Socrate, philosophe.

Socrate (en grec ancien : Σωκράτης / Sōkrátēs /sɔːkrátɛːs/) est un philosophe grec du Ve siècle av. J.-C. (né vers -470/469, mort en -399). Il est connu comme l’un des créateurs de la philosophie morale. Socrate n’a laissé aucun écrit, sa pensée et sa réputation se sont transmises par des témoignages indirects. Ses disciples, Platon et Xénophon, ont notablement œuvré à maintenir l’image de leur maître, qui est mis en scène dans leurs œuvres respectives.

Les philosophes Démétrios de Phalère, et Maxime de Tyr dans sa Neuvième Dissertation ont écrit que Socrate est mort à l’âge de 70 ans. Déjà renommé de son vivant, Socrate est devenu l’un des penseurs les plus illustres de l’histoire de la philosophie. Sa condamnation à mort et sa présence très fréquente dans les dialogues de Platon ont contribué à faire de lui une icône philosophique majeure. La figure Socratique a été discutée, reprise, et réinterprétée jusqu’à l’époque contemporaine. Socrate est ainsi célèbre au-delà de la sphère philosophique, et son personnage est entouré de légendes.

En dépit de cette influence culturelle, très peu de choses sont connues avec certitude sur le Socrate historique et ce qui fait le cœur de sa pensée. Les témoignages sont souvent discordants et la restitution de sa vie ou de sa pensée originelle est une approche sur laquelle les spécialistes ne  s’accordent pas.


La plupart de nos connaissances sur la vie de Socrate concernent le procès de 399. Socrate naît vers 471 av. J.-C., 470/469 ou 469/468, dans la troisième ou quatrième année de la 77e olympiade, à la fin des guerres médiques, sans doute au mois de mai (6 du mois thargélion), près d’Athènes, dans le dème d’Alopèce, dème de la tribu d’Antiochide. Il est le fils de Sophronisque et de Phénarète. Son père était sculpteur ou tailleur de pierre et sa mère sage-femme. Il est toutefois possible que le nom de sa mère (qui signifie « qui fait apparaître la vertu ») et son métier ne soit qu’une invention destinée à souligner les propos de Socrate sur la  maïeutiqueNote 1,7. Socrate avait un demi-frère, Patroclès, fils de Chérédème, premier mari de sa mère.

Les renseignements sur sa vie privée sont peu sûrs, voire contradictoires. La tradition qui vient de Platon et Xénophon, le donne pour marié à Xanthippe, vers 415. Selon une tradition douteuse anti-socratique remontant à  Aristote, Socrate aurait peut-être été bigame, marié à Xanthippe et à Myrto, petite-fille d’Aristide le Juste. Il aurait eu trois enfants de Xanthippe, à laquelle la tradition fait une réputation de mégère : Lamproclès, l’aîné selon Xénophon, Sophronisque et Ménexène,. En dépit du physique peu avantageux que lui prêtent Platon et Xénophon, Socrate est un séducteur de jeunes gens, au point d’être accompagné par un groupe d’admirateurs imitant son mode de vie. D’après une autre tradition, mentionnée par Aristoxène, Socrate avait une forte inclination pour les femmes.

Socrate est présenté par Platon comme étant pauvre, tandis que Xénophon conteste que l’on puisse le dire pauvre au motif que n’ayant que peu de besoins Socrate n’avait pas l’utilité d’une grande fortune. On ne connaît par ailleurs à Socrate pas d’autres activités que la philosophie. Cependant, ayant servi comme hoplite durant la guerre du Péloponnèse, il n’était pas un thète, la plus pauvre des quatre classes, dispensée du service hoplitique, et sa pauvreté doit sans doute se comprendre relativement aux jeunes gens riches qui formaient son entourage.

Il a été hoplite dans trois campagnes militaires pendant la guerre du Péloponnèse : celles de Potidée en -431/430, de Délion en -424 et d’Amphipolis en -422. Ces campagnes semblent d’ailleurs les seuls déplacements de Socrate hors d’Athènes. Platon le montre comme faisant preuve d’un courage physique hors du commun : « là [à Délion] comme à Athènes, il marchait fièrement et avec un regard dédaigneux, pour parler comme toi, Aristophane. Il considérait tranquillement tantôt les nôtres, tantôt l’ennemi, faisant voir au loin, par sa contenance, qu’on ne l’aborderait pas impunément. Aussi se retira-t-il sain et sauf, lui et son compagnon ; car, à la guerre, on n’attaque pas ordinairement celui qui montre de telles dispositions ».

Le courage dont il fait preuve n’est pas seulement physique, mais aussi politique, quel que soit le régime. En -406, après la bataille des Arginuses, on décide, sous l’influence des démagogues, de juger collectivement les généraux ayant conduit cette bataille, au motif qu’ils n’ont pas recueilli les corps des morts. Le hasard veut que Socrate se trouve être alors prytane et chef de l’assemblée. Il est le seul des cinquante prytanes, au péril de sa vie, à s’opposer à cette procédure illégale : selon la loi athénienne, c’est en effet un à un, et non collectivement, qu’on pouvait condamner ces hommes. Son opposition n’empêche toutefois pas les généraux d’être condamnés à mort. En 404, sous le régime des Trente, il refuse d’obéir à l’ordre qui lui est donné d’arrêter un proscrit, Léon de Salamine, là encore au péril de sa vie.

Athènes est au Ve siècle le centre de la vie culturelle et un lieu de passage obligé pour les personnalités du temps : l’historien Hérodote, les physiciens Parménide et Anaxagore, le médecin Hippocrate, les sophistes Protagoras, Gorgias, Hippias et Prodicos, entre autres. On ignore quelle a été la formation de Socrate. Anaxagore et Archélaos de Milet lui ont été donnés comme maîtres par une tradition tardive, mais ce n’est peut-être qu’une reprise du passage « autobiographique » du Phédon : Socrate y déclare avoir étudié les livres d’Anaxagore. Platon et Xénophon ne donnent en réalité aucun renseignement clair sur d’éventuels maîtres de Socrate, Lucien de Samosate explique tout au plus que Socrate fréquentait les écoles de joueuses de flûte, et qu’il prit quelques leçons chez l’hétaïre Aspasie. Plusieurs passages de Platon le présentent comme disciple du sophiste Prodicos de Céos, mais l’ironie dont fait preuve Socrate à ce sujet ne donne aucune certitude.

Vers 435, il commença à enseigner dans la rue, dans les gymnases, les stades, les échoppes, au gré des rencontres. Il parcourait les rues d’Athènes vêtu plus que simplement et sans chaussures, dialoguant avec tous.

Il enseignait, ou plus exactement questionnait, gratuitement — contrairement aux sophistes, qui enseignaient la rhétorique moyennant une forte rétribution. L’année 420 est importante, puisque la Pythie de Delphes aurait répondu à son ami d’enfance Chéréphon : « Il n’y a pas d’homme plus sage que Socrate ».

On sait que Socrate passait à certaines occasions plusieurs heures debout et immobile. Platon en a fait une description dans Le Banquet. La philosophie étant un mode de vie, il s’agit ici d’un exercice de méditation, ou « dialogue avec soi-même », pratiqué dans l’Antiquité par les philosophes. Outre Socrate, Pyrrhon ou Cléanthe par exemple s’y adonnaient.

Au printemps 399, cinq ans après la fin de la guerre du Péloponnèse, un procès pour impiété (ἀσεβείας γραφή) est intenté à Socrate par trois accusateurs, Anytos, homme politique de premier plan, et deux comparses, Mélétos, un poète, et Lycon, obscur orateur. Les chefs d’accusation sont les suivants : « ne pas reconnaître les mêmes dieux que l’État, […] introduire des divinités nouvelles et […] corrompre la jeunesse ». Sur les 501 juges, 280 votent en faveur de la condamnation, 221 de l’acquittement. Platon indique que la condamnation s’est faite avec une très faible majorité, à 30 voix près. Invités à proposer une peine, Mélétos demande la peine de mort, Socrate demande à être nourri au Prytanée, honneur réservé aux citoyens les plus méritants. Les juges votent alors en faveur de la peine de mort. Les commentateurs contemporains sont partagés sur l’interprétation à donner à ce procès : les uns pensent que les chefs d’accusation sont les véritables motifs du procès, les autres qu’ils sont un prétexte et que les véritables motifs sont de nature politique.

À propos du premier chef d’accusation, la question s’est posée de savoir ce qu’on reprochait exactement à Socrate : être athée, donc ne pas croire tout court aux dieux, ou être impie, c’est-à-dire ne pas honorer les dieux d’Athènes. Platon et Xénophon le présentent comme s’il se défendait contre une accusation d’asébie, ce qui contredirait l’accusation d’introduire de nouvelles divinités. Ses disciples ne présentent jamais Socrate comme un athée, mais, même si Socrate ne croit pas aux fables des poètes sur les dieux, il n’est pas non plus présenté comme un impie, et ce dernier point ne suffit pas à lui seul à comprendre la raison de ce procès pour cette forme d’impiété. La possibilité même d’un procès pour asébie à Athènes à cette date n’est pas assurée. Un décret à ce sujet, datant du début de la guerre du Péloponnèse, est mentionné par Plutarque et aurait visé Périclès à travers Anaxagore. Mais son authenticité ou le fait qu’il soit toujours en vigueur en 399 sont discutés.

Le chef d’accusation relatif à l’introduction de nouvelles divinités (δαιμόνια) est mis en relation par Platon et Xénophon avec le « signe divin » (δαιμόνιον σημεῖον) de Socrate. Dans Les Nuées d’Aristophane, Socrate est présenté comme un « physicien », substituant aux anciens dieux des entités telles que les Nuées, la Langue ou le Vide. Mais le signe divin de Socrate n’apparaît nulle part dans la pièce et il est possible que ce chef d’accusation soit la manifestation d’une certaine jalousie des Athéniens envers ce qui pouvait apparaître comme une faveur des dieux à l’égard de Socrate.

L’accusation de corrompre la jeunesse est liée par Platon à celle d’impiété. Mais pour Louis-André Dorion, ce lien paraît superficiel et le véritable motif serait d’ordre politique. Cette accusation est par ailleurs mise en relation avec la pratique de l’elenchos (ἔλεγχος). La révélation en public de l’ignorance de certains, se croyant savants, par Socrate et les jeunes gens qui l’imitaient, ainsi que l’influence que l’on attribuait au philosophe sur certains de ses disciples, Alcibiade, Charmide, Critias, considérés comme ayant trahi la démocratie athénienne, ont clairement pu donner aux Athéniens l’idée que Socrate corrompait la jeunesse. La récente loi  d’amnistie de 403, votée après le rétablissement de la démocratie, explique sans doute pourquoi le procès intenté à Socrate n’est pas ouvertement politique. Dès les environs de 393, le sophiste Polycrate d’Athènes publie un pamphlet, Accusation de Socrate, attaquant le philosophe sur le plan politique, auquel Xénophon répond dans ses Mémorables. Pour Gregory Vlastos, le fait de ne pas avoir de croyances orthodoxes (l’« impiété ») n’était pas à soi seul un motif pour être condamné. La véritable raison de la condamnation de Socrate tient au « caractère agressif de sa mission publique », c’est-à-dire qu’il se sentait obligé de débattre avec tout un chacun dans les rues d’Athènes, pouvant donner par là la fausse idée qu’il enseignait à ses disciples à ne pas respecter la religion traditionnelle.

Un mois s’écoula entre la condamnation de Socrate et sa mort, pendant lequel il resta enchaîné dans la prison des Onze. Ses amis lui rendaient visite et s’entretenaient avec lui quotidiennement. Deux dialogues de Platon sont censés se dérouler pendant cette période, le Criton et le Phédon. Le jour venu, Socrate boit le poison létal, la ciguë, en présence d’Apollodore de Phalère, Criton et son fils Critobule, Hermogène, Épigénès, Eschine, Antisthène, Ménexène, son cousin Ctésippos de Péanie, et quelques anonymes. Ce « poison d’État » contenait probablement une préparation à base de suc de Grande ciguë, associé à du datura et de l’opium pour augmenter l’effet toxique tout en réduisant la souffrance et neutralisant les spasmes consécutifs à son absorption.

En choisissant de mourir, Socrate affirme la primauté de la vertu sur la vie : la vie du corps est subordonnée à la pensée. Cet événement est à l’origine du platonisme dans lequel le Bien est supérieur à toute chose. En ce sens, philosopher est un exercice spirituel d’apprentissage de la mort : « c’est donc un fait […] que les vrais philosophes s’exercent à mourir et qu’ils sont, de tous les hommes, ceux qui ont le moins peur de la mort. » Il s’agit dans le platonisme de mourir en son corps, ses passions et son individualité, pour s’élever à l’universalité de la pensée. Cette idée de la philosophie comme apprentissage de la mort se retrouve ensuite dans une bonne partie de la philosophie occidentale : chez les stoïciens ou chez Montaigne par exemple, mais aussi chez des antiplatoniciens comme les épicuriens ou Heidegger.

Source : Wikipédia.

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