Nicolas II, Tsar de toutes les Russies.

Nicolas II (en russe : Николай II / Nikolay II), né Nikolaï Aleksandrovitch Romanov (en russe : Николай Александрович Романов, Nikolay Aleksandrovich Romanov) le 6 mai 1868 (18 mai 1868 dans le calendrier grégorien) au palais de Tsarskoïe Selo et exécuté le 17 juillet 1918 à Iekaterinbourg, est un empereur de Russie de la dynastie des Romanov. Il est « tsar de toutes les Russies », également roi de Pologne et grand-duc de Finlande, du 1er novembre 1894 à son abdication le 15 mars 1917.

Sous son règne, la Russie connaît un essor économique, social, politique et culturel sans précédent, commencé sous le règne de son père, Alexandre III. Les serfs ont été libérés pendant le règne de son grand-père Alexandre II et les impôts allégés. Le Premier ministre Piotr Stolypine réussit à développer une classe de paysans riches. Le pays devient la troisième ou quatrième puissance économique mondiale et possède le premier réseau ferroviaire après les États-Unis et le Canada. Le rouble devient une monnaie convertible et outre un nombre important de marchands et d’industriels, l’Empire possède désormais ses propres financiers qui sont souvent des mécènes. Sur le plan culturel, la Russie connaît alors un « âge d’argent », et prend la deuxième place dans le domaine de l’édition de livres. De nouvelles universités, des écrivains, sculpteurs, peintres, danseurs sont à l’époque connus dans le monde entier.

Nicolas II gouverne de 1894 jusqu’à son abdication en 1917. Alors que son empire connaît une rapide croissance économique et démographique, il ne réussit pas à gérer efficacement ses mutations culturelles et socio-économiques ni les revendications politiques qui en découlent. La fin de son règne est marquée par un enchaînement de catastrophes : la défaite des armées impériales dans la guerre russo-japonaise entraîne la révolution russe de 1905 et une ébauche de régime parlementaire ; l’engagement désastreux de la Russie dans la Première Guerre mondiale aboutit en 1917 à la révolution de Février qui met fin au régime impérial.

Le gouvernement provisoire, ne sachant trop quoi faire de lui, l’enferme avec sa famille dans le palais Alexandre à Tsarskoïe Selo, puis dans la maison du gouverneur à Tobolsk, et finalement dans la villa Ipatiev, à Iekaterinbourg. Pendant la guerre civile russe, Nicolas II, son épouse, son fils, ses quatre filles, le médecin de la famille, son domestique personnel, la femme de chambre et le cuisinier sont assassinés par des bolcheviks dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918.


Le 6 mai 1868 naît Nicolas Alexandrovitch Romanov (en transcription universitaire, Nikolaj Aleksandrovič Romanov), fils du tsarévitch (futur tsar Alexandre III) et de Marie Feodorovna (1847-1928), fille de Christian IX roi du Danemark. Il est le premier des cinq enfants du couple grand-ducal qui auront après lui : Alexandre (1869-1870), Georges (1871-1899), Michel (1878-1918), Xénia Alexandrovna (1875-1960) et Olga (1882-1960).

Nicolas et ses plus jeunes frères sont élevés à la dure : des lits de camp, un ameublement simple, des icônes de la Vierge et de l’enfant Jésus. Leur grand-mère Marie Alexandrovna avait introduit les coutumes britanniques en matière d’éducation chez les Romanov : gruau pour le déjeuner, bains froids, abondance d’air frais… Leur mère est brillante, enjouée, aimant la vie en société, les bals et les fêtes et elle leur donne le goût du divertissement et de la vie mondaineL1 1, mais elle ne s’occupe guère d’eux et c’est leur père, géant rude et bourru, qui monte dans leurs chambres pour les câliner.

Le 1er mars 1881 (13 mars 1881 dans le calendrier grégorien), Nicolas assiste à la brève agonie de son grand-père, l’empereur Alexandre II de Russie, dont un attentat a arraché les jambes et défiguré le visage. Or cet attentat survient alors même qu’Alexandre II, poursuivant sa politique réformatrice, s’apprêtait à faire de grandes réformes. Nicolas devient tsarévitch. Pour des raisons de sécurité, le nouvel empereur Alexandre III et sa famille s’installent au palais de Gatchina en dehors de la ville.

À l’adolescence, le tsarévitch, d’un caractère déjà sérieux et réservé, respecte les conseils de ses précepteurs et obéit aux ordres de son père6. Alexandre III confie l’éducation de son fils à des hommes issus de son gouvernement, parmi lesquels le procureur du Saint-Synode, Constantin Pobiedonostsev, le général Danilovitch, le ministre des Finances Bunge, totalement pénétrés de la nécessité d’un pouvoir impérial fort.

En 1884, à l’âge de seize ans, il rencontre pour la première fois la princesse Alix de Hesse-Darmstadt, l’une de ses cousines allemandes, orpheline de mère élevée à la cour d’Angleterre, âgée de douze ans, dont il tombe amoureux. Toutefois la perspective d’un possible mariage avec une princesse allemande contrarie aussi bien le tsar que la tsarine, et Alexandre III ordonne à Nicolas Alexandrovitch d’abandonner tout espoir de se marier avec une Allemande8.

Le futur empereur mesure 1,73 m, mince, avec des cheveux châtains et des yeux bleus, il est, selon ses contemporains, bien de sa personne. Excellent danseur, patineur et cavalier, il a le goût de la chasse, parle plusieurs langues, dont le français, mais la politique est pour lui une corvée et il est très intimidé par ses oncles et cousins géants aux manières rudes et à la voix forte.

De 1885 à 1890, il fréquente la faculté de sciences politiques et économiques de l’université de Saint-Pétersbourg, devient colonel de la Garde impériale et suit aussi les cours de l’Académie d’État. Les journaux intimes du jeune Nicolas montrent son enthousiasme pour la vie de caserne, pour les parades, les revues, et la vie des jeunes soldats de la capitale. L’empereur, cependant, ne fait rien pour lui enseigner l’art de gouverner. Il veut en faire un juriste, un officier et le meilleur représentant de la grande Russie et de l’illustre famille des Romanov auprès des cours européennes. Le futur Premier ministre Serge Witte propose à Alexandre III de nommer le tsarévitch Nicolas président des travaux du Transsibérien. L’empereur refuse : « Connaissez-vous bien le tsarévitch ? A-t-il jamais réussi à parler sérieusement avec vous ? Il est encore un enfant dans tout et pour tout, il juge les choses en mode enfantine. Comment serait-il capable de présider un comité ? » L’homme d’État lui réplique qu’il ne sera là « que pour présider, pas pour comprendre ».

Le 23 octobre 1890, Nicolas appareille sur un croiseur russe et fait une tournée officielle en Grèce, en Égypte, aux Indes, dans le Sud-Est asiatique, en Chine et au Japon, accompagné de son frère Georges et de leur cousin, le prince Georges de Grèce, second fils du roi des Hellènes Georges Ier. Cependant, ressentant les premiers symptômes de la maladie qui l’emportera prématurément, le grand-duc Georges rentre en Russie laissant son frère aîné et leur cousin continuer le voyage. Pendant son séjour au Japon, le tsarévitch fait l’objet d’une tentative d’assassinat, lorsqu’un policier japonais de son escorte, Tsuda Sanzo, un nationaliste fanatique, l’attaque avec son sabre, le blessant à la tête. Nicolas minimise l’incident, mais les autorités japonaises craignent que cet incident ne dégrade les relations entre les deux pays. L’empereur Meiji va ainsi en personne rencontrer Nicolas convalescent, et, en signe de respect, fait fermer tous les théâtres du pays pour une durée de 24 heures. Quelque 24 000 télégrammes souhaitant un bon rétablissement sont envoyés par des Japonais de toutes catégories à Nicolas. Tsuda est par la suite condamné à la prison à vie.

À son retour, son père lui conseille de s’amuser et va jusqu’à favoriser une relation du tsarévitch avec la première danseuse du théâtre Mariinsky, Mathilde Kschessinska. Sa relation avec la Kchessinskaïa dure jusqu’en juillet 1894.

Au début des années 1890, la santé de l’empereur Alexandre III se dégrade. Comme Nicolas est épris de sa cousine, il obtient le consentement à son mariage avec Alix, malgré l’insistance de ses parents à le marier à la princesse Hélène d’Orléans, fille de Philippe d’Orléans et ainsi renforcer l’alliance franco-russe. Le 8 avril 1894, Nicolas Alexandrovitch et Alix de Hesse-Darmstadt se fiancent officiellement au château de Cobourg, en présence de leurs familles, parmi lesquelles on pouvait compter l’empereur Guillaume II et la reine Victoria, grand-mère commune à la fois de la fiancée et du Kaiser.

Avant de mourir, Alexandre son père l’exhorte : « Manifeste ta propre volonté, ne laisse pas les autres oublier qui tu es ». Nicolas II succède à Alexandre III, le 1er novembre 1894.

Le 26 mai 1896 est le jour de son sacre comme empereur et autocrate de toutes les Russies par la Grâce de Dieu (Божию Милостию, Император и Самодержец Всероссийский) et basileus de l’Église orthodoxe russe. Le rituel est inspiré de Byzance et a lieu à Moscou, la troisième Rome. À Moscou, se trouvent les corps de ses ancêtres et cette grande ville outre qu’elle est le centre de l’Empire (Rossia) incarne la tradition Rous, l’ancienne Russie. Se conformant aux précédents couronnements, Nicolas II fait une entrée triomphale dans la ville de Moscou, sur un cheval blanc, suivi des deux impératrices.

Le jour de cette cérémonie très importante, une bousculade nommée tragédie de Khodynka, se produit dans la foule au champ de Khodynka, provoquant la mort de plusieurs centaines de personnes qui sont piétinées. Le tsar pense annuler les cérémonies officielles, mais il n’ose se décommander au bal du comte de Montebello, l’ambassadeur français. Il y paraît donc, blême et anxieux. Et à peine sorti de cette fête gâchée, il se rend au chevet des blessés. En raison de cette catastrophe et de la participation du tsar au bal, le peuple va se mettre à haïr la tsarine qu’il surnomme « l’Allemande ». Or, tous ceux qui vont la rencontrer vont rapidement se rendre compte qu’elle déteste l’Empire allemand et parle, et écrit, en anglais, sa langue maternelle.

Mal préparé à assumer ses fonctions, Nicolas II est généralement considéré par les historiens comme un homme n’ayant ni l’imagination créatrice, ni l’énergie de concevoir un autre ordre. Il subit constamment l’influence de son épouse. Il rêve d’une existence bourgeoise avec elle et leurs enfants et de parties de tennis ou de bains dans les eaux glacées de la Baltique. D’ailleurs trois jours après son mariage, il écrit dans son journal : « Avec Alix je suis immensément heureux. Dommage que les affaires d’État me prennent tant de temps. Je préfèrerais passer avec elle toutes ces heures ». Le tsar semble parfaitement inconscient des intrigues de la cour, de sa dépravation et de l’affairisme de certains de ses conseillers. Peu capable de refus, il est trop délicat et bien élevé pour se déterminer grossièrement et, plutôt que refuser, préfère se taire. Son épouse écrit à la fin de sa vie en 1917 à une amie : « Si vous saviez au prix de quel effort il a pu vaincre en lui cette propension à la colère, propre à tous les Romanov !… Le plus magnifique des vainqueurs est celui qui se vainc lui-même ».

Nicolas II, entier postal, France.

En dépit d’une visite au Royaume-Uni avant son accession, où il s’intéresse au fonctionnement de la Chambre des communes, Nicolas II est opposé au parlementarisme, et même à une extension des pouvoirs des assemblées locales, les zemstvos. Il défend le principe de l’autocratie absolue. Au mois de janvier 1895, il expose clairement son programme : il est le dépositaire d’une tradition, celle des Romanov, et l’autocratie est un principe sacré, légitimé par des lois qui ne sont pas temporelles. Il répète aux Russes : « Vous avez formulé des rêves insensés ».

Nicolas II veut conserver l’organisation centralisée du pouvoir, qui avait permis de conserver la stabilité gouvernementale. Parmi ses principaux collaborateurs, figurent des hommes jadis proches conseillers d’Alexandre III, comme le procureur du Saint-Synode, Constantin Pobiedonostsev, ancien précepteur de ce dernier, les ministres de l’Intérieur, Ivan Goremykine (de 1895 aux 1899) et le comte Plehve (de 1902 à 1904), le chef de la police de Saint-Pétersbourg, Dimitri Feodorovitch Trepov (de 1896 à 1905). Le choix de son cabinet annonce quelles vont être les orientations politiques des premières années du règne du jeune Nicolas II.

Totalement novice dans l’art de gouverner un État, il arrive au trône en appliquant les doctrines conservatrices apprises de Pobiedonostsev. Il a des idées toutes-faites et idéalise la réalité russe. Il est influencé par la lecture des biographies des saints orthodoxes et du tsar Alexis Ier, connu dans l’histoire russe comme « le bon tsar » et se veut être un vrai « père du peuple », le surnom du tsar dans les campagnes russes.

En même temps, il accède aux demandes de sa femme, timide et puritaine, qui veut s’éloigner, ainsi que sa famille, de la vie mondaine de l’aristocratie russe, en choisissant comme résidence le palais Alexandre, situé à Tsarskoïe Selo, en français le « village des Tsars ». Cela le rendra — et surtout l’impératrice Alexandra — antipathique à une partie importante de la grande noblesse de Moscou et de Saint-Pétersbourg, qui ne se reconnaît pas dans cet empereur privilégiant un style de vie austère loin de la cour.

Sous l’impulsion du comte Plehve, ministre de l’Intérieur, il soumet les zemstvos, assemblées provinciales ouvertes au peuple, à des fonctionnaires d’État, et organise une russification des « provinces », en particulier de la Pologne, de la Finlande et du Caucase. Il accroît également la politique antisémite amorcée par son père Alexandre III : numérus clausus, ghettos, et surtout sanglants pogroms exécutés par les Cent-Noirs. Il justifie ces massacres par la necessité de combattre le socialisme : « Le peuple s’est indigné de l’impudence et de l’insolence des révolutionnaires et des socialistes, et comme neuf dixièmes d’entre eux sont des youpins, toute sa colère s’est abattue sur eux, d’où les pogroms juifs. »

Nicolas II conserve aussi le ministre de son père, Serge Witte. Malgré leur divergence de caractère, Nicolas II approuve la politique de développement économique intensif menée par son ministre des Finances (de 1892 à 1903). Le comte de Witte veut faire de la Russie une grande puissance européenne.

Le 3 janvier 1897, Serge Witte continue les réformes financières amorcées sous Alexandre III : le rouble-or est instauré dont l’impérial (15 roubles) et le demi-impérial (7 roubles et 50 kopecks). Cette réforme donne un élan sans précédent en Russie, à l’économie et aux développements de l’industrie. La dette de la Russie passe de 258 à 158 millions de roubles entre 1897 et 1900.

Le comte de Witte a aussi comme priorité le développement du commerce à l’étranger. Après une négociation serrée avec Berlin, le gouvernement allemand accepte d’appliquer à la Russie un tarif douanier très favorable. En 1914, la moitié des importations russes viendront d’Allemagne et un tiers des exportations y partiront.

Pour développer l’industrie, Serge Witte a recours à l’emprunt à l’étranger, les fameux emprunts russesL2 6. De 1895 à 1899, ils atteignent 275 millions de roubles, venant avant tout de France et un peu de Belgique. Grâce à eux, le développement industriel est considérablement facilité. La production augmente en effet de 8 % dans les années 1890.

Witte encourage les compagnies privées étrangères à venir investir en Russie. En 1900, près de 300 sociétés, en grande partie françaises et belges, y sont installées. Elles contrôlent 60 % de la production de houille et 80 % de celle du coke.

Les progrès réalisés dans le domaine du développement économique, sans réel souci du sort des ouvriers, entraînent logiquement des mouvements sociaux. Serge Witte se rend compte de la nécessité de faire des réformes sociales, culturelles et politiques. Mais il doit faire face à l’essor de la culture russe traditionnelle qu’inspire au peuple et aux intellectuels la peur du changement. C’est le cas de Constantin Aksakov et d’Alexeï Khomiakov, slavophiles ennemis de l’Occident et du progrès, partisans du retour au mir et à l’orthodoxie des anciens. Et aussi à l’opposition des grands propriétaires fonciers et d’industriels voulant de la main-d’œuvre bon marché. En juillet 1897, le gouvernement limite la journée de travail à onze heures trente et le travail de nuit à dix heures.

Malgré tout, Nicolas II est conscient de la valeur de Witte qu’il déteste, car il le soupçonne d’être franc-maçonL2 7 (ce qu’il était), mais qu’il laisse réformer et industrialiser l’Empire. Avant la fin du siècle, la balance commerciale russe n’est plus déficitaire et le rouble devient convertible et fiable. Des chemins de fer sont construits dans tout le pays, dont le Transsibérien terminé en 1901. Witte transforme la Russie en « serre du capitalisme ». On le compare souvent à Colbert et à Turgot.

La politique agricole, au contraire, se montre ruineuse et inadéquate. Les jachères sont nombreuses et les paysans libres endettés. Witte comprend qu’il faut baisser leurs impôts et, comme il constate que la vodka est consommée en quantité excessive, il décrète l’alcool monopole d’État. Le Trésor se gonfle des sommes importantes générées par la consommation de vodka. Entre 1893 et 1899, 24% des ressources du gouvernement proviennent de la vodka.

La population passe de 98 à 175 millions d’habitants de 1880 à 1914. Witte repeuple la Sibérie et des territoires en Extrême-Orient. L’exploitation des ressources orientales toutefois engendre un conflit administratif de compétences entre les ministères des Finances et des Étrangers.

En 1900, la crise mondiale de la monnaie cause la fermeture d’industries et de banques. Les propriétaires fonciers, opposés à Witte profitent de la situation pour relancer des attaques contre lui, en l’accusant d’être le père de la social-démocratie. La Russie reprendra seulement en 1903 son ascension économique.

En 1896, la Russie obtient la construction du chemin de fer de l’Est chinois qui doit relier la ville russe de Tchita au port de Vladivostok, en traversant le saillant que forme la Mandchourie, entre les deux points (ce qui permet d’éviter un long détour le long de l’Amour).

Dans son expansion vers l’est pour participer au dépeçage de la Chine par les grandes puissances européennes, la Russie pendant la révolte des  Boxers occupe la Mandchourie, en 1900.

Des généraux et des hommes d’affaires envisagent d’étendre le protectorat russe sur la Corée que le Japon considère comme sa chasse gardée. Jusqu’en 1902, la Russie et le Japon tentent de régler pacifiquement leurs différends. D’intenses contacts diplomatiques ont lieu entre les deux pays, diverses options sont envisagées : le partage de la péninsule coréenne, la neutralité coréenne sous garantie internationale, l’échange de la Corée contre la Mandchourie.

Le 8 février 1904, le Japon attaque par surprise la flotte russe ancrée à Port-Arthur et assiège la ville qui se rend après un siège de huit mois. En mars 1905, l’infanterie russe est battue à la bataille de Mukden. En mai, la flotte de la Baltique, parvenue sur les lieux après un périple de plusieurs milliers de kilomètres, est anéantie dans le détroit de Tsushima.

En septembre 1905, un traité de paix russo-japonais est signé à Portsmouth (États-Unis). La Russie reconnaît l’existence des intérêts japonais en Corée, concède au Japon les privilèges qu’elle avait acquis en Mandchourie et lui cède la partie méridionale de l’île de Sakhaline mais, malgré l’insistance de la délégation nippone, ne verse pas d’indemnité de guerre.

Sur le plan militaire, ce conflit préfigure les guerres du xxe siècle par sa durée (un an et demi), par les forces engagées (sans doute plus de deux millions d’hommes au total) et les pertes (156 000 morts, 280 000 blessés, 77 000 prisonniers) ainsi que par l’emploi des techniques les plus modernes de l’art de la guerre (logistique, lignes de communications et renseignements ; opérations combinées terrestres et maritimes ; durée de préparation des engagements, tranchées).

Cette catastrophe est « la première défaite de l’homme blanc » face à des gens de couleur et pour les peuples colonisés de l’Empire russe c’est « la défaite du tsar blanc ». Les musulmans de Russie se mettent à rêver d’émancipation47. L’admiration fait place au mépris.

Chez les Russes, le mécontentement grandit. Le cuirassé Potemkine bombarde le port d’Odessa. Les partis d’opposition sortent renforcés de la défaite des armées russes.

Le Dimanche rouge des dizaines de personnes sont massacrés près du palais d’Hiver. La Russie est depuis le début du XXe siècle dans un état de révolte permanente. Trois partis exploitent le mécontentement chez les ouvriers, les paysans et les bourgeois :

  • Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie est une organisation politique marxiste révolutionnaire fondée en mars 1898. Les grèves ouvrières commencent relativement tard, en 1903. Elles obéissent au début à des motivations économiques puis deviennent politiques. En 1897 est né le Bund, mouvement ouvrier juif marxiste qui revendique pour les juifs l’égalité nationale qui va se heurter à Lénine qui est partisan de l’unité du parti.
  • Le Parti socialiste révolutionnaire est une organisation politique russe, d’inspiration socialiste et à base essentiellement paysanne. Il se réclame du groupe terroriste Narodnaïa Volia (Volonté du peuple) disparu en 1881. En 1904, la brigade terroriste du parti, sous la direction de Boris Savinkov, organise l’attentat contre le ministre de l’Intérieur Plehve. Les SR assassinent aussi Dmitri Sipiaguine et le grand-duc Serge, oncle du tsar. L’agitation paysanne est endémique à partir de 1902, mais les émeutes ne virent jamais à l’insurrection : elles ont pour but de faire peur aux nobles afin qu’ils cèdent la terre à bas prix. On compte 670 soulèvements de ce type de 1902 à 1904.
  • Le Parti constitutionnel démocratique un parti politique libéral. Les membres du parti sont appelés cadets, de l’abréviation KD du nom du parti en russe (Конституционная Демократическая партия). Le Parti constitutionnel démocratique est formé à Moscou du 12 au 18 octobre 1905, à l’apogée de la révolution russe de 1905. Ce n’est qu’en 1906, avec le repli de la révolution, que les cadets abandonnèrent leurs aspirations révolutionnaires et républicaines et se déclarèrent en faveur d’une monarchie constitutionnelle.

L’évolution économique et sociale du pays avait fait monter les oppositions libérales, démocrates, socialistes et révolutionnaires au régime tsariste. Il suffit d’une étincelle pour déclencher une révolution. Le 22 janvier 1905, la police ouvre le feu sur une immense manifestation ouvrière, faisant entre huit cents et mille morts. L’ironie du sort veut que le meneur de la  manifestation, le pope Gapone, soit en réalité membre d’un syndicat policier destiné à noyauter le mouvement ouvrier et l’orienter dans la direction voulue par les autorités. Certains ouvriers parmi ceux qui convergent vers le palais d’Hiver — ils ignorent que Nicolas II est absent de la capitale — portent des icônes et des portraits du tsar et viennent en sujets fidèles ou plutôt comme des enfants devant leur père pour le supplier de soulager leur misère et lui présenter la pétition des travailleurs et des habitants de Saint-Péterbourg.

Le massacre du Dimanche rouge marque le début d’un engrenage révolutionnaire : la première révolution russe.

Des jacqueries éclatent dans la plupart des provinces de l’Empire, indépendamment des troubles survenus à Saint-Pétersbourg, car les moujiks ignorent le Dimanche rouge, dont les journaux censurés ne disent pas un mot.

Dans le même temps, la grève ouvrière s’étend à tout le pays. En l’absence de syndicats, l’idée d’une organisation représentative des ouvriers fait son chemin sous la forme de soviets : ils apparaissent d’abord en province dans le rôle de comités de grèves éphémères (ce mot russe signifiant conseil est adopté en mai 1905 par les ouvriers d’Ivanovo pour désigner leur comité de grève). Ils prennent une coloration plus politique avec la fondation du soviet de Saint-Pétersbourg, en octobre 1905, et de Moscou, en décembre. Tout en se méfiant des intellectuels suspects de vouloir imposer leur hégémonie, les ouvriers ressentent le besoin d’être conseillés par des révolutionnaires expérimentés, qui n’ont qu’un rôle consultatif à côté des délégués ouvriers : d’abord réservés parce qu’ils n’approuvent pas le mouvement des masses, les bolcheviks envoient des représentants mais les postes dirigeants reviennent aux mencheviks, plus nombreux jusqu’en 1917.

La population réclame une constitution, une Douma et les libertés. À Saint-Pétersbourg, les socialistes révolutionnaires, les bolcheviks et les mencheviks s’unissent au sein du soviet ouvrier qui publie les Izvestia.

En 1912, la Russie instaure un système d’assurance sociale pour les ouvriers et adopte un certain nombre d’autres lois pour améliorer leurs conditions de vie. Le président américain William Taft commente ainsi ces lois sociales : « La législation du travail que votre Empereur a promulgué est tellement parfaite que notre pays démocratique ne peut se vanter de pareille protection sociale ». Kokovtsov, Premier ministre libéral, qui a négocié avec Cambon et Poincaré les emprunts ferroviaires de 1906, en redemande en 1913. Émigré en France, il sera l’ami de Poincaré.

Vladimir Kokovtsov est remplacé par Ivan Goremykine, car il s’est permis de critiquer ouvertement Raspoutine. Le 12 février 1914, Goremykine est de nouveau rappelé par Nicolas II au poste de président du Conseil. Le choix du tsar est dicté par les bons sentiments qu’éprouve l’impératrice Alexandra pour le président du Conseil. Il reste dans ces fonctions jusqu’en juillet 1916. L’hostilité des membres de la Douma et des ministres nuit à l’efficacité de son gouvernement. En 1915, Nicolas II prend la décision d’assurer lui-même le commandement de l’armée impériale, Goremykine invite le Conseil d’État a approuver la décision de l’empereur. Les conseillers d’État refusent sa proposition, il déclare alors : « Je ne suis pas apte à assurer ma position et demande à être remplacé par un homme possédant des vues plus modernes ». Le 2 février 1916 son désir est exaucé, il est remplacé par Boris Stürmer qui n’est en rien un homme moderne.

En 1915, la situation de la Russie est préoccupante. Les zemstvos sont méfiants à l’égard du régime, la Douma est hostile, les minorités politiques et ethniques s’agitent et le gouvernement est incapable de diriger le pays et de mener la guerre. Les ingénieurs allemands ne sont plus là, donc la production s’effondre et les armes que la Russie n’arrive pas à produire en quantité suffisante viennent à manquer. Celles qui proviennent des Alliés ne parviennent en Russie que par les ports de l’océan Arctique.

Une contre-offensive austro-allemande balaie les conquêtes en quelques semaines. Les Russes reculent, abandonnant la Pologne, la Lituanie et une partie de la Lettonie.

Nicolas II démet alors le grand-duc Nicolas de ses fonctions de  commandant suprême des armées impériales. Le 21 août 1915, ne possédant ni les aptitudes, ni la formation, l’empereur se met à la tête des armées. Elles sont obligées de se replier et leur dénuement devient catastrophique. Le conseil de guerre, qui est présidé par un monarchiste constitutionnel et un nationaliste, membre de l’Union du peuple russe, désapprouve le 4 septembre 1915 le limogeage du grand-duc et rappelle au tsar que l’armée russe a perdu en treize mois 4 000 000 hommes, tués, blessés ou prisonniers et bat en retraite. L’empereur ne répond pas.

Nicolas II refuse même de recevoir un homme de confiance allemand à Petrograd porteur d’offres, comme un privilège russe sur les détroits ottomans. C’est pour Nicolas le seul moyen de sauver sa dynastie en péril. Guillaume II demande même à ses armées de freiner leur avance, mais le tsar oppose un Niet solennel et définitif aux offres allemandes. Hindenburg a les mains libres et l’Allemagne abandonne le tsar et choisit de déstabiliser la Russie en y favorisant la révolution.

Dès janvier 1917, les protestations au sein de la Douma et les mouvements ouvriers s’intensifient dans la capitale. Les premiers tracts bolcheviks qui invitent l’armée à renverser le gouvernement sont distribués. Il devient évident, à Petrograd, que des promesses à la Douma, de la part du souverain, sont indispensables pour éviter la fin de l’Empire. Nicolas II a un entretien au grand quartier général avec l’attaché militaire britannique, Hanbury-Williams. Il s’exprime sur les réformes à entreprendre : « Le pouvoir doit être décentralisé en partie dans l’Empire, mais l’autorité suprême doit rester au souverain. La Douma doit avoir plus de pouvoirs, mais seulement graduellement parce qu’il est difficile de développer l’instruction des masses avec une satisfaisante rapidité ».

À la Douma, une majorité de députés se rassemble derrière les octobristes du Bloc progressiste qui réunit les deux tiers de ses membres et est dirigé par le prince Lvov et par Milioukov. Ces nobles ou ces bourgeois espèrent tous que l’empereur va sauver la Russie du chaos. Celui-ci en guise de réponse à leurs souhaits de réformes, nomme leur pire ennemi, Boris Stürmer, accusé par les nationalistes d’être un partisan de l’Allemagne. Puis, Nicolas II nomme Alexandre Trepov, qui conseille au tsar de donner plus de pouvoir à la Douma et qui veut se faire apprécier des députés. Dans les deux cas, Trepov connaît l’échec, et il donne sa démission le 9 janvier 1917 au bout de cinq semaines à la tête du gouvernement.

En février 1917, Nicolas II nomme le prince Galitzine président du Conseil d’État. Celui-ci demeure à son poste jusqu’à l’abdication du 3 mars 1917 (15 mars du calendrier grégorien). Il refuse d’abord sa nomination et demande à Nicolas II de nommer quelqu’un d’autre à sa place. Le prince a la faveur de l’impératrice Alexandra.

À la cour, une partie de la famille impériale veut faire abdiquer Nicolas et envoyer l’impératrice dans un couvent. Des hypothèses sont évoquées dans un cercle restreint — notamment celui de la grande-duchesse Maria Pavlovna — comme de porter sur le trône le tsarévitch avec comme tuteur le populaire grand-duc Dimitri, mais ce ne sont que suppositions.

Rodzianko propose à Nicolas II d’envoyer l’impératrice au palais de Livadia, en Crimée jusqu’à la fin de la guerre ; l’empereur refuse. Il déclare désormais à la fin de tous ces entretiens : « J’ai voulu plaire à la Douma. Voyez ma récompense ». Même le ministre de l’Intérieur, Alexandre Protopopov, « l’un des grands naufrageurs du régime tsariste »81, incapable et dérangé, mais protégé de l’impératrice, veut faire un coup d’État et organiser des élections anticipées.

Toutefois, l’opposition modérée et les comploteurs de salon ne sont pas le danger réel. La montée du mouvement des grèves a repris avec une ampleur extraordinaire. Les militants bolcheviks qui sont ouvriers ne sont pas mobilisés et les rares qui le sont contribuent à démoraliser les troupes. Lénine « veut transformer la guerre des peuples en guerre civile ».

Pour augmenter la production, des sous-prolétaires venus des campagnes s’entassent dans des dortoirs à Pétrograd. Des femmes du peuple sortent dans la rue au cri de « Du pain ! De la chaleur ! » Les 150 000 soldats de la garnison sont noyautés par les militants ouvriers. Les dirigeants révolutionnaires sont en exil ou en prison ou bien encore dans la clandestinité. Lénine écrit à Alexandre Chliapnikov (1885-1937) : « Les échecs militaires tsaristes aident à l’effondrement du tsarisme. Ils facilitent l’union des travailleurs révolutionnaires… » Les anarchistes, les socialistes-révolutionnaires, les mencheviks et les bolcheviks sont désormais en relation étroites.

Nicolas II est au grand quartier-général à Moghilev, en Biélorussie. L’homme fort est le ministre de l’Intérieur Protopopov, détesté à la fois des libéraux et de la droite. La ville n’est pas approvisionnée. Il fait – 40 °C. Chez Maxime Gorki, le député de gauche modérée Alexandre Kerenski rencontre le pro-bolchevik Alexandre Chliapnikov.

La semaine qui va ébranler la Russie commence par des émeutes de la faim…

Dans la soirée du 25 février, Nicolas II ordonne de faire cesser par la force, avant demain, les désordres à Petrograd. Le refus de toute négociation, de tout compromis va faire basculer le mouvement en une révolution. Au cours de la journée du 27, la garnison de Petrograd (environ 150 000 hommes) passe du côté des insurgés.

À la surprise générale, l’État-major fait pression sur le tsar pour que celui-ci abdique afin de sauver l’indépendance du pays et assurer la sauvegarde de la dynastie. Nicolas déclare à ses derniers généraux fidèles : « Que pouvais-je faire d’autre, ils m’ont tous trahi ». Le général Alekseïev, soutenu par les commandants des cinq fronts, le convainc en arguant que l’abdication serait le seul moyen de poursuivre la guerre contre l’Allemagne. Le souverain, selon une formule de Marc Ferro, « se démit de l’empire comme un commandant d’un escadron de cavalerie ». Le 2 mars 1917, soucieux d’épargner à son fils Alexis une tâche trop lourde pour son état de santé, il renonce au trône en faveur de son frère, le grand-duc Michel.

Devant la protestation populaire, celui-ci renonce à la couronne le lendemain. En cinq jours, « sans avoir pu offrir la moindre résistance, l’Ancien Régime russe s’écroule comme un château de cartes86 ».

Les quatre grandes-duchesses et le tsarévitch en juin 1917 avec les têtes rasées du fait de la rougeole qu’ils avaient contractée. Les ouvriers, paysans ou soldats, qui dans leurs nombreuses pétitions au soviet de Petrograd, demandent que des mesures soient prises contre le tsar, sont très peu nombreux. Des soldats du front veulent qu’il parte, des paysans ressuscitant les mirs se saisissent de ses terres. Même dans les faubourgs où il est surnommé Nicolas le sanglant, on ne crie pas vengeance sur son passage. Les policiers, mais aussi le clergé orthodoxe, les officiers, les propriétaires terriens et même assez étrangement la Douma sont désormais les ennemis du peuple.

Certains hommes politiques modérés essaient de sauver la dynastie en sacrifiant Nicolas ; en vain. Nicolas est arrêté par le gouvernement provisoire. Nicolas va répéter à tous ceux qu’il rencontre les termes employés par le représentant du gouvernement provisoire : « Savez-vous que désormais le tsar est privé de liberté ? » Alexandra est encore en liberté au palais Alexandre avec quelques fidèles, dont le vieux comte Benckendorff, protégés par les gardes à cheval de Novgorod.

L’ex-empereur demande à pouvoir rejoindre sa famille au palais Alexandre et de là à s’exiler jusqu’à la fin de la guerre, pour retourner ensuite à tout jamais en Crimée. Le gouvernement provisoire accède à ses demandes. Kerensky se met d’accord avec Milioukov pour que l’ancien empereur parte pour l’Angleterre, mais le gouvernement provisoire lui offre aussi de choisir entre partir ou demeurer en Russie.

Cependant le 9 mars 1917, la garde du palais Alexandre se retrouve sous l’autorité de contingents révolutionnaires. Personne ne peut plus sortir ou entrer au palais et les lignes téléphoniques sont coupées. Toutefois Kerensky refuse que la famille impériale soit transférée dans une forteresse.

Milioukov, qui se dit monarchiste, veut faire passer l’ancien tsar en jugement malgré une grande campagne britannique en faveur du fidèle allié, puis déclare que cela n’est pas possible. Par ailleurs, la gauche britannique et le roi — pourtant cousin de Nicolas II — montrent au fil des évènements une réticence pour que le gouvernement britannique accorde au tsar le droit d’asile.

Peu à peu, les conditions de détention se durcissent. De simples soldats donnent des ordres à l’empereur déchu, malgré les interventions d’officiers et, pendant cinq mois, ces gardes sont insolents avec ses filles. Le tsar se dit « cloîtré avec sa famille comme des prisonniers ». Toutefois Kerensky est, semble-t-il, un humaniste, le prince Lvov est monarchiste, comme Milioukov. Le désordre grandit et le mouvement révolutionnaire se durcit, inquiète les militaires russes et alliés. La plupart d’entre eux regrettent leur choix et leur soutien à une révolution qui ne bénéficie qu’à l’armée  allemande et aux dirigeants bolcheviks.

Ces bolcheviks, farouchement hostiles au dernier souverain, excitent en permanence la fureur populaire contre « le tyran » « buveur de sang » et contre « l’Allemande », non sans rappeler les surnoms du roi Louis XVI et de sa femme. Ils évoquent, d’ailleurs, sans cesse le précédent de la fuite et de l’arrestation de Louis XVI à Varennes. « Pour empêcher une telle possibilité de retour des Romanov sur la scène de l’histoire, ces personnes redoutables doivent être remises au Soviet ».

Nicolas ne peut pas partir de Tsarskoïe Selo, ni se rendre en Crimée. Selon les rares témoins, il lit, jardine, marche et surtout prie pour que sa patrie et son armée restent fidèles à leurs alliés. Il est vêtu de son uniforme tout simple et porte sa croix de chevalier de Saint-Georges sur le cœur. Les premières vexations se multiplient. Les siens comprennent qu’ils ne sont pas tombés seulement au rang de citoyens ordinaires, ils assistent impuissants à tous les sursauts de la révolution russe et à l’irrésistible avancée des troupes allemandes.

Kerensky les envoie à Tobolsk (Sibérie occidentale), le 31 juillet, soi-disant pour protéger Nicolas des bolcheviks. En réalité, les bolcheviks, pour une fois, se soucient très peu des Romanov, en juillet 1917. Kerensky craint un coup d’État monarchiste qui se servirait du tsar comme étendard, mais, les tentatives monarchistes pour libérer Nicolas sont quasi inexistantes et se limitent à quelques tracts distribués à Madrid, à Nice, à Lausanne et tout de même à Yalta.

Cependant, Kerensky n’a pas totalement tort, le général Kornilov, qu’il nomme nouveau commandant en chef, alors que l’armée se disloque, incarne un retour à la discipline de fer antérieure : il a déjà donné l’ordre en avril de fusiller les déserteurs et d’exposer les cadavres avec des écriteaux sur les routes, et menacé de peines sévères les paysans qui s’en prendraient aux domaines seigneuriaux. Ce général, réputé monarchiste, est en réalité un républicain indifférent au rétablissement du tsar, et un homme issu du peuple (fils de cosaque et non d’aristocrate), ce qui est rare pour l’époque dans la caste militaire. Avant tout nationaliste, il veut le maintien de la Russie dans la guerre, que ce soit sous l’autorité du gouvernement provisoire ou sans lui. Beaucoup plus bonapartiste que monarchiste, il redonne néanmoins un peu d’espoir à la famille, à Nicolas et à ses proches.

Le train part le 31 juillet 1917 et arrive le 3 août à Tioumen. De là, le bateau part à Tobolsk (Sibérie occidentale).

La ville ne connaît pas d’insurrection d’octobre. La réalité du pouvoir appartient à un comité de sauvegarde, dans lequel les bolcheviks sont très minoritaires. Nicolas et sa famille peuvent se promener en ville avec des gardiens et recevoir des prêtres, mais les conditions de vie sont très difficiles. La maison du gouverneur a été pillée, vandalisée. Nicolas II note : « Depuis quelques jours, nous recevons du beurre, du café, des gâteaux secs et de la confiture de la part de braves gens qui ont appris que nous avions dû comprimer nos dépenses de nourriture ». Des passants s’arrêtent parfois devant la maison et bénissent la famille impériale en faisant un signe de croix. Les gardes les chassent mollement. Nicolas joue aux dames avec eux. À Tobolsk, le pouvoir bolchévique ne s’est instauré que le 15 avril 1918.

Nicolas regrette son abdication en apprenant avec bien du retard les nouvelles du pays. Dès que les bolcheviks prennent le pouvoir, le sort des captifs s’aggrave, Nicolas est contraint d’ôter ses épaulettes. Ils sont traités désormais comme de véritables prisonniers. Les anciens combattants qui les gardaient sont remplacés par des gardes rouges. Lénine pense qu’il faut exterminer une centaine de Romanov, et en mars 1918 il ne veut pas d’un procès.

Le pouvoir bolchevik considère que l’ancien empereur ne peut être ramené à Kronstadt avant la débâcle des rivières, à Moscou, la nouvelle capitale, on décide que le problème de l’ex-tsar n’est pas à l’ordre du jour.

Les monarchistes ne sont pas non plus très soucieux du sort de l’ancien monarque. Certes, un ex-sénateur, Tougan-Baranovski, achète une maison en face de la résidence du gouverneur et creuse un tunnel. Mais il ne peut compter que sur un nombre limité de personnes et son projet n’est pas terminé lors du transfert de Nicolas à Iekaterinbourg. Il est vrai que beaucoup de partisans sont morts au front ou tués par les révolutionnaires.

Tout d’un coup, peut-être du fait de rumeurs d’évasion, Sverdlov estime que le problème des Romanov est désormais à l’ordre du jour. Le 2 mai 1918, le Præsidium du Comité central décide de déplacer les Romanov de Tobolsk à Iekaterinbourg, mais Omsk revendique aussi leur présence. Les parents et la grande-duchesse Marie partent sous bonne garde, pensant être transférés à Moscou pour contresigner le traité de Brest-Litovsk, mais le 7 mai 1918, les trois sœurs et leur frère apprennent qu’ils sont détenus à Ekaterinbourg. Les bolcheviks locaux se sont emparés d’eux à leur passage dans cette ville. Cette étape du martyre des Romanov est particulièrement affreuse et redoutée à l’avance.

Avant même son arrivée, le 21 juin 191899 Iourovski reçoit des instructions du soviet de l’Oural concernant les préparatifs pour une prochaine  exécution. Alarmé par l’avance de l’Armée blanche, qui approche d’Ekaterinbourg, il reçoit bientôt ce message : « Informé de la menace que font peser les bandits tchécoslovaques sur la capitale rouge de l’Oural et prenant en considération le fait que le bourreau couronné, en se dissimulant, pourrait échapper à la sentence du peuple, le Comité exécutif, exécutant la volonté du peuple, a décidé de fusiller le ci-devant tsar Nicolas Romanov, coupable d’innombrables crimes sanglants ».

Les jours suivants, Iourovski et son second, Ermakov, examinent les terrains du côté de Koptiaki, à dix-huit kilomètres de la ville, afin de trouver un endroit assez discret pour y enterrer les corps et garder secret le lieu de l’inhumation.

Début juillet, l’armée de Koltchak s’approche dangereusement de la ville, où sont enfermés Nicolas II et sa famille. Le Comité central du parti  bolchevique, alors favorable à un procès public du dernier des Romanov, envoie à Ekaterinbourg Golechtchekine, « un bolchevik parfaitement sûr »100, pour ramener Nicolas II et sa famille à Moscou et organiser le procès.

Pierre Gilliard raconte dans son livre : « Le 4 juillet 1918, le commissaire Yakov Iourovski prit le commandement de la villa Ipatiev. Il emmena avec lui dix hommes, qui seront chargés de l’exécution. Pendant quelques jours, il parcourut la région à cheval pour repérer un endroit sûr où faire  disparaître les corps. »

Le 12 juillet, les officiers de l’Armée rouge préviennent que la chute de la ville n’est plus qu’une question de jours. Lénine et une partie du Bureau politique décident alors secrètement de faire assassiner le tsar sans aucune autre forme de procès. Le 16 juillet, il reçoit de Sverdlov, à Moscou, l’autorisation d’abattre toute la famille. L’ancien monarque est peut-être fusillé avec toute sa famille dans la nuit du 17 au 18 juillet 1918, à Ekaterinbourg, une semaine avant que celle-ci ne tombe aux mains des Blancs. En 1990, Marc Ferro se demande si Lénine n’a pas fait que consentir à une décision prise par le soviet régional de l’Oural qui devait de toute façon prendre une décision face à l’avancée des armées blanches et souligne que la décision se limitait au tsar, peut-être au tsarévitch, mais pas aux femmes de la famille Romanov. La population d’Ekaterinbourg accueillit la mort du tsar avec « une stupéfiante indifférence ».

Le 16 juillet au soir, Iourovski procura des pistolets à ses hommes. Après minuit, il demanda aux Romanov et à leurs domestiques (Evgueni Botkine, Anna Demidova, Ivan Kharitonov et Aloïs Troupp) de se préparer à être transférés dans un lieu plus sûr. Tout le monde descendit par les escaliers intérieurs jusqu’au sous-sol. L’ex-tsar portait son fils dans ses bras. Il y avait deux chaises, où s’assirent l’empereur et l’impératrice, Alexis se trouvait sur les genoux de son père, les grandes-duchesses et leurs domestiques se trouvaient debout à côté du couple impérial.

Iourovski, prétextant qu’il allait chercher un appareil photographique pour prouver leur bonne santé auprès de Moscou, alla régler les derniers détails du massacre avec ses hommes de mains, puis il ouvrit la double porte où se trouvaient les prisonniers. Les douze hommes s’alignèrent sur le seuil en trois rangs. Dehors, le chauffeur du camion mit le moteur en marche pour couvrir le bruit des détonations.

Au premier rang des tueurs, Iourovski sortit un papier et se mit à le lire rapidement : « Du fait que vos parents continuent leur offensive contre la Russie soviétique, le comité exécutif de l’Oural a pris le décret de vous fusiller. » La fusillade se déchaîna aussitôt, dans le désordre le plus absolu. Il n’était plus question de préséance révolutionnaire : la plupart des soldats visèrent le tsar. Le choc des multiples impacts le projeta en arrière et il s’effondra, mort sur le coup. Alexandra et la grande-duchesse Olga eurent à peine le temps d’esquisser un signe de croix avant de tomber à leur tour, ainsi que Troupp et Kharitonov.

Dans la fumée de la poudre qui emplissait la pièce, le tsarévitch effondré par terre, faisait preuve, selon Iourovski, d’une « étrange vitalité » : il rampait sur le sol en se protégeant la tête de la main. Nikouline, maladroit ou trop énervé, vida sur lui un chargeur sans réussir à le tuer. Iourovski dut l’achever de deux balles dans la tête. Le sort des grandes-duchesses fut encore plus horrible : les projectiles ricochaient sur leurs corsets où elles avaient cousu des bijoux et des pierres précieuses pour les dissimuler aux gardiens.

Iourovski dira, plus tard, qu’elles étaient « blindées » (ce détail, une fois connu, a alimenté les rumeurs des survivants car les bijoux avaient servi de gilets pare-balles, et également celle d’un fabuleux trésor). Anna Demidova fut aussi longue à mourir. Les tueurs avaient vidé leurs armes, mais cela ne suffit pas, car trois des grandes-duchesses étaient encore en vie.

Selon son témoignage, Kabanov alla chercher la baïonnette d’une  Winchester pour les achever. D’autres l’imitèrent.

Les victimes sont au nombre de onze : Nicolas II, sa femme Alexandra Fedorovna, ses quatre filles Olga, Tatiana, Maria et Anastasia, son fils Alexis, le médecin de la famille Ievgueni Botkine, la femme de chambre Anna Demidova, le valet de chambre Alexeï Trupp et le cuisinier Ivan Kharitonov. Une vidéo reconstituant le massacre du tsar et de sa famille permet de mieux comprendre le déroulement des événements.

Aussitôt l’exécution terminée, les corps sont chargés dans un camion et emmenés à un ancien puits de mine, dans le bois de Koptiaki, où ils sont jetés après avoir été dépouillés de leurs vêtements et de leurs bijoux. Iourovski s’avise vite cependant que les Blancs ne tarderont pas à les retrouver. La nuit suivante, aidé d’un autre commando, il repêche les cadavres et les emmène plus loin dans la forêt. À un moment, le camion s’enlise définitivement dans le sentier et il décide de les enterrer sur place. Après avoir fait brûler deux corps, les hommes de Iourovski préparent une fosse commune pour les autres. Ils y installent les corps, les aspergent d’acide sulfurique pour empêcher leur identification s’ils étaient retrouvés, puis remplissent la fosse en plaçant, par-dessus, des traverses de chemin de fer.

Deux jours plus tard, Iourovski part pour Moscou, emmenant avec lui les biens des Romanov. Il est également chargé de convoyer jusqu’à la capitale l’or des banques de l’Oural. Il expliquera ses actes dans sa confession du 1er février 1934.

Voir aussi cette vidéo :

https://www.youtube.com/watch?v=hR3lU_81h_8

Sources : Wikipédia, YouTube.

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