Mikhaïl Evgrafovitch Saltykov-Chtchedrine (en russe : Михаил Евграфович Салтыков-Щедрин), né le 15 janvier 1826 (27 janvier 1826 dans le calendrier grégorien) à Spas-Ougol, dans l’oblast de Tver, et mort le 28 avril 1889 (10 mai 1889 dans le calendrier grégorien) à Saint-Pétersbourg, est un écrivain et satiriste russe.
Mikhaïl Evgrafovitch Saltykov est le sixième enfant d’une famille peut-être apparentée aux princes russes Saltykov du côté paternel, et de marchands anoblis du côté maternel. En août 1836, il commence des études dans un établissement renommé de Moscou, l’institut de la noblesse. En 1838, il est envoyé au lycée de Tsarskoïe Selo. En 1843, Le lycée Impérial est transféré à Saint-Pétersbourg. La discipline se durcit. Saltykov termine ses études en 1844, assez médiocrement, et entame une carrière de fonctionnaire au ministère de la Guerre.
En 1841, Saltykov publie quelques vers dans la Bibliothèque de lecture, et en 1847, sous le pseudonyme de Nepanov, un roman imité de George Sand, Les Contradictions. Son roman, réputé innocent en 1847, est jugé délictueux en 1848. Tout comme Fiodor Dostoïevski (mais un peu avant lui), il fréquente le cercle de Petrachevski.
Sa veine et sa verve se développent plus tard, sous l’influence des idées socialistes, et probablement aussi de l’exil prolongé qu’il subit. Il doit sa liberté, huit ans après, seulement à la réaction libérale qui accompagne l’accession au trône d’Alexandre II en 1855.
Saltykov-Chtchedrine fait partie des journalistes de la revue des frères Dostoïevski lors de sa création en 1861, Le Temps. Dostoïevski loue son talent, mais Chtchedrine devient ensuite son adversaire le plus cruel. Quand Le Temps cesse de paraître et que l’Époque le remplace, Chtchedrine le surnomme Le Jupon par dérision.
Alors paraissent dans Le Messager russe ses Esquisses provinciales, qui semblent une continuation des Âmes mortes de Nicolas Gogol, avec moins d’humour et plus d’âpreté, une verve enragée. Appartenant à une des familles les plus aristocratiques du pays, le flagellateur fait maintenant figure de personnage officiel, gouverneur de Riazan d’abord, puis de Tver.
Cette carrière administrative convient peu à Saltykov. En 1868, le fonctionnaire Saltykov disparait pour toujours derrière Chtchédrine, collaborateur du Contemporain, puis, après la suppression de cette revue, co-rédacteur avec Nekrassov des Annales de la Patrie, qui cessent de paraître à leur tour en 1884. Sa physionomie littéraire se précise à ce moment. Il est et il reste presque jusqu’à son dernier trait de plume le tortionnaire de la presse et de la société contemporaine, évoquant successivement à la chambre de question et fustigeant ou marquant au fer rouge toutes les catégories sociales, toutes les nuances d’opinion et tous les groupes, y compris le sien.
Dans ses Esquisses, c’est d’abord la bureaucratie provinciale qu’il critique. C’est sa première œuvre caractéristique. Avant les réformes, dès 1857, il accuse d’abus l’administration bureaucratique et affirme sa sympathie pour la classe des paysans.
Ainsi sont mis en évidence, du haut en bas de l’échelle, les phénomènes identiques de perversion et d’avilissement du sens moral : manque de caractère, corruption, mensonge, se reproduisant sous diverses formes à tous les degrés ; tyrannie insolente en haut, esclavage rampant en bas ; formalisme et vie mécanique partout, avec un mince vernis de civilisation recouvrant toutes ces misères.
L’idée constante de Saltykov semble être qu’il n’y a, au fond, rien de changé en Russie, depuis le XVIIIe siècle ; la démoralisation, l’obscurantisme et la barbarie y sont restés au même point ; l’œuvre libérale de 1860 n’a servi elle-même qu’à produire des phénomènes nouveaux de décomposition morale.
Dans les œuvres qui suivent, l’auteur élargit sa manière, en étendant aussi le champ de son observation. Après la guerre de Crimée, il s’en prend à l’espèce de renaissance intellectuelle et morale suscitée par cette banqueroute du patriotisme officiel ; il en dénonce la phraséologie vide, et tout progressiste qu’il soit, plaisante les idées nuageuses de progrès qui y flottent à l’état vaporeux.
De 1861 à 1867, il passe en revue les types de transition créés par la grande réforme : propriétaires ne sachant quel parti tirer de leur nouvelle situation ; marchands d’eau-de-vie ; entrepreneurs de chemin de fer et usuriers exploitant cette situation et seuls bénéficiaires de l’acte émancipateur ; gouvernants effrayés par les conséquences de leur œuvre ; auteurs variant d’un jour à l’autre dans leur façon de l’apprécier. Avec les nouveaux représentants des classes dirigeantes, « les hommes de culture » qu’elle s’est donnés, la Russie ressemble à un vase lavé extérieurement : le dedans reste tout aussi malpropre.
De 1867 à 1881, nouvelle série d’esquisses, dominées par le type des Messieurs de Tachkent, hommes de culture d’espèce particulière, champions de l’instruction sans alphabet et chercheurs de fortune sans travail.
La ville et les environs de Tachkent étaient devenus, à cette époque, une sorte de Klondyke. Des allusions obscures aux événements du temps, ainsi que des longueurs et des divagations fréquentes, rendent la lecture de ces volumes difficile et ingrate. La verve de l’auteur y paraît d’ailleurs un peu forcée.
Saltykov n’est cependant jamais un romancier au sens propre du mot. Dans la préface de ses Tachkentsy, il va jusqu’à condamner cette forme littéraire, comme prescrite, ne répondant plus aux besoins du temps.
Ses récits ne contiennent aussi généralement aucun élément d’intérêt romanesque et constituent plutôt des essais d’analyse et de critique sociale, compromis par une part assez grande de fantaisie et un parti pris égal d’exagération. Dimitri Pissarev n’y voyait que « du rire pour rire ».
Après 1880, le fécond écrivain modifie d’ailleurs une fois de plus sa manière. Le tumulte intellectuel et politique des années précédentes s’est apaisé : plus de grands mouvements et d’âpres conflits. Et, en composant ses Bagatelles de la vie, Chtchédrine semble se mettre au diapason commun, s’appliquant à montrer le rôle, dans la vie, des petits détails, qui l’absorbent et la mangent.
Après quoi, passant de l’analyse à la synthèse, il envisage, dans ses Contes, les éléments généraux communs à l’existence de tous les peuples, à travers tous les temps.
En dépit de quelques contradictions trop apparentes qui déparent cette partie de son œuvre, on peut dire qu’il s’y est égalé aux plus grands écrivains européens. Le ton général est celui d’un sceptique et d’un pessimiste à fond, ayant perdu la foi dans l’humanité et concevant la lutte pour la vie comme la loi suprême de l’existence. Tel semble bien le sens du Pauvre loup, par exemple, que l’auteur nous montre obligé de voler et de tuer pour vivre. Mais voici qu’à côté, dans les Contes de Noël, remplis de pathos, pénétrés d’un sentiment religieux profond, une note toute différente éclate : la foi dans l’amour divin relevant l’humanité de toutes ses misères.
De ses contradictions et de ses erreurs de jugement, Chtchédrine a paru vouloir, vers la fin de sa vie, faire amende honorable, en écrivant Le Bon Vieux Temps (Pochékhonié d’autrefois) , une évocation de la vie des propriétaires ruraux d’avant la réforme, et c’est, pour le coup, une épopée où des traits d’humanité et d’amour chrétien rachètent quelques rares défaillances et quelques ridicules.
Voir aussi cette vidéo :
Sources : Wikipédia, YouTube.