Norodom Sihanouk, homme d’état.

Norodom Sihanouk (en khmer : នរោត្តម សីហនុ), né le 31 octobre 1922 à Phnom Penh et mort le 15 octobre 2012 à Pékin, est un homme d’État cambodgien, figure dominante de la vie politique de son pays dans la seconde moitié du XXe siècle. Il a été tour à tour et parfois simultanément roi, Premier ministre, « chef d’État » du royaume, animateur de plusieurs gouvernements en exil, puis à nouveau roi.

Nommé le 24 avril 1941, à l’âge de 18 ans, roi du Cambodge alors sous protectorat français il fait accéder son pays à l’indépendance le 17 octobre 1953 avant d’abdiquer, le 3 mars 1955 au profit de son père pour remplir un rôle politique que la constitution refuse à sa fonction royale. Ayant fondé son propre parti politique, le Sangkum Reastr Niyum, Sihanouk dirige sans partage le royaume du Cambodge, d’abord comme Premier ministre, puis, après la mort de son père, en tant que « chef d’État ». Il fait, pendant la guerre froide, le choix du neutralisme, mais son hostilité envers l’ingérence américaine en Asie du Sud-Est le pousse à se rapprocher de l’URSS et de la Chine, tout en réprimant les communistes cambodgiens. Dirigeant autocratique, il est chassé du pouvoir le 18 mars 1970 par l’aile droite de son mouvement et forme alors un front de résistance avec ses anciens adversaires communistes, les Khmers rouges. Ces derniers prennent le pouvoir le 17 avril 1975 ; Sihanouk, officiellement chef de l’État, est cantonné dans un rôle de pure figuration. Il démissionne le 2 avril 1976 et est alors assigné à résidence tandis que les Khmers rouges massacrent une partie de la population du pays. Le Cambodge est envahi le 25 décembre 1978 par l’armée vietnamienne. Sihanouk, réfugié à l’étranger, prend le 22 juin 1982 la tête d’une coalition contre l’occupation vietnamienne, qui continue à inclure les Khmers rouges. Après des accords de paix, il rentre au Cambodge et partage alors le pouvoir avec les anciens communistes pro-vietnamiens, tandis que les Khmers rouges sont exclus de la transition politique. Redevenu roi le 24 septembre 1993, il abdique le 7 octobre 2004.

Qualifié de « fou génial » par un ancien responsable militaire de l’Indochine française, ses détracteurs lui reprochent son instabilité alors que ses sympathisants louent sa capacité à retourner des situations qui paraissaient compromises.

Quand il était vénéré comme un dieu-roi, il se faisait appeler Samdech Euv (« Monseigneur Papa »), mais après son abdication, en 2004, il prit le titre officiel de Preah Karuna Preah Moha Virak Ksatr Preah Vorakreach Beida Cheat en khmer, traduit par « roi-père » dans les langues occidentales.

Considéré comme l’un des pères fondateurs de la francophonie, avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Nigérien Hamani Diori, Norodom Sihanouk était également, à ses heures, réalisateur de films.


La carrière politique de Norodom Sihanouk débutait en 1941, lorsque à la mort de son grand-père le roi Sisowath Monivong, il a été appelé à lui succéder sur le trône. Ce sera aussi l’occasion de la première des nombreuses controverses qui alimenteront sa vie. Alors que sa biographie se contente de déclarer laconiquement qu’il « est élu Roi du Cambodge par le Conseil de la Couronne, à Phnom Penh », il écrira dans ses mémoires qu’il a été choisi par l’amiral Decoux, alors gouverneur général de l’Indochine au détriment de Sisowath Monireth, fils du roi défunt car la France pensait que le jeune roi serait plus facile à manœuvrer que son oncle. L’amiral Decoux donne cependant dans ses mémoires une version tout opposée et prétend qu’alors que les autorités coloniales avaient manifesté leur préférence pour Monireth qui était allé suivre une formation militaire en France, elles avaient dû s’incliner devant l’ancêtre du Conseil du Trône qui choisissait à l’unanimité le jeune Norodom Sihanouk. On notera quand même que la première version fait quasiment l’unanimité.

Les quatre premières années de son règne, Norodom Sihanouk fut un monarque accommodant et un élève volontaire. Ses activités étaient fermement contrôlées par l’administration française qui le laissait entreprendre quelques réformes législatives et protocolaires mesurées et l’encourageait à effectuer des visites dans les campagnes, une coutume à laquelle il prendra goût et qu’il affectionnera durant le reste de sa carrière.

En mars 1945, l’Empire du Japon prenait le contrôle de l’Indochine, détruisant l’administration coloniale française. Pressé par les Japonais, Norodom Sihanouk proclama l’indépendance du Cambodge, mais sans trop s’avancer dans la collaboration avec le nouvel occupant. Il fut de ce fait très vite mis sous la tutelle de Son Ngoc Thanh, dirigeant nationaliste jusque-là en exil à Tokyo qui, par sa francophobie, offrait de meilleures garanties de soutien aux autorités nippones. Son Ngoc Thanh, se proclama chef du gouvernement dans la nuit du 8 au 9 août. Cette première indépendance, toute relative, sera de courte durée et prendra fin en octobre de la même année, quand les Français revenant aux affaires, emprisonnaient Son Ngoc Thanh en métropole et le remplaçaient sur place par Sisowath Monireth.

Toutefois, la situation au Cambodge n’était plus celle d’avant-guerre et le nouveau chef de gouvernement réclamait une certaine autonomie pour son pays ; il obtenait la création d’une assemblée au rôle consultatif et la rédaction d’une constitution. Le jeune roi tint alors à sortir de son rôle de figuration et demanda deux amendements importants : alors qu’il était prévu d’élire l’assemblée au suffrage censitaire et d’ainsi favoriser les élites locales, Norodom Sihanouk insista pour qu’il lui soit substitué le suffrage universel. Il demandait aussi que la rédaction de cette constitution qui devait être l’œuvre d’un comité soit en fait dévolue à l’assemblée élue.

Les élections eurent lieu en septembre 1946 et virent la victoire du Parti démocrate proche des milieux indépendantistes. À cette occasion, le roi entravera les manœuvres d’intimidation du pouvoir colonial et de Monireth qui pour des raisons diverses voulaient éviter cette victoire. Il devra ensuite insister auprès de son oncle pour qu’il accepte de laisser la place au Prince Sisowath Youtevong, dirigeant du parti vainqueur.

Les démocrates, désireux de faire accéder le Cambodge à l’indépendance tentèrent de réécrire la constitution et Youtevong fit des séjours fréquents au Palais pour présenter des amendements. Norodom Sihanouk fit alors preuve d’une « ardeur juvénile » pour ces réformes, mais pas d’une forte assiduité. Cette passivité peut paraître surprenante, si on se rappelle que plus tard il n’hésitera pas à présenter la constitution comme un cadeau qu’il avait fait au peuple cambodgien. Les démocrates firent alors une erreur de jugement concernant le jeune monarque, mettant, à tort, sa timidité et sa complaisance sur le compte d’un engouement pour les réformes démocratiques et par la même, pour une limitation de ses pouvoirs et privilèges.

Le pouvoir colonial décidait dans le même temps de parfaire la formation du monarque et l’envoyait en 1946 et 1948 à l’école d’application de l’arme blindée et de la cavalerie de Saumur. Il s’agissait pour lui du premier voyage hors des limites de l’Indochine française et outre le séjour en métropole, il profitera du trajet pour également visiter Singapour, la Birmanie, les Indes britanniques, Ceylan, l’Arabie saoudite et l’Égypte. Il s’agissait alors d’un avant-goût des nombreuses tournées à l’étranger qui rythmeront sa longue carrière.

Sur le plan politique, le Parti démocrate cambodgien, malgré sa situation de mouvement majoritaire, perdit rapidement de sa cohérence. Sisowath Youtevong mourut dès juillet 1947, compromettant l’unité du parti, auquel la victoire aux élections de novembre ne suffisait pas à apporter la sérénité. Les Français étaient en outre inquiets des liens de certains membres du Parti avec les rebelles indépendantistes Khmers Issarak. La chambre étant dominée par les démocrates divisés, le Cambodge souffrait d’instabilité ministérielle. Norodom Sihanouk, profitant des dissensions au sein du parti majoritaire, décidait finalement de dissoudre l’assemblée le 18 septembre 1949. Prétextant l’insécurité régnant dans certaines régions, il s’abstint d’organiser de nouvelles élections.

Cela lui permettait de diriger le pays par décret. Dans le même temps, Jean de Raymond, le nouveau commissaire de la République française, louait l’apolitisme et la bonne intelligence qui régnait dans le nouveau gouvernement. En plusieurs autres occasions, le commissaire mentionnait le contraste entre le patriotisme de Norodom Sihanouk et l’« immaturité » des élus cambodgiens. Flatté par ce jugement, il n’allait pas tarder à partager ce point de vue.

La position de Sihanouk était encore renforcée par la défection de Dap Chhuon, l’un des chefs Khmers Issarak, qui annonçait, le 1er octobre, un ralliement au gouvernement royal avec ses 400 hommes, ralliement confirmé lors d’une cérémonie grandiose dans le parc d’Angkor Thom. Chhuon devint le commandant du Corps franc khmer et contrôlait le nord de la province de Siem Reap. Il y fit cependant preuve d’une indépendance et d’une indiscipline totales, faisant à l’occasion double jeu avec les Issarak qu’il ravitaillait de temps à autre et menaçait de rallier en cas d’atteinte à sa liberté d’action.

Sihanouk négocia aussi avec les Français pour faire évoluer le statut de son pays, et, le 8 novembre 1949, il signait avec la puissance coloniale un traité franco-khmer, qui abolissait formellement le protectorat et reconnaissait l’autonomie du Cambodge dans le cadre de l’Union française. Sihanouk prétendra plus tard qu’il s’agissait d’une « indépendance à 50 % ». La France gardait la mainmise sur l’économie et la défense mais faisait quelques concessions en matière de relations extérieures. Le royaume khmer pouvait recevoir des légations diplomatiques, préalablement accréditées par le pouvoir colonial et envoyer des représentants à l’étranger. Les États-Unis et le Royaume-Uni reconnurent aussitôt les nouveaux états du Cambodge, Laos et Viêt Nam ; l’aide économique et militaire américaines ne tardèrent pas à affluer. La demande pour être membre de l’Organisation des Nations unies essuya par contre un veto de l’URSS, mais le royaume put quand même rejoindre certains organismes internationaux tels l’Organisation mondiale de la santé ou l’UNESCO.

Sentant que le temps travaillait pour leur pays, Sihanouk et son nouveau Premier ministre, Yem Sambaur, maintenaient la pression sur les autorités françaises. Comme beaucoup de leurs compatriotes, ils étaient circonspects quant au maintien d’une Indochine au sein de l’Union française qui serait dominée par les Vietnamiens. Ils espéraient également pouvoir obtenir de l’ancienne puissance coloniale la reconnaissance de ce qu’ils estimaient être les droits inaliénable du Cambodge sur la Cochinchine. De ce fait, ils refusaient de signer un accord sur la frontière khméro-vietnamienne qui aurait constitué de facto un renoncement à leurs prétentions. Les Français trouvaient cette position totalement utopique. Partageant le même point de vue, un diplomate britannique écrivait dans une note retrouvée par David Chandler, que les Cambodgiens « perdaient le sens des réalités et qu’ils étaient un cas classique de peuple qui essayait de courir avant de savoir marcher ».

En janvier 1953, alors que la nouvelle session parlementaire s’ouvrait, les démocrates étaient prêts à en découdre avec le roi. Ils estimaient que leur victoire aux élections leur donnait le droit de diriger le pays, même si leur gouvernement avait été dissout. Le 11, Sihanouk s’adressait au parlement et demandait qu’on lui accorde des pouvoirs spéciaux car la patrie aurait été en danger, prétextant des grèves dans des lycées de Phnom Penh et Kampong Cham, ainsi que l’assassinat d’un gouverneur de province par le Việt Minh[1]. Il attribuait la responsabilité des troubles à Son Ngoc Thanh et reprochait aux démocrates de supporter le leader indépendantiste. Sihanouk espérait que ces derniers allaient démissionner ou refuseraient sa demande et qu’il pourrait alors les écarter. Ils choisirent la seconde option et le roi fit encercler l’assemblée par la troupe, la fit dissoudre et abrogea une série de droits civiques[2]. Il annonçait en outre une série de réformes, et l’évolution vers une indépendance « pleine et entière ».

Le Cambodge était-il réellement en danger ou Sihanouk essayait-il d’accroitre son pouvoir ? Dans ses mémoires, Sisowath Monireth indique que certains démocrates, blessés par la conduite de Sihanouk l’année précédente, désiraient profiter de l’ouverture de la nouvelle session parlementaire pour demander l’instauration d’une république. La tentative serait venue aux oreilles de la princesse Kossamak, mère de Sihanouk, grâce à l’épouse délaissée d’un député. Furieuse, elle aurait ordonné à l’imprimerie royale de préparer un décret demandant la dissolution de l’Assemblée qu’elle ferait signer à son fils. Si la thèse parait crédible, il semble toutefois que le « conjuration » en soit restée au stade de discussions entre personnes déçues par des années d’humiliation. Toujours est-il que fort de ces pouvoirs spéciaux Sihanouk fit emprisonner 17 démocrates, dont 9 anciens députés, pour « complot contre l’État ». Ils furent détenus 8 mois sans qu’ils passent jamais en jugement. Un éditorialiste tempérait peu après la portée de l’évènement, rappelant que les Cambodgiens ont l’habitude depuis des siècles de vivre dans une société « paternaliste et autoritaire » et que l’absence de réaction à l’incarcération des responsables démocrates prouvait l’assentiment populaire pour la mesure. En février 1953, Sihanouk partait pour la France, officiellement pour des vacances, en réalité pour tenter d’arracher plus de concessions au pouvoir colonial.

Personne n’attendait quoi que ce soit d’important du séjour en France de Norodom Sihanouk. Les autorités coloniales au Cambodge approuvaient l’action du Prince qui avait démantelé le gouvernement issu des élections législatives et espéraient qu’il exercerait un pouvoir absolu mais préserverait leurs intérêts militaires et financiers. La francophilie du roi semblait les prémunir contre des demandes inconsidérées.

Norodom Sihanouk était en train de devenir un puissant dirigeant politique. Il estimait que le pouvoir des Français en Indochine touchait à sa fin. En outre, l’opposition politique venait de disparaître. Les démocrates avaient été les seuls à avoir milité pour une indépendance dans un cadre constitutionnel. Maintenant, Sihanouk allait faire sienne leur cause sans pour autant les en créditer d’aucune paternité. Comme il allait plus tard le montrer à maintes reprises, sous des dehors hautains, il cachait en fait un sens insoupçonné de la stratégie.

Entre février et novembre 1953, le roi menait une campagne pour redonner l’indépendance au Cambodge. La croisade allait devenir son heure de gloire, même si son implication tardive et sa francophilie faisaient au départ douter ses interlocuteurs de sa sincérité. Les Français étaient étonnés que les vacances du monarque se transforment ainsi en visite d’État et surpris par la lettre qu’il adressait au président Vincent Auriol dans laquelle il affirmait que la population cambodgienne « unanime espérait résolument l’indépendance ».

Jean Letourneau, le Ministre des Relations avec les États associés, fit savoir à Sihanouk que ses initiatives paraissaient déplacées. N’ayant obtenu aucune concession, le monarque décidait d’abréger son séjour et de rentrer en passant par le Canada, les États-Unis et le Japon. À Washington, il fut mis en garde par John Foster Dulles, le Secrétaire d’État américain, contre une indépendance prématurée du Cambodge qui lui semblait déraisonnable. Sans la protection des Français, il pensait que le royaume khmer ne serait pas long à tomber aux mains des communistes. « Profondément désabusé » par cet entretien, il accordait une interview au New York Times qui d’après Sihanouk fit l’effet d’une bombe sur l’opinion américaine et mondiale. Il demandait que les Français accordent aux différentes composantes de l’Indochine française un statut équivalent à celui des pays du Commonwealth et affirmait que si l’indépendance était reportée, les Cambodgiens pourraient « se révolter contre le régime actuel et rejoindre le Việt Minh ». L’interview eut au moins un des effets désirés : peu après sa publication, les Français faisaient savoir qu’ils acceptaient de rouvrir des pourparlers avec les négociateurs de Sihanouk restés à Paris. À la fin avril 1953, le roi se rendait au Japon quand il aurait reçu un message de Dulles le poussant à coopérer avec les Français.

De son voyage aux États-Unis, Sihanouk avait acquis la conviction que les Américains et leur politique étaient méprisants à son égard. Il trouvait choquants les sermons de Dulles et était déçu que le Président Eisenhower ait refusé de l’inviter à un dîner officiel. Par opposition, à partir de 1955 et surtout dans les années 1980, la république populaire de Chine et la France, ses principaux supports, prenaient garde à toujours le traiter avec déférence et d’en faire l’interlocuteur principal de toute discussion concernant son pays. Sa défiance envers les États-Unis aura des conséquences non négligeables sur l’histoire contemporaine du Cambodge.

Pendant ce temps à Paris, les Français comme promis entamaient des négociations sur les demandes de Sihanouk. Ils n’étaient toujours pas désireux de céder le contrôle militaire des zones près de la frontière vietnamienne sous domination Việt Minh et découpler les exportations cambodgiennes avec celles de la Cochinchine, où leurs intérêts s’accroissaient. Le roi était contrarié mais allait être réconforté par les soutiens quasi unanimes qu’il trouva à son retour au Cambodge en mai 1953.

Pour se soustraire aux conseillers coloniaux, Sihanouk déplaçait son quartier général à Siem Reap près des temples d’Angkor. Il bombardait les Français de demandes et accueillait les Khmers Issarak qui rejoignaient sa cause. Le général de Langlade, le commandant militaire français au Cambodge, écrivait à ses supérieurs que la situation dans le royaume khmer était désespérée. Il affirmait qu’une victoire militaire nécessiterait 15 bataillons coloniaux supplémentaires, alors qu’abandonner le pays le conduirait à l’anarchie. Peut-être pensait-il qu’accorder l’indépendance serait un moindre mal. Après tout, le roi ne prétendait-il pas que si on lui accordait une totale autonomie, il veillerait à ce que le pays reste proche de la France pour 90 nouvelles années. Le général concluait sa lettre en prétendant que « les Cambodgiens » – il devait penser à Sihanouk – « étaient vaniteux, susceptibles, idiots et très têtus ». Il trouvait vain de vouloir les attaquer de front, alors qu’au contraire, si on savait prendre ses habitants, on pouvait s’attacher le pays pour de nombreuses années.

Sihanouk, dans le même temps restait à Angkor, isolé des missions diplomatiques et de la presse étrangère. Sa croisade était immobilisée. À la mi-juin, il décidait d’aller à Bangkok pour sensibiliser le public à sa croisade. Quand il arriva dans la capitale thaïlandaise, ses porte-paroles abreuvèrent les missions diplomatiques et les agences de presse locales de notices explicatives, réaffirmant les revendications indépendantistes cambodgiennes. Les Thaïs le remercièrent de sa confiance mais ne lui fournirent aucune aide. Lassé au bout de quelques jours par l’inactivité, Sihanouk retourne de mauvaise humeur à Siem Reap. Son escapade convainquit toutefois les Français du caractère instable du monarque et leur fit penser qu’il était sous l’influence au moins partielle des milieux francophobes et du Việt Minh.

Fin juin, Joseph Montllor, chargé d’affaires américain à Phnom Penh rencontrait Jean Risterucci, le commissaire français au Cambodge. Celui-ci lui confiait qu’il craignait que le roi ait excité le peuple avec une force telle que la situation risquait d’échapper à tout contrôle. Quelques jours plus tard, d’après David Chandler, Risterucci s’était ravisé et dans un autre entretien déclarait que l’histoire en marche était du côté des Cambodgiens. D’autres sources confirmaient que l’opinion khmère se rangeait largement derrière la croisade royale. Pour la plupart, il était temps que les Français s’en aillent. Les renseignements coloniaux abondaient dans ce sens en déclarant que « pour le roi, l’indépendance immédiate était une fin en soi, peu importe que le pays soit localement instable à cause d’une politique démagogique ».

Dans le même temps, en France, le gouvernement Laniel cherchait un moyen honorable de mettre un terme à la « sale guerre » en Indochine. Les négociations avec le Cambodge répondaient aux initiatives gouvernementales et permettaient d’envoyer les forces armées sur d’autres théâtres d’opérations. Sihanouk était pour sa part réticent à partager le crédit des événements ou à lier le destin du Cambodge à celui du Laos ou du Viêt Nam. Il vit que les Français étaient prêts à accéder à ses demandes et à négocier directement avec lui de la seule question cambodgienne. Afin de renforcer sa position, il mobilisait des forces populaires pour « défendre le pays contre l’insécurité, le Việt Minh et éventuellement toute agression étrangère » ; la dernière allusion visait de manière peu détournée les Français. À la fin août, les forces armées comprenaient quelque 130 000 personnes, mal armées mais enthousiastes. Une demande était faite aux autorités coloniales pour les équiper, mais elle restera sans réponse.

Les négociations aboutissaient, le 17 octobre, à la signature d’une convention qui transférait aux autorités cambodgiennes le contrôle de la police, de l’appareil judiciaire et d’une grande partie des forces armées. Le pouvoir colonial conservait la direction des opérations militaires à l’est du Mékong. À part cette restriction, le Cambodge présentait tous les signes de l’indépendance, ce qui ne signifiait pas pour autant qu’il était sûr. Peut-être près d’un district sur six était sous le contrôle de la guérilla et plus de la moitié du pays subissait la nuit des attaques des Khmers Issarak ou du Việt Minh.

Une fois l’indépendance acquise, Sihanouk fit le voyage de Siem Reap à Phnom Penh, acclamé par des milliers de sujets enthousiastes. Ce retour, qui intervenait deux ans jour pour jour après celui de Son Ngoc Thanh, était encore plus triomphal que le précédent. Le 7 novembre, un corps composé de parlementaires de l’assemblée dissoute 11 mois plus tôt, élevait Sihanouk au rang de héros national. Deux jours plus tard, le 9 novembre 1953, l’indépendance du Cambodge était officiellement proclamée.

Après cette victoire, une nouvelle partie commençait pour Sihanouk. Il n’avait alors pas de plan pour gouverner le Cambodge. Sa tournée avant sa croisade ne lui avait pas permis d’élaborer le début d’une politique étrangère ; il n’avait pas défini de modèle économique et encore moins des priorités. Cependant, il avait dirigé son pays et l’avait amené à l’indépendance. Il avait réussi là où ses adversaires avaient échoué.

Dans les six mois qui suivirent, la France et le Việt Minh, poussés par les grandes puissances, engageaient des discussions à Genève. Dans le même temps, Sihanouk voulait montrer que le Cambodge était capable de s’assumer militairement. Il dirigeait, lors de l’opération Samaki (solidarité), une unité de l’armée cambodgienne dans une zone du nord-ouest du pays aux mains des rebelles. L’intervention de dix jours qui mobilisa un peu plus de 6 000 personnes permit de faire six prisonniers et de récupérer une trentaine de grenades. D’après Ben Kiernan, le Việt Minh espérait créer une zone de regroupement dans la région avant que ne débutent les négociations à Genève, mais l’opération en empêchera la réalisation.

En juin 1954, lors d’une conversation avec le général Paul Ély, commandant militaire français de l’Indochine, il affirmait que « ceux qui favorisent la démocratie au Cambodge sont des bourgeois ou des princes … Le peuple cambodgien est un enfant. Ils (les Cambodgiens) ne connaissent rien à la politique et ne s’en soucient guère ». Ces vues étaient partagées par les partisans de Sihanouk et ses conseillers français qui s’étaient succédé depuis 1947. Le monarque ne renoncera jamais à cette idée héritée du pouvoir colonial qui voudrait que les Cambodgiens soient restés des enfants à qui seul un gouvernement autoritaire et paternaliste pouvait être appliqué. Sihanouk, de ce fait, ne voyait pas l’intérêt de modifier un tant soit peu sa manière de gouverner ; il maintenait des liens culturels étroits avec la France qui partageait son point de vue.

La conférence qui aboutira aux accords de Genève. Dans le même temps, à la conférence qui venait de s’ouvrir à Genève, alors que les affaires du royaume khmer ne devaient occuper qu’une place limitée dans l’agenda, la délégation cambodgienne emmenée par Tep Phan, le ministre des Affaires étrangères de Sihanouk, et le général Nhiek Tioulong fit preuve d’une pugnacité inattendue pour défendre les acquis obtenus 8 mois plus tôt. Ils obtinrent, contrairement au Laos, qu’aucune partie du pays ne soit administrée par les alliés Khmers Issarak du Việt Minh, arguant que ceux-ci n’avait pas pris part au processus qui amena à l’indépendance. En outre, les Accords de Genève, signés le 20 juillet 1954, reconnurent également au Cambodge, et contrairement là aussi au Laos et au Viêt Nam, le droit, en cas de besoin de faire stationner des forces étrangères sur son territoire. Norodom Sihanouk attribuait à sa croisade – niant le rôle préparatoire qu’avait pu jouer les différentes guérillas – ce résultat qui renforçait son royaume sur le plan international.

Après avoir en septembre 1954 tenté, sans succès, de rejoindre le gouvernement, Son Ngoc Thanh se réfugiait près de la frontière thaïlandaise où avec le soutien de Bangkok, il regroupa quelque 2 000 Khmers Serei (Khmers libres) dans un camp paramilitaire. On peut aujourd’hui penser que le consentement américain accordé aux supports sud-vietnamien et thaïlandais à Thanh ainsi qu’aux divers complots qui se succéderont lors des années 1950 a contribué à altérer la confiance que Sihanouk aurait dû avoir envers Washington. Son oncle, Monireth, réputé pro-occidental, écrivait dans ses mémoires que les officiels américains pratiquaient vis-à-vis du Cambodge une politique naïve et envahissante. D’après lui, après les accords de Genève, les États-Unis bénéficiaient de nombreux atouts, notamment avec l’anticommunisme viscéral des élites de Phnom Penh, mais les perdirent l’un après l’autre en quelques années à cause de leurs maladresses.

Dans le même temps et en prévision des élections prévues en 1955 par les accords de Genève, Yem Sambaur, Sam Nhean, Nhiek Tioulong et Lon Nol, les responsables des petits partis n’ayant aucun siège dans l’assemblée précédente, s’associaient au sein de Sahapak (le Parti Unifié). Ils cherchaient une stratégie pour laisser les démocrates hors-jeu et gouverner le pays. Ces dirigeants ayant été parmi ses plus proches collaborateurs, Sihanouk, ne fut pas long à leur accorder son soutien. Le roi comptait sur leur capacité d’organisation alors qu’en contrepartie ils espéraient bénéficier de la popularité du monarque. Cette alliance perdurera jusqu’à la déposition de Norodom Sihanouk en 1970.

Le 2 janvier 1970, le prince fatigué par ses efforts, démoralisé par l’affront que l’Assemblée lui avait fait subir et souffrant de surmenage, se faisait admettre à l’hôpital Calmette. Le 6 du même mois, le palais royal annonçait son départ le soir même pour la France où il devait poursuivre son traitement médical. L’embarquement se faisait sans le cérémonial habituel et des proches remarquèrent que ses bagages étaient plus volumineux qu’à l’accoutumée. Peut-être espérait-il renverser la situation vis-à-vis de Sirik Matak en profitant de son séjour à l’étranger pour demander à la Chine et à l’URSS, qu’il projetait de visiter avant de rentrer, de faire pression sur leur allié vietnamien et l’obliger à réduire son implantation au Cambodge. Peut-être espérait-il aussi que des tensions allaient apparaître entre Lon Nol et Sirik Matak et qu’il serait rappelé tel un sauveur. Si un tel raisonnement s’était avéré efficace par le passé, ce ne sera pas le cas cette fois.

Norodom Sihanouk, épreuve de luxe, Cambodge.

Toujours est-il qu’avec les absences conjuguées de Lon Nol et de Norodom Sihanouk, Sirik Matak et ses partisans avaient une occasion unique de mettre en place les mesures libérales qu’ils souhaitaient depuis longtemps et de s’opposer plus fermement à l’occupation vietnamienne des zones frontalières. Le gouvernement était alors prêt à mettre à bas les fondements de la politique suivie jusque-là par le monarque et à réorganiser l’armée en une véritable force de combat. Il espérait par ces mesures pouvoir redynamiser les entrepreneurs du pays. Malheureusement pour lui, une telle politique nécessitait le soutien des États-Unis dont Sirik Matak se considérait proche, mais les Américains étaient engagés dans un retrait de l’Asie du Sud-est.

En janvier, le bureau d’aide mutuelle mis en place quelques années auparavant par Sihanouk pour fournir diverses assistances fut fermé. Ses recettes provenaient de celles des films du monarque, des droits d’entrée au casino et de « contributions volontaires » de hauts fonctionnaires. Les fonds ainsi collectés servaient à dédommager les victimes des bombardements et de la guérilla ainsi qu’à acheter des cadeaux de toutes sortes. Si la raison invoquée était un déficit chronique, il semble bien qu’en fait le gouvernement voulait surtout limiter l’influence de Sihanouk.

À la mi-février, Lon Nol était de retour. Avant de rentrer, il avait eu un entretien avec Sihanouk, où, d’après certaines rumeurs, une stratégie antivietnamienne aurait été élaborée, mais rien ne permet de confirmer cette thèse. D’après le journaliste Pierre Max, le général aurait aussi tenté de convaincre le prince de revenir rapidement, mais en vain.

Sitôt arrivé, le général adoptait une série de mesures antivietnamiennes et prenait contact avec Son Ngoc Thanh, le vieux leader nationaliste réfugié depuis des années à Saïgon où il vivait des subsides de la république du Viêt Nam et de la CIA en échange du recrutement de volontaires au sein de la communauté khmère Krom. Plusieurs centaines de ces combattants avaient déjà déserté dans les derniers mois pour rejoindre Sihanouk qui les accueillit à bras ouverts dans l’armée. Ces fantassins, bien équipés et entraînés permettaient de mettre la pression sur les troupes vietnamiennes stationnées au Cambodge. Le monarque n’y voyait pas de risque, pensant que l’antagonisme entre Son Ngoc Thanh et Lon Nol le prémunissait contre une alliance à son encontre[8]. Ces contacts servaient les intérêts du commandement militaire américain de Saïgon, mais inquiétaient la petite mission diplomatique de Phnom Penh, et certains cercles de Washington qui craignaient les conséquences d’une extension du conflit. Toutefois, le temps passant, le président Nixon se rangeait de plus en plus derrière les vues des premiers nommés, estimant que le maintien des refuges de l’autre côté de la frontière pouvait retarder le retrait des forces américaines du Viêt Nam.

L’escalade se poursuivait et, le 11 mars, des manifestations se déroulaient devant les ambassades de la République démocratique du Viêt Nam et du Front national de libération du Sud Viêt Nam. Les émeutiers entrèrent dans les bâtiments et les mirent à sac. Les diplomates présents eurent juste le temps de prendre leurs jambes à leur cou. La police, aux ordres d’Oum Manorine, le beau-frère de Sihanouk, ne fit rien pour réprimer ces actes de violence. Durant la nuit, des bandes dispersées investirent les quartiers vietnamiens de la capitale, mirent à sac les églises catholiques, pillèrent les commerces et agressèrent les passants.

Depuis Paris, Sihanouk affirmait que ces manifestations découlaient d’un complot visant à « jeter notre pays dans les bras d’une puissance impérialiste capitaliste ». Il promit de rentrer dans les plus brefs délais et demander « à la nation et à l’armée » de choisir entre lui et les « personnalités » à l’origine de ces troubles, ajoutant « Si elles choisissent de suivre ces personnalités dans la voie qui fera du Cambodge un second Laos, qu’elles me permettent de démissionner ». Interrogé par le New York Times, il répondit que les communistes devaient maintenant choisir entre respecter la neutralité du Cambodge ou voir un gouvernement pro américain s’installer à Phnom Penh.

Peu après, il changea ses plans. Plutôt que de rentrer directement, il décidait de passer par Moscou et Pékin, comme initialement prévu. Dans la nuit qui précédait son départ, il eut une conversation à l’ambassade du Cambodge au cours de laquelle il menaçait de faire exécuter le gouvernement de sauvetage. Cet entretien fut enregistré à l’insu du prince et envoyé à Phnom Penh ; il y suscita un émoi qui allait précipiter la chute du monarque. Jusqu’au dernier moment, les projets de Sihanouk demeuraient confus. Le 16 mars encore, il était espéré pour le 20. Le 9, il avait dîné à la Tour d’Argent avec Pierre Marx qui affirma que le prince l’aurait assuré qu’il ne négligeait pas la menace vietnamienne, mais qu’il ne pouvait lutter seul contre eux. Il pensait que sa seule chance était d’utiliser ses bonnes relations avec les dirigeants soviétiques et chinois pour obtenir qu’ils fassent pression sur leur allié et qu’ils l’amènent à quitter ses sanctuaires.

À Phnom Penh, les attaques personnelles contre le prince et son entourage se multipliaient à l’assemblée. Toutefois, ces critiques étaient loin de faire l’unanimité et beaucoup continuaient à considérer Sihanouk comme incontournable et espéraient toujours le voir revenir rapidement. La route menant de l’aéroport au Palais royal avait été refaite et se préparait à être pavoisée. Le parlement, de son côté, avait décidé d’envoyer Yem Sambaur et Norodom Kanthoul à Moscou pour mettre le monarque au courant de la situation et lui demander de hâter son retour, mais il fit savoir qu’il refuserait de les recevoir. Il resta plus longtemps que prévu à Moscou et retarda son retour d’une semaine. Plus tard il justifiera ces atermoiements par des craintes pour sa sécurité, défiance confortée par un message qu’il reçut de la reine Kossamak. Toujours est-il que ces retards allaient lui coûter son poste de chef de l’État.

Quand Sihanouk arriva à Moscou, Nikolaï Podgorny lui conseilla de rejoindre Phnom Penh sur le champ afin que le Cambodge ne bascule pas dans le camp proaméricain, mais le monarque préféra passer outre. Il aurait affirmé au président du Præsidium du Soviet suprême qu’avant de prendre une décision, celle-ci devait être mûrement réfléchie et dans le cas présent, beaucoup d’éléments devaient être pris en compte.

Le 7 octobre 2004, toujours depuis Pékin, Norodom Sihanouk annonçait son abdication. Elle semble avoir été motivée par deux raisons principales. La première avait été l’impuissance qu’il avait ressentie un an auparavant lorsqu’il essaya d’imposer une solution à la crise née des élections. La seconde était l’émergence d’un courant antimonarchique au sein de la société cambodgienne qui lui faisait craindre que la royauté ne puisse lui survivre s’il ne réglait pas sa succession de son vivant. Malgré les demandes répétées du monarque démissionnaire, rien n’avait été fait jusqu’alors pour définir avec précision le fonctionnement du Conseil du trône ; à la suite de l’annonce, l’Assemblée dut y remédier dans l’urgence.

Pour le choix du nouveau roi, Norodom Sihanouk avait depuis longtemps milité en faveur de Sihamoni, un des deux fils qu’il avait eu avec la reine Monique et qui avait partagé avec lui sa mise en résidence surveillée au Palais royal entre 1976 et 1978. Féru d’art, il avait en outre l’avantage de ne pas s’être impliqué dans un parti politique comme l’étaient certains de ses demi-frères. Hun Sen se rangea assez vite derrière ce choix pour un des membres les moins turbulents de la famille royale, imité dans la foulée par Ranariddh qui avait depuis peu perdu espoir de succéder à son père.

Le 15 octobre, le conseil du trône adoptait à l’unanimité la proposition de Sihanouk et nommait Norodom Sihamoni nouveau roi du Cambodge. Le couronnement eu lieu le 29 du même mois. Malgré ce nouveau retrait, celui qu’il fallait maintenant appeler le « roi-père » continuait à suivre l’actualité et les articles de presse le concernant, n’hésitant pas au besoin à réagir par des communiqués quand les propos ne lui convenaient pas.

Il reparut sur le devant de la scène au début de 2005, lorsque des pourparlers s’engageaient pour rediscuter du traité conclu en 1985 avec le Viêt Nam au sujet de la délimitation de leur frontière commune. Cette convention avait été rendue caduque par le fait que l’un des deux signataires, la République populaire du Kampuchéa, n’était pas reconnu par la communauté internationale et que l’armée du second occupait le Cambodge. Une nouvelle tentative de démarcation des frontières avait été orchestrée au début des années 1990 par l’Autorité provisoire des Nations unies mais s’était heurtée à un refus thaïlandais. Le roi père demandait aux autorités françaises de lui faire parvenir les documents cartographiques datant du protectorat et proposait de présider une commission de sages chargés d’aller sur le terrain procéder à la délimitation. Un décret en ce sens fut signé par le nouveau roi le 10 mai, mais devant les difficultés qui s’amoncelaient, Norodom Sihanouk préféra démissionner en août de la même année de son poste de président du Conseil national supérieur chargé des frontières. Le travail se poursuivit néanmoins laborieusement et prit fin avec la pose, le 12 juin 2012, de la dernière borne.

Le 26 mai 2006, le roi père et la reine mère étaient de retour à Phnom Penh. Les activités de Sihanouk se limitaient à une aide aux plus démunis, sa participation à des événements culturels, quelques entrevues avec des visiteurs étrangers, la relance de ses activités cinématographiques et toujours la rédaction de communiqués en réponse à des articles de la presse internationale ou d’ouvrages le concernant. Mais le rythme des réceptions officielles l’épuisait et il se retirait en août à Siem Reap, puis, à la fin de l’année, à Pékin où il subira des examens médicaux.

Peu après, il se voyait contraint de prendre position contre son neveu Sisowath Thomico, qui fut aussi son secrétaire particulier. Ce dernier avait décidé de se lancer en politique et avait créé son propre parti qu’il avait nommé Sangkum Cheat Niyum, d’essence monarchiste. Sihanouk demanda à son neveu afin d’éviter toute confusion, d’utiliser un nom qui ne contienne pas le terme Sangkum et cru bon de déclarer officiellement qu’il n’était aucunement mêlé, de près ou de loin, à cette nouvelle formation, ce qui fit avorter dans l’œuf l’initiative de Thomico.

À l’été 2008, Sihanouk tenta un ultime retour sur le devant de la scène. L’inscription le 7 juillet du temple de Preah Vihear à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO avait déclenché une crise avec la Thaïlande qui revendiquait une partie du site classé. Le roi père faisait une déclaration appelant au respect de l’intégrité territoriale cambodgienne et fournissait divers éléments de ses archives personnelles concernant le jugement rendu en 1962 par la cour internationale de justice de la Haye et qui attribuait le temple au royaume khmer. Au même moment, depuis l’hôpital militaire de Pékin où il était soigné pour un cancer de l’estomac, il suggérait également de mieux définir le statut de la famille royale et proposait une solution proche de celle en vigueur en Thaïlande, au Royaume-Uni et ailleurs, à savoir d’un engagement des princes à ne plus s’impliquer dans le politique en échange d’une « liste civile » provenant du budget de l’État. Il espérait ainsi accroître leur autorité morale sur l’ensemble des dirigeants et de la population. Toutefois, le projet ne suscita pas l’enthousiasme escompté, notamment auprès des membres de la famille royale qui menaient encore une activité politique. Après son impuissance à régler la crise politique en 2003, ce nouveau revers fit encore plus prendre conscience à Sihanouk que l’époque où il pouvait peser de son autorité pour influencer certaines décisions politiques était révolue.

En juin 2009, il publiait un communiqué annonçant que son cancer avait été soigné et que ses médecins chinois l’autorisaient à retourner au Cambodge où il passera tout l’été. En octobre de la même année, il participa à Pékin aux festivités du 60e anniversaire de la république populaire de Chine en tant qu’invité d’honneur. Il avouera à Jean-Marie Cambacérès qu’il n’avait pu à l’occasion s’empêcher de faire un parallèle entre ces attentions et son impuissance à influencer la politique de son pays ces derniers temps.

En juin 2010, il se rendait au Viêt Nam. Le PSR lui demandait de transmettre ses doléances concernant la frontière commune, mais Norodom Sihanouk refusa, affirmant que le voyage n’avait qu’un caractère privé. En fait, il semblait surtout que par cette visite effectuée au crépuscule de sa vie, l’ancien monarque voulut clore le chapitre des années 1980 où il s’était opposé au régime de Hanoï.

L’année 2011 se passa entre Phnom Penh et Pékin, mais les apparitions officielles se faisaient plus rares, de même que les audiences où il était parfois remplacé par la reine mère. Le 19 janvier 2012, le roi père quittait à nouveau le Cambodge pour aller se faire soigner à Pékin. Peu alors imaginaient qu’il s’agissait d’un départ sans retour.

Le 15 octobre 2012, à quelques jours de son 90e anniversaire, il décédait d’une crise cardiaque à l’hôpital de Pékin.

Son corps fut rapatrié au Cambodge où une semaine de deuil national avait été décrétée. Plusieurs dizaines de milliers de personnes se massèrent sur le passage de sa dépouille entre l’aéroport et le palais royal où son cercueil sera exposé pendant cent jours pour recevoir les hommages des principaux dignitaires du royaume, des représentants des pays étrangers et des simples citoyens. Une cérémonie religieuse avec 10 000 bonzes eu lieu sur l’esplanade devant le Palais royal. Le 1er février débutaient les cérémonies en vue de la crémation qui se déroula le 4 devant le musée national. Le 7, les cendres furent réparties dans quatre urnes. L’une ira dans le stupa dit « de Kantha Bopha » dans l’enceinte du palais royal, une autre fut déposée dans le « pavillon des reliques augustes » de la salle du trône, toujours au palais royal, une troisième allait rejoindre la nécropole royale d’Oudong et le contenu de la dernière fut dispersé à Phnom Penh, au lieu-dit des quatre bras, là où le Bassac le Tonlé Sap et le Mékong se rejoignent.

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Sources  : Wikipédia, YouTube.

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