Sergueï Korolev, ingénieur et fondateur du programme spatial soviétique.

Sergueï Pavlovitch Korolev (ou Sergueï Pavlovitch Korolyov ), né le 30 décembre 1906 (12 janvier 1907 dans le calendrier grégorien) à Jytomyr (gouvernement de Volhynie, Empire russe) et mort le 14 janvier 1966 à Moscou (RSFS de Russie, URSS), est un ingénieur, fondateur du programme spatial soviétique. Grâce à son génie visionnaire, sa force de caractère, ses capacités de travail et ses talents d’organisateur, l’Union soviétique acquiert une position dominante dans le domaine spatial à la fin des années 1950 et au début des années 1960.

Korolev reçoit une formation d’ingénieur à l’Institut Baumann puis travaille dans le bureau d’études du constructeur d’avions Tupolev avant d’intégrer en 1931 le petit centre de recherche du GIRD qui effectue un travail de pionnier dans le domaine des fusées. Au sein du RNII soutenu par les militaires soviétiques, il travaille sur un avion-fusée et sur un missile propulsé par fusée. En 1938, il est arrêté au cours des purges staliniennes qui déciment les cadres du pays et est envoyé dans le bagne de la Kolyma dont il est sauvé grâce à

l’intervention de parents et d’amis. Il est interné dans une charachka où il contribue, durant la Seconde Guerre mondiale, à mettre au point des fusées d’assistance au décollage d’avions. Mi-1945, il est libéré et envoyé en Allemagne comme tous les spécialistes des fusées soviétiques pour tenter de récupérer le savoir-faire que l’équipe de Wernher von Braun a acquis en concevant et produisant le missile V2. En mai 1946, alors que les relations avec les pays occidentaux se tendent, le dirigeant de l’Union soviétique Staline décide de lancer son pays dans la réalisation de missiles balistiques. Korolev qui a été identifié pour ses talents d’organisateur joue un rôle clé dans le plan de Staline.

Il est placé à la tête d’un des bureaux d’études du NII-88 où il est chargé de développer une copie améliorée du missile V2, le R-1. Par la suite plusieurs missiles aux capacités croissantes sont mis au point par son équipe : R-2, R-3, R-5. En 1953 les dirigeants soviétiques donnent leur accord pour le développement de son projet de missile balistique intercontinental R-7 porteur d’une tête nucléaire. Après avoir surmonté de nombreux problèmes de développement le missile effectue son premier vol en 1957 ; celui-ci est suivi de peu par le lancement du premier satellite  artificiel Spoutnik 1. Korolev parvient à convaincre ses donneurs d’ordre militaires de l’intérêt de missions spatiales habitées. Le vol de Youri Gagarine, premier homme dans l’espace, et les premiers succès des sondes lunaires du programme Luna consacrent le triomphe de Korolev. Mais celui-ci doit lutter pour garder la faveur de ses donneurs d’ordre car, contrairement à ce qui se passe aux

États-Unis, il n’existe pas à l’époque de véritable instance de pilotage du programme spatial civil en Union soviétique. Il a du mal à imposer ses projets contre des concurrents comme Vladimir Tchelomeï et Mikhail Yanguel tandis que ses relations avec d’autres responsables de bureau d’études dont dépendent ses réalisations, comme le constructeur de moteurs Valentin Glouchko, se tendent. Les dirigeants soviétiques décident tardivement en 1964 de relever le défi du programme Apollo et demandent à Korolev de battre les Américains alors que le retard technique de l’industrie soviétique s’est creusé. Korolev, épuisé par l’ampleur de ses tâches, décède à 59 ans en 1966 au cours d’une opération chirurgicale qui tourne mal.


Korolev est né le 12 janvier 1907 à Jytomyr, ville provinciale du centre de l’Ukraine, qui fait partie à l’époque de la Russie impériale. Ses parents sont Maria Mykolayivna Moskalenko (Ukrainienne) et Pavel Iakovlevitch Korolev (Russe). Il s’agit d’un mariage arrangé et leur union n’est pas très heureuse. Trois ans après sa naissance, ses parents se séparent en raison de difficultés financières. Sa mère lui annonce le décès de son père alors que celui-ci n’est survenu qu’en 1929 (il n’a jamais revu son père après le divorce de ses parents). Korolev grandit à Nejine, sous la garde de ses grands-parents. Sa mère voulant qu’il ait une formation supérieure, il suit des cours à Kiev. C’est un enfant solitaire avec peu d’amis, mais il est bon élève, notamment en mathématiques. En 1916, sa mère épouse Grigori Mikhaïlovitch Balanine1, un ingénieur électricien, qui a une bonne influence sur l’enfant. Grigori ayant obtenu un emploi aux chemins de fer régionaux, la famille déménage à Odessa en 1917. L’année 1918 est tumultueuse en Russie, avec la fin de la guerre mondiale et la Révolution russe. Les luttes intestines continuent jusqu’en 1920. Pendant cette période, les locaux des écoles restent fermés et le jeune Korolev doit poursuivre ses études à la maison. En 1923, il adhère à une société aéronautique locale1. En 1925, Korolev part à Moscou et y termine ses études à l’Université Technique d’État de Moscou en 1929.

Après avoir obtenu son diplôme, Korolev obtient un premier emploi dans un bureau d’études chargé de la conception d’un aéronef baptisé OPO-4, ou 4e section expérimentale. Ce projet rassemble certains des meilleurs concepteurs russes. Il est dirigé par Paul Aimé Richard, constructeur français d’avions, arrivé en URSS en 1928. Korolev ne se distingue pas particulièrement dans le groupe, mais s’emploie dans plusieurs projets personnels. L’un d’eux est la mise au point d’un planeur capable d’accomplir de la voltige. En 1930, il devient ingénieur principal chargé de la conception du bombardier lourd Tupolev TB-3.

C’est au cours de l’année 1930 que Korolev s’intéresse à l’utilisation de carburant liquide pour la propulsion par moteur-fusée. À l’époque, il cherche à utiliser cette technologie pour la propulsion des avions. Les dirigeants soviétiques ont lancé à la fin des années 1920 une politique très volontariste misant sur l’industrialisation à marche forcée et la recherche. Dans ce contexte la principale association paramilitaire soviétique, l’OSOAVIAKHIM crée en 1931 le GIRD, qui réunit des ingénieurs et des techniciens pour effectuer des recherches dans le domaine des fusées. Korolev participe à la fondation de la section moscovite en tant qu’adjoint de Friedrich Tsander, un des pionniers soviétiques de l’astronautique. Il y rencontre Mikhaïl Tikhonravov qui deviendra un de ses plus proches collaborateurs. La section moscovite du GIRD, qui compte une soixantaine de personnes, travaille sur une dizaine de projets utilisant plusieurs types de propulsion. Korolev met au point un planeur propulsé par un moteur-fusée RP-1 brûlant un mélange d’oxygène et de kérosène. En 1932 Tsander tombe malade et Korolev le remplace à la tête du GIRD moscovite. La même année, les militaires s’intéressent aux efforts déployés par le groupe et commencent à fournir des fonds. En 1933, le groupe réalise le premier tir d’une fusée à propulsion liquide, baptisée GIRD-09, soit sept ans après Robert Goddard et son lancement peu médiatisé de 1926.

En 1932 le GIRD moscovite a des contacts informels avec le GDL : ce laboratoire de recherche militaire installé à Léningrad rassemble 200 ingénieurs et techniciens travaillant dans le domaine de la propulsion à ergols liquides et la propulsion à propergol solide. Valentin Glouchko, qui concevra par la suite la majeure partie des moteurs propulsant les fusées de Korolev, y est responsable d’une section qui effectue des recherches méthodiques sur la propulsion à ergols liquides. Le GDL joue un rôle central dans la mise au point des roquettes.

Certains militaires soviétiques et en particulier le maréchal Mikhaïl Toukhatchevski, militaire novateur et très influent, ont pris conscience du potentiel des fusées. Toukhatchevski œuvre pour rapprocher le GDL et la section moscovite du GIRD . En septembre 1933, les deux structures sont fusionnées au sein de l’Institut de recherche scientifique sur les moteurs à réaction ou RNII (Реактивный научно-исследовательский институт, РНИИ ; Reaktivny naoutchno-issledovatelski institout, RNII). Le nouvel ensemble est dirigé par l’ancien responsable du GDL Ivan Kleïmenov, avec comme adjoint Korolev. Peu après la création du RNII, des divergences se font jour entre Korolev et Kleïmenov sur les objectifs de l’institut de recherche. Ce dernier considère que la mise au point des roquettes constitue le projet de recherche prioritaire. Korolev est remplacé par Gueorgui Langemak ce qui sauvera sans doute la vie de Korolev par la suite. Au sein du RNII Korolev est responsable d’un projet de « missile de croisière » (projet 212) et surtout de l’avion-fusée RP-318-1. Ces deux engins sont propulsés par des moteurs développés par Glouchko. Le RNII met ainsi au point des systèmes automatisés de gyroscopes permettant de stabiliser le vol le long d’une trajectoire programmée. En 1934, Korolev publie l’ouvrage Une fusée dans la stratosphère.

En 1937 les purges staliniennes, manifestation de la paranoïa de Staline qui décime l’armée et les cadres du régime soviétique, frappent aveuglément les principaux membres du RNII. Le bureau d’études a été placé sous surveillance par la police secrète soviétique (le NKVD), car il avait été patronné par le maréchal Toukhatchevski qui fut une des premières victimes des purges. Un des ingénieurs du RNII qui brigue la direction du RNII rédige de fausses accusations contre les responsables du centre de recherches : Kleïmenov et son adjoint Langemak sont arrêtés sous l’accusation de déviationnisme trotskyste. Langemak avoue ses « crimes » sous la torture et sans doute aussi dans l’espoir d’éviter une condamnation à mort. Il dénonce à son tour Glouchko et Korolev. Kleïmenov et Langemak sont exécutés peu après. Glouchko est arrêté en mars 1938 et, tout en avouant ses actes de sabotage fictifs, dénonce ses collègues dont Korolev.

Alors que Glouchko est interné dans la charachka TsKB-4, une prison pour ingénieurs, Korolev est envoyé dans la Kolyma, le pire bagne du Goulag soviétique. Il a la mâchoire fracassée pendant un interrogatoire et, victime du scorbut, il perd la moitié de sa dentition. Il sort à temps du bagne de la Kolyma libéré sur ordre de Lavrenti Beria grâce à l’intervention de sa mère et du constructeur d’avions Andreï Tupolev. Ce dernier obtient, en 1940, son transfert dans la charachka dont il est responsable. Peu après, Korolev est muté dans la charachka que dirige Glouchko et qui développe des fusées d’assistance au décollage pour avions. Glouchko en fait son adjoint et le responsable des tests.

En mai 1946, Staline décide de mettre sur pied un projet disposant d’une priorité très élevée pour permettre à l’Union soviétique de disposer rapidement de missiles balistiques porteur de la bombe atomique et de missiles antiaériens en exploitant le savoir-faire allemand. Un comité secret supervisant l’ensemble des travaux sur le sujet (Comité spécial pour la technologie des réacteurs) est mis sur pied. Parmi les neuf membres figurent notamment le ministre des Armements Dmitri Oustinov et Ivan Serov, le bras droit du chef de la police secrète (NKVD) Beria. Les travaux de recherche sont placés sous la responsabilité d’Oustinov ; celui-ci décide de créer un nouvel institut de recherche appliquée rassemblant les ingénieurs et techniciens travaillant sur le sujet. L’Institut de recherches NI-88 est créé le 13 mai 1946 à Podlipki dans la banlieue nord-est de Moscou et installé dans les locaux de l’usine no 88 dans laquelle, durant la guerre, était fabriqué des munitions et des tanks. L’institut est rattaché à la 7e direction générale au sein du ministère des Armements et son premier responsable est Lev Gonor.

L’institut NI-88 comprend un bureau d’études dirigé par Karl Tritko divisé en 7 départements spécialisés chacun dans un thème. Korolev, dont les talents d’organisateur en Allemagne ont impressionné Oustinov, est placé à la tête du département no 3 rebaptisé plus tard OKB-1 malgré une forte opposition des responsables du Parti communiste. Au moment de sa formation, l’entité dirigée par Korolev comprend 60 ingénieurs, 55 techniciens et 25 ouvriers. Le NI-88 comprend également une branche scientifique dirigée par Youri Pobedonostsev, un ancien collègue de Korolev du temps du GIRD et du NII-3. Ce service est subdivisé en 5 départements spécialisés comme celui dédié aux systèmes de guidage dirigé par Boris Tchertok10. L’objectif assigné à Korolev est de parvenir à développer une copie du missile V2 avec les moyens de production soviétique sous deux ans.

Les outils de production des V2 sont rapatriés sur le territoire soviétique. Un deuxième bureau d’études du NII-88 rassemble environ 150 spécialistes allemands du V2 que les autorités soviétiques ont transféré de manière autoritaire en URSS avec familles et bagages. Dirigés par Helmut Gröttrup ils sont installés dans un camp situé sur l’île de Gorodomlia sur le lac Seliger à 200 km de Moscou. Les responsables soviétiques leur demandent également de développer une version améliorée de la V2. Parallèlement un établissement baptisé OKB-456 spécialisé dans la construction de moteurs-fusées à ergols liquides est créé et installé dans une ancienne usine d’aviation à Khimki, dans la banlieue de Moscou. Glouchko, nommé responsable de son bureau d’études, est chargé de fabriquer une copie du moteur du missile V2 avec l’aide d’ingénieurs et de techniciens allemands.

Le décès de Staline, en mars 1953, puis l’arrestation du chef de la police secrète Beria, quelques semaines plus tard, mettent fin au régime de terreur qui imprégnait la société soviétique depuis le début des années 1930. Staline et son bras droit avaient jusque-là tenu les autres dirigeants de l’Union soviétique à l’écart de la gestion du programme des missiles balistiques et de l’arme nucléaire. La disparition de Staline introduisit de profonds changements dans l’organisation de ces deux programmes.

Korolev avait été handicapé durant le règne de Staline par son passé d’« ancien criminel ». C’est ainsi que Mikhail Yanguel, ingénieur très compétent mais ne connaissant initialement rien à l’astronautique, avait pris la tête en mai 1952 du NI-88, deux ans après son arrivée dans cette structure, après avoir été l’adjoint de Korolev à qui la place aurait dû revenir naturellement. Mais l’un traînait un passé jugé douteux tandis que l’autre était membre du Parti communiste depuis le début des années 1930. Sans doute motivé par cet événement et profitant d’un climat plus favorable à sa candidature, Korolev demande de manière formelle à adhérer au Parti communiste en juin 1953 et malgré la résistance de nombreux dirigeants locaux de Kaliningrad, devient membre du parti le mois suivant. En octobre de la même année, Korolev et Glouchko sont nommés membres correspondant de l’Académie des Sciences de l’URSS. Cet acte de reconnaissance très recherché officialise le rôle pivot joué par Korolev dans l’industrie des missiles, mais lui permet également de bénéficier d’avantages matériels importants.

La tension entre Yanguel et Korolev, son subordonné au caractère bien trempé, est telle que les responsables soviétiques doivent trouver une solution pour les éloigner l’un de l’autre. Début 1954, Krouchtchev donne des instructions au ministre de tutelle du NI-88, Oustinov, pour mettre fin au monopole que Korolev détient sur le développement des missiles balistiques et diminuer la vulnérabilité à une frappe nucléaire d’une activité concentrée sur Moscou. Deux nouvelles entités, situées en Ukraine et dans l’Oural, sont créées et jouent un rôle analogue au NI-88. Yanguel prend la tête en avril 1954 d’un bureau d’étude associé à l’OKB-586 de Dnipropetrovsk, qui produisait jusque-là les missiles R-1 et R-2, mais qui avait également commencé à développer sans disposer de véritable équipe de conception le missile R-12 de portée intermédiaire (2 000 km) doté d’un système de guidage autonome et propulsé avec des ergols stockables (acide nitrique fumant rouge et kérosène). Les caractéristiques opérationnelles de ce missile intéressaient particulièrement les militaires. L’établissement piloté par Yanguel sera à l’origine par la suite des principaux missiles balistiques à longue portée de l’Union soviétique. La deuxième entité est créée en mars 1955 à Zlatooust, dans l’Oural, et placée sous la direction de Victor Makeïev, un des plus jeunes collaborateurs (30 ans) de Korolev qu’il a sans doute recommandé lui-même. Makaïev à la tête du bureau d’études SKB-385 est chargé de développer le missile tactique R-11 (le fameux Scud) puis développera tous les missiles balistiques mer-sol de l’Union soviétique. La nouvelle organisation est présentée par Krouchtchev en personne à Korolev, qui demanda que les deux nouvelles entités soient subordonnées à la sienne mais Krouchtchev s’oppose à cette demande.

Dès 1957, Korolev étudie les plans d’un lanceur capable de lancer une mission habitée autour de la Lune. Malgré le désintérêt des militaires soviétiques, il demande en 1959 à un de ses collaborateurs de travailler sur l’avant-projet d’un vaisseau spatial habité, baptisé Sever (Nord) capable d’effectuer le tour de la Lune. Fin 1959, il parvient à attirer l’attention du dirigeant soviétique de l’époque Nikita Khrouchtchev sur le sujet en lui faisant part des premiers travaux de la NASA sur un lanceur lourd qui deviendra la fusée Saturn : il obtient ainsi le feu vert pour réaliser une étude de la fusée N-1. Celle-ci n’a toutefois pas de mission définie. En avril 1962, les constructeurs astronautiques ainsi que les principaux décideurs soviétiques se réunissent à Pitsounda dans la villégiature du dirigeant de l’Union soviétique, Nikita Khrouchtchev pour définir la stratégie spatiale soviétique. Au grand dépit de Korolev, son principal rival Vladimir Tchelomeï, qui a su s’attirer l’appui de Khrouchtchev et, contrairement à Korolev, celui des militaires, obtient le feu vert pour son projet de lanceur lourd UR500 rebaptisé par la suite Proton. Celui-ci doit, entre autres, être utilisé pour le lancement d’un vaisseau spatial habité chargé d’une mission circumlunaire.

Fin 1962, Korolev travaille sur le successeur de sa capsule spatiale Vostok qui ne peut transporter qu’un seul cosmonaute et a des capacités de manœuvre limitées. Le nouvel engin doit pouvoir changer d’orbite, transporter plusieurs cosmonautes, effectuer des vols de longue durée, s’amarrer à un autre vaisseau et permettre des sorties extravéhiculaires ; il doit enfin pouvoir effectuer une rentrée atmosphérique après une mission lunaire c’est-à-dire à la deuxième vitesse cosmique (11 km/s) beaucoup plus élevée que la vitesse de rentrée d’un vaisseau ayant effectué une mission en orbite basse. Pour lancer le futur vaisseau, Korolev choisit de combiner les premiers étages renforcés de la fusée Vostok, utilisée pour mettre en orbite les premiers vaisseaux habités soviétiques, et le puissant troisième étage de la fusée Molnia utilisée pour lancer les sondes spatiales. Le lanceur résultant est capable de placer 6,5 tonnes en orbite basse. Pour contrer le projet de son rival Tchelomeï, il propose une mission circumlunaire utilisant le nouveau vaisseau spatial baptisé 7K, qui doit emporter un équipage de 2 personnes ; deux autres vaisseaux sont chargés, après avoir été lancés indépendamment, de s’amarrer au premier vaisseau en formant un ensemble spatial baptisé Soyouz (Union). Le deuxième vaisseau 9K (ou Soyouz B) est chargé d’accélérer le train spatial tandis que le 11 K emporte du carburant supplémentaire. Ce projet, bien que concurrent de celui de Tchelomeï, reçoit, de manière paradoxale, en mars 1963 l’aval du Conseil Spatial chargé de coordonner la politique spatiale soviétique.

Korolev, entier postal, Russie.

Courant 1963, le bureau d’étude de Korolev avance sur la conception de Soyouz sans toutefois disposer de budget. Les principales caractéristiques du vaisseau 7K, tel qu’il sera développé par la suite, sont figées à cette époque. Le vaisseau comporte deux modules habitables dont un seul, le module de descente, revient sur Terre tandis que le module orbital est utilisé uniquement en orbite. Le 7K comporte un troisième module qui regroupe propulsion et panneaux solaires. Le premier exemplaire du nouveau lanceur, qui doit placer en orbite chacun des éléments du train spatial et qui est également baptisé Soyouz, est lancé avec succès le 16 novembre 1963. La fusée entame une longue carrière de lanceur qui se poursuit toujours : il n’évoluera que faiblement au fil des décennies avec la version Soyouz-U (6,8 tonnes) en 1973 et la version Soyuz-FG qui peut placer 7,1 tonnes en orbite basse à compter de 2002, avant de recevoir une plus grande évolution avec la version Soyouz 2, notamment l’intégration des commandes numériques.

Fin 1963, Korolev reçoit la commande de deux versions militaires de son nouveau vaisseau 7K : un vaisseau de reconnaissance Soyouz-R et un intercepteur de satellites Soyouz-P. Il va en fait utiliser les moyens financiers fournis par cette commande pour développer la version civile. À la même époque, Korolev choisit un système de rendez-vous automatique pour son futur vaisseau à l’opposé de la solution retenue par la NASA qui s’en remet à ses astronautes pour les manœuvres de rendez-vous. Ce choix résulte en partie de la formation des ingénieurs des bureaux d’étude soviétiques qui viennent du monde des missiles et connaissent mal l’aéronautique ; mais cette option découle également de la volonté des autorités soviétiques, réticentes pour des raisons idéologiques à donner trop d’autonomie aux cosmonautes. Mais le rendez-vous automatique va contribuer à handicaper le projet en imposant une grande complexité technique dans un domaine, l’électronique, qui constitue un point faible de l’industrie et de la recherche soviétique.

Korolev avait de graves problèmes de santé depuis plusieurs années. Il souffrait notamment d’hémorragies intestinales à l’origine de douleurs insupportables. Ses problèmes étaient aggravés par la durée de ses journées de travail – il pouvait travailler 18 heures par jour pendant plusieurs semaines sans s’arrêter – et par le stress intense découlant de son rôle pivot dans l’ensemble des projets spatiaux soviétiques et de la désorganisation de l’industrie spatiale, source de nombreux conflits. Au cours de l’année 1965, sa santé se détériore nettement. Il se plaint de baisses de tension, de maux de têtes. Il perd son acuité auditive et des problèmes cardiaques se développent. Il s’épuise à tenter de régler les problèmes qui se multiplient dans un environnement de plus en plus hostile. Ses rapports professionnels sont de plus en plus conflictuels même avec ses collaborateurs les plus proches : fin 1965, il envisage très sérieusement de donner sa démission43. À la suite d’examens effectués en décembre 1965, les médecins décident de l’opérer pour lui retirer un polype intestinal. Il s’agit d’une opération bénigne et Korolev a prévu après l’opération une petite fête chez lui, le 14 janvier pour ses 59 ans. Le 11 janvier, Korolev entre en salle d’opération. Boris Petrovski (ru), ministre de la santé d’Union soviétique mais également chirurgien cardiaque, opère en personne. Mais l’opération ne se passe pas comme prévu. Korolev a eu la mâchoire brisée durant son séjour au goulag et son cou très court ne permet pas de l’intuber. Il faut effectuer une trachéotomie pour insérer le tube respiratoire. Les chirurgiens doivent procéder à une anesthésie générale malgré sa mauvaise condition cardiaque. L’ablation du polype déclenche une hémorragie que l’équipe médicale n’arrive pas à arrêter. Les chirurgiens découvrent en l’opérant un cancer au niveau de l’anus et de la paroi pelvienne et doivent procèder à une ouverture de l’abdomen non planifiée pour retirer la tumeur qui est grosse comme le poing. Devant l’ampleur du problème, Alexandre Vichnevski, chirurgien et ami de Korolev, est appelé en renfort mais il est trop tard. Quatre heures après le début de l’opération, le cœur de Korolev lâche.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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