Raoul Follereau, journaliste, philanthrope et poète.

Le combat de Raoul Follereau (1903 -1977) en faveur des lépreux est connu. On sait moins qu’il mena cette bataille aux côtés de Madeleine, son épouse. Malgré les épreuves, ce couple déploya une fécondité hors du commun.
Des millions de lépreux lui doivent une fière chandelle. À elle : Madeleine

Boudou, épouse de Raoul Follereau. Sans elle, se serait-il tant battu ? Sans elle, ce « poète de l’action » aurait-il embrassé les malades, aux quatre coins du monde, avec le même enthousiasme ardent ? Le soldat de la lèpre répond lui-même : « La plus grande chance de ma vie, ce fut ma femme. Elle m’a accompagné dans toutes les léproseries du monde. Elle fut mon soutien toujours. Et parfois ma consolation. […] À deux, on est invincible ». Il aurait pu dire : « Jamais sans ma femme, jamais rien sans elle ».

  •  1902 Naissance de Madeleine Boudou à Nevers.
  • 1903 Naissance de Raoul Follereau à Nevers.
  • 1918 Raoul et Madeleine se rencontrent. Première conférence de Raoul à Nevers : « Dieu est Amour ».
  • 1925 Mariage à Nevers.
  • 1927 Création de la Ligue d’union latine qui deviendra : les Fondations Charles-de-Foucauld, puis l’Ordre de la charité.
  • 1942 Début de la bataille de la lèpre.
  • 1954 Création de la Journée mondiale des lépreux.
  • 1965 Création de l’Illep réunissant toutes les associations de lutte contre la lèpre dans le monde.
  • 1977 Raoul Follereau meurt à Paris.
  • 1989 Madeleine Follereau meurt à Paris.
Raoul follereau, carte maximum, Luxembourg, 4/05/1982.

Originaires de Nevers, ils se rencontrent alors qu’ils n’ont pas 30 ans à eux deux. Le fougueux Raoul n’a pas encore de poil au menton lorsqu’il fait connaissance de l’élégante Madeleine Boudou en vendant des bleuets au profit des blessés de la Première Guerre. Le ton est donné : « Vivre, c’est aider les autres à vivre ! », sera son leitmotiv. Raoul, du haut de ses 15 ans, a déjà donné sa première conférence intitulée : « Dieu est Amour ». Cet enfant prodige aux talents littéraires précoces exerce ses dons de « théâtreux » et de poète au profit de sa fiancée, qui ne s’en plaint pas. « Le cœur n’est grand que plein d’amour. Et c’est ainsi qu’il faut aimer. » Ce qu’ils s’appliqueront à pratiquer pendant leurs cinquante-deux ans de mariage.

Alors que les « libérations » sont souvent des libations d’où jaillit la débauche, les deux amoureux prennent le contre-pied : ils entament sept longues années de fiançailles et de chasteté. Celles-ci vont offrir au futur couple un socle fondateur, qui se révélera précieux quand les jeunes mariés – ils s’épousent en 1925 – affrontent l’épreuve et l’extrême douleur de ne pouvoir avoir d’enfants. Restant « branché » sur la source vive de leur sacrement de mariage, ils vont sublimer leur infécondité naturelle par une extraordinaire fécondité spirituelle et pastorale.

Avocat puis journaliste, Raoul Follereau est un orateur de combat. Son verbe est talentueux. Sa première bataille sera littéraire. En 1920, à l’âge de 17 ans, il créé la « Jeune Académie », publie et fait connaître des jeunes poètes. « Personne n’a le droit d’être heureux tout seul », estime-t-il. Il lève des fonds, crée en 1927 la « Ligue d’union latine » et son journal L’Œuvre latine. En cinq ans, il édite cent cinquante volumes de cent poètes différents, tout en écrivant des pièces de théâtre jouées à la Comédie-Française. Il organise aussi conférences et concerts visant à défendre les civilisations gréco-latine et chrétienne : « Nous voulons défendre cette culture et cette civilisation à laquelle la France doit sa grandeur et sa magnificence ».

Raoul Follereau, épreuve d’artiste signée.

Cette mission mène le couple en Amérique latine. Il y est témoin de l’influence et de la richesse de la culture française apportée par les congrégations de religieux enseignants chassées de France en 1905. Aussi, sur tout le continent, Raoul se démène pour fonder des collèges et des bibliothèques francophones. En 1931, il a déjà créé trente-deux bibliothèques publiques, gratuites, riches de vingt-cinq mille volumes.

Les Follereau, amoureux aventuriers, traversent plusieurs fois l’Amérique latine. Ils font partie des premiers passagers civils de l’Aéropostale, franchissent la cordillère des Andes dans des coucous fragiles. Leur pilote, un certain Jean Mermoz, leur confie après un vol : « Moi aussi, j’ai eu peur et j’ai eu froid. Le courage, c’est d’avoir peur, mais de marcher quand même ». Ils sont sur la même longueur d’onde, à la même altitude. « Marcher quand même » : cette règle de vie, Raoul et Madeleine la suivront sans faillir, main dans la main.

Envoyés en reportage en Afrique du Nord, sur les pas du Père de Foucauld, pour le journal argentin La Nación, Raoul et Madeleine y découvrent les plus malheureux, les plus rejetés. Des êtres amputés de leurs membres, et de leur dignité. Les lépreux. Le choc est immense. Scandalisé par leur exclusion, Raoul va convertir sa lutte en faveur des idées en un combat pour ces plus pauvres.

Recherché par la Gestapo durant la Seconde Guerre mondiale, le couple Follereau doit vivre durant quelques années dans le couvent des Sœurs missionnaires de Notre-Dame-des-Apôtres, à Vénissieux, près de Lyon. En 1942, la Mère supérieure leur confie que la congrégation n’a pas les moyens de construire un village pour les lépreux en Côte d’Ivoire, à Adzopé. Ce témoignage fait basculer la vie des Follereau. En avril, Raoul entame une série de conférences pour lever des fonds. Il engage son verbe contre la lèpre : « Cette bataille pour Adzopé dura dix ans qui furent les meilleures années de notre vie de couple ».

Aimer son prochain ? Il y a celui d’Afrique, certes, mais aussi le prochain « tout près de chez nous », qui n’est pas forcément le plus facile à aimer. Raoul œuvre dans sa patrie endolorie par le conflit. En 1943, il lance « l’heure des pauvres ». Il invite chacun à « consacrer au moins une heure par an de son salaire au soulagement des malheureux, leur dédier un moment de notre vie, penser à eux, leur consacrer notre labeur ». Malgré la détresse et le désespoir, il invite ses compatriotes à se détourner d’eux-mêmes et à s’engager pour soulager les accablés. En 1946, il propose aux enfants de faire « le Noël du Père de Foucauld » : il les invite à déposer un troisième soulier au pied du sapin pour « un petit pauvre qui oubliera un instant sa solitude et sa souffrance et sourira au matin de la grande fête de tous les petits enfants ».

Leur désir ardent de Dieu, leurs talents complémentaires, leur amour puisé à la Source, ont permis à Raoul et Madeleine d’avoir une réelle fécondité spirituelle. Quelle consolation pour ces époux privés d’enfants que de s’entendre appeler, dans de nombreux pays d’Afrique, « Papa Raoul » et « Maman Madeleine » ! Leurs enfants adoptifs vont même devenir innombrables. En effet, une fois la bataille pour la construction du village d’Adzopé entamée, ils reçoivent des sollicitations de religieux et de médecins – du monde entier – désarmés devant la marée noire de la lèpre.

Les Follereau commencent alors plusieurs tours du monde, alertant l’opinion, dénonçant l’exclusion dont les lépreux sont victimes, appelant – c’est une première – à la coordination de tous les efforts, de toutes les bonnes volontés. Ils contribuent à donner aux chercheurs, aux médecins, aux hommes de terrain, les moyens qui permettront de guérir quelque 15 millions de malades. Cette organisation phénoménale a valu à Raoul Follereau d’être souvent cité comme précurseur de l’action humanitaire.

Il fera jusqu’à trente-deux fois le tour du monde et prononcera plus de mille deux cents conférences. « Madeleine fut de tous les voyages. À la fois ma secrétaire et ma confidente, elle fut aussi une conseillère éclairée. » Discrète et modeste, elle contraste avec la personnalité combattante et le caractère entier de son époux, célèbre pour son feutre noir, sa lavallière, sa cape noire et sa canne. Madeleine, une femme de l’ombre mais sans ombres, sachant prodiguer sa lumière et inspirer son époux. Leurs différences sont complémentaires. Ils ont en commun l’amour de la culture et le désir de Dieu : « Trouverai-je jamais un rêve à la hauteur de mon désir ? », s’interrogeait le jeune Raoul. Il semble avoir trouvé un désir à la hauteur de son rêve. Ce désir de Dieu mena le couple à vivre une fécondité particulière à travers ces combats livrés ensemble.

Touchés par les malades eux-mêmes, et non d’abord par leur maladie, Raoul et Madeleine posent un regard de compassion sur ces personnes souffrantes, déchues, rejetées. Ils ne se contentent pas de les regarder : ils les touchent, ils les embrassent. Bien plus que soigner des malades, c’est véritablement les relever aux yeux du monde qui leur importe. « Il ne m’appartient pas de soigner les lépreux, de guérir les lépreux, répète Raoul. Mon rôle à moi, afin qu’ils soient délivrés vraiment de la lèpre, c’est de guérir les bien-portants de la peur absurde qu’ils ont de ces malades, de ces excommuniés sociaux, de ces bannis, de ces monstres. » Ces frères excommuniés, Raoul veut qu’ils soient fêtés : en 1954, il crée la Journée mondiale des lépreux. Ils auront ainsi leur place dans le calendrier ! On lit dans le journal de l’île de la Réunion : « Lorsque le Vagabond de la Charité [l’un des noms donnés à Raoul Follereau, Ndlr] prit hier le chemin de la léproserie Saint-Bernard, sans doute s’attendait-il à un accueil amical : ce fut plus que cela. Ce fut l’accueil réservé par ses enfants à un père absent du foyer depuis trois ans ».

L’intégrité, l’audace et la fougue de Raoul ont attiré des foules de jeunes lors de ses conférences. Révolté par la tiédeur du monde, conscient des dangers et des écueils dans lequel il se fourvoie, Raoul croit en la jeunesse et en sa générosité. « Soyez intransigeants sur le devoir d’aimer. Ne cédez pas, ne composez pas, ne reculez pas […]. Il y a dans le cœur de chaque homme des trésors prodigieux d’amour ; à vous de les faire surgir. » Il les responsabilise tout en les secouant : « Riez au nez des sceptiques, des prudents, des malins, de ceux qui mettent leur vie en conserve et commencent leur retraite au biberon. Acclamez, dénoncez. Soyez conquis ou indignés, mais jamais neutres, indifférents, passifs, résignés… Faites quelque chose de votre vie ! » Il veut leur faire croire en la bonté de l’homme, en la bonté dans le monde. Mais pour que celles-ci émergent, chacun doit se lever : « Votre jeunesse doit être création, élévation, service et joie. Vous ne réformerez le monde qu’en enrichissant son cœur ». Il ouvre leur regard sur les souffrances des hommes : « Pour aller d’une léproserie à l’autre, il faut faire du chemin, et je ne ferme pas les yeux sur la route ». Les jeunes, Raoul va jusqu’à les instituer légataires universels de son action : « Le trésor que je vous laisse, c’est le bien que je n’ai pas fait, que j’aurais voulu faire et que vous ferez après moi ».

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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