La douane.

L’histoire de la douane commence dès celle des États qui se constituent et qui veulent d’une part contrôler leurs frontières, pour assurer l’intégrité contre d’éventuelles invasions par exemple, et d’autre part garantir des ressources pour mener leurs campagnes militaires ou leur politique.

Dès la plus haute Antiquité, les États ont taxé les marchandises franchissant leurs frontières. À l’importation, ces impôts répondent pour l’essentiel à une préoccupation fiscale, celle de remplir des caisses publiques. Les exportations sont contrôlées par des prohibitions visant à garantir l’approvisionnement du marché national en denrées indispensables.

Après la chute de l’Empire romain, on assiste à un morcellement du pouvoir et à la  multiplication des taxes, souvent hors du domaine royal, au bénéfice des puissances féodales locales. Charlemagne s’efforce de simplifier ces péages mais avec l’éclatement de son Empire, ils retombent hors du domaine royal, aux mains des féodaux ou de collectivités locales. Les impôts se multiplient et se superposent à des fins purement fiscales. Leur recouvrement est assuré soit par des fonctionnaires locaux, soit par des fermiers qui agissent pour le compte de l’autorité en achetant le droit de prélever les taxes : c’est le système de l’affermage.

L’intérêt économique commence cependant à être perçu lors des grandes foires régionales dont le rôle est essentiel au Moyen Âge : des exemptions totales ou partielles d’impôts sont consenties aux marchands afin de favoriser le commerce.

Aux 15e et 16e siècles, les besoins du Trésor continuent de faire proliférer les droits d’entrée et de sortie. Comme leur recouvrement excède les capacités des officiers royaux, le système de l’affermage se généralise. Cependant, l’utilité économique des droits de douane commence à être davantage perçue comme un moyen de soutenir le commerce et de protéger les manufactures nationales.

Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), contrôleur général des Finances sous Louis XIV, est considéré comme le père de la douane moderne du fait de son action économique : la marine marchande est encouragée et les productions nationales sont protégées. Le rôle économique des droits de douane est affirmé avec le tarif douanier de 1664 qui établit une protection modérée. Pour la première fois, la France dispose à ses frontières d’un début de tarif national qui s’appliquera, à la fin du siècle suivant, à plus de 40 % des marchandises.

À la veille de la Révolution française de 1789, presque tous les droits de traite et autres droits indirects sont affermés par bail de 6 ans à une compagnie de financiers connue sous l’appellation de Ferme Générale. Celle-ci compte jusqu’à 42 directions en province et près de 25 000 agents. Les employés de la Ferme ne sont pas des fonctionnaires royaux, mais ils agissent « au nom du Roi ». Ils bénéficient à ce titre de privilèges et de la protection de la loi. Forts de l’endettement de la monarchie, les Fermiers Généraux, amassant parfois des fortunes immenses, jouent un rôle politique et social considérable. À la fin du 18e siècle, la Ferme Générale fait figure de bouc émissaire. Autant que l’institution, ce sont les hommes qui la dirigent que l’on condamne au nom de la morale et parce que les fermiers, hommes nouveaux, aux fortunes immenses et subites, semblent le produit d’une perversion de l’ordre social.

Coopération douanière, carte maximum, Bordeaux, 22/09/1983.

Lors de la Révolution, les barrières intérieures sont levées, la Ferme Générale est supprimée. Un nouveau service est créé, la Régie des douanes nationales, dont le personnel est « préposé à la police du commerce extérieur ». Son organisation est confiée à d’anciens fonctionnaires de la Ferme Générale. Ni les hommes ni les méthodes ne sont vraiment nouveaux, mais la première administration d’État vient de naître.

La guerre change radicalement l’orientation de la politique douanière. Pour préserver l’approvisionnement du pays et face à l’ennemi, les gouvernements se font prohibitionnistes. Le blocus continental marquera l’apogée de cette évolution. En même temps, l’expansionnisme français crée un immense empire de 130 départements aux limites duquel veillent 35 000 douaniers. Toute puissante avec ses tribunaux d’exception, la douane française est organisée militairement ; elle est présente jusque dans les états satellites, implantée à Trieste, à Rome, au Piémont, à Genève…

À partir de 1815, l’installation durable du protectionnisme assure à la douane une place de premier plan dans l’appareil d’État. La surveillance douanière se renforce sur tout le territoire.

Comme sous la Ferme Générale, la douane du 19e siècle est solidement cloisonnée en deux services : les bureaux (service sédentaire) et les brigades (service actif). Les premiers, moins nombreux et relativement favorisés, dépendent de la direction générale pour leur recrutement et pour leur avancement. Les seconds, de loin les plus nombreux, sont organisés militairement.

Bien que les agents des douanes jouissent d’une ébauche de statut, leur gestion souffre d’un défaut de transparence qui prédispose au favoritisme et au népotisme. Pendant tout le 19e siècle, ces vices sont dénoncés sous diverses formes.

En 1860 le retour du libre-échange assouplit la réglementation douanière ce qui stimule les échanges internationaux, que le chemin de fer et la navigation à vapeur accélèrent.

Les frontières françaises se déplacent à nouveau à deux reprises : en 1860, lors de l’annexion de Nice et de la Savoie, puis en 1871, avec la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine.

Avec l’expansion coloniale, durant le 19e siècle et jusqu’au début du 20e siècle, la douane s’installe en Algérie, puis en Tunisie, au Maroc, en Afrique Noire, à Madagascar, en Indochine et en Océanie pour y encadrer les services douaniers locaux. Ceux-ci ne dépendent pas administrativement de la douane française, mais leur organisation et leurs méthodes sont calquées sur elle.

À ses débuts, la IIIe République poursuit la politique douanière innovée en 1860 mais les adversaires du libre-échange l’emportent en 1892. À nouveau, et pour plus d’un demi-siècle, triomphe le protectionnisme. La Société des Nations va tenter de promouvoir le libre-échange.

La Première Guerre mondiale bouleverse définitivement les relations internationales et traumatise des générations entières. Le retour en force du protectionnisme accentué par la crise de 1929 rend à la douane l’importance qu’elle avait en partie perdue. Et c’est avec des effectifs à peu près constants, voire réduits, qu’elle doit appliquer des tarifs complexes, développer ses contrôles, s’adapter aux progrès technologiques, faire face à de nouvelles formes de fraude.

La Seconde Guerre mondiale conduit la France à remettre en vigueur le système des prohibitions abandonné en 1860. L’intervention de l’État. dans le domaine du commerce extérieur et, par conséquent, celle de la douane, sont plus poussées que jamais. À partir des années 1950, les échanges se libèrent progressivement. Membre fondateur du Conseil de Coopération douanière, qui regroupe aujourd’hui plus de 100 États, la douane française s’engage dans une politique volontariste de coopération internationale. Ainsi, peu à peu, l’effacement progressif des frontières douanières se réalise. L’application des accords du GATT, la création des unions douanières, notamment de la Communauté européenne, mènent à une réduction sensible, voire à une disparition, des droits et taxes à percevoir lors du franchissement des frontières. La disparition des frontières fiscales en 1993 est l’aboutissement de cette évolution. La douane continue à assurer ses missions dans ce nouvel environnement avec des méthodes d’intervention et un dispositif adaptés.

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Sources : Musée de la douane, YouTube.