L’abbaye de Noirlac (Cher).

L’abbaye de Noirlac est une abbaye cistercienne située à Bruère-Allichamps, près de Saint-Amand-Montrond, dans le département du Cher. C’est une des abbayes cisterciennes les mieux préservées. Acquise par le département du Cher en 1909, restaurée de 1950 à 1980, elle est actuellement un centre culturel de rencontres, membre du réseau européen des centres de rencontre. L’abbaye de Noirlac est membre de la Charte des abbayes et sites cisterciens d’Europe.

L’abbaye est fondée en 1136, l’acte de donation qui permet le début de la constitution du patrimoine est de 1150; les bâtiments sont construits dans le deuxième tiers du XIIe siècle et au XIIIe siècle. Son apogée au XIIIe siècle est suivie d’une période de lent déclin, due à la guerre de Cent Ans, et au relâchement de l’observation des règles. Elle passe, comme les autres abbayes, sous le régime de la commende au XVIe siècle, est sérieusement endommagée sous la Fronde, mais restaurée au XVIIIe siècle. Vendue comme bien national à la Révolution, heureusement sans être divisée en lots, puis transformée en usine de porcelaine au XIXe siècle, elle est acquise par le département du Cher en 1909. Elle abrite pendant une courte période un orphelinat, puis sert un moment de camp de réfugiés espagnols, et enfin d’annexe de l’hospice de Saint-Amand. Paradoxalement, ces différentes affectations ont permis sa relative bonne conservation puisque les bâtiments sont réutilisés, et donc préservés.

Les règles cisterciennes imposent une stricte séparation entre la double communauté constituée des moines et des convers. L’organisation des bâtiments, dans l’ architecture cistercienne, assure le respect de cette séparation. Les principaux bâtiments s’organisent autour du cloître à quatre galeries qui est un espace de circulation réservé aux moines et qui permet d’accéder à l’ensemble des bâtiments qui leur sont destinés.

Abbaye de Noirlac, carte maximum, Bruère-Allichamps, 2/07/1983.

Au-delà des bâtiments groupés autour du cloître se développent les communs (qui aujourd’hui abritent la billetterie), le cimetière (au nord, il a disparu), les jardins à l’est, et l’ancienne entrée, maintenant incorporée au petit bourg.

La porte d’entrée du cloître date du réaménagement du XVIIIe siècle. Elle se trouve à l’angle sud-ouest, à côté du cellier. C’est par cette porte que se fait l’accès lors d’événements culturels qui ont lieu dans le cloître.

Le cloître actuel date des XIIIe et XIVe siècles. Le cloître primitif est plus ancien; la galerie Est date du début de la construction de l’église, au milieu du XIIe siècle. La galerie Nord permet d’accéder à l’église abbatiale par deux portes, l’une donnant dans la première travée, réservée aux convers, et l’autre dans la dernière travée, réservée aux moines. La galerie Est dessert la sacristie (qui elle-même communique avec l’église), la salle capitulaire, l’escalier du XVIIIe siècle d’accès au dortoir des moines et le chauffoir. Dans la galerie Est, tout près de l’église, on peut voir un arceau de pierre : c’est l’enfeu du XIIe siècle qui aurait contenu le squelette de l’abbé Robert. La galerie Sud (dont la voûte s’est effondrée lors de l’usage de l’abbaye comme fabrique de porcelaine) dessert le réfectoire et la cuisine. La galerie Ouest n’ouvre pas sur le bâtiment réservé aux convers auquel les moines n’avaient pas accès. Avant la construction de cette galerie, une autre galerie fermait le cloître plus à l’est, et il y avait entre la galerie et le bâtiment des convers une allée appelée ruelle des convers. Ces ruelles existaient dans pratiquement toutes les abbayes cisterciennes.


L’abbaye est fondée en 1136, par un petit groupe de moines venus de l’abbaye de Clairvaux (Bourgogne). Elle se nomme alors Maison-Dieu et ne prend le nom de Noirlac (à cause de l’étang qui la bordait) qu’en 1290. C’est un monastère emblématique de l’ordre de Cîteaux. Selon une tradition reprise dans l’Exorde de Cîteaux.

(Exordium magnum ordinis cistencensis) la date de fondation serait le 27 octobre 1136.

La communauté est dirigée par Robert de Châtillon [†1181], un parent de Bernard de Clairvaux. Les moines occupent des terres appartenant au seigneur Ebbes V de Charenton, de la famille de Déols. C’est une zone boisée inhospitalière et marécageuse près du Cher. Ils occupent la terre sans titre, ne bénéficiant que d’une tolérance.

Une lettre datée de 1149, de Saint Bernard à destination de l’abbé Suger, abbé de Saint-Denis et conseiller du roi de France Louis VII, alerte ce dernier sur la précarité dans laquelle vit la communauté cistercienne de Maison-Dieu-sur-Cher et lui demande de l’aider :

« Nos frères de la Maison-Dieu, au diocèse de Bourges, manquent de pain, et nous avons entendu dire que la récolte du seigneur le roi est abondante en ce pays et quelle s’y vend à bas prix. Nous vous prions de leur faire donner sur cette récolte ce que votre prudence jugera convenable, car mon seigneur le roi, quand il était dans la contrée, avait coutume de leur faire du bien. »

C’est en 1150 qu’une première charte d’établissement est faite par Ebbes V de Charenton. Il donne tous les droits seigneuraux qu’il possède au lieu-dit La Maison-Dieu, une part de bois, un cours d’eau depuis les moulins de Humbert jusqu’à l’abbaye et de terres à Chalais, Saint-Loup et Fleuret. Cette donation est faite aux moines de Clairvaux et «ad abbatiam faciendam». Ces droits sont pris aux moines bénédictins du prieuré de La Celle-Bruère qui avaient un prieuré à Bruère-Allichamps. Ebbes V de Charenton leur donne une compensation. Cette date de 1150, et cette charte, ont été considérés, par certains historiens, comme la date attestant de la fondation de l’abbaye Maison-Dieu-sur-Cher.

Abbaye de Noirlac, épreuve de luxe.

L’abbaye est édifiée pour l’essentiel au XIIe siècle. L’église est construite suivant le plan bernardin déjà utilisé pour l’abbatiale de Fontenay. Elle est consacrée en 1147. La construction du chœur, du transept et des deux dernières travées de l’église est achevé entre 1150 et 1160. Entre 1170 et 1190, construction du mur de l’église longeant le cloître, de la salle capitulaire, de la salle des moines et du dortoir des moines au premier étage à l’est du cloître. Enfin est construit le bâtiment des convers à l’ouest du cloître.

Au début du XIIIe siècle, un porche est accolé à la façade, et le réfectoire au sud du cloître est élevé dans les années suivantes. De 1270 à 1280, construction des galeries nord et ouest du cloître. La disparition progressive des convers entraîne la suppression de la ruelle des convers pour accéder au bâtiment des convers. Elle est remplacée par la galerie ouest du cloître qui est complété par les galeries est (avant 1350) et sud (vers 1300).

Un système hydraulique est mis en place dès le XIIe siècle. Les moines captent une source très proche, située au nord du transept de l’abbatiale. Des sondages ont montré l’existence d’un grand collecteur d’eau entoure l’ensemble des bâtiments monastiques groupés autour du cloître. La construction est homogène, d’une hauteur et d’une largeur oscillant entre 80 et 129 centimètres, il est formé de murs en moellons et couvert par une voûte en plein cintre brute de décoffrage, bandée d’arcs appareillés. Il semble avoir été construit au moment où les bâtiments monastiques sortaient de terre. D’autres installations hydrauliques ont été découvertes dans le monastère, dans le prolongement du grand collecteur. À l’intérieur du cloître, des canalisations aux dimensions bien plus petites, larges de 35 à 50 centimètres et profondes de 50 centimètres, ont été découvertes. Elles semblent avoir été régulièrement entretenues au Moyen Âge et au XVIe siècle.

La donation d’Ebbes V de Charenton est confirmée en 1159, à la demande de Pierre de La Châtre, alors archevêque de Bourges et primat d’Aquitaine, par Agnès, femme d’Ebbes. L’abbaye de Bussières qu’ils avaient fondée pour les moniales, et rattachée à l’abbaye de Noirlac. Ebbes VI de Charenton, fils du fondateur, confirme les donations de son père en 1189, et en ajoute d’autres à la demande de l’archevêque de Bourges, Henri de Sully.

Durant toute la première moitié du XIIIe siècle, les donations affluent, en bois, terre, vignes, étangs, moulins et maisons de ville, au profit de l’abbaye de Maison-Dieu-sur-Cher. On ira jusqu’à compter alors jusqu’à quatorze granges, dix-sept fermes, deux cent soixante quinze hectares de forêt, des maisons, des moulins, des près, des dîmes et des cens dont l’inventaire a été fait par Jean Plat dans son écrit harv|Plat|L’abbaye de Noirlac.

Les seigneurs de Charenton et les grands donateurs sont enterrés dans le cimetière et dans le cloître. Les tombes de plusieurs abbés, d’Ebbes V et de sa femme Agnès, de leur fils Ebbes VI, de la fille de ce dernier, Mahaut, et de son mari Renaud de Montfaucon, devenu seigneur de Charenton, se trouvaient dans la salle capitulaire.

La première mention de l’abbaye sous le nom de Noirlac se trouve en 1322.

Pendant la guerre de Cent Ans (1337-1454), le Berry et le monastère sont fréquemment victimes de ravages. Ainsi, de 1358 à 1360, les soldats commandés par le capitaine anglais Robert Knolles occupent le monastère. D’autres troubles sont dus aux Grandes compagnies, puis aux Écorcheurs et à la Praguerie.

Pour leur défense, les religieux entreprennent de fortifier l’abbaye. Un certain Jean Bourguignon de Saint-Amand est chargé de la protection. Un donjon est construit. En 1423, le seigneur d’Orval, Guillaume d’Albret, confirme le droit accordé précédemment par son père, connétable de France, de faire fortifier l’abbaye et de faire assurer la garde par un capitaine. Après le traité d’Arras (1435), les Écorcheurs sont menés dans le Berry, entre 1435 et 1438, par Rodrigue de Villandrando, et par Jean de Bourbon (1420-1496).

Au printemps 1437, Villandrando et Jean de Bourbon se dirigent vers Saint Amand-Montrond et font du Château de Montrond, pour un temps leur quartier général. L’abbaye de Noirlac a plusieurs fois subi les conséquences des exactions de ces brigands. Le donjon est encore mentionné en 1724, mais toute trace de cette construction a disparu.

Après la fin de la guerre, la communauté vit la crise morale du mouvement. Car l’afflux de dons qui eut lieu jusqu’à la fin du XIIIe siècle au bénéfice de cette abbaye et les revenus que les moines en tirèrent, firent d’eux des rentiers qui n’avaient plus à œuvrer pour gagner leur subsistance. Cette situation avait peu à peu engendrée parmi les membres de la communauté cistercienne de Noirlac des dissensions et déviances. Deux faits divers sont rapportés illustrant cette dégradation : en 1459, un moine qui avait apostasié plusieurs fois est pourtant réhabilité par le chapitre général; en 1476, un moine est condamné à la prison perpétuelle par le chapitre général pour avoir tué un moine. Diverses enquêtes sont menées, avec les abbés de Reigny, de Fontmorigny et de Chalivoy, pour éclaircir les agissements des moines et punir les coupables. La dernière tentative de restauration est menée en 1521 par l’abbé de Bouras qui est chargé par le chapitre général de visiter l’abbaye de Noirlac et de la réformer.

L’abbaye de Noirlac est mise en commende en 1510. L’abbé, nommé par le roi et non plus élu par le chapitre, dirige l’abbaye, mais n’a plus l’autorité religieuse. La vie quotidienne va être modifiée. L’abbé installe son logis dans l’ancien bâtiment des convers, au-dessus du cellier. L’abbé et les moines ont une entrée commune, sous le donjon. Lorsque l’abbé ne réside pas en permanence au monastère, un prieur est nommé pour assurer le bon fonctionnement de l’abbaye.

En 1569, les protestants commandés par Wolfgang de Bavière, duc de Deux-Ponts (Zweibrücken), traversent à marche forcée le Berry dans sa partie nord-est. L’armée huguenote allemande se contente de piller les églises qui se trouvent sur son chemin. Ce n’est donc pas à cette armée huguenote qu’il faut attribuer la destruction du porche de l’église et celle du pignon Nord du transept de l’abbaye de Noirlac, ainsi que l’incendie de la partie sud du bâtiment des convers. Ils semblent seulement responsables du pillage de granges appartenant à l’abbaye.

Un livre terrier datant de 1600 décrit les lieux sans noter de dégradations dans l’abbaye.

En revanche, la Fronde inflige d’importantes destructions à l’abbaye. Entre 1650 et 1652, le prince Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand Condé, tient la forteresse de Saint-Amand Montrond, assiégée par les troupes royale. Les troupes des deux partis prennent et reprennent l’abbaye pendant le siège du château. Il en résulte de nombreuses dégradations et destructions. La démolition de plusieurs bâtiments de l’abbaye par les soldats des deux partis est signalée en 1654 par l’abbé de Noirlac, mais il n’y a pas de réparations importantes. Il ne reste alors plus que 4 moines à Noirlac.

Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, les bâtiments sont partagés entre l’abbé commendataire qui dispose du bâtiment des convers, de la galerie du cloître ouest et de la grande cuisine, et les moines. Les religieux ont le cloître, le dortoir, le réfectoire, la chambre des hôtes et les greniers au-dessus des trois autres galeries du cloître. Les moines profitent d’une tolérance accordée par le pape Alexandre VII pour diviser le dortoir en cellules.

En 1790, l’abbaye est sécularisée et en 1791, elle est vendue comme bien national à un dénommé Jean Amable Desjobert qui en fait sa résidence de campagne pour 150 000 livres. Jean Amable Desjobert (04/11/1735-1814)36 est secrétaire des commandements du Maréchal de Soubise (secrétaire du Roi au Parlement de Paris). Veuf, sans enfant, il habite à Saint-Amand. Il est incarcéré comme suspect pendant la Révolution. Il laisse ses terres à la ville qui donne son nom à une promenade.

En 1822, Hall, un citoyen d’origine britannique ayant déjà des intérêts dans des faïenceries de Creil, Montereau et Gien, rachète l’abbaye pour y installer une manufacture de porcelaine38. L’activité de la manufacture est attestée de 1822 à 1866. L’église est divisée par un plancher en deux étages. Des fours à porcelaine sont placés contre le mur nord du collatéral. Les greniers du cloître sont rehaussés et agrandis. Deux grandes ouvertures sont percées dans la galerie sud du cloître entraînant à terme l’effondrement des voûtes. Les ouvertures de la galerie du cloître sont murées. Le cloître lui-même est rehaussé pour y établir de grands greniers de séchage et de stockage des porcelaines. En 1833, Hall revend l’abbaye à la famille Pillivuyt de Foëcy, propriétaire d’une manufacture qui existe encore à Mehun-sur-Yèvre. Après une période de location, Pillivuyt reprend l’abbaye en 1848. La fabrique est rattachée à celles du porcelainier en 1854.

Elle est classée Monument historique en 1862, mais cela n’a en rien empêché les déprédations commises par les propriétaires de l’usine. En 1866, l’exploitation se termine et les ouvriers de la manufacture sont repris par une entreprise nouvellement créée à proximité, à Bruère-Allichamps, la fabrique Avignon, qui existe encore en 201339. Des clichés photographiques réalisés par Jean-Eugène Durand (1845–1926) en 1877 sont éloquentes. Sur l’une d’elles, on voit la galerie ouest depuis le centre du cloître et le bâtiment des convers. La galerie est murée, le bâtiment est surélevé d’un étage, avec un deuxième étage supplémentaire sous un nouveau pignon central. La porcelaine sèche devant la galerie.

Après la fin de l’exploitation commerciale, les bâtiments font l’objet d’examens approfondis. L’abbé Jules Pailler, (1858-19..), curé de Saint-Amand-Montrond, s’investit particulièrement et, au cours des fouilles dans l’armarium en 1893, il découvre dans un enfeu un squelette avec à ses côtés une crosse en bois qui est probablement celui de Robert de Châtillon, fondateur de l’abbaye, qui n’avait pas été enterré dans la salle capitulaire comme les autres abbés puisque cette salle n’existait pas au moment de sa mort.

L’abbé Jules Pailler achète l’abbaye en 1893 afin de tenter d’y installer un orphelinat industriel et agricole, mais le projet n’aboutit pas. Entre-temps, l’architecte départemental des monuments historiques Georges Darcy41 et l’historien Alphonse Buhot de Kersers alertent le ministère sur l’entretien du monument, et c’est sur un rapport établi par Paul Selmersheim, inspecteur général des monuments historiques, que les Monuments historiques décident de s’associer avec l’abbé Pailler pour restaurer les bâtiments.

Le monastère est de nouveau mis en vente, et en 1896, l’abbaye est achetée par une communauté qui s’appelait les Sœurs épouses du Sacré-Cœur de Jésus pénitent sis de Loigny Eure-et-Loir. Cette communauté est condamnée par le Saint-Office en 1896. La communauté religieuse est dissoute par la loi de 1901 sur les associations et ses biens sont mis sous séquestre.

Le 29 décembre 1909, Étienne Dujardin-Beaumetz qui est alors sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, visite l’abbaye. C’est alors que le département du Cher se porte acquéreur de l’abbaye avec une aide financière conséquente de l’État. Le service des Monuments Historiques fait des travaux conservatoires. Les travaux sont dirigés par Lucien Roy (1850-1941) puis par Henri Huignard (1891-1950).

Entre 1909 et 1910, l’abbaye sert de colonie de vacances aux Petits chanteurs à la Croix de bois.

En 1938 et 1939, l’abbaye est utilisée comme camp d’internement pour les réfugiés espagnols chassés par la guerre civile, qui sont plusieurs centaines après la Retirada. Un hôpital provisoire avec 70 lits est ouvert pour soigner les épidémies et les maladies causées par les carences alimentaires. Le camp est fermé à l’été 1939. Puis, pendant la guerre, l’abbaye sert d’annexe à l’hospice de Saint-Amand-Montrond.

En 1949, l’abbaye est à nouveau inoccupée. Les travaux de restauration débutent en 1950. Ils durent jusqu’en 1980. Les vitraux de l’église et du réfectoire ont été réalisés sur les cartons de Jean-Pierre Raynaud et mis en place en 1977.

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Sources : Wikipédia, YouTube.