Michel Servet, médecin et théologien.

Michel Servet (en espagnol Miguel Serveto y Conesa ou Miguel Servet ou Serveto), né vers 1511 à Villanueva de Sigena dans le Royaume d’Aragon et exécuté le 27 octobre 1553 à Genève, est un médecin et théologien espagnol, naturalisé français en 1548.

Comptant parmi les humanistes les plus érudits de son temps, il s’intéresse à toutes les branches du savoir, de la géographie aux mathématiques, de l’alchimie à l’astrologie, de la médecine à la théologie. Le médecin est l’un des premiers à décrire la petite circulation sanguine dite circulation pulmonaire. Épris de tolérance et de liberté, le penseur développe une théologie radicale qui, prônant un retour à la pureté originelle de l’Évangile, refuse le baptême avant l’âge de 20 ans, réfute le dogme de la Trinité (hérésie qui révulse autant les catholiques que les réformés) et nie la divinité du Christ (ce qui lui vaut l’accusation alors très grave d’arianisme).

Son ouvrage La restitution du christianisme (1553) lui attire coup sur coup deux condamnations à mort, par les catholiques puis par les protestants. Arrêté, évadé et jugé par contumace, il est brûlé en effigie à Vienne par l’Inquisition. En fuite pour l’Italie, il fait halte à Genève. Il y est emprisonné puis jugé comme criminel par le Petit Conseil, à l’instigation de Jean Calvin. Convaincu d’hérésie mais refusant d’abjurer, il est brûlé vif le 27 octobre 1553, dans des circonstances particulièrement cruelles. Il compte au nombre des martyrs de la liberté de pensée.


Miguel Serveto naît vers 1511 à Villanueva de Sigena, dans la province de Huesca en Aragon.

Son père, Antonio Servet (ou « Revés », c’est-à-dire « le contraire »), est notaire au Monastère Sainte-Marie de Sigena. Ses ancêtres sont originaires d’un hameau des Pyrénées aragonaises nommé « Serveto », d’où son patronyme. Sa mère, Catalina Conesa, descend des Zaporta, une famille de juifs convertis de la région de Monzón. Michel a deux frères, l’un notaire comme leur père, l’autre prêtre.

En 1524, il fréquente l’université de Saragosse ou de Lérida. Très doué pour les langues, il étudie le latin, le grec et l’hébreu. Il suit des cours de géographie, de mathématiques et d’astronomie.

Servet, carte maximum, Espagne.

À quinze ans, il entre au service du moine franciscain Juan de Quintana, un érasmien, en qualité de secrétaire ou de page. Grâce à lui, il lit toute la Bible en diverses langues.

En 1526, il quitte l’Espagne, qu’il ne reverra plus. À partir de 1528, il étudie le droit à l’université de Toulouse mais l’abandonne vite pour se consacrer aux études religieuses.

En 1529, il voyage en Allemagne et en Italie comme secrétaire de Quintana, devenu confesseur de Charles Quint. En Allemagne, il participe secrètement à des réunions d’étudiants protestants et s’écarte peu à peu de la foi catholique.

Le 24 février 1530, il assiste au couronnement de Charles Quint. À cette occasion, les fastes de la cour pontificale l’indignent. À 19 ans, il tente d’établir une doctrine en cherchant des appuis dans les pays rhénans. Il rencontre les réformateurs Philippe Melanchton à Augsbourg et Œcolampade à Bâle – ce dernier n’apprécie pas sa fougue. Il quitte Quintana et demeure environ dix mois à Bâle, où il gagne probablement sa vie comme correcteur d’imprimerie.

C’est à cette époque que se forgent ses convictions. À 20 ans, sa réflexion se concentre sur la Trinité, dogme central de la foi chrétienne. En mai 1531, il rencontre à Strasbourg les réformateurs Martin Bucer et Wolfgang Capiton. En juillet 1531, il publie De trinitatis erroribus (Les erreurs de la Trinité). L’ouvrage heurte ses amis protestants mais attire aussi l’attention de l’Inquisition catholique.

Pour se protéger, il adopte le pseudonyme de « Michel de Villeneuve » par référence à son lieu de naissance. En 1532, il publie Dialogorum de Trinitate libri duo (Deux livres de dialogues sur la Trinité ) et De Justitia Regni Christi (La Justice du Règne du Christ).

En 1534, l’affaire des Placards l’incite à s’enfuir. Il envisage un moment de partir pour l’Amérique. Il s’installe à Lyon, où il exerce le métier d’imprimeur, de correcteur et de commentateur chez les frères Treschel. Par son métier, il fait la connaissance de Symphorien Champier, médecin humaniste ouvert à toutes les disciplines et partisan d’une nouvelle médecine détachée de la scolastique médiévale et de la médecine arabe, par retour aux sources grecques. Servet devient son disciple. De cette rencontre naît sa vocation médicale.

En 1537, il acquiert la notoriété grâce à un traité de thérapeutique portant sur les sirops (en fait, l’ouvrage concerne surtout la digestion). Pensionnaire au collège de Calvy, il s’inscrit à la Faculté de Paris pour étudier la médecine. Il suit les cours de Jacques Dubois, Jean Fernel et Jean Winther d’Andernach. Avec son condisciple André Vésale, il se passionne pour l’anatomie. Après le départ de Winther, il est chargé des dissections et occupe, à ce titre, le poste de prosecteur5. Ambroise Paré l’admirera.

Il devient aussi lecteur (c’est-à-dire enseignant étranger) en mathématiques au Collège des Lombards, où il donne des cours de géométrie et d’astrologie. En 1538, dans un pamphlet virulent répondant aux critiques du doyen de la faculté de médecine Jean Tagault, il défend l’astrologie judiciaire6 et la divination. Il qualifie certains professeurs « d’ânes et de peste ». L’affaire est portée devant le Parlement de Paris, dont tous les membres « grincent des dents contre lui » (omnes in illum dentibus frendebant). Michel Servet est obligé de se rétracter et de renoncer à la divination. Il se décide alors à quitter Paris.

En 1540, il réside à Lyon où il rencontre l’archevêque de Vienne Pierre Palmier. Invité par ce dernier, il s’installe en 1542 à Vienne, dans le Dauphiné, pour y poursuivre une carrière de médecin-juré. À partir de 1548, il loge au palais épiscopal tout en poursuivant des activités médicales et littéraires. Par suite d’une requête à Henri II, sa naturalisation est prononcée en octobre 1548 puis confirmée en 1549. En 1550, il est reçu nouveau bourgeois de Vienne et prête serment en qualité de prieur d’une confrérie chargée de secourir les malades pauvres de l’hôtel-Dieu.

Vers 1552, il achève un long manuscrit qu’il édite anonymement à compte d’auteur : Christianismi restitutio (La Restitution du Christianisme). Ce texte répond, en parodiant son titre, à l’Institution de la religion chrétienne de Jean Calvin.

L’ouvrage est imprimé en 800 exemplaires, dont une partie est déposée chez le libraire Jean Frellon. Ce dernier envoie à Calvin et à d’autres calvinistes genevois un exemplaire contenant, à la suite du texte, une copie de trente lettres de Servet à Calvin, qui révèlent l’identité de leur auteur.

Mais c’est une correspondance privée d’apparence anodine qui va sceller le destin de Michel Servet. Un catholique lyonnais nommé Arneis écrit à son cousin Guillaume de Trie, protestant exilé à Genève, que le chaos règne dans cette ville dont les habitants mènent une vie désordonnée. Piqué, de Trie rétorque qu’à Vienne on tolère les pires hérétiques, au point de les héberger au palais archiépiscopal, alors qu’à Genève on a condamné au bûcher sept étudiants protestants originaires de Lausanne. Il ajoute qu’un homme qui nie la Trinité, et même jusqu’à la divinité de Jésus-Christ, est néanmoins médecin de l’archevêque de Vienne. Comme preuve, il cite la  correspondance entre Servet et Calvin, dont l’essentiel a été imprimé par Servet lui-même.

Dans des circonstances troubles où Jean Calvin est intervenu par personne interposée14, l’Inquisition de Lyon entre en possession de pièces accablant Servet. Selon T. Vetter : « À Genève, un réfugié français se fait l’instrument de l’intrigue en communiquant les lettres au Grand Inquisiteur pour la Foi en France, Mathieu Ory. L’information judiciaire est déclenchée et la preuve est bientôt faite que Servet et Villeneuve désignent le même hérétique ». Les détracteurs du livre accusent son auteur d’arianisme, c’est-à-dire de nier la divinité du Christ. Cette charge très lourde vaut à Servet la condamnation des catholiques comme des réformés.

Plus tard, au cours de ses interrogatoires, Servet déclinera une seule identité : les catholiques ne doivent pas savoir qu’il est Servet, les protestants doivent ignorer qu’il est Villeneuve.

À Vienne, le bailli lieutenant général du Dauphiné l’invite à visiter les malades de la prison royale, en compagnie du vicaire général. Servet n’a aucune raison de se méfier : il a déjà dispensé ses soins au premier et est compagnon de table du second ; de plus, le « vibailli » est frère de l’archevêque. Mais pendant la visite, le vicaire lui signifie qu’il est désormais prisonnier. Toutefois, on lui accorde des privilèges eu égard à ses services passés : il peut conserver son serviteur, aller et venir librement à l’intérieur du palais… L’inquisiteur Matthieu Ory l’interroge à plusieurs reprises. Mais profitant des faveurs qui lui sont accordées, Servet parvient à s’échapper. Le procès se poursuit en son absence. Matthieu Ory déclare son ouvrage hérétique. Le bailliage condamne au feu La Restitution du Christianisme ainsi que son auteur, jugé par contumace. La sentence est exécutée le 17 juin 1553, vers midi : une effigie en bois de Michel Servet est brûlée publiquement.

Dans sa fuite, Servet cherche à gagner l’Italie pour exercer la médecine à Naples. Mais il craint d’être arrêté par l’Inquisition. Après une errance de deux mois dont on ignore tout, il arrive à Genève et descend à l’« Hostellerie de la Rose », située place du Molard. Le 13 août 1553, il se rend au temple de la Madeleine où prêche Calvin. Il a estimé plus prudent de se fondre dans la foule car les aubergistes sont tenus de dénoncer leurs clients qui n’assistent pas au culte. Mais reconnu par des frères probablement rencontrés à Lyon, il est arrêté dès la fin de l’office et aussitôt emprisonné. Un procès s’ensuit, ponctué de huit interrogatoires. Il est instruit à charge par l’inflexible Germain Colladon, allié fidèle de Calvin. D’emblée, on accuse Servet d’être un criminel, ce qu’il conteste. Malgré l’édit en vigueur, on lui refuse l’aide d’un avocat. Le tribunal de Vienne ayant réclamé son extradition, on lui offre le choix d’être jugé sur place ou renvoyé en France. Confiant en la clémence de ses juges, il supplie de rester à Genève. Dans cette ville, le parti des « Libertins » a pris le pouvoir au Conseil des Deux-Cents, dirigé par Ami Perrin. Hostiles au rigorisme de Calvin, ses membres se montrent plutôt favorables à Servet – certains pensent même qu’il a été appelé par des ennemis du prédicateur pour l’évincer. Mais craignant de passer eux-mêmes pour hérétiques, les Libertins ne le défendront pas.

Servet est incarcéré dans des conditions déplorables, privé d’hygiène et souffrant du froid. Il adresse quatre requêtes à ses accusateurs. Dépassé par les querelles théologiques et ne parvenant pas à établir la culpabilité de Servet, le Petit Conseil en appelle à Calvin. Une controverse écrite, en latin, oppose les deux hommes. Servet se défend comme il peut. Maladroitement, il attaque Calvin : « Si j’avais dit cela, non seulement dit, mais écrit publiquement, pour infecter le monde, je me condamnerais moi-même à mort. C’est pourquoi, Messeigneurs, je demande que mon faux accusateur soit puni, et qu’il soit détenu prisonnier comme moi, jusqu’à ce que la cause soit définie pour mort de moi ou de lui, ou autre peine. Et pour ce faire, je m’inscris contre lui à ladite peine du talion. Et suis content de mourir s’il n’est convaincu de ceci et d’autre chose, que je lui mettrai dessus. Je vous demande justice, Messeigneurs, justice, justice ». Pour sortir de l’impasse, on demande leur avis aux Églises réformées des autres cantons de la Confédération suisse. Le procès prend alors un tour politique. Début octobre 1553, les réponses arrivent, catégoriques : elles approuvent à l’unanimité la nécessité de neutraliser la menace, sans toutefois se prononcer explicitement sur la peine.

Le 26 octobre 1553, le Petit-Conseil rend sa sentence : « Toy, Michel Servet, condamnons à debvoir estre lié et mené au lieu de Champel, et là debvoir estre à un piloris attaché et bruslé tout vifz avec ton livre, tant escript de ta main que imprimé, jusques à ce que ton corps soit réduit en cendres ; et ainsi finiras tes jours pour donner exemple aux autres qui tel cas vouldroient commettre ».

Le lendemain à 11 heures du matin, cet arrêt est lu à Michel Servet dans sa cellule. Ayant espéré jusqu’au bout ne subir qu’un bannissement, il manifeste un violent accès de désespoir. Dans sa langue natale, il s’écrit : « Misericordia ! Misericordia ! ». Il supplie qu’on remplace la peine du feu par la décapitation. Mais jusqu’à la fin, il refusera de reconnaître que Jésus est « fils éternel de Dieu » et maintiendra fermement qu’il est « fils du Dieu éternel ».

Le vendredi22 27 octobre 1553, vers deux heures de l’après midi, il est conduit à pied au plateau de Champel, actuellement occupé par la clinique La Colline. Le bûcher est dressé depuis le matin. Mais il a plu dans la nuit et le bois, entreposé à l’air libre, est trempé. Effrayé, le condamné aurait promis de donner, contre du bois sec, sa chaîne en or, ses bagues et ses anneaux, restés entre les mains du geôlier. Le bourreau l’attache au poteau en l’entourant plusieurs fois d’une chaîne en fer et en lui liant le cou d’une corde ; il le coiffe d’un feuillage soufré tressé en couronne et accroche à son flanc La Restitution du Christianisme. En apercevant la torche allumée, le condamné pousse un cri déchirant. Il prononce ces derniers mots : « Ô Jésus fils du Dieu éternel, aie pitié de moi ! ». Le bois, vert et gorgé d’humidité, se consume avec difficulté. Pris de pitié, quelques témoins auraient jeté des fagots secs dans le bûcher pour en accélérer la combustion. Mais le malheureux meurt au terme d’atroces souffrances, brûlé à petit feu – cruellement, comme le préconisait Calvin : son agonie se prolonge une demi-heure.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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