La tapisserie de Bayeux (Calvados).

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La tapisserie de Bayeux, aussi connue sous le nom de « tapisserie de la reine Mathilde », et plus anciennement « Telle du Conquest » (pour « toile de la Conquête ») est une broderie (anciennement « tapisserie aux points d’aiguille ») du XIe siècle inscrite depuis 2007 au registre Mémoire du monde par l’UNESCO.

Elle décrit des faits allant de la fin du règne du roi d’Angleterre Édouard le Confesseur en 1064 à la bataille d’Hastings en 1066, dont l’enjeu était le trône d’Angleterre, contesté à Harold Godwinson par Guillaume, duc de Normandie. Les péripéties clés de la bataille, dont l’issue détermina la conquête normande de l’Angleterre, y sont détaillées, mais près de la moitié des scènes relatent des épisodes antérieurs à l’invasion elle-même. Elle semble avoir été commandée par Odon de Bayeux, le demi-frère de Guillaume et réalisée au cours des années qui ont suivi la conquête.

Tapisserie de la Reine Mathilde, carte maximum, Bayeux 21/06/1958.

Bien que présentant les événements sous un jour très favorable à Guillaume le Conquérant, au point d’être considérée parfois comme une œuvre de propagande, elle a une valeur documentaire inestimable pour la connaissance du XIe siècle normand et anglais. Elle renseigne sur les vêtements, les châteaux, les navires et les conditions de vie de cette époque. De façon générale, elle constitue un des rares exemples de l’art roman profane.

Conservée jusqu’à la fin du XVIIIe siècle dans le Trésor de la cathédrale de Bayeux, elle échappa de peu à la destruction lors de la Révolution française. Elle est aujourd’hui présentée au public au centre Guillaume le Conquérant qui lui est entièrement dédié.

On ne dispose d’aucun document probant ni sur sa conception, ni sur les trois cents premières années de son existence. Certains spécialistes pensent en avoir trouvé une trace dans l’œuvre d’un poète français, Baudry abbé de Bourgueil. Vers l’an 1100, celui-ci compose pour Adèle de Normandie, fille de Guillaume le Conquérant, un poème dans lequel il décrit une tapisserie faite de soie, d’or et d’argent et représentant la conquête de l’Angleterre. Même si la taille et les matériaux de cette tapisserie montrent qu’il ne s’agit pas de la même tapisserie, même si l’existence de la tapisserie de la comtesse Adèle est mise en doute, il est évident que le poème de Baudry s’inspire soit directement, soit indirectement de la tapisserie de Bayeux.

La plus ancienne mention directe de la tapisserie est un inventaire des biens de la cathédrale de Bayeux, dressé en 1476, qui en mentionne l’existence et précise qu’elle est suspendue autour de la nef pendant quelques jours chaque été, sans doute du 1er juillet (jour de la fête des Reliques) au 14 juillet (jour de la Dédicace). La coutume persista jusqu’à la Révolution :

 

« Item, une tente très longue et estroicte de telle, à broderye de ymages et escripteaulx, faisans représentacion du conquest d’Angleterre, laquelle est tendue environ la nef de l’église pendant le jour et par les octabes des Reliques ».

En 1562, des religieux, avertis de l’arrivée imminente d’une troupe de Huguenots, la mirent en sûreté. Ils firent bien, car ceux-ci mirent à sac la cathédrale.

À la fin du XVIIe siècle, la Tapisserie fut tirée de l’obscurité. En 1721, à la mort de Nicolas Jean Foucault, ancien intendant de Normandie et érudit, on découvrit dans sa succession un dessin dépourvu d’indications, qui attisa la curiosité d’Antoine Lancelot (1675-1740) de l’Académie royale des Inscriptions et Belles Lettres. Perplexe mais convaincu que le dessin n’était qu’une partie d’une œuvre de grande taille, il fit appel à Bernard de Montfaucon (1655–1741), historien et bénédictin, qui, en octobre 1728, retrouva la trace de la Tapisserie. En 1729, il publia d’abord le dessin puis l’entièreté de la Tapisserie dans ses Monuments de la monarchie française. C’est à Montfaucon que l’on doit l’attribution de l’œuvre à la reine Mathilde.

Lorsqu’un voyageur anglais, Andrew Coltee Ducarel se présenta à Bayeux en 1752 et demanda aux prêtres à voir l’ouvrage qui relatait la conquête de l’Angleterre, ces derniers semblèrent ignorer tout de son existence. Ce n’est que lorsqu’il leur parla de son exposition annuelle qu’ils comprirent de quel objet il retournait. Il semble donc qu’à cette époque le clergé de Bayeux exposait la Tapisserie mais ne savait plus ce qu’elle représentait.

La Révolution française faillit marquer la fin de la Tapisserie. En 1792, la France étant menacée d’invasion, des troupes furent levées. Au moment du départ du contingent de Bayeux, on s’avisa qu’un des chariots chargés de l’approvisionnement n’avait pas de bâche. Un participant zélé proposa de découper la tapisserie conservée à la cathédrale pour couvrir le chariot. Prévenu tardivement, le commissaire de police, Lambert Léonard Leforestier, arriva cependant juste à temps pour empêcher cet usage. En 1794, lors d’une fête civique, elle faillit être lacérée et transformée en bandes destinées à décorer un char. La commission artistique mise sur pied en 1794 veilla ensuite à la sécurité de l’œuvre pendant la Révolution.

À des fins de propagande contre l’Angleterre qu’il projetait d’envahir, Napoléon la fit venir au Musée du Louvre à Paris en 1804 où elle fut exposée à l’admiration des foules parisiennes. Elle retourna à Bayeux en 1805.

En 1816, la Société des antiquaires de Londres chargea le dessinateur d’antiquités Charles Stothard (en) de réaliser un fac-similé de la Tapisserie pour la série de documents Vetusta Monumenta (en). Ce dernier s’acquitta de cette tâche en deux ans (en ayant effectué trois séjours en France) — non sans avoir dérobé au passage un minuscule morceau de l’œuvre.

Pendant une quarantaine d’années, la Tapisserie fut conservée enroulée. Lors de chaque visite on la déroulait puis on la réenroulait sur une machine formée de deux cylindres pour la montrer scène par scène. Ces manipulations répétées engendraient des frottements qui contribuaient à l’user et risquaient de la détruire. En 1835, les autorités, ayant pris conscience de sa valeur, s’en émurent. À partir de 1842, la Tapisserie devint accessible en permanence au public dans une salle de la bibliothèque de Bayeux, où elle était suspendue dans une vitrine. En avril 1913, le premier musée de la Tapisserie fut créé dans l’hôtel du Doyen à côté de la bibliothèque municipale.

En 1885-1886, Elisabeth Wardle, femme d’un riche marchand, finança une copie de même taille qui se trouve maintenant à Reading en Angleterre.

Le 1er septembre 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, les autorités françaises, après avoir retiré la Tapisserie de sa vitrine et l’avoir roulée, la mettent à l’abri dans un bunker situé dans les caves de l’hôtel du Doyen. Le 23 juin 1941, la tapisserie est transférée à l’abbaye de Mondaye. Elle y est étudiée par des scientifiques allemands dont Herbert Jankuhn (de), archéologue membre de l’Ahnenerbe. Le 20 août 1941, elle rejoint le château de Sourches dans la Sarthe, où elle demeure jusqu’au 26 juin 1944, date à laquelle elle est transférée au musée du Louvre sur ordre de l’occupant. S’il faut en croire le général von Choltitz, le 21 août 1944, pendant la libération de Paris, deux SS se présentent à lui et l’informent qu’ils sont chargés d’emmener la Tapisserie en Allemagne. Lorsque le général leur dit que le Louvre est aux mains de la Résistance, ils repartent sans demander leur reste. La broderie est exposée dans la galerie des primitifs italiens à l’automne 1944, et le 2 mars 1945, elle repart pour Bayeux où elle retrouve l’hôtel du Doyen.

Un nouvel aménagement muséographique mettant en valeur la broderie est inauguré le 6 juin 1948. La présentation laisse toutefois beaucoup à désirer : la Tapisserie est clouée au fond en contreplaqué d’une vitrine non étanche éclairée par des tubes fluorescents. Le principe d’un transfert dans un local plus approprié prend corps en 1977. Après une étude de la broderie et des moyens de la conserver, l’ancien grand séminaire de Bayeux accueille le chef-d’œuvre à partir de mars 1983. L’ancien séminaire prend alors le nom de « Centre Guillaume le Conquérant ».

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Sources : Wikipédia, YouTube.