Le monastère de la Grande Chartreuse (Isère).

Le monastère de la Grande Chartreuse est le premier monastère et la maison-mère des moines-ermites de l’ordre des Chartreux. Il est situé sur la commune de Saint-Pierre-de-Chartreuse, dans l’Isère, au pied du Grand Som, le quatrième plus haut sommet du massif de la Chartreuse.

L’implantation des chartreux dans le massif qui leur a donné son nom fait de ce site le type de l’espace monastique cartusien, bien que l’ordre se soit accommodé dès le XIIIe siècle de sites urbains et de maisons situées en plaine, voire au bord de la mer.

Conformément à la règle cartusienne qui veille à protéger la solitude des moines, le monastère ne se visite pas. Cependant, un musée est installé dans la Correrie, à 2 km environ en aval du monastère. Des reconstitutions de cellules monastiques permettent de comprendre ce qu’est la vie d’un moine chartreux.

La tradition veut que maître Bruno et six compagnons (deux laïcs André et Guérin, et quatre clercs : les chanoines Etienne de Bourg et Etienne de Die, Hugues et Laudouin, natif de Toscane, qui succédera à Bruno dans le gouvernement de la maison mère), guidés par l’évêque Hugues de Grenoble, s’installent le 24 juin 1084 dans le vallon de Chartreuse, lieu qu’on appellera dès lors « le désert de chartreuse » en raison de son isolement. Courte vallée, bloquée au nord par le col de la Ruchère, et au sud par la vallée du Guiers mort, elle est dominée de 1 000 mètres par le Grand Som. À la fin du XIe siècle, Bruno a construit avec ses six compagnons le premier ermitage cartusien pour mener une vie érémitique tempérée d’un peu de cénobitisme. Cette tradition de l’installation le 24 juin, jour de la fête de Jean le Baptiste, explique que la chartreuse soit placée sous le patronage de ce saint.

Monastère de la grande chartreuse, carte maximum, 7/07/1984.

Le 9 décembre 1086 devant le synode diocésain à Grenoble, l’évêque Hugues, dans une charte de donation, ratifie solennellement les donations qu’avaient faites deux ans plus tôt les seigneurs propriétaires des terres de Chartreuse, soit un domaine de 1 700 ha. Cet espace naturel, agrandi et arrondi par des donations postérieures, recouvre progressivement la région de Chartreuse. Les premiers Chartreux, soucieux de protéger leur isolement, refusent aux femmes tout droit de passage et exproprient les tenanciers du voisinage, ce qui suscite tensions, querelles violentes et procès.

La maison se trouvait divisée en deux ensembles distants de quatre kilomètres : la maison basse ou Correrie abritait la communauté des frères et des ateliers ou dépendances, la maison haute abritait le prieur et la communauté des pères, ainsi qu’un ou deux frères.

Du premier monastère qui fut construit deux kilomètres plus haut que le monastère actuel, il ne reste rien. On suppose que les premières constructions furent en bois, à l’exception de l’église conventuelle qui fut élevée en dur. La plus ancienne et unique description connue fut donnée par Guibert de Nogent vers 111. Hormis le principe d’un regroupement de cellules, distinctes d’un cloître réunissant les bâtiments de la vie communale (église, chapitre, réfectoire) et la présence d’une cuisine et d’un bâtiment susceptible d’abriter la moitié des convers le dimanche, on ne sait rien de la disposition initiale des bâtiments, sans doute très différente de celle qu’on connaît aujourd’hui, compte tenu de la configuration du terrain. Guibert précise toutefois que des conduits aménagés amenaient l’eau courante à l’intérieur des cellules.

Aucune culture ou pâturage n’était possible à la maison haute, enserrée dans une vallée étroite et totalement boisée. Toutes les semaines, le samedi, les frères de la maison basse montaient à la maison haute pour participer à la liturgie dominicale et à la vie commune, réinventant la tradition des Laures des déserts de Palestine, aux origines du monachisme chrétien.

L’emplacement de la maison haute est marqué par deux chapelles construites à 110 mètres de distance l’une de l’autre : en aval Notre-Dame de Casalibus (littéralement « Notre-Dame des cabanes », par allusion aux petites maisons qui servaient de cellules aux moines) et en amont la chapelle Saint-Bruno.

Notre-Dame de Casalibus a été édifiée au XVe siècle, hors d’atteinte des avalanches, tandis que la chapelle Saint-Bruno, perchée sur un rocher qui semble venir d’ailleurs, semble avoir été édifiée à proximité du site originel de la première chartreuse, située probablement sur la plate-forme qui jouxte la chapelle. Elle était initialement dédiée à la Vierge Marie. Ce terrain, d’environ 80 m de diamètre, relativement plat, est exceptionnel dans la vallée. Selon des hypothèses invérifiables en l’absence de fouilles archéologiques, les blocs de rocher qui le jonchent pourraient être en partie des vestiges de l’avalanche qui détruisit le premier monastère.

Une chronique de l’époque, nommée Chronique Magister nous relate l’événement qui eut lieu le 30 janvier 1132, 48 ans après l’arrivée de Bruno.

« En la vingt-troisième année du priorat de Guigues, une masse incroyable de neige, se précipitant des hauts sommets rocheux avec une soudaine impétuosité, emporta dans son effrayant tourbillon et ensevelit sous sa masse immense toutes les cellules des religieux sauf une, et avec elles six moines et un novice. »
Le terme traditionnel d’avalanche avec lequel on désigne ce drame ne doit pas faire illusion. Aucune avalanche de neige n’aurait pu parvenir si bas dans la vallée et on ne connaît d’ailleurs pas de couloir d’avalanche dans cette zone, mise à part une petite coulée annuelle dont la largeur n’excède pas quelques mètres. Les petits éboulements sont très fréquents dans ce massif calcaire ancien. L’avalanche de 1132 était en fait un éboulement de pierres qui a poussé loin devant lui une énorme quantité de neige. Quand on approche du col de Bovinant, 700 mètres au-dessus du monastère, on peut voir un pan de rocher qui se détache de la paroi et on peut imaginer ce qu’il adviendrait si un jour, affaibli par le gel et l’érosion, il venait à se détacher entièrement. Les énormes blocs de rochers qui parsèment l’emplacement du premier monastère laissent imaginer le désastre.

Les survivants de la catastrophe ne pouvaient songer à reconstruire au même endroit. Guigues, le prieur, choisit un nouvel emplacement deux kilomètres plus bas, situé entre deux replis de terrains qui dévieraient toute chute de rochers soit en amont, soit en aval du monastère. Peut-être une autre raison guida-t-elle ce choix. L’emplacement de la première maison, pourtant « parfaitement protégé du vent du nord et bien exposé au midi » semble aujourd’hui marqué par une austérité extrême. Même en plein été il faut attendre la fin de la matinée pour que le soleil se lève au-dessus du Grand Som. Jusqu’aux années 1990, la neige demeurait à cet endroit jusqu’au mois de mai (inclus), soit un bon mois et demi de plus qu’au monastère actuel. Toutefois, les conditions climatiques du XXe siècle ne sauraient permettre de juger les motifs des moines du XIIe siècle sans risque d’anachronisme. Le climat du Moyen Âge était beaucoup moins rude en Europe qu’à la période moderne (« optimum climatique médiéval »). Certaines chartreuses comme celle de Berthaud subsistèrent longtemps dans des milieux encore plus difficiles que la Grande Chartreuse. Quoi qu’il en soit, le nouvel emplacement, plus ouvert, mieux ensoleillé, était à l’abri des avalanches. Il était plus proche de la maison basse ce qui facilitait pour les frères le trajet à faire chaque semaine quel que soit le temps.

Les travaux furent menés rapidement. On ne bâtit en pierre que l’église, aujourd’hui transformée et noyée au milieu de constructions plus récentes, et le chapitre, qui possède maintenant encore intacte sa voûte du XIIe siècle. On construisit une douzaine de cellules de bois. L’église fut consacrée le 13 octobre 1133 par un ancien chartreux, Hugues, deuxième du nom, successeur de saint Hugues sur le siège de Grenoble.

Le monastère de Guigues subsista un peu moins de deux siècles. Entre 1320 et 1676, le monastère subira huit incendies (et non onze comme parfois affirmé) :

  • entre le 6 et le 11 mai 1320, durant le chapitre général, dévastation totale des bâtiments du fait d’un feu de cheminée à l’hôtellerie ;
  • durant l’été 1371, du fait d’un feu de cheminée accidentel ;
  • fin octobre 1473, du fait d’un feu de cheminée à l’hôtellerie ;
  • 1510 ;
  • 5 juin 1562, du fait d’un incendie intentionnel, pendant les guerres de religion, par les troupes du baron des Adrets ;
  • 31 octobre 1592 ;
  • 1611 ;
  • 10 avril 1676, du fait d’un feu de cheminée parti des appartements du révérend père.

La pauvreté des moyens de lutte contre l’incendie et surtout la particularité régionale des toitures couvertes en essendolles (bardeaux ou tuiles de bois d’épicéa particulièrement combustibles) ont entraîné à chaque fois une destruction quasi totale de tout ce qui pouvait brûler.

Après l’incendie de 1676, dom Innocent Le Masson reconstruisit le monastère selon un nouveau parti architectural, celui qu’on lui connaît. Les bâtiments sont classés monuments historiques depuis 1920.

Les chartreux échappèrent à la première vague d’expulsion des congrégations non autorisées de 1880 : le 29 mars 1880, les décrets annonçaient la dissolution des congrégations masculines non autorisées par l’État, mais une ordonnance royale permit aux Chartreux de demeurer dans leur monastère.
La congrégation s’estimait autorisée implicitement par des textes de 1816 et 1857. Néanmoins, dans le cadre des mesures d’exception prévues pour les congrégations dans la loi de 1901 sur les associations, les chartreux déposèrent une demande d’autorisation. L’autorisation fut refusée par un vote de la Chambre des députés le 26 mars 1903.
Les moines de la Grande Chartreuse furent expulsés manu militari le 29 avril 19038. La communauté se réfugia en Italie, à la chartreuse de Farneta (à Maggiano frazione de Lucques) et ne put réintégrer la maison mère qu’en 1940. Le chapitre-général, après s’être tenu une fois exceptionnellement à la Valsainte, continua à se tenir régulièrement à Farneta, permettant, cette fois-ci, l’élection régulière de deux successeurs réguliers à Dom Michel Baglin qui avait obtenu sa miséricorde (démission en langage cartusien) en 1905.

Le 14 novembre 1912, l’ensemble du monastère est classé au titre des monuments historiques.

En mai 1940, le consul français de Livourne conseilla au Père Général et aux moines français de Farneta de rentrer en France. L’imminence de l’entrée en guerre de l’Italie faisait craindre que les frontières vers la France, qui leur avaient été interdites avant la guerre, ne soient prochainement fermées. Dans le contexte de la débâcle, le Révérend Père général Dom Ferdinand Vidal, et ceux qui l’accompagnaient purent s’installer provisoirement à Orgeoise, dans le faubourg de Voiron (Isère), où demeuraient des frères convers chargés de la fabrication de la liqueur. Après avoir tenté en vain d’atteindre le gouvernement français replié à Bordeaux pour en obtenir la permission de rentrer à la Grande-Chartreuse, dom Vidal envoie des religieux pour réoccuper la Grande-Chartreuse, avant que les Allemands, qui étaient déjà à Voreppe, n’y arrivent. Les premiers pères se présentent le 29 mai. Passant outre l’opposition du préfet de l’Isère, Perrier, le maire de Saint-Pierre-de-Chartreuse, M. Villars, réquisitionna le monastère « pour y abriter des réfugiés ». Le 9 juin, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, régularise la situation de fait. Le 10 juin l’Italie entre en guerre. Le 21 juin 1940, lendemain de l’annonce de l’armistice, trois Pères reprirent officiellement possession des bâtiments. Les orientations du nouveau gouvernement de Vichy, incontestablement favorable à l’Église et aux congrégations, créaient une situation favorable. La nomination par Pétain d’un nouveau préfet de l’Isère, Raoul Didkowski, facilita la réintégration. Une loi du gouvernement de Vichy le 21 février 1941 accorda aux Chartreux une reconnaissance légale en France. Durant ces années difficiles, la communauté ouvrit ses portes aux juifs et aux personnes pourchassées. Il en alla de même au cours de la période de l’épuration qui suivit la guerre, au profit d’anciens collaborateurs et de miliciens, dont Paul Touvier.

Une convention du 11 mars 1941 entre la Grande Chartreuse et l’administration des Beaux-Arts du régime de Vichy définit les modalités de la concession des immeubles et permet la restauration rapide des bâtiments. La communauté continue jusqu’à ce jour à louer les bâtiments à l’État français, moyennant un loyer modique et la charge de l’entretien courant. À partir de 1947, la Grande Chartreuse recommença à abriter régulièrement le chapitre général tous les deux ans.

Dans les deux décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, l’essor du tourisme et les progrès des réseaux routiers devinrent de plus en plus gênants. À la Grande-Chartreuse, les supérieurs envisagèrent même de quitter le massif et de transférer la communauté vers un site plus isolé. Finalement, ils obtinrent que le site soit classé comme site historique et naturel, interdit au survol des avions de tourisme (avantage dont ne bénéficient pas toutes les maisons de l’ordre) et fermé à la circulation automobile. Un musée fut aussi établi dans une partie des bâtiments de l’ancienne Correrie, un peu plus bas que la Chartreuse, évoquant pour les touristes la vie cartusienne dans un cadre approprié et faisant connaître quelque chose de la vie de la Chartreuse. Le flot des voitures s’arrête là, à un kilomètre et demi du monastère, ce qui permet aux chartreux de vivre dans la solitude qu’ils estiment conforme à leur vocation. Ils souhaitent que ce lieu demeure un « désert » au sein d’une zone de silence, maintenant officiellement protégée par les pouvoirs publics.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

 

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