Rigas, écrivain et patriote.

Rigas (ou Rhigas), dit Rigas Vélestinlis (grec moderne : Ρήγας Βελεστινλής), voire Rigas Féréos (Ρήγας Φεραίος), né  vers 1757 à Velestíno (Magnésie en Thessalie) et mort en juin 1798 à Belgrade, était un écrivain, lettré et  patriote grec, figure majeure de la renaissance culturelle grecque.

Fils d’un commerçant aisé, il fit ses études à Zagora, puis, pour des raisons obscures, quitta la Thessalie pour Constantinople. Là, il poursuivit son éducation et entra au service des Phanariotes. En tant que secrétaire particulier, il accompagna l’un d’entre eux, Alexandre Ypsilántis, en Valachie, lorsque ce dernier régna dans cette principauté chrétienne vassale de l’Empire ottoman. Rigas y resta au service des élites roumaines après le départ d’Ypsilántis, puis du nouvel hospodar, Nikólaos Mavrogénis. Il partit pour Vienne en 1796. Influencé par les idées de la Révolution française, il multiplia les écrits politiques au service de la démocratie, de la liberté et de l’indépendance des populations balkaniques opprimées par les Ottomans, comme son Thourios ou sa Nouvelle constitution politique. Il est considéré comme un précurseur de la lutte d’indépendance de la Grèce. À cause de ses activités politiques, il fut arrêté en décembre 1797 à Trieste par les autorités autrichiennes puis livré aux Ottomans. Il périt étranglé à Belgrade dans la nuit du 24 au 25 juin 1798.

Il est le plus souvent appelé Rigas ou Rhigas, son prénom de baptême, courant dans sa région natale. Les noms de famille ne semblent pas y avoir été en usage. Il ajouta, comme c’était la tradition pour les lettrés de l’époque, « Vélestinlis », du nom de son village natal de Velestíno. Il signa tous ses écrits et actes, publics ou privés, soit Rigas (Rhigas), soit Rigas « Vélestinlis ». Quant au Féréos (ou Pheraíos), du nom de la ville antique de Phères, à l’emplacement de Velestíno, il a été utilisé par les savants grecs du xixe siècle, défenseurs de la tradition antique et de la katharévousa, mais pas par Rigas lui-même.


Il dut arriver à Constantinople vers 1774 ; il aurait alors eu 17 ans. Là, la probable fortune de son père lui aurait servi, puisqu’il aurait disposé de lettres d’introduction auprès des Phanariotes, personnages importants de la ville. Certaines sources suggèrent même qu’il en aurait eu une pour l’ambassadeur de Russie. Il est certain qu’il entra au service d’Alexandre Ypsilántis, alors grand Drogman, probablement d’abord comme précepteur ou compagnon des enfants du prince phanariote puis comme secrétaire particulier.

Rigas continua son éducation à l’école grecque du Phanar. Il développa sa connaissance des langues, nécessaire à ceux qui désiraient faire carrière dans l’administration ottomane : le grec, le valaque, le turc mais aussi l’allemand et le français (la légende veut qu’il parlât et écrivît cette langue comme si elle était sa langue maternelle). Il aurait peut-être aussi appris l’italien, très proche du valaque. Auprès des Phanariotes, il s’initia à la politique internationale et aux subtilités de la diplomatie.

À la fin de 1774, Alexandre Ypsilántis fut nommé hospodar de Valachie. Cependant, Rigas ne l’y aurait pas rejoint immédiatement. Il serait resté à Constantinople auprès de Constantin Ypsilantis et de ses frères qui n’avaient pas encore fini leurs études et qui servaient aussi d’otages au Sultan afin que leur père reste un fidèle vassal en tant que prince de Valachie. Vers 1776, Constantin partit compléter ses études en Allemagne. Certaines sources supposent que Rigas aurait pu l’accompagner.

Les Phanariotes profitèrent de l’importance diplomatique et politique que leur conférait leur rôle de drogmans pour se faire attribuer des fonctions de plus en plus prestigieuses. Ils obtinrent ainsi les trônes des deux principautés roumaines de Moldavie et Valachie, où la monarchie était élective. Plusieurs représentants des familles phanariotes se succédèrent ainsi comme « hospodars » de l’une et/ou l’autre principauté entre 1711 et 1829. Leurs parents et amis les accompagnaient et se partageaient diverses fonctions gouvernementales. Certaines administrations furent corrompues et ne cherchèrent qu’à profiter de leur passage sur ces trônes pour s’enrichir. D’autres en revanche encouragèrent la renaissance culturelle roumaine en finançant des écoles, des hôpitaux, des universités, des bourses pour les élèves modestes et des imprimeries pour faire circuler les livres scientifiques, historiques ou philosophiques, et en profitant de l’autonomie de ces états chrétiens dont l’aristocratie de boyards était très attirée par l’Occident, pour diffuser la philosophie des Lumières, comme d’autres despotes éclairés du XVIIIe siècle ailleurs en Europe. Il y en eut qui y promulguèrent des constitutions et y abolirent le servage, presque cent ans avant l’Empire russe. Les Phanariotes reçurent le soutien des marchands grecs de l’Empire ottoman. Boyards roumains et phanariotes grecs tenaient tous à avoir des nourrices, gouvernantes, majordomes et précepteurs français, et les villes roumaines, notamment Bucarest et Jassy, devinrent des centres de culture roumaine, hellénique mais aussi occidentale, tandis que le grec ainsi que le français furent les langues de communication des élites grecques et roumaines.

La présence de Rigas en Valachie est attestée à partir de 1780. Les sources le placent, cette année-là, à Bucarest comme secrétaire particulier  d’Alexandre Ypsilántis. Sa connaissance de l’aroumain ne pouvait que lui faciliter la compréhension du roumain (comme on le faisait au XVIIIe siècle, son biographe Daskalakis appelle « valaque » ces deux langues fort proches) : un atout pour cette fonction, qui lui permit aussi de se lier d’amitié avec les boyards roumains.

Rigas fréquenta durant son séjour à Bucarest l’érudit et juriste phanariote Démétrios Cantartzis qui lui permit de compléter sa culture classique et sa connaissance du français. Il lui apprit aussi l’arabe. Cantartzis était un ardent défenseur de la langue populaire grecque, dont Rigas embrassa plus tard la cause.

Dans son ouvrage consacré à Rigas en 1824, l’historien grec Nicolopoulo suppose que Rigas se serait alors engagé dans le commerce afin d’acquérir les moyens d’une existence indépendante. Cependant, cette affirmation est contredite par tous les autres biographes. Il semble que Rigas a été membre de la franc-maçonnerie valaque, créant en 1780 une loge : la Fraternité des Amis (Frăția Prietenilor / Αδελϕία φιλάιων) ayant pour devise « Vive l’Amour de la Patrie », mais ce fait, évoqué par Beresniak, Dascalakis, Stoica et Xenopol n’est corroboré par aucune source primaire, les archives de la franc-maçonnerie roumaine ayant été emportées à Moscou par le NKVD en 1948 et n’ayant jamais été restituées.

En 1785, l’organisation révolutionnaire secrète créée par les fils d’Alexandre Ypsilántis, principalement Constantin, fut dénoncée au pouvoir ottoman. Les fils s’enfuirent en Transylvanie autrichienne : leur père dut abdiquer et rentra à Constantinople plaider sa cause, en arguant qu’il ignorait les projets de ses fils. On ne sait la part que prit Rigas dans cette organisation, mais seulement qu’il était proche de Constantin Ypsilántis. Il était peut-être au courant, il y participa peut-être, mais en ce cas de façon mineure. Il ne suivit ni Constantin en Transylvanie, ni Alexandre à Constantinople, mais resta en Valachie. Il n’est pas certain qu’il soit entré au service des deux  hospodars successeurs d’Alexandre Ypsilántis. Il aurait alors exercé la fonction de secrétaire particulier d’un boyard de Valachie, dont le nom ne nous est pas parvenu. Il aurait ainsi pu poursuivre son éducation intellectuelle et littéraire.

On pense que, lorsqu’Alexandre Ypsilántis dut s’enfuir de Constantinople en Moravie autrichienne vers 1786, à la suite de la découverte de sa correspondance secrète avec Catherine II de Russie et Joseph II d’Autriche, Rigas aurait pu l’accompagner, ou seulement lui rendre visite. Ce séjour lui aurait permis de développer sa connaissance de l’allemand. Il était reproché à Ypsilántis son projet d’émancipation de tous les peuples des Balkans, à réunir ensuite en une « République associative » multinationale (Εταιρική δημοκρατία), à dominante hellénique et en tout cas inspirée par l’hellénisme. Rigas mit aussi plus tard sur pied un projet de ce genre. Ypsilántis, lui, envisageait de créer une monarchie avec à sa tête un des fils de Catherine II. À peu près au même moment, l’hospodar de Moldavie, un autre phanariote, Alexandre Mavrocordato, dut s’enfuir en Russie à cause d’une conspiration qu’il avait organisée contre l’Empire ottoman. Il aurait lui aussi mis sur pied une organisation secrète en vue du soulèvement des chrétiens des Balkans. De son exil russe, il continua d’œuvrer pour la cause hétairiste (Εταιρία peut se traduire par « société » ou « association ») et grecque en publiant des ouvrages patriotiques et en créant des loges maçonniques et  révolutionnaires. Ses écrits et projets ont été étudiés par Rigas lorsque, à son tour, il chercha à libérer les Balkans et la Grèce de l’absolutisme ottoman. De plus, Alexandre Mavrocordato était le protecteur et le bailleur de fonds de l’érudit grec Georges Vendotis qui avait créé, à Vienne, une imprimerie pour éditer les textes grecs classiques et un dictionnaire franco-italo-grec. Vendotis et Rigas étaient très proches et collaboraient.

En 1786, un nouvel hospodar fut nommé par la Porte : Nikólaos Mavrogénis. Il ne faisait pas partie des Phanariotes, qui le considéraient comme un parvenu. Ses succès contre la Révolution d’Orloff et la protection d’Hassan, le Capitan Pacha devenu Grand Vizir, lui permirent de devenir souverain de Valachie. Sa fidélité comme vassal de l’Empire ottoman et ses victoires militaires dans la guerre contre l’Autriche dès 1786 lui valurent de devenir aussi hospodar de Moldavie, avec des pouvoirs augmentés (il pouvait se passer de l’aval du Sfat, ou sénat, des boyards locaux, qui perdit son droit de véto). L’année suivante, dans la guerre russo-turque, il se distingua à nouveau à la tête des forces moldaves et valaques22, alors majoritairement composées d’Arvanites (albanais chrétiens, réputés plus fidèles à la cause turque, que les soldats roumains).

Rigas fut son secrétaire particulier et son homme de confiance, ce qui pose des problèmes d’interprétation. Comment un proche de la famille Ypsilántis pouvait-il se trouver au service d’un de ses ennemis politiques ? Certains suggèrent qu’il aurait été placé là par Alexandre Ypsilántis afin d’espionner MavrogénisN 4. Mais, ce dernier aurait-il été assez naïf pour ne pas voir une telle manœuvre ? Il est plus probable que Rigas disposait alors d’une réputation solide dans les élites roumaines et que ses qualités linguistiques et littéraires en faisaient un candidat valable pour un tel poste. De plus, Mavrogénis n’avait alors rien à craindre des Ypsilántis en exil. Enfin, politiquement, Mavrogénis, francophile qui s’opposait aux États  despotiques autrichiens et russes, n’était peut-être pas si sincèrement pro-ottoman, et Rigas a peut-être eu connaissance d’affinités qui nous restent inconnues.

Nikólaos Mavrogénis aurait nommé son conseiller Rigas au poste de gouverneur (« Caïmacam ») de la ville de Craiova, capitale de la riche province valaque d’Olténie, à l’ouest de la principauté, et ville universitaire. Mais Rigas aurait aussi continué à exercer ses fonctions auprès de l’hospodar. Un épisode important se serait déroulé alors que Rigas dirigeait cette ville. Le bey Osman Pazvantoğlu, en route vers le front russe, y passa à la tête de sa troupe. Il désira s’y ravitailler. Cependant, mécontent de la qualité des denrées d’un fournisseur grec, le fit bâtonner, or ce fournisseur était l’oncle de Nikólaos Mavrogénis. L’hospodar n’était pas connu pour sa mansuétude. Pazvantoğlu, l’apprenant, prit la fuite, déguisé en paysan pour sauver sa tête. Rigas lui-même le cacha et le protégea. Une amitié lia dorénavant les deux hommes.

Dans sa traduction d’Anacharsis, Rigas écrit qu’il était dans le port danubien de Giurgiu en 1788. On sait qu’il commença alors à traduire l’Esprit des Lois de Montesquieu.

La guerre russo-turque de 1787-1792 tourna en faveur de la Russie. Les troupes commandées par Potemkine s’emparèrent de Iași en juillet 1790. L’armée ottomane vaincue se replia au-delà du Danube. Mavrogénis, accompagné de Rigas, la suivit. À Constantinople, le Grand Vizir Hassan avait été remplacé. Les Phanariotes purent recommencer à intriguer contre Mavrogénis. Le Sultan envoya un sicaire (calat en turc) chargé de lui rapporter la tête de l’hospodar déchu. Rigas fut témoin de son exécution à Asprohori, sur la côte de la mer Noire (dans l’actuelle Bulgarie) en septembre 1790. Il aurait été marqué par les derniers mots du condamné : « Maudit celui qui sert fidèlement les Turcs ! ». Cette exécution a pu jouer un rôle dans la pensée politique de Rigas, radicalisant son rejet de l’arbitraire ottoman, sa conviction que cet empire n’était pas réformable, et son intransigeance vis-à-vis de ceux qui, pensant qu’il était possible de changer les choses de l’intérieur, servaient le Sultan.

Les Grecs de la diaspora à Vienne ne financèrent pas seulement les  ouvrages, les voyages ou le train de vie de Rigas. Un des riches Grecs interrogés après l’arrestation de Rigas, Argentis, avoua avoir payé 1 000 florins vingt exemplaires d’un des livres de Rigas. Cette somme aurait permis de financer l’intégralité de la publication. Le Thessalien avait réussi à les convaincre de financer une véritable conspiration. Il commença par réunir de façon informelle les commerçants et les étudiants grecs de la ville afin de faire bouillonner ses idées lors de conversations forcément animées. Ces réunions étaient publiques mais, en parallèle, il mena une activité de propagande plus subtile à partir de rencontres individuelles où il mesurait le potentiel d’implication de son interlocuteur en vue d’un recrutement. Certains, une fois impliqués dans ce qui aurait dû déboucher sur une conspiration, voire une révolution, étaient alors chargés de la traduction, de la copie ou de la distribution, parfois à travers toutes les communautés de la diaspora, des ouvrages politiques clandestins de Rigas. D’autres profitaient de leurs relations pour contacter à Paris le Directoire ou Sieyès, le faiseur de constitution. Chacun faisait la liste de personnes sûres à contacter en Grèce même, soit en vue d’une action, soit pour un financement.

La justice autrichienne, après l’arrestation de Rigas, considéra comme « conspirateurs » tous ceux qui avaient eu connaissance du Thourios et qui ne l’avaient pas dénoncé. Rigas chantait régulièrement chez ces « disciples » cet hymne guerrier, accompagné de musique qu’il jouait lui-même.

Les activités de Rigas eurent des conséquences inattendues. La diaspora grecque en Autriche était en grande majorité composée de commerçants. Il avait su si bien les convaincre que le moment de la libération nationale approchait et qu’elle serait aidée par la France de la Révolution et de Bonaparte (alors victorieux en Italie) que nombre d’entre eux  commencèrent à liquider leurs affaires, voire à réaliser leurs actifs à perte afin d’être prêts à toute éventualité. Fin 1796, le ministère autrichien de l’Intérieur constatait que des « commerçants grecs faisaient banqueroute [à Vienne] et ailleurs, surtout à Constantinople, et partaient, emportant avec eux leur numéraire, pour les ports libres de l’Italie, afin d’y attendre la libération de la Grèce. »

Rigas fut maintenu une dizaine de jours en résidence surveillée dans sa chambre d’hôtel. Il aurait été constamment interrogé mais n’aurait livré aucun nom. La surveillance ne devait pas être très étroite, puisqu’il réussit à faire parvenir une lettre à un de ses complices à Vienne, Georges Théocharis pour le prévenir. Mais ce dernier avait déjà été arrêté et la lettre servit de pièce à conviction contre lui. Le 30 décembre, il fut décidé de le transférer à Vienne pour la suite de l’enquête. Rigas en fut informé. La nuit avant son départ, il alla récupérer un canif qu’il avait dissimulé dans la garniture d’un des canapés de sa chambre et fit une tentative de suicide en s’en perçant plusieurs fois. Les blessures n’étaient pas mortelles : elles avaient été faites avec un canif par un prisonnier menotté. Il ne fut même pas transporté à l’hôpital ; des médecins vinrent le voir tous les jours et furent payés avec l’argent trouvé sur Rigas. Mais les blessures étaient suffisamment graves pour qu’il ne pût être transféré. L’enquête était retardée. La nouvelle remonta jusqu’à l’Empereur dont les foudres redescendirent jusqu’à Brigido qui se justifia comme il put. Si Rigas avait été gardé dans sa chambre d’hôtel, c’était parce que le gouverneur ne voulait pas alerter ses complices et parce que la forteresse était réservée à l’armée et qu’il ne pouvait utiliser la prison que pour les délits de droit commun.

Rigas demanda à obtenir le secours d’un prêtre afin de se préparer, si jamais il venait à mourir de ses blessures. Il utilisa le pope pour faire parvenir un message au consulat de France. Il y demandait à bénéficier de la protection de l’immunité diplomatique française en tant qu’ancien interprète du consulat en Valachie. Le 5 février 1798, le consul français, le capitaine Bréchet, se présenta aux autorités de la ville, mais on lui répondit que Rigas, remis, avait déjà été transféré à Vienne. Bréchet écrivit à l’ambassadeur à Vienne, Bernadotte, pour lui confier l’affaire, mais celui-ci avait alors d’autres préoccupations et ne put rien faire pour Rigas.

À Vienne, les interrogatoires des inculpés durèrent deux mois. Le but était de leur arracher tout ce qui pouvait mener au chef d’inculpation désiré, celui de complot républicain. Les comptes rendus dont on dispose montrent que Rigas ne dit que ce qui était déjà su et établi grâce aux documents saisis et qu’il inventa beaucoup : des correspondants imaginaires dans l’Empire ottoman ; des auteurs de chants révolutionnaires ou des collaborateurs à Vienne, etc. Il nia tout le reste : être l’auteur des brochures ou avoir organisé un complot.

L’enquête autrichienne établit définitivement la culpabilité de Rigas et de ses complices pour conspiration contre l’Empire ottoman le 3 avril 1798. Cependant, ils ne pouvaient être déférés devant une juridiction autrichienne. Ils auraient en effet été relaxés. Leurs activités n’étant pas dirigées contre l’Autriche, tout tribunal autrichien serait incompétent. Le ministre autrichien de la police suggéra cependant à l’Empereur : « Bien que les projets révolutionnaires des accusés fussent dirigés seulement contre l’État turc et ne tendissent qu’à la libération de la Grèce, leur réalisation aurait cependant exercé une influence néfaste sur les pays héréditaires de Votre Majesté. » Il fallait donc se défaire au plus vite de Rigas et de ses complices. Pour la majeure partie d’entre eux, la solution était simple : ils étaient sujets ottomans, il suffisait de les extrader. Pour les autres, Autrichiens, Russes ou Allemands, le ministre préconisait l’exil, ce qui fut fait le 28 avril 1798.

Cependant, la diplomatie autrichienne décida d’utiliser le complot pour obtenir des concessions de l’Empire ottoman. Rigas et ses compagnons devinrent une monnaie d’échange. L’Autriche désirait deux choses. Des libéraux polonais, souvent déserteurs, s’étaient réfugiés en Moldavie et Valachie. Vienne demandait leur extradition. Après le traité de Campo-Formio, l’Autriche avait annexé Venise. Elle désirait récupérer tous les biens de toutes les anciennes représentations diplomatiques de la Sérénissime dans l’Empire ottoman, mais aussi, plus important, que la liberté des mers qui avait été accordée aux navires vénitiens soit appliquée dorénavant à tous les navires autrichiens. La négociation fut d’autant plus longue que le Drogman (interprète officiel de la Porte) était Constantin Ypsilántis, qui avait passé sa jeunesse avec Rigas. Il essaya de lui sauver la vie en faisant échouer les pourparlers. Il réussit même à convaincre l’ambassadeur autrichien à Constantinople que donner l’affaire à la justice ottomane entraînerait des exécutions et des arrestations en masse et que cela aurait des conséquences sur la réputation de l’Autriche dans la communauté grecque et donc sur le commerce grec en Autriche (alors que l’enquête autrichienne avait soigneusement évité de trop inquiéter les commerçants grecs qui auraient pu être mêlés à la conspiration). Constantin Ypsilántis traduisit les comptes rendus de l’enquête pour le Reis effendi qui n’eut donc jamais le fin mot de l’affaire. L’Empire ottoman demanda aux pirates barbaresques de respecter le pavillon autrichien et promit un firman à propos des Polonais.

Le 27 avril 1798, Rigas et ses sept compagnons furent extraits de leur prison de Vienne et extradés vers l’Empire ottoman.

L’escorte qui accompagna Rigas et ses compagnons était constituée de vingt-quatre hommes et deux sous-officiers dont aucun n’était orthodoxe pour éviter toute tentative d’aide. Un attaché de l’ambassade ottomane était aussi du voyage, qui passa par voie de terre par Budapest le 29 avril puis Gratz le 2 mai puis Semlin le 3 mai avant de descendre le Danube jusqu’à Belgrade atteint le 9 mai. Le numéro 271 du Moniteur universel publia une correspondance à propos du passage des Grecs à Semlin.

À Belgrade, Rigas et ses compagnons furent enfermés dans la tour Nebojša. Cependant, leur sort n’allait pas non plus de soi dans l’Empire ottoman. Si la peine pour les sujets révoltés était simple, la tête tranchée, ici, l’enquête avait été faite par l’Autriche, qui pourrait être tenue pour responsable directe de leur mort. De plus, la nouvelle de l’arrestation et de l’extradition de Rigas s’était répandue dans l’Empire, où une agitation se développait. Les Phanariotes intervinrent auprès de tous les ministres ottomans qu’ils servaient. Ils versèrent des sommes importantes partout où ils le pouvaient, jusque dans la prison de Belgrade, pour faire évader les prisonniers. Constantin Ypsilántis essaya de les faire transférer chez le Patriarche Grégoire V. Par ailleurs, Osman Pazvantoğlu, alors en rébellion ouverte contre le Sultan, était soupçonné de surveiller les routes autour de Belgrade pour faire évader son ami à la première occasion. Ali Pacha de Janina, qui cherchait à s’éloigner de la souveraineté du Sultan et qui entretenait à sa cour des complices de Rigas, avait compris l’usage qu’il pouvait faire des prisonniers. Il proposa de s’en charger.

Toute cette agitation finit par décider le Divan. L’ordre fut envoyé à Belgrade d’exécuter les prisonniers, dans le plus grand secret possible, puis de rendre publique une version de leur mort qui aurait eu lieu au cours d’une tentative d’évasion. Rigas mourut, étranglé par les Ottomans à Belgrade dans la nuit du 24 au 25 juin 1798 dans la tour Nebojša avec sept de ses compagnons et son corps fut jeté dans le Danube. Ce sort est connu grâce aux archives des autorités autrichienne2.

Les légendes à propos de la mort de Rigas sont nombreuses. Elles lui attribuent une puissance surnaturelle et des paroles profondes et sublimes. Il aurait roué de coups formidables ses bourreaux, rendant impossible son exécution. Il aurait alors fallu le fusiller, de loin. Selon une légende destinée à illustrer la cruauté ottomane, il aurait été scié. Il aurait dit en turc, avant de mourir : « C’est ainsi que meurent les braves. Moi, j’ai semé ; bientôt viendra l’heure où mon pays récoltera le doux fruit de mes efforts ».

Source : Wikipédia.

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