Sarah Bernhardt, actrice française

A l’époque où le digital ne régnait pas sur les loisirs, le théâtre constituait la distraction principale de nos ancêtres ! Les stars du 19ème siècle étaient donc quasi exclusivement les acteurs qui pouvaient  maintenir à l’affiche leur représentation plus d’une centaine de fois !  Sarah Bernhardt fut incontestablement la « championne toute catégorie » du monde théâtral. Aujourd’hui, il nous est très difficile de comprendre la raison de son

prodigieux succès  car nous ne possédons que quelques fragments filmés de ses représentations. Quant à sa voix, les quelques enregistrements que nous possédons sont décevants : une voix chevrotante, sans doute très adaptée à la récitation de vers, mais qui lasserait très vite un auditoire contemporain. Si nous ne pouvons  juger aujourd’hui son talent, nous pouvons sans risque de nous tromper, au vu des  témoignages de ses contemporains, admettre que cette actrice possédait une personnalité hors du commun qui contribua  certainement  à son succès. Aujourd’hui nous dirions qu’elle possédait l’art de faire parler

d’elle à tout propos !  Son excentricité, sa vie amoureuse très libre, devinrent vite l’objet de toutes les conversations de salon ! De multiples biographes ont entrepris le récit de la vie de Sarah Bernhardt tout simplement parce que sa vie peut être assimilée à un véritable roman d’aventures. Le lecteur contemporain se distraira toujours à la lecture de ce roman mais, curieusement il en retirera plus qu’une simple détente. En effet, un vent de fraîcheur et d’optimisme s’incruste progressivement  dans l’âme du lecteur lorsqu’il  rentre en contact avec  Sarah  Bernhardt. Cet effet bénéfique qui subsistera longtemps après avoir refermé sa biographie ne vient évidemment pas par hasard. Sarah aurait fait un bon « coach ». Au-delà de son excentricité, cette artiste nous donne en plusieurs chapitres  un traité sur le courage et  l’optimisme. Je ne peux m’empêcher de vous  les détailler !

Sarah  était la fille d’une courtisane Julie Bernhardt qui habitait avec sa sœur Rosine dans un vaste appartement qui servait de « refuge » à quelques hommes hauts placés qui venaient s’y détendre. Nous sommes à l’époque des courtisanes, que l’on pourrait comparer aux  geishas japonaises et qui furent si bien décrites par Zola ou Flaubert. Réservées à la nouvelle élite, les courtisanes doivent distraire les hommes de leurs hautes responsabilités. Parmi ceux qui fréquentent les sœurs Bernhardt, on relève le peintre Fleury, le docteur Monod, le banquier Lavolie, Camille Doucet qui était le directeur des Beaux-arts, Hippolyte Larrey, chirurgien de Napoléon III, Rossini, le duc de Morny, Alexandre Dumas père etc.… Les deux sœurs remportaient donc un succès certain et cela dans l’atmosphère feutrée de leur salon où l’érudition, la culture tenaient une grande place dans les conversations. Pour s’amuser, il fallait savoir apprécier les poètes, commenter les derniers livres, jouer d’un instrument ou savoir chanter. Nul doute que ce milieu « multiculturel » influença Sarah qui, s’aperçut très vite que, pour s’attirer des faveurs et la reconnaissance, il fallait impérativement posséder  un    talent, et cela dans n’importe quel domaine, du moment qu’il fût hors du commun ! Bien entendu, dans ce salon éclectique tenu par des geishas françaises, le libertinage trouvait sa place. Il nous est difficile de nous imaginer aujourd’hui comment les deux sœurs  géraient les amours illégitimes qui fleurissaient dans leur appartement. Quoi qu’il en soit, la tante de Sarah comptait parmi ses amants le duc de Morny. Ce grand mondain, demi-frère de Napoléon III était un homme d’affaire important. On lui doit la station balnéaire de Deauville  et il devint même ministre. Lorsque la petite Sarah scolarisée par les religieuses eut atteint 15 ans, sa mère réunit un « conseil de famille » auquel participa ce grand personnage. On ne  savait quoi faire avec Sarah et il fallait prendre une décision ! Le duc eut la bonne idée de  proposer que Sarah puisse rentrer au Conservatoire en vue d’une carrière de comédienne. Sarah s’en remit à cette décision qui lui offrait les perspectives d’une plus grande indépendance vis-à-vis de sa mère et qui la mettait à l’abri d’un mariage arrangé ! Sarah, rentrée au Conservatoire, se révéla être une élève enthousiaste mais non exceptionnelle. Maigrichonne, ayant souffert d’une grave pleurésie en 1859, elle ne répondait pas aux critères de beauté de l’époque, sa voix ne portait pas très haut et elle n’était pas douée pour le chant. Malgré tout, Sarah essaya de profiter au mieux de sa formation. Ce fut encore le duc de Morny qui, après le Conservatoire, joua de son influence pour faire accepter Sarah à la Comédie-Française. Pendant deux ans, la jeune comédienne, dans les rôles qu’elle tint, ne remporta aucun succès ! Sarah connut des moments très durs  mais au prix d’un grand effort sur elle-même  ne désespéra pas. C’est à cette époque qu’elle adopta la devise « Quand-même » qu’elle fit figurer, durant toute sa vie dans l’entête de sa correspondance. Quand la presse commença à parler d’elle ce  fut dans des circonstances peu favorables pour elle. Lors d’une cérémonie d’hommage à Molière, Sarah  avait emmené sa petite sœur Régina. Celle-ci   avait malencontreusement marché sur la traîne de velours de l’opulente actrice bien connue, Mlle Nathalie. Cette dernière se montra si méchante envers la petite Regina que la frêle Sarah la défendit en giflant l’imposante Mlle Nathalie. Ce geste fit évidemment la joie des  journalistes et caricaturistes et diffusa le nom de Sarah aux quatre coins de la France !  On ne parvint pas à convaincre Sarah de s’excuser et ce fût finalement au soulagement de beaucoup que l’impétueuse comédienne  démissionna de la Comédie-Française. Sarah se retrouvait sans avenir… Peu après ce coup de colère, elle rencontra à Bruxelles lors d’un bal masqué le Prince de Ligne à Bruxelles. Elle en tomba amoureux et en devint enceinte ! Le 22 décembre 1864, Sarah donna naissance à son enfant unique, Maurice. Ce jour fut sans doute le plus important de sa longue vie car l’amour de Sarah pour son fils éclaira toute son existence. Le père de l’enfant ne put ou ne voulut se marier avec Sarah mais lui paya une pension. Sarah, qui avait peut-être espérer fonder une véritable famille, surmonta sa déception et se résigna alors de calquer sa vie sur celle de sa mère. Elle prit possession d’une demeure plus grande où elle commença à tenir un « salon » qui remporta un certain succès. Mais après quatre ans, lasse de cette vie, elle finit par demander à Camille Doucet qui fréquentait le salon de sa mère et, qui était, rappelons-le, Directeur de l’administration des théâtres au ministère de la Maison de l’Empereur, d’user de son influence pour qu’elle retrouve un emploi de comédienne. En  1866, elle est finalement engagée au théâtre de l’Odéon. Les débuts sont très difficiles pour Sarah qui va d’échec en échec jusqu’au moment où, dans la représentation de « Kean » écrite par Alexandre Dumas, elle parvint à séduire un public essentiellement estudiantin  qui, à la fin de la soirée, lui fait une ovation comme jamais elle n’avait eu ! Nous sommes le premier février 1868 et cette date signe le début du succès de Sarah !  Un succès qui sera confirmée un peu plus tard avec la pièce « Le passant » écrite par le jeune poète François Coppée. Cette pièce n’exige que deux acteurs. Mlle Agar interprète Sylvie tandis que Sarah y joue le rôle d’un jeune troubadour florentin de 17 ans. La première de cette pièce est jouée le 14 janvier 1869 et c’est un triomphe. Sarah est acclamée et le rideau se relève huit fois. La renommée de Sarah franchit pour la première fois Paris ! Les deux actrices sont admirables mais l’intensité poétique avec laquelle Sarah récite ses vers fait mouche dans le public ! La pièce sera jouée  à l’Odéon cent cinquante fois devant une salle toujours comble. L’empereur Napoléon III obtint quant à lui  une représentation privée en son palais des Tuileries.

Sarah Berhardt, épreuve d’artiste.

Lorsque la guerre éclate avec la Prusse, Sarah n’hésite pas à prendre sa part au combat. L’armée prussienne assiège Paris. Sarah a éloigné son fils et sa mère au Havre. Elle demande alors au préfet de police, le vicomte de Kératry l’autorisation d’installer une ambulance dans le théâtre de l’Odéon. Kératry, amoureux de Sarah quelques temps auparavant, accepte et l’aide de son mieux. Sarah montre ses talents d’organisatrice. Elle sollicite l’aide de ses admirateurs qui la ravitaille en vivres. Quand les combats se rapprochent de Paris, des lits de fortunes prennent place partout jusque sur la scène et dans les loges. Sara veille deux nuits sur trois sur ses 60 blessés qui doivent aussi affronter un froid exceptionnel. Début janvier, un jeune soldat est hospitalisé mais il n’y a plus une place de disponible. Sarah offre alors sa loge qu’elle avait gardée libre pour pouvoir se reposer de temps à autre. Elle se prend d’amitié pour ce blessé, élève de Polytechnique. Lorsqu’il quitte l’Odéon, le jeune homme  demande à Sarah la faveur d’un souvenir. Sur sa photo elle écrit « A Ferdinand Foch, amical souvenir de Sarah Bernhardt ». 52 ans plus tard, le maréchal Foch sera l’un des premiers à venir s’incliner devant le cercueil de celle qui fut son infirmière de 1870 !

Mais revenons à ce terrible mois de janvier 1870. Il faut bientôt mettre les blessés à l’abri des tirs en descendant les lits dans les caves. Mais le froid devient tellement intense que les canalisations d’eau éclatent. Il faut abandonner l’Odéon. Sarah trouve alors un vaste d’appartement rue Taitbout pour abriter ses blessés. Paris capitule le 28 janvier 1871. Sarah a dirigé son hôpital de fortune pendant plus de trois mois !

Entre 1871 et 1878, Sarah va consolider son succès grâce à Victor Hugo qui revient en France après 20 ans d’exil. Elle est choisie par le grand écrivain pour jouer le rôle de la reine d’Espagne dans « Ruy Blas », une pièce de théâtre antimonarchique. Le succès de la pièce est tel que Victor Hugo finit par s’émerveiller de Sarah et en tombera amoureux ! Difficile de décrire les amours de Sarah car celle-ci n’en parlera jamais dans ses mémoires mais certaines  sources semblent suggérer qu’elle aurait souhaité donner la vie à un enfant de Victor Hugo !

Le succès de Sarah la conduisit à quitter la troupe de l’Odéon tant était grande l’insistance du directeur de la Comédie Française pour l’engager. La Comédie-Française n’épanouit pas Sarah car des rôles qui ne lui vont pas lui sont imposés elle se retrouva ainsi dans un rôle comique qui n’est pas fait pour elle, celui de Mlle de Belle-Isle dans la pièce du même nom écrite par Alexandre Dumas. Elle se rattrape dans « Britannicus », qui obtient un très grand succès et tombe en pamoison devant son partenaire dans cette pièce, le grand et bel acteur  Mounet-Sully !  Cette liaison ne durera cependant pas plus d’une dizaine de mois car Sarah désire par-dessus tout se garder indépendante ! Perrin, le directeur de la Comédie-Française continue à se montrer trop directif avec Sarah. La comédienne compense alors son insatisfaction  par l’apprentissage de la sculpture. Elle réalise notamment une œuvre qu’elle  présente au Salon de 1876 et dont elle est très fière. On n’en sera pas étonné de sa part, cette sculpture, nommée « Après la tempête » symbolise la tragédie de la vie humaine sous la forme  d’une vieille femme de pêcheur mourant de chagrin pour avoir  perdu tous ses fils et même un petit-fils en mer !

En 1896, elle repart une nouvelle fois en Amérique et à son retour crée une pièce de théâtre à partir d’un texte très difficile écrit en 1833 par Alfred de Musset et intitulé « Lorenzaccio ». Dans cette pièce, Sarah dans le rôle de Laurenzo de Médicis excelle à jouer le rôle d’un jeune homme mélancolique au caractère très complexe. Plus que jamais les Parisiens l’adulent. Le 9 décembre 1896, un comité de gens de lettres et d’artistes organise « une journée Sarah Bernhardt » au Grand Hôtel. Sarah est fêtée parmi cinq cents invités dont le Président de la République, Poincaré et la princesse de Monaco. En son honneur,  Jean Rostand déclame :

En ce temps sans beauté, seule encore tu nous restes

Sachant descendre, pâle un grand escalier clair,

Ceindre un bandeau, porter un lys, brandir un fer.

Reine de l’attitude et princesse des gestes.

En ces temps sans folie, ardente, tu protestes !

Tu dis des vers. Tu meurs d’amour. Ton vol se perd.

Tu tends des bras de rêve, et puis des bras de chair.

Et quand Phèdre paraît, nous sommes tous incestes.

Sarah est patriote mais elle est aussi scandalisée par l’injustice. Dans l’affaire Dreyfus, c’est elle qui va demander à Zola d’user de sa notoriété pour prendre position dans le débat. Après que Zola eût écrit l’article « J’accuse » Sarah se montrera pleine de reconnaissance pour l’écrivain. L’attitude de Sarah est courageuse, son intervention en faveur de Dreyfus lui amènera pas mal de déboires puisque les antidreyfusards vont jusqu’à crier des insultes durant les représentations de la pièce « Les mauvais bergers ». On se bat même dans son théâtre au point que la police ordonnera sa fermeture pour quelques jours !

Bientôt son théâtre se révèle trop petit pour être rentable. Sarah a englouti plus de deux millions et demi de francs dans sa rénovation et elle n’a pas récupérer sa mise. Elle se fait opérer d’un  kyste de l’ovaire par le célèbre docteur Pozzi, part deux mois se reposer à Belle-Isle puis décide de repartir en tournée, cette fois en Italie et à Monte-Carlo. A son retour elle signe un bail pour un théâtre de 1.700 spectateurs, le Théâtre des Nations qu’elle rebaptise Théâtre Sarah Bernhardt. Dans ce théâtre, elle se fit construire un véritable appartement dans lequel elle vivait. Souvent cependant elle préférait dîner seule sur scène et selon son humeur faisait mettre un décor champêtre ou une forêt afin de manger ainsi « à la campagne ». Si le lendemain elle voulait s’évader de la France, elle faisait mettre un décor italien ou égyptien « dressé pour le dîner de Madame Sarah » !

Sarah est patriote mais elle est aussi scandalisée par l’injustice. Dans l’affaire Dreyfus, c’est elle qui va demander à Zola d’user de sa notoriété pour prendre position dans le débat. Après que Zola eût écrit l’article « J’accuse » Sarah se montrera pleine de reconnaissance pour l’écrivain. L’attitude de Sarah est courageuse, son intervention en faveur de Dreyfus lui amènera pas mal de déboires puisque les antidreyfusards vont jusqu’à crier des insultes durant les représentations de la pièce « Les mauvais bergers ». On se bat même dans son théâtre au point que la police ordonnera sa fermeture pour quelques jours !

Le jour même de sa mort, toutes les actrices de Paris viennent déposer leurs bouquets au 56 boulevard Pereire, la résidence de Sarah. On fait la file le lendemain pour l’admirer une dernière fois revêtue de sa robe de satin blanc décorée de la Légion d’honneur ainsi qu’elle le désirait. La Divine est enterrée le 28 mars 1923 au Père Lachaise. Le gouvernement Poincaré, catholique et bien-pensant lui a refusé des funérailles nationales, ce qui n’empêche pas une foule immense d’accompagner Sarah sans sa dernière demeure. Sarah a fini ce jour là de construire sa légende à force de talents mais aussi de travail et de volonté. Elle laissa à sa famille pour toute fortune l’éclat de son nom, la magnificence de sa légende. Elle avait gagné des sommes prodigieuses, elle ne possédait rien !

  • Sources : Médecins de la grande guerre 1914-18
  • – Sarah Bernhardt, Sophie-Aude Picon, folio biographie, n° 69, Gallimard 2010
  • – Ensorcelante Sarah Bernhardt, André Castelot, Librairie Perrin, 1961
  • – Sarah Bernhardt, Binet-Valmer, Flammarion ,1936