légation Brand Whitlock qui a œuvré durant tout le conflit en faveur de la Belgique est désormais élevé au rang d’ambassadeur. Lors d’une visite dans le pueblo indien d’Isleta au Nouveau-Mexique, le roi décore de l’ordre de Léopold le père Anton Docher, qui lui offre une croix d’argent et de turquoise faite par les Indiens Tiwas. Au cours des nombreuses réceptions dans différentes villes (Pittsburgh, Saint-Louis, Cincinnati, Philadelphie, Los Angeles…), l’accueil réservé aux souverains belges est triomphal.

En septembre 1920, la Belgique conclut un accord militaire avec la France. Il s’agit d’un pacte de défense collective contre une éventuelle attaque allemande dans l’avenir. Le roi juge cependant que cet accord doit être complété par un traité similaire avec le Royaume-Uni, faute de quoi le royaume paraîtrait inféodé à la France. L’accueil réservé à ce pacte divise la population belge : les Wallons étant plutôt favorables à une consolidation des liens avec la France ; tandis que les Flamands le perçoivent comme une majoration de l’influence française en Belgique. Le roi tente donc entre 1920 et 1922 d’obtenir un accord militaire avec le Royaume-Uni, sans succès.

C’est également en août 1920 que le roi Albert Ier fonde l’Académie royale de langue et littérature françaises et assiste à plusieurs épreuves des Jeux olympiques qui se tiennent à Anvers avant de se rendre en visite officielle au Brésil, pays qui avait envoyé une petite flottille dans les mers septentrionales, ainsi que des vivres et des médicaments durant la Première Guerre mondiale. Au Brésil, alors que le roi et la reine souhaitent surtout rencontrer les industriels et les urbanistes qui s’inquiètent du développement des favelas, les souverains sont accablés de cérémonies officielles et de galas. Ils poursuivent leur périple en visitant un institut de médecine tropicale, un jardin botanique, une plantation de café et d’autres lieux plus conformes à leurs centres d’intérêts.

Fin octobre 1920, au retour de son voyage au Brésil, Albert reçoit la démission du cabinet Delacroix. Le roi demande à Paul Segers de constituer un gouvernement, mais celui-ci refuse. Albert Ier choisit alors Henry Carton de Wiart. C’est sous le gouvernement de ce dernier que le souverain soutient le ministre du Travail Joseph Wauters quand il fait voter l’élargissement de la loi des huit heures le 14 juin 1921. Cette loi qui s’appliquait déjà par convention sectorielle dans la sidérurgie et les mines en novembre 1918, limite aussi désormais le temps de travail à huit heures par jour et quarante-huit heures par semaine dans toutes les branches d’activité du secteur secondaire, ainsi que dans le secteur public, sans que les salaires soient diminués.

Après la démission de Henry Carton de Wiart à la suite des élections de novembre 1921, le roi choisit Georges Theunis, ministre des finances du gouvernement démissionnaire et représentant la Belgique lors de la Conférence de la paix de Paris de 1919, comme Premier ministre, sur les conseils de Charles Woeste. En cette même année 1921, en juin, le roi et la reine se rendent en Algérie et au Maroc. Ils reviennent en Europe en avion par la ligne Casablanca-Toulouse sur un vol jugé risqué organisé par le maréchal Lyautey, auquel le couple royal venait de rendre visite à Rabat.

En 1923, le gouvernement décide de participer à l’occupation de la Ruhr, contre l’avis du souverain. La Belgique et la France sont fustigées internationalement pour leur politique agressive. En raison de l’occupation de la Ruhr, le roi intervient en faveur de la prolongation du service militaire en écrivant une lettre, qui sera rendue publique, à son ministre de la Défense, Albert Devèze, pour soutenir la proposition de ce dernier.

En mars 1924, Theunis remet sa démission au roi, à la suite du rejet par le Parlement d’un traité de commerce franco-belge. Le roi la refusant, Theunis reste donc Premier ministre après un remaniement de la composition de son cabinet. Le roi promet à Theunis de dissoudre les chambres et de convoquer des élections dès février 1925. Après ces élections, Theunis démissionne une seconde fois. Le roi charge Émile Vandervelde de former un gouvernement. Celui-ci tente de rassembler les socialistes et les plus progressistes parmi les libéraux et les catholiques, mais il échoue. Le roi rappelle Charles de Broqueville, qui abandonne lui aussi la mission après quelques jours. Albert Ier désigne ensuite Aloys Van de Vyvere, qui constitue un gouvernement catholique homogène, renversé par le Parlement dix jours après sa constitution. Le souverain fait finalement appel à Prosper Poullet, qui réussit à former un gouvernement catholique-socialiste.

L’année 1934 s’annonce difficile tant du point de vue intérieur qu’extérieur. Le roi apparaît souvent désabusé ; pour se distraire, il effectue, lorsque son agenda le lui permet, des randonnées en montagne. En prévision de ses futures ascensions dans les Alpes ou les Dolomites, il s’entraîne sur les falaises belges. Le 17 février 1934, Albert parvient à consacrer, entre les audiences du matin et la cérémonie sportive qui aura lieu le soir à Bruxelles, quelques heures à une escalade sur les rochers de Marche-les-Dames, dans la vallée de la Meuse, près de Namur. Il quitte le palais vers midi accompagné de son seul valet Théophile Van Dyck et prend le volant de sa Ford vers le Namurois. Parvenu à Boninne, il laisse sa voiture dans une prairie, demandant à Van Dyck de l’attendre. Une heure plus tard, le roi est de retour et annonce qu’il va effectuer une seconde ascension. Vers 17 heures, Van Dyck s’inquiète de ne pas le voir revenir car il sait que le roi est attendu le soir à Bruxelles. Albert ne reviendra jamais. Le lendemain, vers une heure et demie du matin, on retrouve son corps.

Ses funérailles nationales ont lieu le 22 février à Bruxelles, au milieu d’une assistance d’environ deux millions de personnes. Aux côtés de ses fils et de son gendre Umberto, on reconnaît Albert Lebrun, président de la République française, le prince de Galles (futur roi Édouard VIII et duc de Windsor), le roi de Bulgarie Boris III, le prince Nicolas de Roumanie, le prince Axel de Danemark, le prince Charles de Suède, le prince Paul de Yougoslavie, le prince Cyrille de Bulgarie, le prince-consort Henri des Pays-Bas, le prince-consort Félix de Luxembourg, et d’autres membres du Gotha, mais aussi des milliers d’anciens combattants. Il est inhumé auprès de ses ancêtres dans la crypte royale de l’église Notre-Dame de Laeken.

Le 6 mars 1934, Charles de Broqueville prononce un discours de politique internationale qu’il avait préparé avec Albert Ier juste avant sa mort. Dans ce discours, il déclare que face à la menace du réarmement allemand, il faut choisir entre la guerre préventive ou la limitation généralisée des armements et qu’il vaut mieux négocier avec l’Allemagne, plutôt que de subir une nouvelle course aux armements.

En mai 1934, la diplomatie et l’opinion belges sont scandalisées par les propos du militant d’extrême droite britannique Hutchison, qui prétend que le roi ne serait pas mort accidentellement mais aurait été assassiné en raison de son opposition à une éventuelle guerre contre l’Allemagne.

Quant à la reine Élisabeth, elle est, selon les mots de son fils, « frappée à mort ». Elle se réfugie dans le bungalow de bois du parc de Laeken, ne reçoit aucune visite, ne se montre plus en public et abandonne le violon. Son fils Léopold III qui succède à son père forme avec la reine Astrid un couple très populaire. Cependant, un an et demi après la mort du roi Albert, la reine Astrid meurt dans un accident de voiture en Suisse. De Naples où elle séjournait depuis plusieurs mois, la reine Élisabeth revient immédiatement à Laeken. Léopold confie : « Elle ne revint à la vie que lorsque je fus moi-même touché par le sort. […] Ma mère est venue à moi disant qu’elle allait se remettre à vivre : elle se sentait à nouveau nécessaire ».

Le jour de ses noces d’argent, le 2 octobre 1925, le couple royal séjourne depuis plusieurs semaines aux Indes car le roi a offert ce voyage à Élisabeth, ravie de rencontrer le poète Rabindranath Tagore et de découvrir les beautés de sites tels Bombay ou Calcutta, d’où ils adressent une amicale carte postale à Rudyard Kipling. À leur retour, cent mille Belges les acclament pour célébrer leur anniversaire de mariage, tandis que la presse publie de nombreux suppléments illustrés dédiés au jubilé royal.

Au début de mai 1926, le gouvernement Poullet présente sa démission. Le roi demande à Émile Brunet de constituer un gouvernement, mais celui-ci échoue. La crise économique est particulièrement sévère et le cours du franc belge chute. Le roi convoque au palais de Bruxelles Émile Vandervelde, Paul Hymans et Aloys Van de Vyvere et les convainc de soutenir un gouvernement d’union nationale, dont il confie la direction à Henri Jaspar, afin de rassurer l’opinion conservatrice. Le 20 mai 1926, peu après la constitution du gouvernement Jaspar, le roi lui adresse une lettre publique dans laquelle il exprime tous ses vœux de succès et appelle la population à s’unir autour du gouvernement. Cette lettre, suivie de la réaction unanimement positive de la presse, exerce une influence sur l’opinion publique et assure la légitimité du nouveau gouvernement.

Sur le plan privé, le 4 novembre 1926, le fils aîné du roi, Léopold, épouse la princesse Astrid de Suède. Quelques mois plus tard, en juillet 1927, le montant de la liste civile est ajusté. En effet, la constitution (article 77) prévoyait que ce montant soit fixé au début de chaque règne. Or la valeur du franc belge avait été divisée par sept depuis 1909. Les députés décident à l’unanimité de l’augmenter sans s’astreindre à une révision constitutionnelle. Le roi accepte que la liste civile soit multipliée, mais seulement par trois : elle s’élève dès lors à 9 500 000 francs.

Le 8 octobre 1927, lors d’un discours prononcé à Tribomont (Grand-Rechain), Émile Vandervelde, ministre socialiste des Affaires étrangères, réclame la réduction du service militaire à six mois, politique à laquelle il sait que le roi et Jaspar sont totalement opposés. Le 11 octobre 1927, le souverain devient grand-père pour la première fois, lors de la naissance de Joséphine-Charlotte, premier enfant du duc de Brabant et de la princesse Astrid. En réponse aux délégations du Parlement venues le féliciter, le roi prononce un discours, contredisant sciemment les vœux de Vandervelde, en faveur du renforcement de l’armée. Les propos du roi provoquent le départ des socialistes du gouvernement dirigé par Jaspar. Le 21 novembre 1927, le roi charge de nouveau Jaspar, homme de consensus entre conservateurs et démocrates chrétiens, de constituer, sans les socialistes, un cabinet bipartite catholique-libéral, mis en place dès le lendemain. La célérité de la formation du nouveau gouvernement laisse présumer que tout avait été réglé à l’avance. C’est le roi qui établit lui-même le programme du nouveau gouvernement.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

 

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