Mustafa Kemal Atatürk, premier Président de la Turquie.

Kemal Atatürk (jusqu’en 1934 : Mustafa Kemal Pacha, en turc ottoman مصطفى كمال پاشا Muṣṭafâ Kemâl Paşa ; à partir de 1935 Kamâl Atatürk), communément appelé Mustafa Kemal Atatürk ou parfois simplement Mustafa Kemal, né en 1881 à une date inconnue à Salonique (alors situé au sein de l’Empire ottoman) et mort le 10 novembre 1938 à Istanbul, est un homme d’État turc, fondateur et premier président de la République de Turquie de 1923 à 1938.

Il s’illustre lors de la Première Guerre mondiale, où il devient un héros national grâce à sa contribution lors de la victoire contre toutes attentes sur les Alliés à la Bataille des Dardanelles. Durant l’occupation alliée de l’Empire ottoman, il refuse de voir la nation être démembrée par le traité de Sèvres. Accompagné de partisans, il se révolte contre le gouvernement impérial et crée un deuxième pouvoir politique à Ankara. C’est de cette ville qu’il mène la résistance contre les occupants lors de la guerre d’indépendance turque.

Sous son commandement, les forces turques vainquent les armées arméniennes et italiennes. Puis il défait les armées grecques qui occupent la ville et la région d’Izmir, la Thrace orientale et des îles de la mer Égée (les actuelles îles de Gökçeada, Bozcaada, et Cunda). Après la bataille de la Sakarya d’août à septembre 1921, la Grande Assemblée nationale de Turquie lui donne le titre de « Gazi » (« Le victorieux »). Il parvient ensuite à repousser définitivement les armées grecques hors de Turquie. À la suite de ces victoires, les forces alliées s’engagent à quitter le pays.

Inspiré par la Révolution française, il profite de ce qu’il considère comme une trahison du sultan Mehmed VI lors de l’armistice de Moudros de 1918 pour mettre un terme à son règne le 1er novembre 1922.

Après la proclamation de la République, il déplace la capitale d’Istanbul à Ankara et occidentalise le pays à travers plusieurs réformes radicales dans une volonté farouche de rupture avec le passé impérial ottoman et islamique. Ainsi, il inscrit la laïcité dans la constitution, supprime l’islam en tant que religion officielle, abolit les instances chariatiques, donne le droit de vote aux femmes, et remplace l’alphabet arabe par l’alphabet latin. Sous sa présidence autoritaire dotée d’un parti unique, la Turquie a mené une révolution sociale et culturelle sans précédent, qu’on appelle généralement « révolution kémaliste ». Le 24 novembre 1934, l’Assemblée lui donne le nom d’« Atatürk », littéralement le « Turc-Père », au sens de « Turc comme l’étaient les anciens », le mot « Ata » voulant dire ancêtre.

Il meurt d’une cirrhose le 10 novembre 1938. Au cours de funérailles nationales, il est enterré au musée ethnographique d’Ankara. Son corps repose aujourd’hui dans le mausolée dit de l’Anıtkabir à Ankara.


En 1911, les troupes italiennes prennent Tripoli, territoire alors sous contrôle ottoman. Mustafa Kemal est volontaire pour partir au front.L’armée ottomane manque de cadres dans ce pays et confie à Mustafa Kemal un poste dans la région de Tobrouk et de Derna. Le 22 décembre 1911 Mustafa Kemal est victorieux lors d’une contre-offensive qui permet de repousser l’armée italienne. Après cette victoire à Tobrouk, il prend le commandement militaire de Derna le 6 mars 1912.

Mais en octobre 1912, le Monténégro déclare la guerre à l’Empire ottoman, et est immédiatement suivi de la Serbie, de la Bulgarie et de la Grèce. Le gouvernement turc conclut en toute hâte un traité de paix avec les Italiens et ordonne à ses troupes d’évacuer la Libye. Mustafa Kemal rentre en Turquie.

De retour en Turquie, Kemal y trouve une situation déplorable : les armées ottomanes ont été battues sur tous les fronts. Les Serbes ont progressé sans rencontrer de résistance sérieuse et se sont emparés de Durazzo et de Monastir ; quant aux Grecs, ils ont pris Salonique et ont fait plus de 25 000 prisonniers. Les Bulgares ont marché sur Istanbul et ont martelé les fortifications de Chataldja. Les Ottomans sont défaits dans pratiquement toutes leurs possessions d’Europe.Mustafa Kemal prend alors part à la première guerre balkanique. Il est chef d’état-major d’une division chargée de défendre la ligne de fortifications située en travers de la presqu’île de Gallipoli en face de Bulaïr. Au cas où cette position stratégique serait prise par les Bulgares, ils contrôleraient alors les Dardanelles, d’où ils pourraient envahir l’Anatolie et prendre Istanbul à revers. Les Bulgares lancent huit offensives qui sont toutes repoussées. Les villes de Dimetoka et d’Edirne sont reprises à l’ennemi. C’est une victoire pour Kemal.

À la fin de la guerre balkanique, le triumvirat confie la réorganisation de l’armée ottomane à l’Allemagne, ce qui irrite les officiers ottomans, dont Mustafa Kemal, qui ne cessent de dénoncer la germanophilie d’Enver Pacha. Pour se débarrasser de lui, ce dernier le nomme au poste de lieutenant-colonel et l’expédie comme attaché militaire à Sofia en 1913.

À la suite de l’entrée en guerre de l’Empire ottoman au côté de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, Hakki Pacha affecte Kemal dans une unité commandée par le général allemand Liman von Sanders. Convaincu que l’attaque des Alliés se passera à Gallipoli, il y installe son quartier général.

L’attaque des Alliés contre Gallipoli se précise. Von Sanders prépare ses troupes à défendre une côte longue de 80 km. Ne sachant pas où aurait lieu l’attaque principale, il crée trois unités de 20 000 hommes chacune se répartissant sur la côte. Mustafa Kemal reçoit le commandement du groupe situé devant le cap Hellès, au sud de la péninsule.

Sanders charge Kemal de créer la 19e division à Tekirdağ, une brigade composée de Turcs et d’Arabes, à l’arrière des zones de débarquement.

L’attaque franco-britannique a lieu le 25 avril 1915. Mustafa Kemal, se trouve devant l’attaque principale. Il parvient à stopper la progression des Australiens pendant la journée que durent les combats. À la nuit tombante, la crête est toujours entre les mains des Ottomans. Mustafa Kemal contre-attaque durant la nuit et la journée qui suivent, sans parvenir à repousser les Australiens. Il est cependant promu au rang de colonel pour avoir tenu la place.

Vers le début du mois de juin, il découvre un point faible dans les lignes ennemies et décide d’y effectuer une percée. L’attaque, préparée pour le 28 juin, doit être exécutée par un régiment turc d’élite, nouvellement arrivé à Gallipoli. L’offensive se solde par un échec cuisant, et le 18e régiment d’infanterie est décimé.

Les Australiens, qui avaient pris entretemps un avantage stratégique en prenant la crête de la colline, se préparent à lancer une nouvelle offensive. Le général von Sanders confie à Mustafa Kemal le commandement du seul corps d’armée présent sur la presqu’île. Dès l’aube, les deux attaques se déclenchent simultanément. Après une terrible bataille, les Turcs en ressortent vainqueurs, empêchant la progression des Australiens. Après cette victoire, Mustafa Kemal se dirige au sud pour prendre le commandement de la bataille de Chonuk-Baïr.

Le combat éclate en pleine nuit. Après une longue bataille, les Ottomans balayent les deux bataillons britanniques et rejettent les troupes néo-zélandaises à la mer. Les Britanniques renouvellent leur offensive par deux fois, le 21 et le 22 août, mais ils sont repoussés. Après ce succès, Mustafa Kemal est promu au rang de pacha – général – et commande l’ensemble du front d’Anafarta. Durant la bataille des Dardanelles, l’Empire Ottoman, au prix de 253 000 victimes, est parvenu à protéger les Détroits, passage éminemment stratégique. Pendant la bataille, Mustafa Kemal déclare à ses hommes : « Je ne vous ordonne pas de combattre, mais de mourir. »

À la suite de son action dans la bataille des Dardanelles, Mustafa Kemal est considéré comme un héros dans tout l’Empire. Les journaux le qualifient de « sauveur des Dardanelles et de la capitale ». De retour à Istanbul, il se voit toutefois refuser le portefeuille de ministre de la défense par Talaat Pacha devenu Grand Vizir à cause de ses critiques virulentes dans les choix militaires de ce dernier. En 1916, il se voit confier le commandement du 16e corps d’armée au Caucase puis celui de la 2e armée à Diyarbakır où, avec l’aide du général Kazım Karabekir et de son chef d’état-major, le colonel İsmet İnönü, il entreprend de reconstituer complètement les troupes mises à mal avec pour objectif de résister aux forces tsaristes. La révolution bolchevique de 1917 désorganise l’armée du Tsar et Kemal lance une offensive contre les provinces arméniennes : il reprend Muş et Bitlis. Il se prépare à marcher sur Batoumi, lorsqu’il est rappelé en Syrie où les Britanniques soutiennent les indépendantistes arabes. Il est intégré sous les ordres du général allemand Erich von Falkenhayn où il se voit confier le commandement de la 7e armée de « l’Asien-Korps ». Il est rapidement démis de ses fonctions pour causes médicales (paludisme).

Il passe sa convalescence à Istanbul, où il reçoit les officiers opposés à la présence allemande dans le pays. Il est envoyé en 1918 en Allemagne avec l’héritier de la couronne, le prince Vahidettin dans le but de le réconcilier avec le modèle allemand. Il va au contraire tenter de convaincre le futur sultan de se désolidariser de l’Allemagne qu’il estime en train de perdre la guerre. Il l’incite également à limoger son grand vizir.

De nouveau malade et convalescent, Kemal apprend la mort de Mehmed V. Il décide d’aller à Istanbul pour rencontrer le nouveau sultan et le convaincre de ses vues. Toutefois Mehmed VI, conseillé par son beau-frère Damad Ferid ne tient pas compte de l’avis de Kemal et ce dernier est renvoyé en Syrie.

Les partis politiques sont extrêmement divisés sur l’attitude à adopter par rapport aux occupants. Certains veulent transformer l’Empire ottoman en un protectorat américain. Pour Kemal, l’occupation étrangère est vécue comme une humiliation. Il tente de convaincre les partis politiques de ne pas accorder leur confiance au Grand Vizir, Tewfik Pacha. Mais ceux-ci le soutiennent à une écrasante majorité. Kemal tente malgré tout de convaincre le sultan de résister à l’occupant, ce que ce dernier refuse. Il considère Kemal comme un homme vulgaire, dangereux et impulsif auquel il ne fait pas confiance. Le lendemain, il dissout le parlement et nomme son beau-frère, Damat Ferid Pacha, Grand Vizir.Kemal est isolé et ses appels à la résistance ne rencontrent guère d’écho. La démobilisation de l’armée met un terme à sa carrière militaire. Il se retire à Shishli, aux environs d’Istanbul en compagnie du colonel Arif.

Quelques mois plus tard, les Alliés se retrouvent en difficulté face à leur opinion publique qui demande la paix et la démobilisation des troupes. Les Français, les Britanniques et les Italiens décident de démobiliser une partie de leurs troupes stationnées dans l’Empire ottoman. En mai, les troupes grecques se déploient dans la région de Smyrne, où vit la minorité grecque d’Asie Mineure20, ce qui va attiser la rancœur turque. Les appels à la lutte se font de plus en plus insistants à la suite de ce déploiement. Kemal est rappelé pour mater la rébellion.

Il embarque avec le colonel Arif et Refet sur le Bandırma en direction de Samsun, mais un rapport de police remis à Mehmed VI le dénonce comme sympathisant de la cause rebelle. Celui-ci ordonne son arrestation. Kemal débarque à Samsun le 19 mai 1919 où il est étroitement surveillé par les Britanniques. Pour échapper à cette filature, il transfère son quartier général à Kavas puis à Amasya.

Le 22 juin, Refet, Ali Fuat et Rauf prennent le parti de Kemal et décident d’unifier les organisations de résistance sous les ordres d’un état-major unique.

Kemal cesse alors toute relation avec le pouvoir impérial et constitue un nouveau pouvoir politique en Anatolie. Il s’assure le soutien des officiers initialement rétifs à sa politique. Un congrès est convoqué à Sivas pour le mois d’octobre et tout l’Empire est invité à y envoyer des délégués. Kemal y obtient le soutien des principaux chefs militaires du pays.

Fort de ce nouveau statut et secondé par les inspecteurs et commandants régionaux, il organise les mouvements populaires. Dans chaque ville et dans chaque village, les comités de résistance populaire se créent. Les officiers démobilisés sont les premiers à répondre à cet appel, entraînant avec eux un nombre croissant de volontaires.

Le sultan Mehmed VI demande des explications à Kemal sur ses activités. Kemal lui demande de se mettre à la tête du nouveau mouvement de résistance. Furieux, Le sultan le relève de ses fonctions le 8 juillet 1919 et casse son grade de général. Il signifie aux autorités militaires et civiles de ne plus obéir aux ordres de Kémal.

Il reçoit le soutien de ses compagnons, à la condition qu’il ne porte pas atteinte à l’autorité ou au prestige du sultan.

Il avance en septembre la date de la tenue du congrès de Sivas et entre-temps convoque un congrès à Erzurum du 23 juillet au 7 août 1919 au cours duquel Kemal obtient le soutien de Kazım Karabekir qui est à la tête de la 2e armée du général Bekir.

Le sultan, relayé par les Hodja et les prêtres, exhorte les Turcs à prendre les armes contre les nationalistes de Kemal, présentés comme les ennemis de Dieu. L’inévitable guerre civile éclate dans toute sa brutalité. À Konya, les insurgés arrachent les ongles et écartèlent les envoyés de Kemal. En représailles, les notables de la ville sont pendus publiquement par les forces kemalistes.

Les nationalistes essuient plusieurs défaites, et l’armée du Sultan se rapproche d’Ankara, siège du nouveau parlement. Des désertions ont lieu chez les troupes les plus fidèles à Mustafa Kemal. Ce dernier se voit contraint de se replier.

À la grande stupeur des Turcs, le traité de Sèvres qui consacre le dépeçage de l’Empire est signé par Mehmed VI le 10 août 1920. En Anatolie, les territoires ethniquement et historiquement arméniens avant le génocide de 1915-1916 deviennent indépendants. Les zones partiellement grecques de la côte (Smyrne) sont rattachées à la Grèce, le Kurdistan devient autonome. Les zones ethniquement turques sont divisées en zones d’influence des puissances occidentales. L’armée est dissoute, et un système de tutelle étrangère mis en place. Pour Norbert de Bischoff, « Ainsi s’effondrait après une chute sans égale, un des plus grands empires qu’ait connus l’histoire moderne ». Le rejet est très vif dans la population turque. « Si ce document fut signé par le gouvernement ottoman d’Istanbul, la plupart des Turcs, dans la presque totalité du pays, ne reconnaissent que l’autorité du gouvernement d’Ankara dirigé par Mustafa Kemal qui, lui, refuse catégoriquement ce traité et ses clauses. »

Les Turcs prennent fait et cause pour les nationalistes. De toute l’Anatolie, hommes, femmes et enfants affluent vers Ankara. Font partie du mouvement : fonctionnaires, anciens députés, généraux et officiers, ingénieurs, agents de chemin de fer, etc. Mustafa Kemal constitue aussitôt un gouvernement de salut public, et il charge des généraux d’organiser la défense nationale.

L’armée du Calife se désagrège d’elle-même en quelques jours, sauf à Izmit où elle sert de couverture à la garnison britannique.

Le spectre de la guerre civile s’éloignant avec le basculement massif en sa faveur, Mustafa Kemal s’attaque aux troupes étrangères. En septembre 1920, Kemal charge Kazım Karabekir d’attaquer et de repousser les forces arméniennes au-delà des frontières turques. S’ensuivent les reprises des villes de Sarıkamış le 20 septembre 1920, de Kars le 30 octobre 1920 et de Gumri le 7 novembre 1920. Un traité de paix avec l’Arménie est signé à Gumri.

Les Turcs sont soutenus par les Soviétiques qui leur livrent des armes. Lénine et Trotski envoient le vice-commissaire Frounze pour appuyer et conseiller l’armée turque.

L’objectif suivant des troupes kémalistes est de mater les revendications autonomistes kurdes, ce qui est rapidement réglé.

En janvier 1921, les villes de Maraş et Urfa (1919-1921) puis de Pozantı sont reprises aux Français. Le gouvernement d’Ankara signe un traité de paix provisoire avec la France libérant la Cilicie. Par la suite, l’armée de Kemal repousse les forces italiennes, forcées de fuir le pays.

Enfin, Mustafa Kemal décide de libérer Istanbul. Après une attaque fulgurante contre les forces britanniques, le Haut-commissaire britannique prépare ses hommes à l’évacuation. Le sultan promet aux puissances signataires du traité de Sèvres d’accepter le protectorat de « celle d’entre elles qui serait disposée à lui prêter assistance ».

Comme les Alliés n’ont plus les moyens d’envoyer des hommes combattre Mustafa Kemal, l’homme d’État grec Elefthérios Venizélos leur propose de confier la prise de l’Empire ottoman à la Grèce. Son but est de mettre en œuvre la Grande Idée.

Le pacte est conclu en moins de 48 heures et la Grèce envoie une première armée en Thrace orientale. Elle encercle et désarme la 1re armée turque commandée par le général Jaffar Tayar. Puis, cette même armée débarque à Edirne et désarme les forces turques. D’autres armées grecques interviennent également.

En 1921, les Turcs perdent du terrain et Kemal, conscient de la faiblesse des troupes irrégulières, lève au printemps une armée régulière en y intégrant les maquisards et l’armée verte de Edhem24. Mais Edhem refuse catégoriquement de rejoindre l’armée régulière et il propose au contraire ses services au Sultan. Mehmed VI refuse, Edhem se met alors au service des Grecs et fait envoyer à l’Assemblée d’Ankara une proclamation dans laquelle il déclare : « le pays est las de la guerre. Le seul qui la désire encore est Mustafa Kemal. Renvoyez cette brute sanguinaire et concluez immédiatement la paix. Je me fais l’interprète des vœux de la nation. »

Kemal n’a d’autre choix que de confier à İsmet İnönü la mission de combattre l’Armée verte. Les forces régulières de Refet Pacha capturent l’état-major d’Edhem et désarment ses soldats à Kütahya. Edhem s’enfuit et rejoint les Grecs avec lesquels il établit une collaboration. Le général grec Papoulas décide de mener son attaque au mois de janvier 1921.

Le 6 janvier, les Grecs prennent la ville d’Afyonkarahisar. İsmet İnönü lance sa 61e division et un groupe de cavalerie sur Kütahya, puis il contre-attaque victorieusement à la hauteur d’İnönü. C’est la première victoire d’İnönü (6-10 janvier 1921) et des nouvelles forces kémalistes contre les forces grecques. Cette bataille a un retentissement énorme dans tout le pays. Mustafa Kemal utilise cette victoire à son avantage en convoquant en séance plénière le parlement le 20 janvier 1921. La loi constitutionnelle affirmant « la base de l’État turc et la souveraineté du peuple » y est votée.

Les populations civiles doivent payer un lourd tribut à la guerre. Tout d’abord, les populations grecque-orthodoxe et arménienne dont les dirigeants se sont rangés du côté des Grecs ont subi de lourdes pertes, tant matérielles qu’en vies humaines.

Ensuite, les accords d’armistice prévoient la cession à la Turquie de l’Anatolie, de la Thrace orientale et des îles d’Imbros et de Ténédos. Il s’ensuit un échange forcé de populations entre les communautés grecques d’Asie mineure et les communautés turques de Grèce. Les chrétiens grecs -même turcophones d’Anatolie intérieure- et les musulmans crétois – même grécophones – sont contraints à l’exil. Ce sont près de 1 500 000 Grecs et 500 000 Turcs qui sont transférés entre ces territoires.

Un accord est toutefois trouvé pour les communautés turques de Thrace occidentale (Grèce) qui sont autorisées à rester sur leurs terres ancestrales en échange du même droit accordé à la communauté grecque orthodoxe d’Istanbul avec la préservation de leur patriarcat.

Ces événements restent gravés dans la mémoire collective grecque sous le nom de « catastrophe d’Asie mineure » (Mikrasiatiki Katastrofi). Ce transfert sert aussi d’argument lors de la guerre de Palestine de 1948 pour justifier les positions israéliennes s’opposant au retour des réfugiés palestiniens et défendant un échange entre les 750 000 réfugiés arabes palestiniens de Palestine et les 800 000 réfugiés juifs du monde arabe.

Les survivants du génocide arménien voient leur espoir d’un État indépendant s’effondrer, et doivent pour la plupart partir en exil.

Atatürk est élu à la présidence de l’Assemblée nationale à deux reprises, le 24 avril 1920 et le 13 août 1923. Il s’agissait alors d’une charge cumulant les fonctions de chef d’État et de gouvernement. Lorsque la République est proclamée le 29 octobre 1923, Atatürk en est élu le premier président pour quatre ans, conformément à la constitution.

La République turque se construit autour de principes inspirés de la Révolution française. L’unité de la République, la sécularisation, mais aussi l’occidentalisation et la modernisation du pays. En effet, le régime kémaliste au lendemain de la chute de l’Empire ottoman veut recréer une nouvelle identité nationale, étatiste et laïque sur le modèle rigoureusement suivi en tout point de la république française. Pour ce faire, Mustafa Kemal doit abattre les dernières institutions de l’ancien Empire ottoman. Une de ses premières mesures radicales fut de décréter la suppression des caractères arabes au profit de l’alphabet latin.

Enfin, l’unité nationale se veut structurée autour d’une unité ethno-culturelle forte. Les minorités allogènes (Arméniens, Grecs et Kurdes) doivent quitter le pays ou s’assimiler.

À partir de 1924 et 1925, les syndicats et les partis d’opposition sont interdits. Un véritable culte de la personnalité entoure alors le Président de la République. Mustafa Kemal devient de plus en plus autoritaire. Il est de plus en plus contesté, même au sein de son propre parti, le Parti républicain du peuple. Les principaux opposants sont Rauf Orbay, Kazım Karabekir et Ali Fuat. Ils démissionnent ensemble du CHP pour fonder leur propre parti, le Parti républicain progressiste (Terakkiperver Cumhuriyet Fırkası). Kazım Karabekir en devient son premier président. Mais le 3 juin 1925, le parti est interdit à la suite de la révolte kurde menée par le Cheikh Said. Après une grave crise économique qui touche la Turquie en 1925 et 1926, un complot voit le jour pour assassiner Mustafa Kemal.

Les anciennes cellules du Comité Union et Progrès sont reconstituées en secret. Les anciens amis de Kemal, Rauf, Refet, Ali Fuad, Kazım Karabekir et d’autres chefs de file de l’opposition sont accusés par le régime de s’être alliés pour renverser le gouvernement. Les rapports de police de l’époque indiquent que le chef du complot est Cavit Pacha, ancien ministre des finances sous le gouvernement Jeunes-Turcs.

En juillet 1926, Mustafa Kemal se rend en visite officielle à Smyrne. Deux jours avant sa visite, la police arrête trois individus suspects. Elle découvre plusieurs bombes dans leur maison. Les prévenus avouent avoir voulu assassiner Mustafa Kemal sur l’ordre de plusieurs parlementaires. Un des parlementaires, interrogé à son tour, avoue que l’assassinat du Président aurait dû permettre aux quatre grands Pachas, Refet, Ali Fuad, Kazım Karabekir et Adnan, de prendre le pouvoir avec Rauf et Cavit. Mustafa Kemal les fait arrêter sur le champ et comparaître devant un tribunal d’indépendance.

Les prévenus les moins importants sont jugés et pendus le jour même. Se trouve parmi eux le colonel Arif, le confident de toujours de Mustafa Kemal. Kemal signe son arrêt de mort sans sourciller. La deuxième partie du procès a lieu à Ankara. Tous les chefs de l’opposition sont alors enfermés dans un petit box. Refet, Ali Fuad et Kazım Karabekir sont condamnés à la dégradation militaire et à l’indignité nationale à vie. Ils retrouveront leur liberté quelques jours plus tard. Quant à Cavit, il est condamné à mort.

Mustafa Kemal utilise ce complot pour donner la vision d’une Turquie menacée par des ennemis de l’intérieur.

Après s’être débarrassé de toute opposition, Mustafa Kemal modifie le mode de fonctionnement de l’Assemblée Nationale. Dorénavant, les députés seront choisis exclusivement parmi les membres du Parti républicain du peuple, qui devient de fait parti unique. Les membres du parti sont désignés par le président du parti, Mustafa Kemal, et le président de la République est élu par les députés de l’Assemblée. Le système électoral est dès lors fermé et plus aucune opposition ne se manifeste alors au sein du parlement.

Le parlement renouvelle le mandat présidentiel de Mustafa Kemal en 1927, 1931 et 1935 qui refuse de devenir président à vie. En 1930, il déclare :

« Je ne mourrai pas en laissant l’exemple pernicieux d’un pouvoir personnel. J’aurai fondé auparavant une République libre, aussi éloignée du bolchevisme que du fascisme. »

Le verrouillage politique du pays lui permet de mener la révolution qu’il souhaite mettre en œuvre : la Révolution à toute vapeur. Il entreprend la construction de la nouvelle Turquie mais il se heurte à un problème de financement : les caisses de l’État sont vides. Il lui est conseillé de recourir au crédit étranger. Or d’après lui, « le meilleur moyen de perdre son indépendance, c’est de dépenser l’argent qu’on ne possède pas. » Il a en mémoire les effets qu’a eus la dette ottomane sur l’Empire ottoman et sur l’économie du pays, et il pense qu’en ayant recours aux capitaux étrangers, la Turquie perdrait une partie de son indépendance.

Pour financer ses projets, il décide de créer plusieurs banques, comme la Sümer Bank et la Eti Bank patronnées par la Merkez Bankası (la banque centrale-1930). Ces banques drainent les capitaux pour mettre en œuvre des plans de développement économique.

Grâce à ces sources de financement, des milliers de kilomètres de routes sont construits ainsi que plusieurs centaines de ponts, un réseau de chemins de fer est créé, ce qui permet de désenclaver l’Anatolie pour accéder à un développement économique homogène. L’agriculture est revalorisée, les paysans disposent de plus de moyens et d’outils agricoles, leurs fermes deviennent plus spacieuses et plus propres. Et pour la première fois de leur histoire, ils peuvent épargner pour préparer l’avenir de leurs enfants.

Le gouvernement kémaliste entreprend avec l’aide de l’URSS d’importants plans d’industrialisation. Des dizaines de centrales électriques sont ainsi construites pour l’industrie naissante. Des dizaines de fabriques de sucre et de ciment sont créées. Suivies par des verreries et des fabriques de céramiques, des fonderies, des aciéries et des usines de produits chimiques.

Au début des années 1930, l’abstention augmente en Turquie. En effet, le peuple ne pouvant s’exprimer librement préfère s’abstenir. Mustafa Kemal sentant que lui, le parti et le parlement se coupent peu à peu du peuple, décide de créer un parti d’opposition de toutes pièces. Ce parti doit à la fois être indépendant et docile, il doit être critique sans porter atteinte au prestige du président.

Le Parti républicain libéral est ainsi mis en place le 12 août 1930 pour les élections municipales du 5 octobre de la même année. C’est son ami Fethi Okyar qui devient président du parti. Il est rejoint par une douzaine d’anciens députés avec parmi eux Adnan Menderes et Makbule Atadan, sœur de Mustafa Kemal. Ce dernier prend soin d’expliquer à Fethi ce qu’il attend de lui, en particulier sur les attaques contre son gouvernement et lui confie « Je ne veux pas mourir avant d’avoir vu, en Turquie, la disparition d’un pouvoir personnel. Je veux que la République devienne entièrement démocratique ».

Fort du soutien de Mustafa Kemal, Fethi se présente à la circonscription d’Izmir et y tient un meeting où il attaque le gouvernement. Mais des coups de pistolets y sont tirés, la panique fait un mort, la police intervient, disperse l’auditoire et arrête tous les dirigeants du nouveau parti. Mustafa Kemal doit intervenir en personne pour faire libérer Fethi et les opposants et il donne l’ordre à la police de désormais protéger les meetings.

Quelques jours plus tard, Fethi monte à la tribune de l’Assemblée nationale et critique la politique économique d’İsmet İnönü. Mais une bagarre éclate rapidement au sein de l’Assemblée entre députés des deux partis, Mustafa Kemal est contraint de faire évacuer la salle. Dans son œuvre de « démocratisation » de la Turquie, il décide de supprimer la censure dont a été victime la presse.

La liberté d’expression va permettre aux journalistes de critiquer fortement Kemal et sa politique à travers des articles ou des caricatures. Des monarchistes, des anciens d’Union et Progrès et des communistes se regroupent autour de Fethi pour critiquer le gouvernement. Dans le même temps, une grève menée par des communistes touche Izmir et des émeutes éclatent dans le Kurdistan. Fethi décide de dissoudre son parti le 17 novembre 1930 à la suite des allégations de fraude électorale que le régime a portées contre son parti pour expliquer le succès de celui-ci aux élections municipales d’octobre.

La révolte de Menemen éclate non loin d’Izmir en décembre 1930. Elle est menée par un groupe qui veut l’instauration de la charia et qui lance des critiques acerbes contre le gouvernement. Il appelle les Turcs à se révolter contre le gouvernement kémaliste. Lors d’un de ses meetings, la police intervient pour disperser la foule, mais les militants se jettent à l’attaque des policiers. Devant cette résistance inattendue, le gouvernement décide alors d’envoyer un corps d’armée, mais celui-ci refuse de combattre. La sédition gagne rapidement d’autres villes turques, comme Konya, et Bursa.

Ataturk, entier postal, Roumanie.

Devant la rébellion, Mustafa Kemal décide de revenir à l’ancien système ; il proclame l’état de siège, supprime la liberté de la presse et fait intervenir l’armée dans les régions qui se sont révoltées. Les troupes du Cheikh Mehmed se font rapidement juger et emprisonner. L’ordre revient rapidement, mais Kemal est déçu par la tournure qu’ont pris les événements. Il souhaitait créer une « opposition constructive », qui démocratiserait la Turquie, mais c’est finalement le contraire qui s’est produit.

Pour les élections de 1932, il décide de revenir au système électoral précédent, seul le Parti républicain du peuple a le droit de présenter des candidats. Mais il tente de rajeunir le parti, et d’y faire adhérer des hommes et des femmes d’origines modestes, des paysans en particulier. Pour avoir une petite opposition au sein du parlement, il désigne douze députés indépendants qui ont pour mission de critiquer l’action gouvernementale.

Kemal se rend compte que les réformes mises en œuvre par son gouvernement ne sont pas populaires. Le régime décide donc de se projeter dans un autre cadre, passant du cadre réformiste à un cadre révolutionnaire. Pour ce faire, plusieurs délégations sont envoyées en Italie fasciste et en URSS, afin d’étudier les ressorts de ces deux révolutions.

Sous cette double influence, le régime kémaliste s’oriente vers une politique de mobilisation des masses à parti unique, en créant des Maisons du peuple qui ont pour mission de diffuser la propagande du parti. La jeunesse turque est transformée en fer de lance de la révolution kémaliste à travers des associations de jeunesse officielles. Cependant le régime kémaliste ne se transforme jamais vraiment en régime fasciste, et encore moins en régime communiste34. Le modèle reste celui d’une modernisation autoritaire du pays, sans référence idéologique unique.

De son côté, Hitler considérait Atatürk comme un modèle, comme une « étoile scintillante ».

Sur le plan international, la Turquie se rapproche de l’Iran du chah Reza Pahlavi et de l’Afghanistan qui voyaient avec admiration les réformes menées par Atatürk. Reza Pahlavi tente de mener une révolution comparable à la révolution kémaliste dans son pays.

Par ailleurs, Atatürk, contre l’Union soviétique, s’appuie sur la politique semi-libérale menée par Celal Bayar et son conseiller Hirsch. Contre le nazisme, il se réconcilie avec la Grèce de Venizélos — qui propose Atatürk à l’élection du prix Nobel de la paix à la fin des années 1930 — et avec la France. Il se rapproche également de la Yougoslavie et de la Roumanie. Quand un grand journaliste autrichien, Emil Ludwig lui rapporte en 1935 que Mussolini a beaucoup de sympathie pour lui, Atatürk se met en colère et traite le chef du gouvernement italien de « hyène » à cause de la guerre d’Éthiopie.

Le 29 octobre 1933, Mustafa Kemal prononce le discours de la 10e année, qui succède entre autres au célèbre Nutuk du 15 au 20 décembre 1927 relatant la guerre d’indépendance turque et la fondation de la République.

De Thrace comme Edirne, Tekirdağ, Kırklareli et Çanakkale visant la communauté juive, Mustafa Kemal intervient énergiquement et fait rétablir l’ordre rapidement. Voyant dans ces émeutes anti-juifs l’influence directe des agents secrets allemands, il fait savoir que l’antisémitisme ne sera jamais toléré en Turquie. D’ailleurs, il ouvre la porte en 1933 à 150 universitaires Allemands d’origine juive, qui avaient perdu leurs postes en Allemagne, en leur proposant de s’installer et de travailler en Turquie. Ces universitaires ont largement contribué à la réforme universitaire de 1933 qui a permis la création de l’université d’Istanbul.

Conformément à la loi sur les noms de famille, le parlement donne le 24 novembre 1934 à Mustafa Kemal le patronyme de Atatürk, littéralement « Turc ancêtre », « Turc père ».

Atatürk ne s’est jamais beaucoup soucié de sa santé. Il ne prend pas au sérieux les recommandations de ses médecins lui conseillant de prendre du repos. Ainsi après la bataille des Dardanelles il est contraint de passer une partie de l’année 1918 dans un hôpital de Vienne pour suivre une cure à la suite de problèmes rénaux. En 1927 il est victime de plusieurs spasmes coronariens. Plus tard ses problèmes rénaux le rattrapent, et il décide pourtant de continuer à travailler pendant sa cure, ce que les médecins lui ont déconseillé de faire.

Il entreprend des voyages dans des pays lointains alors même que ses proches lui demandent de rester pour ne pas détériorer sa santé. À la suite d’un voyage important à Adana son état de santé se détériore. Le 6 septembre 1938 il rédige son testament où il affirme :

 « Je ne laisse, en tant qu’héritage spirituel, aucun verset, aucun dogme, aucune règle pétrifiée et figée. Mon héritage spirituel, c’est la science et la raison (…). Tout dans ce monde évolue rapidement. La conception du bonheur et du malheur se modifie, au fil du temps, chez les peuples et les individus. Affirmer, dans ce contexte, que l’on a su inventer des recettes éternellement valables équivaudrait à renier l’incessante évolution des idées et de la science. (…) Nul n’ignore ce que j’ai essayé de faire, ce que je me suis efforcé de réussir pour le bien de la nation turque. Ceux qui, après moi, voudront avancer dans mon sillage, sans jamais s’éloigner de la raison et de la science, deviendront mes héritiers spirituels. »

Il meurt d’une cirrhose le 10 novembre 1938 à 9h05, dans le palais de Dolmabahçe à İstanbul. Ses derniers mots sont Au revoir avant de plonger dans un profond coma. Il est enterré au musée ethnographique d’Ankara le 21 novembre 1938. Les chefs d’État du monde entier viennent présenter leurs hommages au cours de ses funérailles. Depuis le 10 novembre 1953, son corps repose à l’Anıtkabir, à Ankara.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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