La transhumance.

La transhumance est la migration périodique du bétail (bovidés, cervidés, équidés et ovins) entre les pâturages d’hiver et les pâturages d’été. Elle a pour objectif l’engraissement du troupeau mais aussi sa reproduction. Elle se pratique sur tous les continents. Cette « forme de nomadisme assagi » (Fernand Braudel), qui remonte au moins à 4 000 ans, connaît un déclin progressif en Occident au XXe siècle. La pratique de la transhumance a été inscrite à l’Inventaire du patrimoine culturel immatériel français depuis 2020.

La transhumance est généralement considérée comme un système différent du pastoralisme nomade, où le parcours est irrégulier, où l’intégralité du troupeau se déplace et où tout le groupe social suit les troupeaux, néanmoins les pasteurs nomades peuvent aussi suivre des parcours réguliers assimilables à la transhumance.

La transhumance, déplacement saisonnier de troupeaux le long des routes migratoires en Méditerranée et dans les Alpes, a été inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en décembre 2019.

Le terme de transhumance s’applique aussi au transport d’essaims d’abeilles d’une région florale à une autre.


Transhumance, carte maximum, Autriche, 1991.

La transhumance verticale voit les troupeaux passer de la plaine (en hiver) à la montagne (en été). Cette transhumance s’effectue sur des distances réduites. C’est la principale forme de transhumance en France. La transhumance horizontale voit le troupeau changer de région pour profiter d’un climat plus favorable, sans forcément changer d’altitude. Cette transhumance peut se produire sur des distances pouvant atteindre plusieurs centaines de kilomètres1.

On distingue deux types de transhumance verticale :

  • La transhumance estivale (ou transhumance normale), qui est la montée dans les pâturages d’altitude (appelés alpages dans les Alpes francophones, montagnes dans le Massif central, estives dans les Pyrénées francophones, chaumes dans les Vosges) des troupeaux originaires des basses plaines. Dans le Valais et la vallée d’Aoste on parle d’inalpe, en Suisse romande on parle de poya.
  • La transhumance hivernale (ou transhumance inverse), qui est le fait de troupeaux d’altitude, lesquels, l’hiver venu, fuient les rigueurs du climat montagnard en descendant vers les plaines tempérées. En Suisse romande et dans la vallée d’Aoste, on parle de désalpe.

Le terme transhumance double est utilisé quand des élevages situés en moyenne montagne exploitent alternativement des pâturages situés plus bas et plus haut. Les termes estivage et hivernage sont préférés lorsque les déplacements se produisent sur des distances courtes, vers des pâturages situés dans la montagne proche.

En Europe, l’estive dure en général de fin mai à mi-octobre. En Afrique de l’Ouest, les troupeaux se dirigent vers le sud pendant la saison sèche et retournent vers le nord pendant la saison humide.

Les systèmes agraires pratiquant la transhumance se caractérisent par l’existence d’une exploitation agricole fixe, où se trouvent les champs cultivés, et souvent, dans les zones tempérées, des prés de fauche destinés à la production de foin. Une partie du groupe familial continue de résider sur l’exploitation agricole pendant la période de transhumance. Une partie du troupeau (femelles en lactation, animaux affaiblis, animaux de trait…) peut également rester sur l’exploitation. L’amélioration des moyens de transport des troupeaux à l’époque moderne (train, camion) tend à réduire la proportion du troupeau qui ne part pas en transhumance.

Les bergers qui accompagnent le troupeau peuvent être ses propriétaires-éleveurs, mais également des bergers salariés, des esclaves (dans l’Empire romain) ou des “entrepreneurs” qui prennent à bail le troupeau pour la durée de la transhumance (cas du Latium médiéval).

L’organisation de la transhumance demande des formes d’organisation sociale complexe pour maintenir ouvert les parcours permettant d’accéder aux pâturages, garantir l’accessibilité aux pâturages de destination, empêcher le surpâturage et régler les conflits entre transhumants et entre transhumants et sédentaires. Elles peuvent faire intervenir une organisation étatique (par exemple, Dogana delle pecore dans le Royaume de Naples, Mesta en Castille) et/ou une gestion collective des pâturages par les éleveurs, sous la forme de biens communs.

La question des origines de la transhumance en Provence et  en Languedoc mobilise les historiens et les archéologues. Les grands déplacements de troupeaux de la plaine à la montagne avaient probablement disparu durant le haut Moyen Âge, faute des conditions politiques (organisation territoriale et sécurité des chemins) et économiques (marchés pour écouler les produits des troupeaux) nécessaires à de telles entreprises.

La découverte dans les années 1990 dans la plaine de la Crau de fondations de nombreuses bergeries datant de l’époque romaine et de l’âge du Fer a laissé penser que déjà dans l’Antiquité des troupeaux d’ovins  transhumaient. Mais Pline l’Ancien affirmait que dans “les Plaines-de-pierre” de la province Narbonnaise les moutons “par milliers convergent depuis des régions lointaines pour brouter”, ce qui ne correspond pas à une transhumance estivale. Surtout, les prospections archéologiques et les études paléo-environnementales conduites sur l’occupation de la haute montagne dans les années 2000 dans les Hautes Alpes ne montrent pas d’augmentation de l’impact des troupeaux à l’époque romaine (Leveau 2006, 2016).

Le balancement des troupeaux se remet en place dès avant le XIIe siècle à l’initiative des communautés montagnardes, qui ne peuvent nourrir en bergerie des troupeaux importants durant les longs hivers, et vont chercher l’herbe des plaines. Les grands monastères (Abbaye Saint-Victor de Marseille, Boscodon…), les imitent dès le XIIIe siècle en mettant en valeur leurs possessions dans le haut comme dans le bas pays, imités, à partir du xive siècle par les grandes familles nobles. Il s’agit alors d’une transhumance de la plaine à la montagne, avec des troupeaux de mille bêtes et plus.

Les archives du Comté de Nice font état de contrats passés au début du XIVe siècle, entre des montagnards et des éleveurs de basse Provence. Les premiers ayant rapporté au pays les troupeaux des seconds. C’est à partir de 1325 que l’on voit des éleveurs envoyer en commun de gros troupeaux (de près de 2000 têtes) vers les pâturages de haute montagne. Dans un premier temps, cette transhumance sera perçue par beaucoup comme de la concurrence pour les élevages de montagne (Musset, 1986). Dans Sociétés paysannes, Henri Mendras citait ce conflit de pouvoir comme illustration d’un processus d’installation d’un équilibre entre ressources naturelles et exigences sociales (Mendras, 1976).

De nombreux actes notariaux parus après 1380 témoignent de ce mode de transhumance. Au xve siècle, la grande transhumance, réservée au siècle précédent aux troupeaux des grandes familles et des éleveurs riches, se démocratise. L’estivage des moutons devient massif. À partir de 1450 chaque année entre 40 000 et 50 000 moutons quittent Aix-en-Provence et ses alentours pour les alpages (Leydet, 1982). À partir de là, la grande transhumance ne cessera de s’étendre vers le nord.

La grande transhumance ne peut plus alors être résumée à un acte de circulation, elle devient un véritable circuit commercial. Nous assistons à une sorte de « marchandisation » des estives. Le plus souvent, les éleveurs provençaux traitent avec des intermédiaires qui jouent un rôle très important dans le « marché de l’estive ». Ce sont eux qui acheminent les troupeaux vers les alpages. Ce sont eux également qui assurent la police des transhumances. Ils se mettent à la tête du rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de moutons qu’ils prennent en charge jusqu’aux alpages. On assiste ainsi, à l’émergence de professionnels de la transhumance qui à certaines périodes jouiront d’un quasi-monopole de l’activité (Coulet, 1986).

À la fin du XVIIIe siècle, la race Mérinos d’Arles (croisement du Mérinos espagnol avec la race Cravenne), très adaptée à une existence rustique, apparaît en France, la production ovine s’améliore.

Au xixe siècle, le pastoralisme et la grande transhumance sont très importants. La rentabilité faible est contrebalancée par des troupeaux de grands effectifs. 400 000 moutons transhument de basse Provence vers les hautes vallées des Alpes du Sud. La Crau et la Camargue, dont les sols sont pauvres, offrent de nombreux parcours loués à bas prix. Dans les garrigues de Montpellier, céréaliculture et élevages extensifs de moutons sont associés.

Les grands transhumants ont des phases de progression et de régression, liées, jusqu’au XIXe siècle, à la demande en laine.

Dans l’intervalle des XIXe et XXe siècles, on distingue, en France, trois périodes principales. Autour de 1850, la France atteint un pic démographique et l’élevage de mouton connaît un maximum.

Après 1860, alors que la laine est le principal produit de l’élevage ovin, la suppression des droits de douanes entraîne la chute du cours de la laine. En même temps l’urbanisation croissante induit une plus forte demande de production de viande. Ces deux phénomènes conduisent à une conversion de la production vers celle de la viande et à un fort recul de la production ovine (Coste, 1986).

Les gros propriétaires terriens réduisent les effectifs et se tournent vers d’autres cultures (notamment la vigne). De 1852 à 1955, le nombre de brebis mères passe de plus de 33 millions à seulement 8 millions. Les plaines arides de la Crau sont mises en valeur grâce au drainage, au colmatage, et à l’irrigation rendue possible par la dérivation des eaux de la Durance. La création de prairies et la construction de bergeries dans la Crau, rendent les éleveurs plus dépendants des propriétaires terriens.

Tranhumance dans les Cévennes, prêt-à-poster, France.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale les troupeaux du bas Languedoc sont rejetés sur les garrigues et pratiquent des transhumances courtes vers les Cévennes et les causses comme le Larzac. La production de coureurs ou broutards (agneaux nourris au lait maternel et à l’herbe) chute et l’engraissement d’agneaux en bergerie devient privilégié. Cependant la transhumance se maintient en basse Provence. En 1954, 350 000 moutons estivent dans les Alpes, dont trois cinquièmes originaires de Crau et de Camargue. Le transport par bétaillères se généralise.

Entre 1870 et 1930, malgré la consommation croissante de viande, le cheptel français diminue de moitié. Son niveau minimum est atteint en 1950.

Depuis 1950, cependant, la concurrence sur les terres s’accroît  (lotissements, camps militaires, vergers, vignobles, stations de ski, etc.) avec pour conséquence un certain recul de l’agriculture, libérant ainsi de nombreux parcours pour les ovins. En 1935, un troupeau sur dix transhumait encore (soit un million de bêtes). En 1960 seules 600 000 bêtes prennent encore la route, 350 000 vers les Alpes, 200 000 vers les Pyrénées et 50 000 vers le Massif central.

Les années 1960 et 1970 voient une politique productiviste (Mendras 1984 ; Duby, 1977). Entre 1955 et 1980, le nombre de brebis mères passe de 6 millions à 8 millions et la production de viande d’agneau progresse de 60 %. La consommation de viande, qui double pendant cette période, était alors assurée à 80 % par la production française. Une forte spécialisation des espaces conduit à la création de bassins de production, ce qui rend les régions tributaires des firmes qui encadrent la production, imposant leur recherche de régularité et des coûts de production moindres (Mendras, 1984).

Partout, la longueur des transhumances diminue et l’élevage tend à une sédentarisation incitée par les pouvoirs publics. C’est la transhumance hivernale descendante qui décline le plus vite. Les bergers abandonnent les déplacements lointains vers les plaines qui sont occupées par d’autres cultures et ils cherchent à augmenter le pâturage dans les régions alpines et préalpines.

À partir de 1982, l’élevage ovin est à nouveau en recul. Dans les années 1980, le marché français de la viande s’ouvre encore, notamment grâce aux améliorations du transport frigorifique. Les importations à bas prix affectent fortement l’élevage français. Depuis 1980, le cheptel ne cesse de diminuer. La production régresse fortement et les importations augmentent. C’est une période de renforcement de la concentration et de la spécialisation géographique. Le cheptel perd plus d’un million de têtes en dix ans et la production de viande baisse régulièrement. La consommation est alors satisfaite par un recours massif à l’importation, principalement en provenance du Royaume-Uni, d’Irlande, de Nouvelle-Zélande et  d’Australie.

À partir de 1985, alors que la Politique agricole commune (PAC) européenne incitait à la réduction des coûts de structure, la relative défaite des systèmes intensifs d’élevage ovin conduit à un retour au modèle extensif. Extensif, mais centralisé (12 % du cheptel national est regroupé en Provence) et fortement spécialisé. Lorsque les exploitations se diversifient, c’est presque exclusivement pour adjoindre à l’élevage, la culture du foin complémentaire. Dans nombre de cas, la culture du foin supplante d’ailleurs la production ovine en termes de revenu pour l’exploitation.

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Sources : Wikipédia, YouTube.

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