L’abbaye de Cluny est une abbaye bénédictine située dans le département français de Saône-et-Loire en région Bourgogne-Franche-Comté.
Fondée le 2 septembre 909 ou 910 par le duc d’Aquitaine et comte d’Auvergne Guillaume Ier, devenue le symbole du renouveau monastique en Occident, Cluny fut un foyer de réforme de la règle bénédictine et un centre intellectuel de premier plan au Moyen Âge classique.
Il ne subsiste aujourd’hui qu’une partie des bâtiments, faisant l’objet de protections au titre des Monuments historiques1 et gérés par le Centre des monuments nationaux. L’ancienne abbaye dispose du Label du patrimoine européen. Les bâtiments de l’abbaye abritent depuis la fin du XIXe siècle l’un des huit campus de l’école des Arts et Métiers, grande école d’ingénieurs française.
Vers 900, la France était dirigée par la dynastie carolingienne ; mais sous la pression des attaques des Vikings et des Sarrasins, l’autorité royale s’était fortement affaiblie, et les princes territoriaux et les seigneurs avaient pris leur indépendance de fait. L’effacement du pouvoir royal était particulièrement prononcé au sud. Dans le Mâconnais, où se trouve le site de Cluny, les seigneurs châtelains et immunistes contestèrent le pouvoir et choisirent les prélats. L’Église fut prise dans le système féodal et dans l’affrontement entre les abbés et les évêques au sujet des dîmes. Le clergé régulier fut particulièrement touché par la crise : de nombreux monastères furent victimes des raids scandinaves et de l’accaparement des aristocrates. La crise était aussi morale puisque la règle de Benoît de Nursie n’était plus respectée à la lettre. Écrite au VIe siècle, la règle bénédictine prévoyait que les moines fussent dirigés par un abbé et qu’ils partageassent leur temps entre la prière et le travail manuel. Au début du IXe siècle, Benoît d’Aniane tenta de la diffuser dans tous les monastères de l’Empire carolingien. Mais le travail manuel fut délaissé au profit de la prière. Les laïcs nommèrent des abbés qui leur furent fidèles et contrôlèrent ainsi les domaines fonciers des établissements réguliers.
L’abbaye fut fondée dans ce contexte, et sur le modèle de celle d’Aurillac, par une charte rédigée à Bourges le 11 septembre 909 ou 910, par le comte de Mâcon, Guillaume Ier, duc d’Aquitaine et comte d’Auvergne, qui la plaça sous l’autorité immédiate du pape. Le comte octroya une villa située près de Mâcon à Bernon, abbé de Baume-les-Messieurs et de plusieurs monastères dans la région. Ce fut ce dernier qui choisit le site de Cluny et construisit les premiers bâtiments conventuels avec l’aide de douze moines des abbayes de Gigny et de Baume. L’abbaye fut reconnue comme chef d’ordre par le pape Jean XI, sous l’abbatiat d’Odon en 931.
Guillaume renonça à tous ses droits sur Cluny et permit à l’abbé d’être choisi par les moines. Il plaça la communauté monastique sous le patronage des apôtres Pierre et Paul de Tarse ; Cluny passa désormais sous la protection directe du pape, sous le pontificat de Serge III. Ce fut une abbaye immunitaire, c’est-à-dire qu’elle était indépendante à la fois de l’évêque et des seigneurs de la région, et elle ne devait obéissance qu’au pape. Cet élément joua un grand rôle dans le développement de l’abbaye.
Lors de la fondation, le comte imposa enfin le respect de la règle bénédictine et attendit que les moines priassent pour son salut :
« Je fais ce don stipulant qu’un monastère régulier devra être construit à Cluny […], dont les moines vivront en communauté selon la règle du bienheureux Benoît. […] Que soit ainsi établi en cet endroit un asile de prières où s’accompliront fidèlement les vœux et les oraisons. Que soit ainsi recherché et poursuivi, avec une volonté profonde et une ardeur totale, le dialogue avec le ciel. Que des prières, des demandes et des supplications y soient sans cesse adressées au Seigneur tant pour moi que pour tous ceux dont j’ai précédemment évoqué la mémoire. »
L’abbé Bernon, premier abbé de Cluny, commença la construction de l’abbatiale Cluny I en 910. Cluny I fut terminée sous son successeur Odon et dédicacée avant 927. L’église préexistante de Cluny fut alors convertie en chapelle dédiée à la Vierge Marie. Aujourd’hui, il ne reste plus rien de Cluny I, qui fut détruite pour laisser place aux édifices de l’abbaye de Cluny II.
Le complexe monastique de Cluny II est connu grâce aux descriptions du Liber Tramitis, un coutumier des années 1035-1040. Le quatrième abbé de Cluny (954-994), Maïeul de Cluny, construit Cluny II à partir de 963, pour remplacer l’édifice précédent, devenu trop étroit ; l’église abbatiale fut consacrée en 981. Cluny II se caractérise par un chevet complexe avec plusieurs absidioles et une galilée (avant-nef), située à l’ouest. Le développement du chevet témoigne de l’essor de la liturgie et des pèlerinages. À la croisée du transept (étroit) et du vaisseau central (large), s’élevait un haut clocher, du type de celui qui subsiste à Chapaize. Cette disposition du clocher au-dessus de la croisée devint la règle quasiment absolue pour toutes les églises romanes de la région.
La construction de Cluny III débuta vers 1080 sous l’abbatiat de Hugues de Semur. L’expansion de l’Ordre, le nombre de moines sans cesse croissant assistant aux offices, et les chantiers imposants ouverts dans toutes les abbayes rivales, voire de simples prieurés, rendirent obsolète l’abbatiale de Maïeul, décrite comme bergerie étroite et vétuste dans la Vie de saint Hugues par Geilon vers 1115. En 1088 eut lieu la pose symbolique d’une première pierre. En 1095, le pape Urbain II consacra deux pierres d’autel et trois chapelles au milieu du chantier. La nef fut fermée et dédicacée en 1130, mais l’édifice était loin d’être achevé : le bras nord du transept, les tours et l’avant-nef furent, au mieux, commencés à cette date. Interrompu au cours de la deuxième moitié du XIIe siècle, le chantier reprit au début du XIIIe siècle et vit l’achèvement de l’immense avant-nef en 1220 par l’abbé Rolland Ier de Hainaut, de style gothique. L’abbatiale devint alors, pour trois siècles, le plus grand édifice religieux d’Occident (187 mètres de long), jusqu’à la reconstruction de la basilique Saint-Pierre de Rome en 1506.
Le plan de l’édifice est en forme de croix archiépiscopale : il y a deux transepts. Le grand transept, dont un bras subsiste aux trois quarts, était long à lui seul comme une petite cathédrale. Il était surmonté de trois clochers : le « clocher de l’Eau bénite » surplombe toujours le bras sud, le « clocher des Bisans » surplombait le bras nord, et enfin le « clocher du Chœur », le plus imposant de tout l’édifice, couronnait la croisée centrale. Plus loin vers l’est, au milieu du chœur, se trouvait un petit transept, appelé « transept matutinal », qui subsiste aussi en partie. Son croisillon central était surmonté d’une tour, dite « Tour des lampes », dont la fonction est mal définie : elle comportait en effet un tambour octogonal sans aucune ouverture, surmonté d’une flèche.
La nef était encadrée par quatre collatéraux et la voûte s’élevait à 33 mètres au-dessus du sol.
Pendant l’abbatiat d’Odon de Cluny (927-942), Cluny obtient le droit de battre monnaie et un grand nombre de monastères bénédictins se rassemblent sous son autorité. Odon met en place la bibliothèque et l’école. De son temps, les donations sont quasiment multipliées par quatre (21 donations sous l’abbé Bernon, 82 sous Odon) et leur accroissement continue sous Mayeul (620 donations), Odilon (613 donations) et Hugues (786 donations). Une part importante de ces donations concerne des moulins, outils de production générateurs de revenus notables et sûrs, qui font l’objet de 44 % des donations entre 910 et 1156.
Pendant les quarante années d’abbatiat de saint Mayeul, ses liens avec le Saint-Empire favorisent l’extension de l’Ecclesia cluniacensis vers l’est. Mayeul est certainement l’un des conseillers écoutés d’Hugues Capet, duc puis roi des Francs, ce qui lui permet de réformer des monastères et d’y placer des abbés réguliers. Enfin, il poursuit les relations qu’Odon avait nouées avec la papauté.
Sous l’abbatiat d’Odilon de Mercœur (994-1049), Cluny devient un seigneur et obtient un privilège d’exemption octroyé par le pape Grégoire V en 998. Ce privilège, qui permet à l’abbaye d’être indépendante de l’évêque de Mâcon, est prolongé par Jean XIX en 1024.
L’abbatiat de Pons de Melgueil (1109-1122) est marqué par les crises internes de l’ordre clunisien, dues à la concurrence de l’érémitisme et de nouveaux ordres (cisterciens et chartreux).
Le 6 mars 1058, le pape Étienne IX confirme le privilège monétaire de Cluny. Les statuts d’Hugues V de Cluny (1199-1207) organisent un chapitre généralement annuel. L’ordre clunisien était structuré en un réseau de « provinces ». À son apogée, l’Église de Cluny compte environ 10 000 moines répartis dans 1 200 établissements répandus depuis le nord de l’Angleterre jusqu’à l’Espagne, en passant par l’Italie et le Saint-Empire romain germanique.
Le 25 octobre 1095 fut solennellement proclamé le ban sacré de l’abbaye de Cluny, par le pape Urbain II. À la demande de l’abbé Hugues de Semur, le pape assigna autour de l’abbaye un espace de paix auquel il donna le nom de ban sacré, dont le contour s’appuyait sur dix points caractéristiques de l’environnement (espace inviolable intégrant plusieurs doyennés).
Le succès de Cluny, qui essaima dans toute la chrétienté latine, était dû à son émancipation du pouvoir seigneurial et épiscopal, mais aussi à l’action de ses abbés, qui connurent une longévité exceptionnelle. Sa situation géographique, à la charnière entre Europe du Nord et du Sud, entre royaume de France et Empire, était également favorable.
L’abbaye s’enrichit rapidement grâce aux dons des fidèles. Elle est un lieu de pèlerinage important, avec plus de mille reliques vénérées. Alphonse VI octroie une rente annuelle de 100 000 deniers clunisiens vers 1077. Les autres revenus de l’abbaye proviennent des droits seigneuriaux et banaux qu’elle prélève et des sommes versées par les prieurés de son réseau.
L’abbaye constitue un foyer intellectuel et culturel important du Xe au XIIe siècle : Odon rassemble les premiers manuscrits de la bibliothèque en rapportant des livres provenant de Saint-Martin de Tours. Les ouvrages conservés à Cluny se multiplient rapidement grâce à l’activité du scriptorium : on en connaît le nombre (570) grâce au grand catalogue (XIe et XIIe siècles). La bibliothèque conserve des œuvres patristiques et des maîtres carolingiens, parmi lesquels Jean Scot Erigène. Sous l’abbatiat de Pierre le Vénérable qui fait agrandir l’hospice et l’infirmerie, elle est plus importante que celle de l’abbaye du Mont-Cassin en Italie. On pouvait y trouver des textes latins (Tite-Live, Ovide, Cicéron), mais aussi des livres de médecine ou de musique.
C’est à Cluny que Raoul Glaber rédige la plus grande partie de ses Histoires à partir de 1031. Les abbés sont aussi des auteurs. Odon de Cluny produit une Vie de Géraud d’Aurillac. Les moines clunisiens écrivent aussi des récits hagiographiques. La chancellerie de l’abbaye produit plusieurs cartulaires ainsi que les coutumes de l’établissement. Le Guide du pèlerin a sans doute été écrit par Aymeri Picaud à Cluny au XIIe siècle.
Cluny est aussi un centre d’études de premier ordre. Le droit romain est resté vivant par l’étude de fragments de textes juridiques datant du règne de Justinien Ier. Les thèses néoplatoniciennes y survivent et nourrissent la réflexion sur l’organisation de la société. Les chapiteaux du déambulatoire de l’abbatiale de Cluny III figurent les arts libéraux, autrement dit les disciplines enseignées au Moyen Âge. Enfin de l’abbaye sortent des personnages éminents tels que le pape Urbain II.
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Sources : Wikipédia, YouTube.