La variété des mesures sous l’Ancien Régime
A la veille de la Révolution, les mesures en usage en France (plus de 800) présentent une très grande diversité : perche, toise, pied, pouce, aune,
muid, setier, boisseau, pinte, livre, once, grain, etc. Non seulement elles varient d’une région à l’autre, mais encore une même dénomination peut recouvrir des réalités très différentes selon les localités : ainsi, la surface de l’arpent de Paris (équivalent à 34,19 ares) est-elle inférieure à celle de l’arpent commun(équivalent à 42,21 ares) et, dans le nord de la France, il existe dix-huit sortes d’aunes, variant de 62 à 84 centimètres.
Un tel système, source de confusions et d’embarras, constitue une entrave au commerce et à l’industrie dont l’essor réclame un système unifié. De plus, les développements récents des sciences – en particulier l’introduction de la mesure, avec notamment les travaux de Lavoisier en chimie – rendent nécessaire l’adoption d’un système de mesure universel et précis. Sous l’Ancien Régime, plusieurs tentatives de simplification et d’uniformisation avaient déjà été faites, malheureusement sans succès, et la réforme des poids et mesures reste une des revendications les plus fréquemment exprimées dans les cahiers de doléances.
L’uniformisation des poids et mesures
Dès le 8 mai 1790, la Constituante adopte, sur proposition de Talleyrand, l’idée de l’unification du système de mesure et en confie l’étude à une commission de l’Académie des sciences, où l’on trouve Lagrange, Laplace et Monge pour la mécanique céleste, Borda pour la physique et les calculs de navigation, Lavoisier pour la chimie.
En mai 1793, l’Académie rend un rapport proposant d’adopter la dix-millionième partie du quart de l’arc de méridien terrestre, mesuré au siècle précédent par Lacaille et Cassini, comme longueur du “ mètre ”, terme proposé par Borda et dérivé du grec metron (mesure).
En adoptant cette nouvelle unité de mesure ainsi que la division décimale, recommandée dès 1790, c’est le système métrique qu’adopte la loi du 1er août 1793. Les nouvelles unités de mesure sont dénommées mètre, gravet (ensuite gramme) et cade (ensuite mètre cube).
Ces dispositions étant obligatoires pour l’ensemble de la France au 1er juillet 1794, l’Académie des sciences (qui sera d’ailleurs supprimée le 8 août suivant) est chargée de veiller à la construction des étalons ; seuls quelques prototypes seront d’abord réalisés.
La mise en pratique du système métrique s’accompagne d’opérations que nous appellerions “ de communication ”, comme en témoigne ce très pédagogique tableau du “ Sistème général des mesures républicaines déduites de la grandeur du méridien terrestre ”, publié en frimaire an II [novembre 1794] : “ Peu de personnes comprennent la liaison qui existe entre la détermination de la longueur du méridien et la création du nouveau système des poids et mesures […] et il n’est rien de si fréquent que d’entendre demander quelle relation il y a entre un cercle de la sphère et une toise, et une aune, un boisseau […]. On a pensé qu’il était un moyen bien simple de résoudre ce problème pour un très grand nombre de nos concitoyens, et que ce moyen consistait à parler à leurs yeux, en leur faisant parcourir, par des images sensibles, tous les degrés de la génération des mesures […]. ”
De longues résistances
Après la Terreur, qui perturbe gravement la mise en œuvre de ces réformes, les travaux sont repris et débouchent sur la loi du 18 germinal an III (7 avril 1795) qui fixe la nomenclature actuelle des unités de mesure de surface, de capacité et de poids. Est également créée une Agence temporaire des poids et mesures chargée de mener à bien le remplacement des anciennes mesures par les nouvelles.
Les étalons de poids et de longueur, prêts en juin 1799, sont légalisés le 10 décembre 1799 et deviennent obligatoires en décembre 1801. Répandu dans toute l’Europe à la faveur des conquêtes révolutionnaires et napoléoniennes, le système métrique décimal ne devient exclusif de tout autre système de mesure en France qu’en 1840.
L’élaboration et la mise en place du système métrique participent à la construction de la “ nation souveraine ”, de même que le remodelage du territoire de la France par sa division en départements d’une superficie à peu près identique et organisés selon la même structure administrative, et que les efforts tendant à unifier la langue et à anéantir les patois. Elles s’inscrivent dans le combat idéologique de la Révolution ; le premier article de la loi du 18 germinal an III appelle en effet les citoyens à montrer “ une preuve de l’attachement à l’unité et à l’indivisibilité de la République, en se servant des nouvelles mesures dans les calculs et les transactions commerciales ”.
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Source : histoire-image.org, Youtube/Musée de la poste.