Otto von Bismarck, homme d’état.

Otto von Bismarck, duc de Lauenburg et prince de Bismarck, né à Schönhausen le 1er avril 1815 et mort le 30 juillet 1898 à Friedrichsruh, est un homme d’État prussien puis allemand.

Il est à la fois ministre-président du royaume de Prusse de 1862 à 1890 et chancelier de la confédération de l’Allemagne du Nord de 1867 à 1871 avant d’accéder au poste de premier chancelier du nouvel Empire allemand en 1871, poste qu’il occupe jusqu’en 1890, tout en conservant sa place de ministre-président de Prusse. Il joue un rôle déterminant dans l’unification allemande.

Au début de sa carrière politique, Bismarck se fait un nom en défendant les intérêts des junkers, petite noblesse prussienne, dont il fait partie, depuis les bancs conservateurs. Il est nommé ministre-président de Prusse en 1862. Dans le conflit constitutionnel prussien, il lutte contre les libéraux pour maintenir la primauté de la monarchie. Également ministre des Affaires étrangères, il déclenche la guerre des Duchés puis la guerre austro-prussienne entre 1864 et 1866, et impose par là-même la suprématie de la Prusse en Allemagne. La guerre franco-prussienne de 1870 permet de résoudre la question allemande en retenant la solution petite-allemande, défendue par la Prusse, et entraîne l’unification allemande en 1871. Ensuite, sur le plan de la politique extérieure, il essaie d’établir un équilibre entre les grandes puissances européennes grâce à un système d’alliances.

En politique intérieure, à partir de 1866, Bismarck s’allie d’abord aux libéraux modérés, ce qui conduit au vote de nombreuses réformes comme l’institution du mariage civil, qui rencontre la résistance des catholiques, auxquels il s’oppose durement en instituant la politique du Kulturkampf. À la fin des années 1870, il se sépare des libéraux, pour renouer avec les conservateurs. Durant cette phase, sont votées les lois pour le protectionnisme et l’interventionnisme étatique. Un système de sécurité sociale est également créé. Les années 1880 sont surtout marquées par les lois antisocialistes. En 1890, les divergences de point de vue de Bismarck avec le nouvel empereur, Guillaume II, conduisent à son départ.

Après sa démission, Bismarck continue de jouer un rôle politique, en critiquant l’action de son successeur. Il écrit également ses mémoires, qui influencent fortement l’image que se forge de lui l’opinion publique allemande.

Jusqu’au milieu du xxe siècle, les historiens allemands jugent en grande majorité son action de manière positive, celle-ci étant, dans cette période nationaliste, associée à l’unification de l’Allemagne. Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, les critiques s’accentuent : il est alors accusé d’être responsable, en tant que fondateur de l’Empire allemand, de l’échec de la démocratie en Allemagne. Des approches plus modernes de l’histoire tentent cependant de remettre l’action de Bismarck, avec ses forces et ses manques, dans le contexte de son époque avec la structure politique qui était alors en place.


Bismarck fait son entrée en politique en devenant représentant au conseil du canton de Naugard (Deputierter des Kreises Naugard), et alors qu’il s’occupe encore de ses terres à Kniephof. Il soutient à de nombreuses reprises son frère qui dirige le conseil du canton en tant que Landrat. Par l’intermédiaire de son cercle religieux, il entre en contact, entre 1843 et 1844, avec d’éminents hommes politiques des bancs conservateurs, comme les frères Ernst Ludwig von Gerlach et Ludwig Friedrich Leopold von Gerlach. Il afferme Kniephof et déménage à Schönhausen, proche de Magdebourg, ville où Ludwig von Gerlach occupe un siège, pour développer ces liens. En 1846, il obtient son premier poste de fonctionnaire en tant qu’intendant des digues de Jerichow. Sa principale préoccupation du moment est alors de préserver la suprématie de la petite noblesse en Prusse. Les conservateurs s’opposent à l’État absoluto-bureaucratique et rêvent d’un retour à l’Ancien Régime, avec un gouvernement conjoint des nobles et du roi. Avec les frères Gerlach, il défend, par exemple, le droit pour les nobles de rendre justice sur leurs terres.

En 1847, il entre au Parlement uni prussien (Vereinigter Landtag) comme représentant de la chevalerie de la province de Saxe. Dans ce comité dominé par l’opposition libérale, il commence dès ses premiers discours à se faire remarquer comme un des conservateurs les plus stricts, il conteste notamment le fait que les guerres de libération de la puissance française en 1813 et 1814 étaient accompagnées de la volonté de mettre en place des réformes libérales. Dans la « question juive », il se déclare clairement opposé à la mise à égalité politique de la population juive. Cette position, et d’autres semblables, entraînent de vives réactions parmi les libéraux. Bismarck trouve cependant sa vocation dans la politique : « les choses m’empoignent beaucoup plus que je ne l’aurais pensé » avoue-t-il.

Sa passion pour le combat politique lui laisse à peine le temps de manger et de dormir. Grâce à sa présence dans cette assemblée, Bismarck s’est fait un nom dans les milieux conservateurs, sa réputation arrivant même jusqu’au roi. Bien que clairement conservateur, Bismarck est déjà à ce moment-là plus pragmatique que la moyenne et est prêt à apprendre de ses rivaux, ce qui apparaît notamment lors de la création d’un journal conservateur pour contrer les journaux libéraux allemands.

Bismarck est fermement opposé à la révolution de Mars. Quand il apprend les succès du mouvement dans Berlin, il décide d’armer les paysans de Schönhausen, et propose de les faire marcher sur Berlin. Le général Karl von Prittwitz, basé à Potsdam, s’oppose toutefois à cette idée. Par la suite, Bismarck essaye de convaincre la princesse Augusta, l’épouse du futur empereur Guillaume Ier d’Allemagne, de la nécessité d’une contre-révolution. La princesse juge toutefois la requête manipulatrice et déloyale. En raison de son comportement, Bismarck s’attire alors durablement l’animosité de la future reine. La reconnaissance par le roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse de la révolution fait échouer temporairement les plans contre-révolutionnaires de Bismarck. Par la suite, il n’est pas élu dans la nouvelle assemblée nationale prussienne, mais il prend, en revanche, part au rassemblement extra-parlementaire des conservateurs. En été 1848, il est l’un des membres fondateurs et des rédacteurs du Neue Preußische Zeitung (Nouveau journal prussien), plus couramment nommé Kreuzzeitung (« Journal à la croix ») à cause de la croix de fer figurant au milieu de son titre. Bismarck y écrit de nombreux articles, si bien qu’en août 1848, il est l’un des principaux instigateurs du parlement des Junker. Celui-ci rassemble ainsi plusieurs centaines de nobles soucieux de protéger leurs intérêts de propriétaires terriens.

Toutes ces activités font que la camarilla qui entoure le roi commence à estimer Bismarck. Celui-ci espère être récompensé par un poste de ministre après la contre-révolution de novembre 1848. Mais il ne réalise pas encore que, même au sein des cercles conservateurs, il passe pour trop extrémiste. Le roi écrit d’ailleurs en note sur sa liste de propositions : « à utiliser seulement, là où la baïonnette agit sans limite ».

Bien qu’il n’ait aucune formation de diplomate, Bismarck est nommé le 18 août 1851 par Frédéric-Guillaume IV et avec l’appui de Leopold von Gerlach, diplomate (Gesandten) au parlement de Francfort. Ce poste est alors, de son propre avis, le plus important dans la diplomatie prussienne. Sa nomination est vue comme un symbole à la fois de la victoire de la réaction politique et sociale en Prusse et de la capitulation de cette dernière face à l’Autriche. À Francfort, il agit de manière très autonome, à tel point qu’il se retrouve parfois en opposition avec la politique du gouvernement berlinois.

En tant que député, il continue à se présenter comme un conservateur. Son comportement lors de la séance de débat du 25 mars 1852 le mène au duel avec le député libéral Georg von Vincke ; cependant, au cours du combat, aucune balle n’atteint sa cible. Alors que le royaume de Prusse et l’empire d’Autriche travaillent ensemble après la fin de la politique des unions, Bismarck ne veut pas se résigner au fait que le ministre autrichien Felix zu Schwarzenberg veuille donner à la Prusse un rôle secondaire. Lui et le gouvernement berlinois veulent faire reconnaître la Prusse comme le partenaire égal de l’Autriche. En pratique, il cherche perpétuellement la polémique avec le diplomate autrichien Friedrich von Thun-Hohenstein, attaque sèchement Vienne et paralyse même le travail du parlement afin de pointer les limites du pouvoir autrichien à Francfort. Il contribue également à empêcher l’Autriche d’intégrer l’alliance douanière allemande (Deutschen Zollverein).

La décision du gouvernement prussien en 1854 (dans le contexte de la guerre de Crimée) de renouveler l’alliance défensive avec l’Autriche, attire les critiques de Bismarck. Quand, en 1855, l’Autriche songe à entrer en guerre contre la Russie, Bismarck réussit, grâce à quelques subtils louvoiements, à ne pas mettre à exécution les demandes autrichiennes de mobilisation des armées prussiennes. Ce succès augmente son prestige diplomatique. Après la défaite de la Russie en Crimée, il plaide dans plusieurs lettres ouvertes pour un appui à la France et à la Russie afin d’affaiblir encore l’Autriche. En particulier, il explique ses vues pour la politique extérieure dans sa « lettre magnifique » (Prachtschrift) de 1856. Ces déclarations déchaînent un conflit virulent avec les « hauts-conservateurs » (Hochkonservativen), réunis autour des frères Gerlach, qui ne voient en Napoléon III qu’un représentant des principes révolutionnaires et un « ennemi naturel » de la Prusse. Bismarck répond que la légitimité du chef d’État n’a aucune importance à ses yeux et que les intérêts diplomatiques du pays passent avant les principes fondamentaux du conservatisme. Cela lui vaut de passer de plus en plus pour un égoïste opportuniste au sein du clan conservateur. Proche des banquiers Julius Schwabach et Gerson von Bleichröder, Bismarck se base aussi sur leurs réseaux pour s’informer. Gerson von Bleichröder, avec qui il échange des centaines de lettres, est aussi son conseiller fiscal et le gérant de son portefeuille.

Le conflit avec les Gerlachs trouve aussi ses causes dans la politique intérieure. Après l’accession au pouvoir de Guillaume Ier, les hauts-conservateurs perdent de leur influence pendant que les libéraux-conservateurs plus modérés du Wochenblattpartei en gagnent. Avec le début de cette nouvelle ère, Bismarck prend aussi ses distances avec les extrémistes conservateurs pour asseoir sa position. Il évoque ainsi, dans une longue lettre ouverte, une « mission nationale » prussienne et une alliance avec le mouvement national-libéral. Cela marque vraiment un virage politique pour lui. Même s’il ne veut pas combattre pour l’unification pour elle-même, il a compris qu’en canalisant les forces des nationalistes allemands il pourrait considérablement renforcer le pouvoir de la Prusse.

Bismarck a donc de grandes attentes quant à ce nouveau climat politique qui envahit alors la Prusse. Il est toutefois dans un premier temps déçu. En janvier 1859, il est muté à Saint-Pétersbourg. Il voit sa nouvelle affectation sur les bords de la Neva comme une mise à l’écart. La transition est difficile pour sa famille, et les années à Francfort restent pour les époux Bismarck comme les années les plus heureuses de leur mariage. Cependant, Bismarck espère profiter de cette mutation pour élargir ses connaissances diplomatiques et se réjouit de la bienveillance à son égard du couple impérial et de la cour russe. Ses ambitions se portent alors vers les plus hautes places administratives dans l’État prussien. Il porte une attention toute particulière au conflit constitutionnel prussien, qui entoure l’écriture de la constitution prussienne. Ses espoirs de devenir ministre-président (Ministerpräsident), qu’il forme dès avril 1862, ne se réalisent pas. Au lieu de cela, il est muté à Paris, poste qu’il considère dès le départ comme temporaire, en attente de mieux. Au même moment, est dévoilée à son épouse la relation qu’il a entretenue avec l’électrice Katharina Orlowa, elle-même épouse du diplomate russe assigné à la Belgique, Nikolaï Alexeïevitch Orloff. C’est toutefois la dernière infidélité connue de Bismarck, il se voue désormais exclusivement à la politique.

À Berlin, l’opposition des libéraux au projet de réforme de l’armée se renforce, même si personne ne remet vraiment en cause la nécessité d’une telle réforme. En effet, à l’inverse de celles des autres grandes puissances, l’armée de la Prusse n’a pas grandi depuis 1815. En comparaison avec les forces autrichiennes, l’armée prussienne semble faible. Le service militaire n’existe de facto plus que sur le papier et les tentatives répétées d’intégrer la Landwehr, force armée constituée de tous les hommes en âge de combattre, dans l’armée régulière ont pour l’instant échoué. Et même si une union avec les libéraux sur le sujet est devenue possible, Guillaume Ier considère qu’un tel geste serait un signe de faiblesse venant de la couronne.

Cela attise les critiques des libéraux, ce qui conduit le parlement à rejeter le financement de la réforme. En mars 1862, l’assemblée est dissoute et un nouveau gouvernement est nommé. À la place des libéraux modérés, on trouve dans ce gouvernement des conservateurs comme le ministre de la Guerre Albrecht von Roon. Le Parti progressiste (Deutsche Fortschrittspartei) nouvellement fondé sort grand vainqueur de ce remaniement, pendant que le nombre de députés conservateurs diminue. Dans cette situation désespérée, Guillaume Ier considère sérieusement de se retirer au profit de son fils, le futur Frédéric III, à tel point qu’après une altercation avec les ministres du gouvernement, le roi écrit un brouillon de lettre de démission.

Le général Roon voit dans la nomination de Bismarck au poste de ministre-président la seule possibilité pour empêcher la prise de pouvoir du Kronprinz Frédéric, jugé libéral. Par un télégramme intitulé « Periculum in mora », suivi du mot : « Dépêchez-vous ! », il rappelle Bismarck à Berlin. Après 25 heures de train, le 20 septembre 1862, ce dernier rentre dans la capitale. Deux jours plus tard, il est reçu par le roi au château de Babelsberg. À propos du contenu de l’entretien, nous ne disposons que du compte rendu de Bismarck, qui doit être pour l’essentiel véridique contrairement à d’autres parties de ses mémoires. Bismarck conquiert le monarque encore réticent et devient son disciple le plus fidèle. Il promet de faire aboutir la réforme de l’armée mais tient à expliquer les causes des polémiques qui l’entourent. Selon lui, il faut se décider clairement entre un contrôle de l’armée par le parlement ou par le roi. Afin d’éviter que l’assemblée ne prévale, il est prêt à passer par « une période de dictature ». Le roi lui demande, en effet, s’il est prêt à soutenir la réforme quoi qu’il arrive, au besoin, en outrepassant un vote à la majorité du parlement. Bismarck ayant accepté, le roi se montre impressionné par sa décision et déclare : « Alors il est de mon devoir, de continuer la lutte avec vous et de ne pas abdiquer ». Le roi nomme Bismarck ministre-président et ministre des Affaires étrangères.

En opposition avec la fonction purement pratique qu’a jusqu’alors la question nationale, après 1866, la nation devient un important facteur d’intégration aux yeux de Bismarck. Il reconnaît ainsi que la capacité de survie de la monarchie, et de l’État fédéral associé, ne peut être assurée sur la durée que si la Prusse reste à la pointe du mouvement nationaliste. En même temps, apparaît le besoin, pour des raisons de puissance politique, d’unifier les États du Sud de l’Allemagne à la confédération de l’Allemagne du Nord et, par là-même, de réaliser l’unification totale de l’Allemagne sous domination prussienne.

Bismarck à Versailles en 1871 (à la droite de Bismarck et assis se trouvent les comtes Hatzfeld et von Keudell, debout de gauche à droite : les comtes de Wartensleben, Wellmann, Bismarck-Bohlen, Blanquart, Delbrück (avec un chapeau haut-de-forme), Zezulke, Bucher, Wiehr, Abeken, Willisch, Dr. Busch, Taglioni, Wagner et v. Holstein). Malgré la signature de traités d’alliances défensives avec les États du Sud, le pouvoir d’attraction de la confédération de l’Allemagne du Nord ne se montre pas assez fort pour les pousser à l’assimilation. Lors de l’élection pour le Zollparlament, les opposants à l’assimilation gagnent notamment à la fois en Bavière et dans le Wurtemberg. Bismarck est de l’avis que l’apparition d’une menace extérieure peut faire changer les opinions en sa faveur. Il n’essaie pourtant pas de créer une véritable situation menaçante, même s’il pense que l’unification se fera par les armes : « Une intervention volontaire, pour des raisons subjectives, a toujours eu dans l’Histoire pour effet de couper les fruits verts sur l’arbre. Et il me saute aux yeux dans ce sens, que l’unification allemande n’est pas un fruit mûr. »

Sur le plan de la politique extérieure, Bismarck sait qu’il lui faut compter avec une forte résistance de la France contre l’unification allemande. L’opinion publique française nomme « revanche pour Sadowa ! » les revendications territoriales qui conduisent à la crise luxembourgeoise, désamorcée en mai 1867 avec la neutralisation du Luxembourg. Bismarck se sert de l’aubaine pour renforcer le sentiment anti-français à l’aide d’article de journaux et de discours au parlement. Napoléon III estime que l’issue du conflit sera une défaite ; il fait par la suite tout afin de contrecarrer les ambitions prussiennes. On ne sait pas clairement si Bismarck est prêt à accepter la conquête du Luxembourg par la France et s’il cherche à en entraver le processus, ou s’il a calculé tout cela par avance. Dans tous les cas, les relations entre les deux puissances sortent grandement dégradées de cette crise. En 1869 et 1870, la crise successorale en Espagne donne à Bismarck l’occasion de déclencher une crise. L’homme politique incite ainsi le prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, qui fait partie de la branche catholique des Hohenzollern, la famille régnante en Prusse, à présenter sa candidature à la couronne d’Espagne. Ce dernier se montre d’abord réticent, et le roi également, mais le chancelier impose finalement ses vues. Ce faisant, il se livre à une véritable provocation vis-à-vis de Napoléon III. Bismarck sait en effet que s’il veut espérer une union sacrée des Allemands autour de la Prusse dans la guerre qui se profile contre la France, il faut que cette dernière ait le rôle de l’agresseur. Même s’il imagine des stratégies alternatives, il ne fait aucun doute sur le fait qu’à l’époque Bismarck cherche volontairement le déclenchement d’une guerre, comme il l’a lui-même reconnu dans son livre de souvenirs : « Je ne doutais pas de la nécessité d’une guerre franco-allemande avant de pouvoir mener à bien la construction d’une Allemagne unie ».

En France, la candidature prussienne a les effets escomptés, et on y craint d’être encerclé par des États sous contrôle Hohenzollern. La situation s’apaise avec le retrait de la candidature du prince Léopold. Guillaume Ier refuse toutefois d’obtempérer à la demande française en renonçant à toute candidature semblable dans le futur. Il en informe Bismarck dans la « dépêche d’Ems ». Ce dernier transforme alors la lettre et la transmet à la presse, en donnant au roi un ton très irrité. Napoléon III reçoit ainsi publiquement un énorme camouflet diplomatique. En conséquence, l’opinion publique française ne voit d’autre solution que de déclarer la guerre à la Prusse. En Allemagne, l’opinion publique est acquise à la cause de la Prusse et le ralliement des États du Sud est chose certaine, alors qu’à l’inverse la France est complètement isolée sur le plan international.

Le nouvel Empire reprend la constitution de la confédération d’Allemagne du Nord. Bismarck, cumulant les postes de Chancelier impérial, de président du Bundesrat, de ministre-président et de ministre des Affaires étrangères de Prusse, reste l’homme politique le plus puissant du nouvel État. Il peut de plus se targuer d’être le fondateur de l’Empire. Guillaume Ier le sait très bien, et c’est pour cela que la volonté du chancelier prime en général sur celle de l’empereur. Ce dernier déclare d’ailleurs : « Ce n’est pas simple d’être empereur sous un tel chancelier. »

Même si la vie de Bismarck est complètement régie par sa passion pour la politique et par son amour du pouvoir, il aspire en même temps, et avec une égale intensité, à être libéré de cette charge. Déjà en 1872, il déclare : « Je n’ai plus de carburant, je suis à bout. » Il affiche, lors de ses années à la chancellerie, non seulement des signes d’usure psychique, mais également physique. C’est pourquoi, il doit se retirer de manière de plus en plus fréquente dans ses domaines à la campagne pour des périodes allant jusqu’à plusieurs mois. Il boit et mange avec excès, et grossit de manière continue ; ainsi, en 1879, il affiche 247 livres à la balance, soit un peu moins de 112 kg. Il souffre d’innombrables maladies, pour certaines chroniques, comme les rhumatismes, l’inflammation des veines, les problèmes de digestion, les hémorroïdes et, avant tout, des insomnies dues à l’excès de nourriture. En plus de son amour immodéré du tabac et de l’alcool, ses contemporains, telle la baronne Hildegard von Spitzemberg, relatent aussi sa consommation de morphine. C’est seulement dans les années 1880, que son nouveau médecin, Ernst Schweninger, réussit à le persuader de mener une vie plus saine.

La famille joue un rôle majeur dans sa vie privée, mais dans ce domaine aussi il impose ses volontés. Quand, en 1881, son fils Herbert envisage d’épouser la princesse Elisabeth zu Carolath-Beuthen — divorcée, catholique et apparentée à de nombreux opposants de Bismarck, comme Marie von Schleinitz — il s’y oppose à la dernière minute, menaçant de le déshériter, puis de se suicider. Herbert cède, mais devient un homme aigri.

Bismarck, entier postal, Allemagne.

Bismarck retourne à Friedrichsruh plein d’amertume ; il ne renonce pourtant pas définitivement à la politique : « on ne peut pas me demander, après avoir fait quarante ans de politique, que, soudainement, je ne m’y intéresse plus du tout. » Seulement quelques jours après son départ, Bismarck annonce vouloir rédiger ses mémoires. Il y est aidé par Lothar Bucher, sans qui le travail n’aurait sûrement jamais été terminé. Pourtant, Bucher ne se plaint pas seulement du rapide désintérêt de Bismarck pour la rédaction de ses mémoires, mais également de la manière dont l’ancien chancelier tente volontairement de déformer la réalité : « En rien il ne veut être mêlé à tout ce qui a échoué, par contre il veut recevoir seul tout le mérite de ses succès. » Après la mort de Bucher, Bismarck retouche encore le manuscrit, mais le travail demeure inachevé. Les deux premiers tomes paraissent en 1898 et ils ont un grand succès. Le troisième tome sort en 1921.

Bismarck essaie de façonner sa future image historique. En même temps, il ne renonce pas à intervenir dans la vie politique. Peu après son retrait, il s’exprime de manière active dans la presse politique. Les Hamburger Nachrichten relatent en particulier ses déclarations. Bismarck critique ardemment son successeur, ce qui lui permet de s’attaquer indirectement à la personnalité de l’empereur. Lors de l’été 1891, Bismarck est élu au Reichstag pour la circonscription du Nord de Hanovre, sur l’initiative du jeune Diederich Hahn. Guillaume II croit au retour du nouveau chancelier en politique mais ce dernier ne met jamais les pieds dans sa circonscription, et il n’utilise pas ses pouvoirs. En 1893, il démissionne au profit de Diederich Hahn. Comme la presse politique l’a pressenti, Bismarck retrouve les grâces de l’opinion publique, surtout après que l’empereur a commencé à l’attaquer publiquement. De même, le nouveau chancelier Caprivi perd énormément en prestige lorsqu’il tente d’empêcher une rencontre entre l’empereur d’Autriche François-Joseph et Bismarck. Le voyage à Vienne tourne au triomphe pour l’ancien chancelier, qui déclare ne plus avoir de compte à rendre au gouvernement allemand actuel : « Tous les ponts sont rompus » annonce-t-il.

Par la suite, Guillaume II s’efforce de faire des gestes de réconciliation pour améliorer sa popularité. Plusieurs rencontres avec Bismarck, en 1894, ont des effets positifs, sans que cela apporte une réelle détente dans leurs relations. Par ailleurs, le crédit de Bismarck au Reichstag est si faible, que les membres de ce dernier ne parviennent pas à trouver un accord afin d’envoyer un télégramme souhaitant un bon anniversaire à l’ancien chancelier, à l’occasion de ses 80 ans. En 1896, Bismarck focalise toute l’attention de la presse allemande et internationale en rendant public le traité de réassurance, accord diplomatique secret jusqu’alors. La mort de sa femme en 1894 marque profondément Bismarck. À partir de 1896, son état de santé se dégrade nettement et il doit se déplacer en chaise roulante. Il cache à l’opinion publique et même à sa famille qu’il est touché par la gangrène et d’autres infirmités.

Otto von Bismarck meurt des suites de ces infirmités le 30 juillet 1898. Il repose aux côtés de sa femme, dans un mausolée érigé à Friedrichsruh.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

 

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