Léon Tolstoï, écrivain.

Léon Tolstoï, nom francisé de Lev Nikolaïevitch Tolstoï (en russe : Лев Никола́евич Толсто́йa, né le 28 août 1828 (9 septembre 1828 dans le calendrier grégorien) à Iasnaïa Poliana et mort le 7 novembre 1910 (20 novembre 1910 dans le calendrier grégorien) à Astapovo, en Russie, est un écrivain célèbre surtout pour ses romans et nouvelles qui dépeignent la vie du peuple russe à l’époque des tsars, mais aussi pour ses essais, dans lesquels il prenait position par rapport aux pouvoirs civils et ecclésiastiques et voulait mettre en lumière les grands enjeux de la civilisation.

Guerre et Paix (1869), que Tolstoï a mis dix ans à écrire et qui est une de ses plus grandes œuvres romanesques, brosse le portrait historique et réaliste de toutes les classes sociales au moment de l’invasion de la Russie par les troupes de Napoléon en 1812, dans une vaste fresque des complexités de la vie sociale et des subtilités de la psychologie humaine, d’où émane une réflexion profonde et originale sur l’histoire et la violence dans la vie humaine.

Tolstoï est un écrivain dont le talent a été rapidement reconnu et qui s’est fait connaître par les récits autobiographiques de son enfance et sa jeunesse, puis de sa vie de soldat à Sébastopol (Crimée). Il est devenu très célèbre, comme il le souhaitait ardemment, avec le roman Anna Karénine en 1877. Mais il n’était pas heureux, angoissé et nihiliste [pas clair]. Au terme d’une recherche aussi ardente que celle de la célébrité, menée de manière rationnelle pour répondre à ses questionnements existentiels et philosophiques, il s’enthousiasme pour la doctrine du Christ. Dès lors et jusqu’à la fin de sa vie, il exprime son idéal de la vérité, du bien, de la justice et de la paix, encore parfois dans des fictions et des nouvelles, mais surtout dans des essais.

Léon Tolstoï, carte maximum, Paris, 15/04/1978.

Il prône le travail manuel, la vie au contact de la nature, le rejet du matérialisme, l’abnégation personnelle et le détachement des engagements familiaux et sociaux, confiant que la simple communication de la vérité d’une personne à une autre ferait éventuellement disparaître toutes les superstitions, les cruautés et les contradictions de la vie.

Après avoir été porté aux nues comme romancier, Tolstoï est devenu un point de mire en Russie et dans tout le reste de l’Europe, par admiration ou par acrimonie à cause de sa critique des Églises nationales et du militarisme. Il a eu une brève correspondance vers la fin de sa vie avec Mahatma Gandhi, qui s’est inspiré de sa « non-résistance au mal par la violence » pour mettre en avant sa doctrine de « non-violence ». Vers la fin du XXe siècle, divers courants philosophiques (libertaire, anticapitaliste, etc.) se sont réclamés de l’héritage de Tolstoï, à partir de sa critique des Églises, du patriotisme et des injustices économiques. Sa réflexion chrétienne est toujours restée en marge des grandes Églises, et son génie littéraire est universellement reconnu.


Ses liens avec son frère aîné Nicolas, qui avait intégré l’armée, l’emmenèrent au combat dans le Caucase, face aux montagnards dirigés par le chef rebelle Chamil. Il y vécut l’aventure et la gloire qu’espéraient tant de jeunes gens de son âge. Il relata plus tard son expérience dans Les Cosaques. Mais dans l’immédiat, ses souvenirs d’enfance le préoccupaient davantage. Il en fit un récit, Enfance, qu’il envoya au directeur de la revue Le Contemporain, Nikolaï Nekrassov, qui lui répondit favorablement le 29 août 1852. Le roman connaît un franc succès6. Très vite, il entreprend la suite : Adolescence, publié en 1854, puis Jeunesse en 1855.

Le succès aurait pu le convaincre que son destin fût celui d’écrivain. Pourtant, cette idée lui paraît d’autant plus absurde que son attirance pour l’action l’empêche de se penser comme simple homme de plume7. La Russie venant de déclarer la guerre à la Turquie, Léon laisse ses amis cosaques et rejoint son régiment en Bessarabie. Il y est dirigé en Crimée, où il connaît le danger, qui l’exalte et le scandalise à la fois. La mort révolte l’homme pressé. Cette impatience est soulagée par la chute de Sébastopol, qui le dégoûte définitivement du métier militaire. Il en composa trois récits, Sébastopol en décembre 1854, Sébastopol en mai 1855, Sébastopol en août 1855, qui émeuvent l’impératrice, et sont traduits en français à la demande d’Alexandre II.

En novembre 1855, Léon Tolstoï fut envoyé comme courrier à Saint-Pétersbourg. Ivan Tourguéniev le reçut, l’hébergea, et Léon Tolstoï put fréquenter grâce à lui les cercles des écrivains cotés de l’époque, mais il s’en détourna rapidement, son humeur le rendant irritable à chaque échange. Il se retira à Iasnaïa Poliana pour vivre plus paisiblement, tout en formulant le souhait de fonder un foyer, qu’il percevait comme nécessaire à son équilibre physique et moral. La mort de son frère Dimitri, de tuberculose, l’en convainquit.

Son profond désir de solitude, son horreur de la sexualité débridée et malgré tout sa ferme volonté de fonder un foyer, firent de Tolstoï un homme aux sentiments amoureux complexes, mêlant amour impossible à amour foudroyant. Amour impossible d’abord, puisque l’homme ne parvint pas aisément à trouver cette stabilité tant vénérée ; foudroyant ensuite lorsqu’il fut marié avec Sophie Behrs.

Il rencontra à Paris, où il arriva en février 1857, Ivan Tourguéniev, qui lui fit connaître les arts et la culture française qui l’amusaient et l’agaçaient. Il décida de partir pour la Suisse, où il fit la connaissance de sa tante au second degré, Alexandrine Tolstoï, dont il admirait l’intelligence, avant de revenir en Russie puis de repartir, le 25 juin 1860, pour l’Allemagne, où il effectua des travaux d’inspection des écoles, des études de méthodes pédagogiques. Son frère Nicolas, souffrant de la tuberculose, mourut le 20 septembre de cette même année. Léon Tolstoï continua malgré tout ses investigations, parcourant l’Europe, de Marseille à Rome, de Paris à Londres, où il rendit visite à Alexandre Herzen, ainsi qu’à Bruxelles, où il rencontra Proudhon.

Léon Tolstoï, essais de couleurs.

L’abolition du servage, ordonnée par Alexandre II le 19 février 1861, enchanta Tolstoï – tout en lui faisant craindre que cet événement ne débouchât sur une révolte populaire. Il exerça alors la fonction d’arbitre de paix, chargé de régler les contentieux entre les propriétaires fonciers et les serfs dans le district de Krapivna. L’oisiveté sentimentale de Léon fut abrégée par sa rencontre avec Sophie Behrs, fille d’André Estafiévitch Behrs, un médecin attaché à l’administration du palais impérial de Moscou de lointaine ascendance allemande.

Son mariage avec Sophie Behrs, de seize ans sa cadette, fut d’autant plus improbable que l’attachement que Léon vouait à la solitude, sa forte personnalité, son passé tumultueux, faisaient de cet engagement amoureux une folie. À l’instar du Pozdnychev de sa Sonate à Kreutzer, Léon fit lire à Sophie avant leur mariage le Journal dans lequel il détaillait ses pires défauts. Cela ne découragea pas la jeune femme et, le 23 septembre 1862, les fiancés se marièrent à l’église de la Nativité de la Vierge.

Installé sur le domaine de Iasnaïa Poliana, le couple connut une relation très ambivalente, succession de jours heureux, quiétude que Léon assure n’avoir pas vécue jusqu’alors, puis de déchirements.

Leurs premières années de mariage furent heureuses, selon le journal de Léon et les mémoires que Sophie Behrs rédigea des années plus tard, mais entrecoupées de crises, de disputes et de réconciliations comme en témoigne le journal de Sophie. ” Dès les premiers mois, Léon fait douter sa femme, en lui reprochant de ne pas l’aimer assez. Sa vision du rôle d’une mère lui rend inconcevable l’idée que, souffrant de crevasses aux seins, elle cesse momentanément d’allaiter leur premier enfant, Serge, et il lui adresse de cruels reproches, avant de s’en excuser puis de changer à nouveau d’avis. Sophie est malheureuse des insatisfactions permanentes de son époux, et se replie sur elle-même. À partir de 1881, date à laquelle ils s’installent à Moscou, leurs relations s’altèrent.”

Sophie Tolstoï est soumise à une maternité épuisante puisqu’elle donna naissance presque chaque année à leur nombreuse famille. ” Elle eut treize enfants (dont cinq moururent en bas âge) et fut fortement éprouvée par la mort de l’un d’entre eux, ce qui causa d’après sa famille les premiers signes de l’émotivité de son caractère. Mais très rapidement, les époux se déchirent tout en gardant une apparence de liens conjugaux. Leur relation restera tumultueuse jusqu’à la fin de l’écrivain.

La seule récompense de Sophie est son accès au métier d’écrivain.

Lors de la rédaction de La Sonate à Kreutzer en 1891, Sophie Tolstoï est révoltée par ce qu’elle lit. Alors qu’elle estime n’avoir chez son mari rencontré que la recherche d’un plaisir charnel, et qu’elle écrit dans ses mémoires avoir découvert avec beaucoup de souffrance les relations intimes, elle n’admet pas que Tolstoï se décrive comme étant à la recherche d’un absolu d’abstinence. Mais plus encore, elle considère que la critique que Tolstoï fait de l’amour et des relations conjugales est dirigée spécifiquement contre elle. En réaction, elle écrit son roman À qui la faute ?.

Léon Tolstoï, entier postal russe.

Sophie cependant reste la secrétaire de son mari, sa dactylographe et surtout sa copiste. À la demande de son époux, elle recopiait en effet toutes ses œuvres, et les corrigeait aussi. Cette tâche fut remplie par l’une de ses filles, plus tard, et la comtesse se sentit délaissée. Elle fut souvent mise à l’écart par son mari dans leur maturité, car elle avait une conception plus matérielle de la vie. En plus de l’éducation de leurs 13 enfants, elle a la gestion exclusive du domaine familial de Iasnaïa Poliana, près de Toula et tient la maison de Moscou, alors que Léon Tolstoï était de plus en plus préoccupé de questions éthiques et spirituelles. Leurs divergences s’accentuèrent à propos de l’éducation des aînés que leur père voulait couper de toute préoccupation mondaine, ce que craignait la comtesse, soucieuse de l’apparat et de leur intégration à la haute société russe.

C’est elle qui plaida la cause de son mari, lorsqu’il fut critiqué par la Cour et lorsqu’il fut excommunié. ”

Malgré toutes ces divergences maritales, c’est bien la sécurité et le confort du mariage qui a permis à Tolstoï d’atteindre la sérénité de l’écrivain. Il publia alors Les Cosaques (1863), puis commença d’écrire La Guerre et la Paix intitulé d’abord l’Année 1805. Après s’être rendu sur le champ de bataille de Borodino, et s’être documenté à Moscou, il revint à Iasnaïa Poliana pour continuer d’écrire, avec une rigueur étonnante. Reprenant plusieurs fois des passages entiers de la Guerre et la Paix, il parvint à achever d’écrire le sixième et dernier volume de l’ouvrage en 1869.

Ses premières publications sont des récits autobiographiques (Enfance et Adolescence) (1852-1856). Ils rapportent comment un enfant, fils de riches propriétaires terriens, réalise lentement ce qui le sépare de ses camarades de jeu paysans. Plus tard, vers 1883, il rejette ces livres comme étant trop sentimentaux, une bonne partie de sa vie y étant révélée, et il décide de vivre comme un paysan en se débarrassant aussi de ses possessions matérielles héritées, pourtant nombreuses (il avait acquis le titre de comte). Avec le temps, il sera de plus en plus guidé par une existence simple et spirituelle.

Encore tout jeune, à la suite de la mort de son père, Tolstoï a été en proie à un sentiment d’absurdité de la vie et, de plus en plus lourdement, à celui de la fausseté de l’organisation sociale. À la fois sensible et porté à rationaliser, Tolstoï surmonta par l’introspection et l’étude, en menant une vie qu’il aimait simple, une grande crise morale: “Je suis passé du nihilisme à la foi”, dit-il dans Quelle est ma foi ? (1880-1883). Il tâcha par la suite de transmettre ses conceptions sur la religion, la morale et la société, avec une critique radicale de l’État et de l’Église, la dénonciation de l’oisiveté des riches et de la misère des pauvres, et une critique radicale de la guerre et de la violence. Il donna ainsi un sens plus élevé à la mobilisation qu’il avait vécue durant la Guerre de Crimée (1853-1856), – qu’il avait relatée dans Récits de Sébastopol – et à son roman Guerre et Paix qui se passait avant qu’il vienne au monde, à l’époque des Guerres napoléoniennes. Durant les vingt dernières années de sa vie, Tolstoï a vu la montée des mouvements socialistes, la Révolution de 1905, sorte de répétition générale de celle de 1917, et la montée des périls qui mènera, quelques années après sa mort, à la Grande Guerre et à la disparition de l’empire tsariste.

Pour Tolstoï l’art véritable n’est pas une recherche du plaisir purement esthétique, mais un moyen de communication des émotions et d’union entre les hommes ; aussi critique-t-il l’art pour l’art et les goûts bourgeois qui patronnent par vanité des arts inaccessibles et qui ne veulent rien dire au commun des mortels

Pendant qu’il termine Guerre et Paix, dans l’été de 1869, il découvre Schopenhauer et s’en enthousiasme : « Schopenhauer est le plus génial des hommes. ». Il pense même à le traduire en russe et à l’éditer. Mais le philosophe avec lequel il eut le plus d’affinités fut le russe African Spir. En 1896 il lit Pensée et Réalité et en est très impressionné, comme il l’écrit dans une lettre à Hélène Claparède-Spir : « La lecture de Denken und Wirklichkeit a été une très grande joie pour moi. Je ne connais pas de philosophe aussi profond et en même temps aussi exact, je veux dire scientifique, n’acceptant que ce qui est indispensable et clair pour chacun. Je suis sûr que sa doctrine sera comprise et appréciée comme elle le mérite et que le sort de son œuvre sera semblable à celui de Schopenhauer, qui devint connu et admiré seulement après sa mort. » . À ce sujet, il note dans son Journal le 2 mai 1896 : Encore un autre événement important, l’œuvre d’African Spir. Je viens de relire ce que j’ai écrit au début de ce journal. Au fond il ne s’agit de rien d’autre que d’une espèce de résumé de toute la philosophie de Spir, qu’à cette époque non seulement je n’avais pas lu, mais dont je n’avais même pas la plus pâle idée. En 1879, Tolstoï se retourne vers le christianisme qu’il évoque dans Ma confession et Ma religion (ouvrage censuré au départ), mais il est très critique par rapport à l’Église orthodoxe russe : son christianisme reste empreint de rationalisme, la religion étant toujours chez lui un sujet de violents débats internes, ce qui l’amènera à concevoir un christianisme détaché du matérialisme et surtout non-violent. Sa critique des institutions oppressives et sources de violence inspirera le Mahatma Gandhi, ainsi que Romain Rolland. Leur message sera ensuite repris par Martin Luther King, Steve Biko, Aung San Suu Kyi, Nelson Mandela et bien d’autres. Gandhi lit Lettre à un Hindou de Tolstoï en 1908, où l’écrivain russe dénonce des actes de violence de nationalistes indiens en Afrique du Sud ; ceci amènera Gandhi et Tolstoï à correspondre jusqu’à la mort de Tolstoï. De même, Romain Rolland publiera peu après le décès de Tolstoï sa biographie : Vie de Tolstoï. De son côté, l’Église orthodoxe excommunie Tolstoï après la publication de son roman Résurrection19.

À la fin de sa vie, Tolstoï part s’isoler et meurt d’une pneumonie dans la solitude, à la gare d’Astapovo, tout près de sa propriété d’Iasnaïa Poliana, incompris de sa famille, y compris de sa femme Sophie qu’il refusera de voir : en dépit de leur intimité prouvée par les treize enfants qu’ils eurent ensemble et par l’autorisation réciproque de lire dans le journal intime de l’autre, un certain hiatus existait au sein du couple. De fait, tandis que son mari se consacrait à sa carrière d’écrivain, Sophie Behrs était en charge de leurs 13 enfants, de gérer maison et domestiques ainsi que de la direction du domaine de la famille. La lourde gestion de toutes ces responsabilités, valut à Sophie Behrs de se faire juger de matérialiste et d’autoritaire par Tolstoï. Wladimir Tchertkoff, ancien officier de la Garde et grand admirateur de l’écrivain (devenu le chef du groupe des tolstoïens) exerce beaucoup d’influence sur la famille et convainc Tolstoï de casser son testament pour donner tous ses droits d’auteur au peuple russe souffrant.

Ecouter ce document audio, datant de 1953 :

Sources : Wikipédia, YouTube.