Les lutins.

Le lutin est une créature humanoïde nocturne de petite taille, issue au sens strict du folklore et des croyances populaires de certaines régions françaises comme le Berry, la Normandie et la Picardie. Les Ardennes et la Wallonie connaissent un génie domestique très proche sous le nom de nuton. En Bretagne, les korrigans sont assimilés à des lutins, tandis que dans les Alpes, le nom de servan est employé. Probablement inspiré des divinités du foyer et de « petits dieux » païens tels que les sylvains, les satyres et les Pénates, son nom dérive de l’influence linguistique du dieu romain Neptune ou du celte Nuada, tous deux liés à l’eau. L’influence des croyances envers les revenants peut expliquer une partie de ses caractéristiques. Dès le Moyen Âge, il apparaît dans les récits et les chroniques déjà doté de particularités qui restent connues à notre époque. Les paysans se transmettent des siècles durant les rites visant à s’attirer ses bonnes grâces, ou au contraire à le chasser.

En plus de sa taille réduite, le lutin est réputé pour son espièglerie, son don de métamorphose et d’invisibilité, son côté facétieux bienfaisant ou malfaisant, son obsession pour les femmes à l’origine du mot « lutiner », sa susceptibilité, et surtout son habitude de s’occuper des foyers humains, en particulier des écuries. Les croyances évoluent en englobant de nouvelles créatures au fil du temps, puis elles gagnent l’Amérique du Nord avec les colons français. Elles rejoignent un archétype, le « fripon », et permettent à Carl Gustav Jung de définir l’enfant intérieur comme la part enfantine de chaque être humain.

La confusion entre le lutin, le nain des pays germaniques et l’elfe des pays scandinaves est fréquente depuis le xe siècle en Europe de l’Ouest, le mot « lutin » étant spécifique aux langues romanes, et surtout à la France. Des centaines de petites créatures aux noms différents peuvent être désignées comme des « lutins », désormais un terme générique pour le petit peuple masculin en France. Après une période de fort recul des croyances et traditions au XXe siècle, La Grande Encyclopédie des lutins de Pierre Dubois marque les débuts d’un regain d’intérêt et d’une abondante production littéraire et artistique à leur sujet. Le lutin est désormais vu comme un personnage de la fantasy, et comme l’assistant du père Noël.


Les premières attestations du mot remontent au XIe siècle, notamment « nuitum » dans un laaz de Rachi, rabbin champenois, qui l’emploie dans son commentaire sur le Talmud. Vers 1150, neitun (« monstre marin »), qui semble être une forme reconstituée par l’éditeur, apparaît dans le Roman de Thèbes. Entre 1171 et 1181, Chrétien de Troyes emploie le mot netun dans Yvain ou le Chevalier au Lion. On retrouve le « nuiton » chez Benoît de Sainte-Maure, une forme sans doute issue de l’influence du mot « nuit » et, dès 1176 à 1181, la forme « luitun » chez Wace, dans le Roman de Rou, probablement par attraction avec le verbe « lutter ». La forme luiton est employée dans Perceforest. D’après Walther von Wartburg, « l’ancien français écrivait d’abord netun, puis nuiton (d’après nuit), puis luiton, luton (d’après luiter, forme ancienne de lutter), et enfin lutin qui d’ordinaire, au Moyen Âge, désigne un génie malfaisant ».

Émile Littré décrit le luitin, ou lutin, comme une « espèce de démon de nature plutôt malicieuse que méchante qui vient tourmenter les hommes », précisant que luiton et nuiton, issus du vieux français, seraient employés jusqu’au XVIIe siècle.

En wallon, le mot poursuit une évolution parallèle, les formes dialectales « lûton » (la plus rare, signalée entre autres à Huy, Durbuy et Ellezelles) et « nûton » (la plus courante, signalée dans tout le pays de Namur) mènent au terme moderne nuton.

Selon la théorie la plus répandue, le dieu Neptune est à l’origine  étymologique du lutin. D’après la théorie de Walther von Wartburg, encore largement acceptée, tous les noms communs anciens du lutin sont issus du dieu latin de la mer Neptunus, déchu de son ancienne fonction divine par la christianisation, et devenu un démon païen des eaux lui-même à l’origine des petites créatures aquatiques maléfiques nommées « neptuni ». Cette perception est peut-être issue du judaïsme à l’origine. Un sermon en latin tardif d’Éloi de Noyon, au VIIe siècle, cite Neptunus parmi les démons auxquels il est interdit de rendre un culte, attestant de sa persistance dans les croyances ou les superstitions. Cette étymologie est jugée « indiscutable » par de nombreux philologues, d’autant qu’elle explique le lien fréquent entre le lutin, le monde marin, et les chevaux, deux des attributs du dieu Neptune.

Citant les traditions médiévales qui comparent le netun/luiton au saumon ou à un pêcheur, Claude Sterckx et Jean Markale voient le dieu celte des eaux Nudd (ou Nuada, Noddens, Nutt) à l’origine de cette étymologie, ajoutant que Neptunus n’est qu’une interpretatio romana. Claude Lecouteux, qui un temps a défendu la première théorie en disant que le lutin connaît une trop vaste diffusion pour être une simple « importation celtique », s’est plus tard appuyé sur la thèse d’Anne Martineau, qui juge la théorie étymologique celte plus probable, pour suggérer que les mots Neptunus et luiton avaient une origine et un sens différents avant de se rejoindre dans le mot « lutin ». Le premier serait un génie domestique, le second un démon aquatique issu de Nuada ou d’un autre dieu pan-indo-européen. Ceci expliquerait la coexistence des deux termes au XIIIe siècle, et le fait que les lutins du cycle arthurien aient peu de rapports avec l’eau, alors qu’on observe l’inverse dans la littérature épique et les autres romans.

Pierre Dubois cite bon nombre d’anciennes théories linguistiques, liées au mot « nuit », à l’anglais « little » qui signifie « petit », au hutin qui désigne un querelleur, voire à l’utinet, un marteau de tonnelier. Collin de Plancy voyait en son temps le mot « lutte » à l’origine du lutin et Pierre Dubois ajoute, non sans humour, que selon Petrus Barbygère, les lutins sont les descendants du petit roi bretteur Lutt.

Claude Lecouteux défend depuis de nombreuses années une thèse selon laquelle une partie des caractéristiques des lutins et des nains sont issues de croyances relatives à la mort, aux revenants et au double, ce qui explique qu’ils soient peu bavards, qu’ils détestent être vus et que leur habitat soit souvent localisé sous terre. Le royaume des lutins et des nains, si souvent évoqué, serait donc celui des morts. Un indice se trouve dans cette croyance du Finistère, collectée par Paul Sébillot, selon laquelle « quelques-uns des lutins sont d’anciens valets de ferme qui, ayant négligé les chevaux qui leur étaient confiés, sont condamnés à venir les soigner après leur mort ». Le lutin serait alors perçu comme un « génie domestique qui tente d’obtenir le salut par son travail acharné ». Or, dans toutes les croyances, les ancêtres morts qui se manifestent à leur famille et leurs connaissances peuvent se montrer dangereux. Un autre indice est la présence du « crieur », en allemand « schrat », dont « le folklore français a conservé le souvenir de personnages, tour à tour esprits, nains, lutins et revenants, dont la principale caractéristique est d’émettre des cris ou de produire des bruits » pour attirer les vivants dans des pièges.

Cet amalgame avec les croyances mortuaires pourrait être dû au christianisme et à l’interdiction du culte des dieux païens : il est plus simple à un lutin de petite taille clandestinement vénéré de se cacher dans quelque lieu souterrain. Les croyances populaires liées aux petits dieux joyeux et protecteurs auraient donc intégré des croyances mortuaires (donnant la petite taille et l’habitat des lutins), et d’autres issues des dieux chtoniens déchus Nudd et Neptune (donnant leur rapport premier avec l’eau). Outre la taille des lutins, leur physique « difforme », un archétype propre aux êtres chtoniens, serait issu de ces croyances mortuaires. Une autre possibilité serait que les ancêtres des lutins aient initialement été de petites créatures chtoniennes, maîtres du royaume des morts, mais qu’en raison de la place prise par le Christ, cette origine ne transparaisse plus que dans quelques indices.

Le lutin est influencé par Hennequin, personnage mortuaire inquiétant de la chasse fantastique, en ce qui concerne son capuchon pointu. L’importance du chapeau des lutins est toujours visible dans des fêtes populaires comme le carnaval de Malmedy, et son sotê chapeauté.

Source : Wikipédia.

 

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