La prise de la Bastille (1789).

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La prise de la Bastille, survenue le mardi 14 juillet 1789 à Paris, est l’un des événements inauguraux et emblématiques de la Révolution française. Cette journée, durant laquelle la Bastille est prise d’assaut par des émeutiers, est, dans la tradition historiographique, considérée comme la première intervention d’ampleur du peuple parisien dans le cours de la Révolution et dans la vie politique française.

Le siège et la reddition de la forteresse royale s’inscrivent dans une période de vide gouvernemental, de crise économique et de tensions politiques à la faveur de la réunion des états généraux et de leur proclamation par le Tiers état en Assemblée constituante. L’agitation du peuple parisien est à son comble à la suite du renvoi de Jacques Necker (annoncé le 12 juillet par le journaliste Camille Desmoulins) et du fait de la présence de troupes mercenaires aux abords de la ville.

Si son importance est relative sur le plan militaire, l’événement est sans précédent par ses répercussions, par ses implications politiques et son retentissement symbolique. La reddition de la Bastille fit l’effet d’un séisme, en France comme en Europe, jusqu’en Russie impériale. La forteresse était défendue par une centaine d’hommes (suisses et allemands) qui firent près de cent morts parmi les assiégeants. Il y en eut six parmi les assiégés, dont le gouverneur de Launay.

D’emblée, l’événement est considéré comme un tournant radical dans le cours des événements par les Parisiens et le pouvoir royal. Il marque l’effondrement de l’administration royale et provoque une révolution municipale. La capitale puis le pays se mobilise derrière les constituants. De plus, il est immédiatement mis en scène et célébré par ses partisans. Il revêt par la suite une charge symbolique extrêmement forte dans la culture politique républicaine.

La Fête de la Fédération fut organisée à la même date l’année suivante, pour coïncider avec le premier anniversaire de l’évènement. La date du 14 juillet fut choisie en 1880 pour célébrer la fête nationale française en souvenir de cette double commémoration.

Le premier témoignage écrit sur la prison est le livre des pseudo-mémoires d’un calviniste français, Constantin de Renneville, qui livre une histoire fantasmée de la Bastille. Il en fait un bastion terrifiant du pouvoir arbitraire et inquisitorial et l’oppose à la tour de Londres11. Les récits « antibastillonnaires » se multiplient dans les années 1770 – 1780. Deux ouvrages publiés à l’étranger participent grandement à associer la Bastille et l’arbitraire : Mirabeau avec Des lettres de cachet et des prisons d’État (Hambourg, 1782) et Simon-Nicolas-Henri Linguet, Mémoires sur la Bastille (Londres, 1783). Ce dernier ouvrage se fait fort de distinguer le « bon roi » justicier de ses mauvais et tyranniques ministres. Louis-Sébastien Mercier, qui en donne une peinture effroyable dans son Tableau de Paris, prophétise sa chute dans l’An 2440, rêve s’il en fut jamais.

La prise de la Bastille, carte maximum, Saint-Pierre & Miquelon, 20/05/1940.

L’imagerie pré- et post-révolutionnaire, notamment par les gravures, a largement contribué à entretenir le mythe d’une Bastille abritant des cachots où pourrissaient les victimes de la monarchie. Cependant, la Bastille avait perdu pour partie sa fonction de prison d’État. La plupart de ses détenus n’étaient pas des victimes de l’« arbitraire » royal, les lettres de cachet ne concernant des affaires d’État que pour une très faible minorité du corpus, de l’ordre de 4 ou 5 %. La majorité de ses résidents était constituée de grands personnages et des jeunes gens incarcérés pour dissipation ou libertinage, le plus souvent à la demande de leur propre famille ou de leur entourage. Elle était enfin la forteresse qui rappelait dans le paysage parisien, l’usage que pouvait en faire le pouvoir en période de troubles, en particulier au cœur du populaire faubourg Saint-Antoine.

La Bastille où le baron de Besenval avait fait entreposer la poudre de l’arsenal, était connue pour sa faiblesse stratégique. Son gouverneur était désavoué par ses supérieurs et Besenval lui-même affirme avoir cherché à lui donner un remplaçant au début du mois de juillet. La situation exige des moyens humains et militaires supplémentaires. Broglie demande à son lieutenant de renforcer les effectifs de trente soldats suisses et envoie des canonniers pour examiner « si les pièces sont en état, et les servir, si cela devenait nécessaire, ce qui serait bien malheureux, mais est heureusement dénué de toute vraisemblance ». La Bastille en 1789 est alors défendue par une garnison de 32 soldats suisses détachés du régiment de Salis-Samade et 82 vétérans invalides de guerre.

Le peuple de Paris était inquiet depuis plusieurs jours, craignant que les troupes étrangères massées autour de la capitale depuis juin ne finissent par être utilisées contre les états généraux ou pour servir un hypothétique massacre de la population des « patriotes ». Les échos et la publicité des débats de l’Assemblée ont autant compté dans la mobilisation populaire que « la colère et des peurs cumulés dans les différentes strates de la population parisienne », peur d’un « complot aristocratique », peur de la disette alimentée par les fantasmes d’un « pacte de famine ». Au 14 juillet, le prix du pain atteint son maximum depuis le règne de Louis XIV. La question frumentaire est au cœur de l’insurrection. Le portrait des émeutiers confirme ces préoccupations de subsistance. « Gens de métiers », artisans, commis de boutiques, les cortèges sont composés de salariés des faubourgs, père de famille, pour les deux tiers alphabétisés.

Pendant près de dix jours, du 9 au 17 juillet, des incidents éclatent aux barrières (postes d’octroi) de Paris jusqu’à voir une quarantaine de bureaux incendiés sur les cinquante-quatre que compte le mur des Fermiers généraux. L’objectif de ces émeutes est clair : supprimer les droits d’entrée dans Paris. Bien que décorrélée de la prise de la Bastille, la « prise des barrières », mêlant aussi bien le peuple parisien que les brigands, témoigne déjà d’un contexte insurrectionnel.

Le matin du dimanche 12 juillet 1789, les Parisiens sont informés du renvoi de Necker, la nouvelle se répand dans Paris. À midi, au Palais-Royal, un avocat et journaliste alors peu connu, Camille Desmoulins, monte sur une chaise du café de Foy et harangue la foule des promeneurs et l’appelle « à prendre les armes contre le gouvernement du roi ». Dans les rues de Paris et dans le jardin du Palais-Royal, de nombreuses manifestations ont lieu, les bustes de Jacques Necker et de Philippe d’Orléans sont portés en tête des cortèges. Le régiment de cavalerie, le Royal-Allemand, charge la foule amassée aux Tuileries. On compte plusieurs blessés dont des femmes et enfants, et trois tués parmi les émeutiers. En début de soirée, Pierre-Victor de Besenval, à la tête des troupes installées à Paris, donne l’ordre aux régiments suisses cantonnés au Champ-de-Mars d’intervenir.

La foule des émeutiers exige la baisse du prix des grains et du pain. Une rumeur circule dans Paris : au couvent Saint-Lazare et à la Bastille seraient entreposés les grains ; le couvent est pillé à six heures. Deux heures plus tard, une réunion des « électeurs » de la capitale se tient à l’hôtel de ville (ceux qui, au deuxième degré, ont élu les députés des états généraux). À leur tête se trouve le prévôt des marchands de Paris, Jacques de Flesselles. Au milieu d’une foule déchaînée, ils décident de former un « comité permanent » (appelé « municipalité insurrectionnelle », il se substitue à la vieille municipalité royale) et prennent la décision de créer une « milice bourgeoise » de 48 000 hommes, afin de maîtriser les débordements populaires et soutenir et défendre l’action de l’Assemblée nationale28. Chaque homme portera comme marque distinctive une cocarde aux couleurs de Paris, rouge et bleu. Pour armer cette milice, les émeutiers mettent à sac le Garde-Meuble où sont entreposées des armes de collections anciennes. Sur ordre de Jacques de Flesselles, on lance la fabrication de 50 000 piques. La foule, obéissant aux ordres qui semblent provenir du Palais-Royal[Information douteuse], parle de prendre la Bastille. À 17 heures, une délégation des électeurs parisiens se rend aux Invalides pour réclamer les armes de guerre qui y sont entreposées. Le gouverneur refuse. La Cour ne réagit pas. Les électeurs n’obtiennent pas les armes.

Le 14 juillet, 10 h, les émeutiers s’emparent des fusils entreposés aux Invalides. Devant le refus de son gouverneur, une foule composite — près de 80 000 personnes dont un millier de combattants — se présente pour s’en emparer de force. Pour défendre l’hôtel des Invalides il existe des canons servis par des invalides mais ceux-ci ne paraissent pas disposés à ouvrir le feu sur les Parisiens. À quelques centaines de mètres de là, plusieurs régiments de cavalerie d’infanterie et d’artillerie campent sur l’esplanade du Champ-de-Mars, sous le commandement de Pierre-Victor de Besenval. Celui-ci réunit les chefs des corps pour savoir si leurs soldats marcheraient sur les émeutiers. Informé de leur refus, Besenval décide d’abandonner sa position et de mettre ses troupes en route vers Saint-Cloud et Sèvres30. La foule escalade les fossés, défonce les grilles, descend dans les caves et s’empare des 30 000 à 40 000 fusils à poudre noire qui y sont stockés ainsi que vingt pièces de bouches à feu et d’un mortier. Les Parisiens sont désormais armés. Il ne leur manque que de la poudre à canon et des balles. Le bruit court qu’il y en a au château de la Bastille. Besenval avait en effet donné l’ordre de stocker la poudre dans la forteresse.

À 10 h 30, une délégation de l’Assemblée des électeurs de Paris se rend à la Bastille. Les membres du Comité permanent n’envisagent pas de prendre le bâtiment par la force mais souhaitent ouvrir la voie des négociations. Pressés par la foule des émeutiers, notamment ceux du faubourg populaire de Saint-Antoine où l’affaire Réveillon a été un épisode marquant de la pré-révolution, les électeurs envoient une délégation au gouverneur de la Bastille, Bernard-René Jordan de Launay. Ce dernier a pris soin de la mettre en défense en calfeutrant des fenêtres, surélevant des murs d’enceinte et en plaçant des canons sur les tours et derrière le pont-levis. La délégation a pour mission de demander le retrait des canons et la distribution de la poudre et des balles aux Parisiens qui forment la « milice bourgeoise ». En effet, au-dessus du portail monumental de la Bastille construit en 1643, se trouve un arsenal, magasin d’armes et de poudre. Par mesure de sécurité, de Launay les fait déplacer la nuit précédente vers une cour intérieure. Cette délégation est reçue avec amabilité, elle est même invitée à déjeuner, mais repart sans avoir eu gain de cause. Cependant, la foule s’impatiente et certains imaginent que la délégation est retenue prisonnière. Ce quiproquo aggrave les tensions.

À 11 h 30, une deuxième délégation menée à l’initiative de Jacques Alexis Thuriot, accompagné de Louis Éthis de Corny, procureur de la ville, se rend au fort de la Bastille38. Thuriot qui souhaite éviter un affrontement, presse les Invalides pour passer la seconde enceinte, inspecte les lieux et demande des garanties. Le gouverneur s’engage à ne pas prendre l’initiative des tirs. La foule des émeutiers armée des fusils pris aux Invalides se rassemble devant la Bastille. Elle amène avec elle cinq des canons pris la veille aux Invalides et au Garde-Meubles, dont deux canons damasquinés d’argent offerts un siècle auparavant par le roi de Siam à Louis XIV39. Ils sont servis par des militaires ralliés à la foule et tirent sur les portes de la forteresse.

Une explosion, prise à tort par les émeutiers comme une canonnade ordonnée par le gouverneur, déclenche les premiers assauts. Des émeutiers pénètrent dans l’enceinte par le toit du corps de garde et attaquent à coups de hache les chaînes du pont-levis.

À 13 h 30, les quatre-vingt-deux invalides défenseurs de la Bastille et trente-deux soldats suisses détachés du régiment de Salis-Samade ouvrent le feu sur les émeutiers qui continuent leurs assauts sur la forteresse, faisant une centaine de tués. Durant trois heures et demie, la Bastille est alors soumise à un siège régulier.

À 14 h, une troisième délégation se rend à la Bastille dans laquelle se trouve l’abbé Claude Fauchet, suivie à 15 h d’une quatrième avec de nouveau Louis Éthis de Corny, accompagné de Louis-Lézin de Milly, son secrétaire, du comte Piquod de Sainte-Honorine, de Poupart de Beaubourg, Boucheron, Fleurie, Jouannon et Six. Cette dernière délégation, voulue dans les formes par le comité permanent de l’hôtel de ville, affublée d’un tambour et d’un drapeau pour afficher son caractère officiel, se présente devant le marquis de Launay mais n’obtient toujours rien. Pire, les parlementaires reçoivent une décharge de mousqueterie qui touche la foule. Les soldats de la garnison de la Bastille et les assiégeants échangent des tirs. Dans la confusion, même cette dernière délégation est prise à partie par la foule des assiégeants. Les négociations sont dès lors closes, et c’est par la force que l’on compte prendre la forteresse.

À 15 h 30, un détachement de soixante-et-un garde-françaises composé en grande partie des grenadiers de Reffuveilles et des fusiliers de la compagnie de Lubersac41, et commandé par le sergent-major Wargnier et le sergent Antoine Labarthe accompagnés de Pierre-Augustin Hulin, ancien sergent aux Gardes-Suisses et Jacob Job Élie, sergent dans le régiment de la Reine, se présentent au milieu d’une vive fusillade devant la Bastille. Ces soldats expérimentés arrivent dans la cour de l’Orme, traînant à bras cinq pièces de canon et un mortier sont mis en batterie et dirigés sur les embrasures du fort, dont ils éloignent les canonniers et les tirailleurs. Les deux autres pièces sont braquées sur la porte qui faisait communiquer la cour intérieure avec le jardin de l’Arsenal, et cette porte cède bientôt sous leurs coups. Aussitôt la foule se précipite pour pénétrer dans la Bastille; mais les Gardes Françaises, conservant tout leur sang-froid au milieu du tumulte, forment une barrière au-delà du pont et par cet acte de prudence sauvent la vie à des milliers de personnes qui se seraient précipitées dans le fossé.

À 17 h, de Launay, isolé avec sa garnison, constatant que malgré l’ampleur de leurs pertes les assaillants ne renoncent pas, négocie l’ouverture des portes sur promesse des assiégeants qu’aucune exécution n’aura lieu après la reddition. Les émeutiers, parmi lesquels on dénombre une centaine de tués et soixante-treize blessés envahissent la forteresse, s’emparent de la poudre et des balles, puis libèrent les sept captifs qui y étaient emprisonnés. La garnison de la Bastille, prisonnière, est conduite à l’hôtel de ville pour être jugée. En chemin, de Launay est roué de coups, massacré à coups de sabre, décapité au couteau par l’aide-cuisinier Desnot et sa tête mise au bout d’une pique. Les têtes de de Launay et de Jacques de Flesselles, prévôt des marchands de Paris sont promenées au bout d’une pique dans les rues de la capitale jusqu’au Palais-Royal. Plusieurs des invalides trouvent aussi la mort pendant le trajet. De Flesselles est assassiné sur l’accusation de traîtrise.

Outre les prisonniers, la forteresse héberge les archives du lieutenant de police de Paris qui sont soumises à un pillage systématique. Ce n’est qu’au bout de deux jours que les mesures sont prises par les autorités afin de conserver ces traces de l’histoire. Même Beaumarchais, dont la maison est située juste en face, n’avait pas hésité à puiser dans les papiers. Dénoncé, il doit d’ailleurs les restituer.

À 18 h, ignorant la chute de la Bastille, Louis XVI ordonne aux troupes d’évacuer Paris. Cet ordre est apporté à l’hôtel de ville à deux heures du matin.

Les prisonniers étaient au nombre de 7 :

  • Auguste-Claude Tavernier qui avait tenté d’assassiner Louis XV lors des chasses en forêt de Sénart et qui était enfermé depuis le 4 août 1759, soit depuis 30 ans.
  • Le comte Jacques-François Xavier de Whyte de Malleville, atteint de folie et enfermé à la demande de sa famille.
  • Le comte de Solages emprisonné depuis 1784 à la demande de son père pour des « actes monstrueux ».
  • Quatre faux monnayeurs : Jean Lacorrège, Jean Béchade, Jean-Antoine Pujade, Bernard Larroche.
  • Les faux monnayeurs disparurent dans la foule dès leur libération. Les trois autres furent portés en triomphe dans les rues. Les deux premiers furent de nouveau incarcérés dès le lendemain à l’hospice de Charenton. Le comte de Solages regagna son pays près d’Albi où il mourut vers 1825.

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Sources : Wikipédia, YouTube.