Les Andelys et le château Gaillard (Vallée de la Seine).

Château-Gaillard est une forteresse militaire médiévale du XIIe siècle en ruine qui se situe au cœur du Vexin normand, à 100 km de Paris dans la commune des Andelys (Eure). Il est bâti sur une falaise de calcaire dominant un grand méandre de la Seine. Sa construction est liée à la volonté du roi d’Angleterre et duc de Normandie Richard Cœur de Lion qui a été son concepteur. Le château fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques par la liste de 1862. Diverses parcelles de terrain attenantes ont également été classées en 1926, 1927 et 1928.

La construction de la forteresse s’inscrit dans la lutte que se livrent depuis les années 1060 les rois de France et les rois d’Angleterre, alors ducs de Normandie. En 1189, Richard Ier dit Richard Cœur-de-Lion hérite des couronnes de son père Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre et duc de Normandie. Le roi Philippe

Auguste (Philippe II de France), jusque-là allié de Richard, s’éloigne de lui. Ils partent toutefois ensemble dès l’hiver 1190-1191 pour la Terre sainte. Mais après quelques mois, Philippe Auguste retourne dans son royaume et profite de l’absence de Richard pour entamer la conquête de la Normandie. Dès son retour, le roi d’Angleterre entreprend avec énergie de récupérer la suprématie sur la frontière orientale de son duché de Normandie. Après avoir battu l’armée du Capétien à Fréteval près de Vendôme, il conclut un traité de paix avec son rival en 1196. Richard concède notamment plusieurs places fortes que son frère avait perdues, parmi lesquelles Gaillon et Vernon. La frontière orientale du duché est alors fragilisée. Le roi d’Angleterre doit construire une nouvelle forteresse pour barrer la route de la Seine à la prochaine offensive des Français. Le site des Andelys lui apparaît idéal.

Richard installe le château sur un éperon rocheux dominant la Seine d’environ 90 mètres. Le site n’est toutefois pas l’endroit le plus haut du secteur puisqu’au sud-est s’étend un plateau qui le domine de 50 mètres.

Le système défensif dépassait de loin la seule forteresse encore visible aujourd’hui et bloquait littéralement le fleuve. Au pied du château, le bourg fortifié de la Couture (embryon du Petit Andely) avait été créé. De là, un pont enjambait la Seine et prenait appui sur l’île fluviale dite du Château, qui accueillit un petit château polygonal (le château de l’île). Quelques centaines de mètres en amont du fleuve, une triple rangée de pieux empêchait la descente des navires (l’estacade). Deux mottes castrales servaient d’avant-postes : la tour de Cléry, sur le plateau, et celle de Boutavant dans la vallée, dont on peut encore voir quelques restes sur l’île La Tour. Au centre, poste d’observation magistral et imprenable, le Château-Gaillard (appelé aussi château de la Roche/de la Roque en normand). L’ensemble avait pour vocation de verrouiller la boucle de la Seine en amont de Rouen.

Vallées de la Seine aux Andelys, carte maximum, 5/06/1954.

La Philippide, œuvre de Guillaume le Breton, nous renseigne principalement sur cet événement majeur dans l’histoire du château. Après la mort de Richard Cœur de Lion en avril 1199, son jeune frère Jean sans Terre lui succède sur le trône ducal. Philippe Auguste profite de ce changement de règne pour reprendre la conquête du duché de Normandie. Sous la pression du légat Pierre de Capoue, le roi conclut un traité de paix le 22 mai 1200, connu sous le nom de traité du Goulet. Philippe Auguste conserve ses dernières conquêtes, notamment le Vexin normand, à l’exception de Château-Gaillard. Cette paix est rompue en 1202. Le roi reprend l’offensive et en août 1203, il s’empare de l’île d’Andely (avec son fort) et du bourg de la Couture, abandonné par sa population. Non loin, les Anglo-Normands abandonnent sans combat le château du Vaudreuil puis c’est au tour du château de Radepont de tomber. L’estacade est détruite, rendant la navigation sur la Seine possible. La route de Rouen est ouverte pour les Français. Donc, quand en septembre, Philippe entreprend le siège du château, la forteresse n’est plus si indispensable à prendre. Elle reste toutefois pour le roi de France un symbole (c’est le château de Richard Cœur de Lion) à abattre.

Philippe Auguste entoure la forteresse d’un double fossé de circonvallation qu’il hérisse de 14 beffrois. Mais conscient du caractère redoutable de la place forte, le roi de France compte surtout sur un blocus qui affamera la garnison et la population retranchées à l’intérieur pour soumettre Château-Gaillard. Roger de Lacy commande la garnison et se montre prêt à résister le temps qu’une armée de secours envoyée par Jean sans Terre le débloque. Pour préserver les vivres, les 1 200 habitants de La Couture (Petit Andely), qui avaient trouvé refuge dans le château, en sont chassés en décembre. Après avoir laissé passer la plus grande partie, les assiégeants français repoussèrent le reste. Plusieurs centaines d’entre eux, tassés dans la deuxième enceinte, exposés au froid de l’hiver, mouraient de faim. C’est ainsi qu’ils furent représentés dans le sinistre tableau Les Bouches Inutiles, peint par Tattegrain en 1894. Finalement, les Français les laissèrent passer et ils se dispersèrent.

Les Andelys, épreuve de couleur.

Mais ce n’est pas la famine qui assure au roi de France la prise de Château-Gaillard. Il tire parti des « erreurs dans la conception même de la forteresse, qui vont apparaître au fur et à mesure de la progression de l’assaut ». Les Français attaquent d’abord la grosse tour qui domine l’ouvrage avancé. Son écroulement oblige les défenseurs à se replier dans le château proprement dit.

La légende voudrait que les Français soient entrés dans la basse-cour par les latrines ; Adolphe Poignant (XIXe siècle) raconte que ce sont les troupes de Lambert Cadoc qui l’ont prise d’assaut, une nuit. Cependant, à la lumière du récit de Guillaume le Breton, ils se seraient introduits en réalité par l’une des fenêtres basses de la chapelle que Jean sans Terre aurait fait construire bien mal à propos. La légende des latrines est encore reprise en tant qu’histoire vraie aujourd’hui par diverses sources peu spécialisées, comme des ouvrages de vulgarisation ou des sites internet. Cette fable aurait été inventée après les faits, car elle frappe l’imagination en introduisant du cocasse dans une situation dramatique et surtout, parce que la vérité est quelque peu embarrassante pour l’image de la monarchie de droit divin, une chapelle étant normalement un sanctuaire inviolable.

Le siège de Château Gaillard

Après avoir pénétré dans la chapelle, les assaillants débouchent alors dans la basse-cour tandis que les défenseurs s’enferment dans le donjon. Mais comme un pont dormant relie la basse-cour au donjon, les mineurs français n’ont pas de grandes difficultés à s’approcher de la porte. Un engin de jet l’enfonce finalement. La garnison comprenant 36 chevaliers et les 117 sergents ou arbalétriers se rend le 6 mars 1204. Le siège a coûté la vie à quatre chevaliers20. Lambert Cadoc chef mercenaire de Philippe Auguste fut l’un des grands artisans de cette victoire. Le roi de France lui confia la garde du château21. Le roi a désormais le champ libre pour achever la conquête du duché de Normandie. Conquête facilitée par l’abattement moral chez les Anglo-Normands, consécutif à la chute de Château-Gaillard. Le duché tombe entièrement en juin 1204.