Tycho Brahe, astronome.

Tycho Brahe, né Tyge Ottesen Brahe (14 décembre 1546 – 24 octobre 1601), est un astronome danois, issu d’une grande famille associée de longue date aux affaires du royaume. Sa région natale, la Scanie, fait désormais partie de la Suède.

Tycho Brahe marque une rupture dans l’histoire de l’astronomie et plus généralement dans l’histoire des sciences. À une époque où prévaut encore le respect de la tradition et des anciens, il donne la priorité à l’observation, avec le souci constant de valider ses hypothèses au regard de celles-ci. Il prend grand soin de la fabrication et de la mise au point de ses instruments qui lui permettent de recueillir un nombre considérable de données. Bien qu’effectuées à l’œil nu, ces mesures sont, à leur meilleur, au moins dix fois plus précises que celles de ses prédécesseurs en Europe. Ainsi, ses observations de la supernova de 1572 le conduisent à remettre en cause l’immuabilité du monde supra-lunaire énoncée par Aristote, remise en cause confirmée par ses observations de la grande comète de 1577, dont il met en évidence qu’elle ne peut être un phénomène atmosphérique (sub-lunaire).

Ses observations très précises des positions de la planète Mars jouent un rôle décisif dans la découverte par Johannes Kepler de la trajectoire des planètes et plus généralement des trois lois qui régissent le mouvement de celles-ci.

Bien que grand admirateur de Nicolas Copernic, il ne se résout pas à abandonner le géocentrisme et préfère mettre au point un système mixte, dit géo-héliocentrique : la Terre reste immobile au centre de l’univers, les autres planètes tournent autour du soleil, entraînées également par le mouvement de celui-ci autour de la Terre. Bien que ruiné conceptuellement par les découvertes de Kepler puis de Newton, le système sera soutenu tout au long du xviie siècle par les jésuites qui y verront la seule façon de sauver l’immobilité de la Terre, conforme à leurs yeux aux Écritures. Ce système sera définitivement infirmé par la découverte de l’aberration de la lumière qui met en évidence empiriquement le mouvement annuel terrestre.

Tycho Brahe, carte maximum, Danemark.

Jeune homme, Tycho bénéficie d’une éducation ouverte aux sciences dans un système universitaire protestant, encore très influencé par les idées de Philipp Melanchthon. Il étudie d’abord à Copenhague, où il découvre en particulier l’astronomie, puis fréquente durant de longues années les universités protestantes allemandes.

Grâce au soutien du roi Frédéric II de Danemark, Tycho Brahe bénéficie pendant une vingtaine d’années de l’usage de l’île de Ven et de confortables revenus pour mener à bien ses travaux. Il y fait construire le palais d’Uraniborg qui est sa demeure, mais surtout un lieu d’études et un véritable centre de recherche avant l’heure, muni d’un observatoire, mais aussi d’un centre artisanal pour la confection des instruments et d’une imprimerie pour diffuser ses travaux. Il y forme de nombreux étudiants et reçoit des visiteurs de l’Europe entière.

Après la mort de son protecteur et l’interrègne qui suit, Tycho perd le soutien du successeur de celui-ci, Christian IV et choisit d’émigrer. Accueilli par l’empereur Rodolphe II qui en fait son mathématicien impérial, il s’installe près de Prague. C’est là que Kepler le rejoint pour devenir près d’une année durant son assistant et hériter, à la mort de l’astronome danois en 1601, des exceptionnelles observations de celui-ci.

En français, le nom de l’astronome a été beaucoup orthographié Tycho-Brahé ou Tycho Brahé.


L’importance de Tycho Brahe dans l’histoire de l’astronomie a été longtemps diversement appréciée. À sa mort en 1601, il était le scientifique le plus célèbre d’Europe. À la fin du XVIIIe siècle, Jean Sylvain Bailly ne voyait, depuis l’Antiquité, que Hipparque qui puisse lui être comparé, sans méconnaître l’importance de Copernic que Bailly juge « plus grand comme philosophe que comme astronome ». Cependant Tycho a parfois été considéré comme un simple observateur, certes sans rival, mais n’exploitant pas lui-même ses observations, ses apports théoriques étaient souvent réduits à son système géo-héliocentrique, vu comme trop complaisant envers les préjugés religieux de l’époque. Bien que le XIXe siècle ne l’ait pas oublié, ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle que ce tableau a été largement complété et corrigé et que Tycho a trouvé sa place, au premier rang, dans l’histoire de l’astronomie et dans l’histoire des sciences. Ainsi il ouvre le second volume de l’histoire générale de l’astronomie de René Taton et Curtis Wilson, comme étant celui qui, par le primat qu’il donne aux observations, inaugure l’astronomie moderne, à l’égal au moins de Copernic, dont l’héliocentrisme était révolutionnaire, mais dont la pratique était restée celle de l’astronomie ancienne.

En ce qui concerne sa vie, les historiens bénéficient, outre leurs sources habituelles, de la biographie de Pierre Gassendi, une des premières du genre, écrite moins de cinquante ans après la mort de l’astronome. On doit à Tycho lui-même une courte autobiographie, mais Gassendi put la compléter par d’autres sources, interrogeant entre autres des membres de sa famille8. En 1890, l’astronome et historien de l’astronomie John Louis Emil Dreyer publie une biographie9 qui a longtemps fait autorité, même si elle ne prend pas en compte une partie de ses propres travaux, publiés ultérieurement. Dreyer est également le principal éditeur des œuvres complètes de Tycho Brahe publiées entre 1913 et 1929. Plus récemment la biographie de Victor Thoren publiée en 1990 est une somme tant sur la vie que sur l’œuvre de Tycho qui tient compte des derniers travaux publiés au moment de sa parution, y compris ceux en langues scandinaves.

Tycho Brahe naît en 1546 au château familial de Knudstrup, en Scanie, alors province danoise. Il est le second des douze enfants (dont huit dépasseront la prime enfance) d’Otte Brahe et de Beate Bille et leur premier fils. Son frère jumeau, auquel il écrira une ode plus tard, ne survit pas. Sa sœur Sophia, qui sera sa collaboratrice, naîtra dix ans plus tard. La famille Brahe comme la famille Bille sont toutes deux de haute et ancienne noblesse et associées de près aux affaires du royaume. Ses deux grands-pères, ses quatre arrière-grands-pères sont ou ont tous été membres du Rigsraad (ou Riksråd), le conseil du royaume, qui, fort d’une vingtaine de membres, assiste le roi, voire le supplée à l’occasion. Son père et ses oncles en font ou feront partie à leur tour, puis deux de ses frères cadets, Steen et Axel. Les Brahe sont propriétaires terriens et gens d’épée. Tôt convertis au protestantisme, ils ont participé à la prise de pouvoir du roi Christian III, qui impose le luthéranisme au Danemark en 1536. Les Bille sont plutôt financiers et gens d’Église. La quasi-totalité des évêques du Danemark sont liés à leur famille, mais ils ont aussi fourni des hommes de guerre pour la défense du catholicisme. Leur influence reste grande, malgré l’avènement de la Réforme, et l’alliance matrimoniale avec les Brahe est aussi, pour le père de Beate, une façon de maintenir celle-ci.

Très jeune, Tycho est enlevé à ses parents par son oncle Jorgen Brahe (en). L’évènement, dont les historiens jugent probable qu’il ait eu lieu dans sa deuxième année, est mentionné dans son autobiographie sans autre détail ni explication. Il reste difficile à interpréter. Promesse non tenue d’Otte à son frère Jorgen ? Il s’avère que ce dernier, dont la femme n’a pas plus de vingt ans au moment de l’enlèvement, n’aura jamais d’enfant. Otte et Beate, qui ont eu à nouveau un fils, Steen, un an après la naissance de Tycho, ne paraissent pas avoir tenu rigueur de l’enlèvement à Jorgen, qui élève, avec sa femme Inger Oxe, Tycho comme s’il était leur propre fils, assurant son entretien et son éducation jusqu’à la disparition accidentelle de Jorgen en 1565. La famille Oxe est moins ancienne que celles des Brahe et des Bille, mais a déjà fourni plusieurs conseillers au Rigsraad. Inger est aussi la sœur de Peder Oxe, dont l’habileté en matière de finances et de diplomatie vont faire, en dehors d’une période de huit ans d’exil, l’homme d’État danois le plus influent de l’époque.

C’est sous l’influence d’Inger Oxe, que l’éducation du jeune Tycho Brahe va être très différente de celle de ses frères.

On a peu de détails sur les années d’enfance du jeune Tycho Brahe. Son oncle est établi dans le manoir familial de Tostrup, à l’est de la Scanie, mais il administre aussi successivement diverses places-fortes, et il est probable que son neveu le suive lors de ses déplacements. En 1552, il est nommé gouverneur du château de Vordingborg et des terres qui en dépendent par le roi Christian III, puis la reine mère Sophie (veuve de Frédéric Ier et belle-mère du roi Christian III) le nomme en 1555 responsable du château de Nykøbing voisin, ce qui met Jorgen à la tête d’un ensemble de fiefs considérable. Le roi et sa belle-mère ne s’entendent pas et, en 1558, Jorgen perd cependant la gouvernance de Vordingborg, un évènement également lié à la disgrâce de son beau-frère Peder Oxe, qui se voit confisquer ses biens, et part en exil la même année pour huit ans.

Il est donc probable que la vie de cour seigneuriale, avec de fréquents déplacements, soit celle de Tycho jusqu’à ses sept ans, âge auquel on sait qu’il entame des études élémentaires. Depuis au moins deux siècles, celles-ci ont lieu traditionnellement pour les jeunes nobles dans l’école attachée à la cathédrale d’une ville épiscopale, ceux-ci étant logés chez l’évêque ou un religieux important. La Réforme n’a guère changé cette tradition, à la différence que les théologiens luthériens, originaires des classes moyennes, ont pris la place des évêques qui étaient nobles et qu’ils ont importé un autre mode de vie, inspiré de celui qu’ils ont connu lors de leurs études dans les universités allemandes en particulier à Wittenberg. Tycho rejoint vraisemblablement l’école de la cathédrale de Vordingborg, à l’instar de ses deux frères puinés Steen et Axel (on sait qu’ils étaient inscrit à celle d’Aalborg, centre du fief gouverné par leur père Otto). Il y suit des enseignements de langue et grammaire latine, de religion, de chant et probablement de mathématiques élémentaires.

Le 19 avril 1559, Tycho rejoint l’université de Copenhague pour y parfaire son éducation classique, entre autres dans les trois arts du trivium médiéval, grammaire, logique et rhétorique, considérés à l’époque comme utiles pour une carrière politique. Il y suit également les enseignements du quadrivium, les quatre sciences mathématiques classiques, arithmétique, géométrie, musique et astronomie. Celles-ci ont été remises à l’honneur par le théologien protestant Philipp Melanchthon, disciple et ami de Martin Luther et son principal second. Ses idées ont eu une grande influence sur l’enseignement des universités luthériennes et donc à Copenhague. Une éclipse partielle de soleil a lieu à Copenhague le 21 août 1560. Trop peu spectaculaire pour avoir été remarquée par le jeune Tycho sans qu’elle lui ait été indiquée, cette éclipse n’est pas forcément à l’origine de son intérêt pour l’astronomie, bien que ce soit l’avis de Gassendi. Toujours est-il que c’est à Copenhague que Tycho apprend que les évènements astronomiques ont des régularités qui permettent de les prévoir, qu’il commence d’explorer la littérature astronomique, mais aussi astrologique, et plus généralement à s’ouvrir à un univers intellectuel bien différent de celui des Brahe. Dans ce contexte, l’intérêt particulier que va manifester Tycho pour l’astronomie n’est pas forcément encore exceptionnel. Tycho acquiert les livres que le professeur de mathématiques de l’université utilise pour son enseignement, d’abord le traité de la sphère (de sphaera mundi) de Johannes de Sacrobosco, puis l’année suivante la Cosmographie (Cosmographia) de Peter Apian et la trigonométrie (De triangulis omnimodus) de Regiomontanus. Ces ouvrages portent l’inscription « Tycho Brahe, Anno 1561 », première occurrence connue de la forme latine de son prénom. Tycho se procure aussi les éphémérides de Joannes Stadius fondées sur les Tables pruténiques (qui elles-mêmes s’appuient sur les travaux de Copernic).

À l’âge de quinze ans, Tycho doit parfaire son éducation à l’étranger. Pour ses frères cela signifiera servir comme écuyer dans des cours allemandes, mais Tycho va suivre la voie de Peder Oxe et fréquenter les universités germaniques, au cours de trois voyages successifs, qui vont s’étaler sur plus de neuf ans, de 1561 à 1570.

Pour sa famille il s’agit de lui donner la formation qui lui permettra de tenir son rang au service du royaume. Mais dès la fin du premier voyage, sa vocation pour les sciences s’affirme et en particulier pour l’astronomie.

Ses voyages lui permettent également de rencontrer nombre d’humanistes scientifiques ou intéressés par les sciences. Il sympathise avec certains d’entre eux avec qui il restera en correspondance.

Tycho part en 1561 accompagné d’un tuteur de quatre ans plus âgé, le futur historien Anders Sørensen Vedel, qui est chargé de veiller à son éducation et dont il conservera l’amitié tout au long de sa vie. Leur destination est l’université de Leipzig, où ils vont rester trois ans. Tycho y suit les études classiques prévues par sa famille, mais se procure et étudie en secret livres, éphémérides et instruments d’astronomie.

Il commence à observer le mouvement des planètes, armé d’un globe céleste « pas plus gros que le poing » sur lequel il reporte les alignements entre la planète visée et deux étoiles qu’il a repérées à l’aide d’une simple ficelle tendue. Cet attirail rudimentaire suffit au jeune apprenti astronome de seize ans pour mettre en évidence des différences importantes avec les positions prévues par les éphémérides, qu’elles soient fondées sur les Tables alphonsines qui utilisent le système de Ptolémée, ou sur les Tables pruténiques qui utilisent le système de Copernic (même si ces dernières apparaissent légèrement supérieures).

En 1563, il s’est procuré un nouvel instrument, un grand compas qui lui permet de mesurer par visée l’écart angulaire de deux astres, et inaugure en août de la même année son premier journal d’observations par le rapprochement des planètes Jupiter et Saturne dont la conjonction, un phénomène qui se produit tous les vingt ans, a lieu le 17 août 1563. Là encore il ne peut que constater une erreur de près d’un mois pour les Tables alphonsines et qui est encore de plusieurs jours pour les Tables pruténiques. Selon ce que Tycho déclarera plus tard, c’est dès cette époque qu’il décide d’améliorer cet état de fait, en particulier en accumulant les observations.

Tycho s’est également procuré un livre d’astrologie de Johannes Garcaeus et commence la même année à s’entraîner à la rédaction d’horoscopes.

En 1564 il a dix-huit ans, et Vedel ne peut plus guère l’astreindre à se consacrer aux études prévues. Il a rencontré Bartholomäus Scultetus, auprès de qui il approfondit ses connaissances en astronomie, mais apprend aussi la cartographie et la géographie… Il se procure son premier instrument astronomique professionnel, un radius astronomicus (ou bâton de Jacob) d’un mètre de long conçu selon les plans de Gemma Frisius par le neveu de celui-ci, Gualter Arscenius. L’instrument de bois et de laiton est suffisamment encombrant et onéreux pour n’avoir pu passer inaperçu aux yeux de Vedel : Tycho s’affirme et ne dissimule plus son intention de se consacrer à l’astronomie.

Au printemps 1565, Tycho et son tuteur décident de rentrer au Danemark. La guerre avec la Suède, qui a éclaté en 1563 et va durer sept ans, ne semble pas les avoir gênés, mais elle ne sera pas sans conséquences pour Tycho. Son oncle et père adoptif Jorgen, après avoir capturé lors d’une bataille navale incertaine l’amiral de la flotte suédoise et son vaisseau, a été nommé vice-amiral de la flotte danoise. Mais en 1565, lors d’un retour au port, il meurt des suites d’un plongeon dans les eaux de Copenhague, en compagnie de son roi (qui, lui, en réchappe). Il aurait tenté de  repêcher Frédéric II tombé à l’eau alors qu’ils revenaient tous deux d’une taverne. Jorgen n’a pas eu le temps, comme il le projetait, de faire de Tycho son unique héritier. La fortune et les terres de Jorgen seront gérées en usufruit par sa femme Inger Oxe qui vivra jusqu’en 1591, mais Tycho passe, jusqu’à sa majorité, sous la responsabilité de ses parents naturels. Tycho perd également son grand-père maternel qui meurt en commandant la défense de la forteresse de Bahus32. Tycho reste près d’un an au Danemark, le temps qu’il lui faut pour convaincre son soldat de père de le laisser poursuivre ses études, alors que la guerre offre tant d’opportunités à quelqu’un de sa classe sociale.

En 1566, Tycho retourne sur le continent pour passer quelques mois à l’université de Wittenberg, berceau du luthéranisme, où il retrouve Vedel et probablement Sculetus. Chassé de la ville par une épidémie, il se replie sur l’université de Rostock fréquentée, comme celle de Wittenberg par de nombreux Danois. Là il observe le 28 octobre une éclipse de Lune et rend publique son interprétation astrologique : l’événement annonce la mort du Sultan de Turquie Soliman le Magnifique. Malheureusement pour Tycho, il s’avère que, si Soliman est bien mort, c’était quelques semaines avant l’éclipse. Les moqueries n’ont pas dû manquer et auraient pu, selon Thoren, être la cause d’une dispute avec un cousin éloigné, Manderup Parsberg – mais les historiens en sont réduits aux hypothèses sur l’origine de celle-ci. Toujours est-il que l’affaire se termine en duel. Ceux-ci sont courants à l’époque entre jeunes nobles et peuvent se terminer tragiquement. L’affaire ne sera pas aussi grave pour Tycho, mais il s’en faut de très peu : son cousin lui tranche l’arête du nez, et, si Tycho survit à la blessure, il en reste défiguré à vie. Il portera plus tard un nez postiche, que l’on distingue sur certains de ses portraits et qui aurait été constitué d’or et d’argent, mais ce ne fut relaté qu’après sa mort (et rapporté par Gassendi).

Lors de l’exhumation du corps de Tycho en 1901, on a trouvé des traces de cuivre à l’emplacement du nez, ce qui n’est pas forcément incompatible avec la légende, Tycho ayant pu posséder plusieurs prothèses.

Il est possible que sa blessure soit à l’origine de son intérêt ultérieur pour la médecine et pour l’alchimie. À Rostock, il a pu suivre, dès cette époque, les enseignements de deux représentants de la nouvelle approche empiriste de la médecine, Heinrich Brucaeus et Levinus Battus, d’autant que tous deux s’intéressent également à l’astronomie. Si Brucaeus, qui étudie l’anatomie, est très hostile à l’astrologie, ce n’est pas le cas de Battus, adepte de Paracelse et de sa vision globale de l’homme dans l’univers, qui va également beaucoup intéresser Tycho.

À Augsbourg, en 1569, Tycho conçoit et fait fabriquer pour la première fois un instrument astronomique, un grand compas, ou demi-sextant (ouverture de 30 degrés), dont les branches mesurent 1,5 mètre de long et qui est reproduit vingt-cinq ans plus tard dans l’Astronomiae Instauratae Mechanica. L’instrument de bois et cuivre (pour l’arc) est relativement léger. Il en fera cadeau à Paul Hainzel à son départ d’Augsbourg, mais fera construire un instrument similaire deux ans plus tard à Herrevad avec, cette fois, deux arcs de cuivre interchangeables de 30 et 60 degrés, soit à la fois demi-sextant et sextant, qu’il adaptera pour observer la « nouvelle étoile » (supernova de 1572).

Courant 1567, Tycho retourne au Danemark. Peder Oxe est rentré en grâce l’année précédente. Nommé Rigshofmester, l’équivalent de premier ministre, il va améliorer de façon spectaculaire les finances du royaume et faire la paix (en 1570) avec la Suède. Mais à nouveau, Tycho ne profite pas des opportunités que lui apporte le soutien de son oncle par adoption et, en dépit de ce qu’en pense sa famille, préfère retourner à la toute fin 1567 poursuivre ses études à Rostock où il loge quelque temps chez Levinus Battus et se consacre (très probablement) à la médecine et l’alchimie. Il n’y reste cependant que cinq mois et mène alors quelque temps une vie itinérante. Il s’attarde un peu à Bâle où il rencontre le jeune Hugo Blotius  avec qui il tente la construction de quadrants, passe à Freiburg où il admire les modèles astronomiques de Erasmus Oswald Schreckenfuchs (en), est reçu chez Cyprianus Leovitius (dont il a apprécié les éphémérides) à Lauingen, rencontre Philipp Apian (en) (le fils de Peter) à Ingolstadt… Mais c’est à Augsbourg qu’il finit par se fixer au printemps 1569 et va mettre au point ses premiers instruments astronomiques.

Comme toutes les villes de cette importance, Augsbourg possède son cercle d’humanistes qui accueille Tycho. Il sympathise et restera longtemps en correspondance avec certains d’entre eux comme l’érudit Hieronymus Wolf, le bourgmestre Paul Hainzel qui finance la construction de son gigantesque quadrant, le professeur au lycée d’Augsbourg Johannes Major. Mais le jeune danois trouve aussi à Augsbourg un artisan extrêmement capable,  Christoph Schissler, qui lui permet de réaliser les instruments qu’il conçoit.

Avec l’aide et le soutien financier de Paul Hainzel, Tycho fait construire à Augsbourg début 1570 un quadrant d’un rayon de 5,5 mètres, la taille qu’il estime alors nécessaire pour atteindre la précision d’une minute d’arc. Il l’utilise pour quelques observations reportées dans son journal. L’instrument restera le plus grand de sa production et attire sur son créateur l’attention du plus célèbre philosophe de l’époque, Pierre de La Ramée, arrivé à Augsbourg en avril 1570. Celui-ci citera dans ses œuvres l’instrument du jeune danois « Bracheus ».

La Ramée est un empiriste convaincu, très hostile à l’aristotélicisme de ses contemporains, et qui promeut dans ses écrits une science sans aucune hypothèse, reposant uniquement sur l’observation. Comme il l’a proposé à Rheticus, il « suffirait » d’établir des éphémérides sur la durée de la Grande Année, celle au bout de laquelle l’univers est censé retrouver la même configuration, et on pourrait alors oublier les hypothèses héliocentrique et géocentrique, les modèles mathématiques, leurs épicycles, excentriques et autres équants.

Tycho discute avec La Ramée de la réforme radicale de l’astronomie que propose ce dernier. S’ils sont d’accord sur le primat à l’observation, Tycho n’accepte pas l’abandon des hypothèses et compare l’astronomie à la géométrie où des axiomes sont nécessaires, même s’il accepte que ces hypothèses puissent évoluer (du temps de Tycho le dogme des astronomes magnifié par Copernic est celui du mouvement circulaire uniforme : le mouvement des corps célestes doit se décomposer à partir de celui-ci). Il juge aussi nécessaire la conception d’un cosmos harmonieux et ordonné, telle que l’a mise en avant Melanchthon. Tycho n’adoptera pas les conceptions de La Ramée et reprochera au philosophe de ne pas connaître la pratique de l’astronomie.

Fin mai 1570, Tycho peut-être alerté par de mauvaises nouvelles à propos de la santé de son père, quitte Augsbourg pour retourner au Danemark. Il arrive probablement début décembre 1570 auprès d’Otte Brahe au château d’Helsingborg. Celui-ci meurt le 9 mai 1571. Bien qu’il ait laissé ses affaires en bon ordre, les héritiers sont nombreux et la complexe succession ne sera réglée que courant 1574. Elle fait de Tycho un homme financièrement indépendant, même s’il ne dispose pas des revenus qu’il aurait pu espérer s’il avait été l’héritier de son oncle Jorge, comme celui-ci l’avait envisagé avant sa disparition.

Le sextant avec lequel Tycho Brahe en 1572 observe la « nouvelle étoile », dans la constellation de Cassiopée. Tycho l’a fait construire à Herrevad sur le modèle de son demi-sextant d’Augsbourg. Il décrit dans cette gravure de l’Astronomiae Instauratae Mechanica la façon dont il l’a adapté et monté horizontalement, se servant d’une fenêtre orientée au nord.

Peu après la mort de son père, Tycho s’installe chez son oncle maternel Steen Bille, avec lequel il a sympathisé et qui l’accueille dans son domaine, l’ancienne abbaye de Herrevad, à quelques kilomètres du château familial. Steen Bille est un érudit humaniste, très intéressé par l’alchimie, et Tycho va installer son propre laboratoire sur le domaine.

C’est également vers cette époque qu’il rencontre Kirsten Jørgensdatter, qui va devenir son épouse et la mère de ses enfants, et avec qui il a pu s’installer à Herrevad. Les historiens en sont réduits aux hypothèses sur les origines de celle-ci, peut-être fille d’un pasteur des environs de Knudstrup. Une chose certaine est qu’elle n’est pas noble, ce qui interdit un mariage officiel avec Tycho. À l’époque cependant, Tycho peut invoquer l’ancien droit danois qui accorde un statut d’épouse à une femme qui vit maritalement suffisamment longtemps avec un homme. La chose n’est d’ailleurs pas exceptionnelle55, cependant Tycho se prive ainsi de l’alliance entre grandes familles que représente un mariage dans son milieu et se marginalise ostensiblement parmi les gens de son rang.

Selon ses propres dires, Tycho consacre alors la plupart de son temps à l’alchimie. C’est cependant à Herrevad que, le 11 novembre 1572, Tycho fait sa première observation d’importance, celle qui lance réellement sa carrière d’astronome : une « nouvelle étoile » (nova stella) — son éclat dépasse celui de Sirius, de Vega et même de Vénus — est apparue dans la constellation de Cassiopée. Les astronomes du XXe siècle ont pu l’identifier à partir des observations de Tycho et conclure qu’il s’agissait de ce que l’on appelle aujourd’hui une supernova de type I, qu’ils nomment SN 1572. Elle restera observable jusque mars 1574.

Grâce aux instruments dont il dispose, Tycho établit rapidement que la « nouvelle étoile » est immobile vis-à-vis des étoiles qui l’environnent. Il ne peut s’agir d’une planète ni d’une comète, et l’absence de parallaxe diurne observable montre que l’objet est forcément au-delà de la lune, ce qui détruit la conception aristotélicienne alors couramment admise d’une division des cieux en un monde sub-lunaire soumis aux changements et un monde supra-lunaire immuable.

Ces conclusions révolutionnaires sont en évidence dans un court traité, De Nova Stella, qu’il fait publier l’année suivante à l’instigation de Peder Oxe). L’activité à Herrevad intéresse en effet le roi et son Grand Intendant. Un chapitre du traité est consacré aux aspects astrologiques et à ses conséquences politiques. Le traité n’a probablement pas eu un grand écho public, vu sa faible diffusion, mais Tycho le fait parvenir à ses amis, lettrés et hommes de science, à travers toute l’Europe.

En septembre 1574, il donne une conférence à l’université de Copenhague qui est suivie de plusieurs cours où il expose la théorie de Copernic. Peder Jakobsen Flemløse, qui va devenir un de ses plus fidèles assistants, fait partie de ses étudiants.

Courant 1575, il laisse cependant son enseignement pour un nouveau voyage en Allemagne et en Italie. Il ne s’agit plus que d’un simple voyage d’études. Tycho a le soutien de Frédéric II et il semble que celui-ci l’ait missionné pour attirer au Danemark des artistes, des artisans et des ingénieurs. D’autre part Tycho, maintenant autonome financièrement avec le règlement de la succession de son père, projette d’émigrer pour s’établir à Bâle, ville au carrefour de l’Allemagne de la France et de l’Italie.

À son retour fin 1575, son souverain le reçoit et paraît pleinement satisfait, mais la récompense qu’il propose à Tycho, un fief royal comme c’est l’usage pour quelqu’un du rang du jeune danois, n’intéresse pas ce dernier.

Début 1576, le roi, mis au courant du projet d’émigration de Tycho, propose à celui-ci l’île de Ven et de considérables moyens pour mener à bien ses travaux scientifiques. L’offre est exceptionnelle et Tycho ne peut la refuser. Il va pouvoir établir sur l’île un véritable centre de recherches qui devient célèbre dans l’Europe entière : Uraniborg.

Christian IV est couronné en août 1596 : la Régence prend fin, et le pouvoir danois devient nettement moins favorable à Tycho. Christoffer Walkendorf, qui avait été évincé du Conseil de Régence par une faction proche de Tycho, devient Rigshofmester, poste le plus important du gouvernement et qui était vacant depuis la mort de Peder Oxe. Christian IV et ses deux principaux ministres, Christoffer Walkendorf et le chancelier Christian Friis, sont en faveur d’un pouvoir fort, entre les mains d’un monarque de droit divin, et s’opposent au régime oligarchique renforcé par le Conseil de Régence. Dès 1596 Tycho se voit retirer un fief en Norvège qui lui avait été attribué par Frédéric II, ses frères et parents subissent souvent des pertes analogues. Tycho invoque en vain les engagements de Frédéric II et la déclaration du Conseil de Régence à propos de Hven. Début 1597, il perd une importante pension annuelle qui lui était versée depuis 1582. Ces deux décisions lui font perdre un tiers de son revenu annuel.

En avril 1597, Tycho décide de quitter Hven avec sa famille et ses proches pour Copenhague. Il embarque la plupart de ses instruments, ne laissant que ceux qui ne peuvent être démontés, ses presses à imprimer, sa bibliothèque.

Tycho a également commis des erreurs : chanoine de la chapelle de la cathédrale de Roskilde où sont enterrés le Roi Frédéric II et ses deux prédécesseurs, il a laissé la voûte de celle-ci se détériorer, a ignoré en 1593 les injonctions à la faire réparer du jeune Christian IV, encore mineur, et a tardé à réagir. La charge de chanoine lui est finalement retirée en juin 1597.

Soumis à des vexations —on lui interdit d’installer ses instruments en haut des remparts de la ville, au dessus de son domicile— il finit par quitter le Danemark pour l’Allemagne en juin 1597, toujours en compagnie de ses proches et de ses instruments, et ne retournera jamais au Danemark.

Il voyage pendant quelques années, puis, en 1599, s’installe dans le château de Benateck près de Prague où il travaille en tant que mathématicien Impérial de la cour de l’empereur Rodolphe II. Il meurt dans la ville de Prague en 1601. Sur son lit de mort il délire, mais dans ses moments de répit dit à Kepler : « Ne frustra vixisse videar ! » (débrouille-toi pour que je ne paraisse pas avoir vécu en vain !), car il s’est rendu compte qu’il n’avait réalisé que des Progymnasmata (travaux préliminaires). Kepler répondra à ce dernier vœu en publiant Astronomiae instauratae progymnasmata dès 1602. Ses instruments y furent conservés un long moment, mais seront finalement perdus.

Il serait mort à la suite d’un calcul ou d’une septicémie, ce qui pourrait avoir été provoqué par le fait de s’être retenu trop longtemps d’uriner pendant un trajet de plusieurs heures en carrosse avec l’empereur Rodolphe II ou un long repas à la Cour impériale de Prague. Il est aussi possible que Tycho Brahe ait été empoisonné, des rumeurs apparaissant à ce sujet dès sa mort (voir plus bas). Après la mort de Tycho Brahe, Rodolphe II acheta ses instruments pour les faire enfermer à l’hôtel de Curzt à l’abri des convoitises.

Comme la plupart des astronomes avant lui, Tycho Brahe croyait en l’astrologie. Il calcula d’ailleurs lui-même son propre thème astral : « Tycho Brahe, né le 14 décembre 1546 à 10 h 47 de Greenwich à Scania (Danemark). Soleil en 2°07 Capricorne, AS en 16°38 Verseau, Lune en 23°11 Vierge, MC en 15°19 Sagittaire. »

Il est enterré dans l’église de Notre-Dame de Týn, près de l’horloge astronomique à Prague.

À sa mort, son importante équipe de savants et d’artisans se répand en Europe et participe à des académies expérimentales comme l’Académie des secrets, puis l’Académie des Lyncéens (1603) de Giambattista della Porta (1535-1615) et autres adeptes de la philosophie naturelle comme Girolamo Ruscelli, ou encore l’Accademia del Cimento.

L’astéroïde (1677) Tycho Brahe a été nommé en son honneur, de même qu’un cratère lunaire et qu’un cratère martien.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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