La révolution des Œillets (Revolução dos Cravos en portugais), également surnommée le 25 avril (25 de Abril en portugais), est le nom donné aux événements d’avril 1974 qui ont entraîné la chute de la dictature salazariste qui dominait le Portugal depuis 1933. Elle doit son nom à l’œillet rouge que les conjurés portaient à leur boutonnière et dans le canon de leur fusil en signe de ralliement.
Ce que l’on nomme « révolution » a commencé par un coup d’État organisé par des militaires qui se sont progressivement radicalisés par rejet des guerres coloniales menées par le Portugal. Ce coup d’État, massivement soutenu par le peuple portugais, a débouché sur une révolution qui a duré deux ans, marquée par de profondes divisions sur la façon de refonder le Portugal, mais qui, finalement, a profondément changé le visage de celui-ci.
La révolution des Œillets a la particularité de voir des militaires, porteurs d’un projet démocratique (mise en place d’un gouvernement civil, organisation d’élections libres et décolonisation), renverser un régime, sans pour autant instaurer un régime autoritaire.
Cet événement est le début de la démocratisation du Sud de l’Europe, celui-ci étant suivi par la chute des dictatures espagnole et grecque.
Depuis 1926, le Portugal est une dictature. L’Estado Novo, un régime conservateur et nationaliste créé en 1931 s’appuie sur l’armée, sur les États-Unis et sur la police secrète d’État et militaire (la PSDEM). Il est dirigé depuis 1968 par Marcelo Caetano qui a succédé à António de Oliveira Salazar (resté au pouvoir de 1933 jusqu’à son accident en 1968).
Toutefois, l’Estado Novo est affaibli par de nombreux problèmes. D’abord, il ne réussit pas à développer le pays (l’un des plus pauvres d’Europe). Ensuite, une grande partie de la population rejette, de plus en plus, le conservatisme moral et le manque de liberté. Enfin, depuis février 1961, en Angola, le régime a déclenché des « guerres de pacification » visant à maintenir la colonisation portugaise face aux révoltes indépendantistes (Angola, Mozambique, Cap-Vert, Sao-Tomé-et-Principe et Guinée-Bissau). Mais c’est l’enlisement après plus de dix années de guerre, qui font de plus en plus de victimes parmi les jeunes enrôlés par la conscription et parmi les officiers engagés. Les guerres coloniales deviennent ainsi l’un des terreaux de la révolution.
Dès 1972, le gouverneur et commandant des Forces Armées en Guinée, António de Spínola tente de convaincre le président du Conseil, Marcelo Caetano, de trouver une solution politique aux guerres coloniales qu’il considère comme perdues car les pertes en hommes sont énormes et le moral des troupes très affecté.
Caetano refuse. Le régime préfère une défaite à une quelconque négociation. Il espère en sortir blanchi et faire porter la responsabilité de la défaite sur l’armée (armée déjà rendue responsable de la perte des possessions indiennes – opération Vijay).
En juin 1973, à l’occasion d’un congrès de soutien au régime, des officiers proches de Spinola contestent, pour la première fois, et publiquement, la stratégie du régime tout en déclarant vouloir défendre eux aussi l’intérêt de la nation.
Parallèlement, une partie des officiers subalternes commence à tourner le dos au régime. En 1973, cette opposition s’organise autour du rejet par des officiers de carrière de deux décrets-lois (nos 353/73 et 409/73) censés faciliter le recrutement d’officiers nécessaires sur le front africain en y incluant des civils ayant déjà fait leur service. Ils créent alors le Mouvement des Forces Armées (MFA).
Cette contestation est d’abord plus d’ordre corporatiste que politique. Mais, malgré le retrait des décrets, les réunions du MFA se poursuivent. Elles débouchent sur l’idée que la guerre est à l’origine de tous les problèmes et que la sortie de la guerre passe forcément par un changement politique. Si certains participants évoquent déjà l’idée d’un coup d’État, la majorité est alors pour une solution légaliste.
Pour agir, le MFA se structure avec la création d’une commission coordinatrice en 1973 dont font partie Dinis de Almeida, Vasco Correia Lourenço, Rodrigo de Castro, Mario Frazao, Mariz Fernandes, Campos Andrade, Sanches Osorio, Hugo dos Santos, Otelo Saraiva de Carvalho et Correia Bernardo.
Le MFA met en avant trois propositions (programme des trois D) :
- démocratisation : conquête du pouvoir confié à une junte en vue de la démocratisation du pays ;
- décolonisation : organisation par le gouvernement, sous la tutelle de l’armée, d’élections libres et d’un référendum sur l’outre-mer ;
- développement économique : redonner sa grandeur au pays.
En 1973, Spinola accepte le poste de vice-chef des armées, créé spécialement pour lui par le gouvernement. Mais, le 17 décembre 1973, il se rapproche du MFA en dénonçant une tentative de coup d’État droitiste par le général Kaulza de Arriaga. Il multiplie les contacts avec le MFA, cherchant à unir les contestataires sous son commandement et en leur demandant de rester dans la légalité en attendant la sortie de son livre qui devrait porter un coup au régime. Le rapprochement est difficile car le MFA se pose des questions sur le projet politique de Spinola.
La sortie du livre de Spinola Le Portugal et l’avenir le 22 février 1974 fait l’effet d’une bombe. Même s’il ne parle pas de renverser le régime, il prône la démocratisation du pays et une progressive autonomie des colonies dans une structure fédéraliste. Il remet ainsi en question l’un des piliers et source de fierté du régime, l’empire. Le livre décomplexe ceux qui n’osaient s’opposer publiquement à la poursuite de la guerre.
Marcelo Caetano comprend la menace pour son pouvoir. Il sait qu’il ne peut continuer à gouverner sans le soutien des principaux officiers dont Francisco da Costa Gomes et Spinola. Il les convoque le 22 février 1974 et leur propose de revendiquer le pouvoir auprès du chef de l’État. Spinola refuse, estimant qu’il est de toute façon trop tard pour le régime.
Parallèlement, le MFA s’organise. Son effectif augmente, son organisation s’améliore. Il décide de sonder les positions des principales unités militaires du pays quant à la solution du coup d’État. Les forces militarisées comme la GNR (gendarmerie), la PSP (police) et la GF (douane) restent pro-gouvernementales. Le MFA tente un rapprochement avec les autres corps des forces armées composés majoritairement d’officiers de l’armée de terre (les forces aériennes participent aux réunions du mouvement mais la marine reste à l’écart méfiante ; ni les unes ni l’autre ne participeront au 25 avril).
Face aux événements, le MFA prend clairement parti pour le coup d’État et fixe les grands objectifs politiques du mouvement.
Le régime réagit en changeant d’unité certains officiers dont Vasco Lourenço, qui finissent par être arrêtés.
En mars 1974, Spínola et Costa Gomes démissionnent de leur poste. Leurs prises de position sur le cours de la politique coloniale portugaise sont devenues intenables face aux ultras du régime.
Un groupe d’officiers décide alors d’intervenir sans attendre. Le 16 mars, les unités de Caldas da Rainha avancent vers Lisbonne. Elles échouent, et 200 militaires sont arrêtés.
Dans le même temps, Spínola tente de plus en plus d’influencer le MFA sur les préparatifs du coup d’État mais aussi sur son programme.
Le 25 avril, le MFA lance les opérations pour renverser le régime dictatorial. La diffusion par la radio de Grândola, Vila Morena, chanson de Zeca Afonso interdite par le régime, annonce le départ des militaires révoltés du MFA pour s’emparer des points stratégiques du pays. En quelques heures, le pouvoir s’effondre.
Durant ces opérations, malgré les appels réguliers des « capitaines d’avril » du MFA à la radio incitant la population à rester chez elle, des milliers de Portugais descendent dans la rue, se mêlant aux militaires insurgés. L’un des points centraux de ce rassemblement est le marché aux fleurs de Lisbonne, alors richement fourni en œillets. Celeste Caeiro, fleuriste, en donne à plusieurs militaires. Certains militaires insurgés mettront cette fleur dans le canon de leur fusil, donnant ainsi un nom et un symbole à cette révolution.
Marcelo Caetano, réfugié dans la caserne principale de la gendarmerie de Lisbonne, est encerclé par le capitaine Salgueiro Maia et ses hommes, tous membres du MFA. Voulant à tout prix éviter que le pouvoir ne tombe dans la rue (ou aux mains du MFA qu’il considère comme un mouvement communiste), il accepte de se rendre à condition de remettre le pouvoir au général Spínola, ce qui sera fait après accord du MFA. Caetano est alors emmené sous escorte et envoyé en exil vers le Brésil.
Seule la PIDE, police politique, oppose une résistance armée et tire dans la foule, faisant quatre morts, uniques victimes de cette révolution. Cette résistance est anéantie dans la nuit du 25 au 26.
Comme prévu le pouvoir est aussitôt confié à une Junte de Salut National (JSN). Elle est composée de militaires prestigieux : Spínola, Costa Gomes, Jaime Silvério Marques, Galvão de Melo, Pinheiro de Azevedo et Rosa Coutinho. Vers 1 h 30, elle se présente aux Portugais en lisant une proclamation rédigée par le MFA. Cette proclamation affirme que le pouvoir sera remis aux civils à l’issue de la tenue d’élections libres, et insiste sur la volonté d’une politique dite des Trois D : « démocratiser, décoloniser et développer ». Pourtant, très vite, les divergences entre les différents protagonistes vont se faire jour et provoquer une longue période de troubles au Portugal plus connue sous le nom de Processus Révolutionnaire en Cours (PREC).
Les prisonniers politiques sont également libérés. Les dirigeants des partis politiques en exil peuvent dès lors rentrer triomphalement au Portugal : le socialiste Mário Soares le 29 et le communiste Alvaro Cunhal le 30 avril.
Les années qui suivent le 25 avril sont marquées par la démocratisation du pays et la décolonisation. Ces transformations se font malgré des divisions majeures entre le MFA qui souhaite une révolution radicale, les socialistes et les sociaux-démocrates qui veulent modérer la révolution, et Spinola qui veut la limiter le plus possible. Le pays est durant deux ans marqué par une agitation importante appelée PREC (grèves, occupation des terres des grands propriétaires, tentatives de putsch…). Il faut attendre l’adoption de l’actuelle constitution portugaise, le 2 avril 1976, et l’élection de Ramalho Eanes à la tête de l’État pour que la situation se « normalise ». C’est durant ces deux années que les colonies portugaises deviennent indépendantes à la suite d’un vote du 10 juillet 1974 reconnaissant leur droit à l’autodétermination. Par conséquent, le 10 décembre 1974 la Guinée-Bissau déclare son indépendance, suivie du Mozambique (25 juin 1975), du Cap-Vert (5 juillet 1975), de Sao Tomé-et-Principe (12 juillet 1975) et de l’Angola et de Cabinda (11 novembre 1975).
Le 25 avril est un jour férié au Portugal, appelé « Fête de la liberté ».
En mémoire de la révolution du 25 avril 1974, le grand pont suspendu qui enjambe le Tage à Lisbonne, jusque-là nommé « pont Salazar », a été rebaptisé « pont du 25-Avril ».
De nombreuses rues portugaises portent depuis le nom Avenida da Liberdade (« avenue de la Liberté ») ou Avenida 25 de Abril (« avenue du 25-Avril »).
L’ordre de la Liberté a été créé en 1976 pour honorer les personnes et les collectivités qui se sont distingués dans la défense de la liberté, de la démocratie et des droits de l’homme.
La fleur d’oeillet est devenu un symbole de la Révolution d’Avril de 1974. Celeste Caeiro, qui travaillait dans un restaurant dans la “Rua Braamcamp” de Lisbonne, transportait des fleurs d’oeillet blancs et rouges dans les mains. Un soldat lui a demandé une cigarette, mais elle n’avait que des fleurs et a donc décidé de commencer a distribuer les fleurs aux soldats, qui eux les ont mis dans leurs armes. Plus tard, les fleuristes on refait le même geste. C’est pour cette raison que ce jour est aussi connu par “La Révolution des Oeillets”.
Source : Wikipédia.