La Bataille du Jutland (1916).

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La bataille du Jutland (ou bataille de Skagerrak pour les allemands) est la plus grande bataille navale de la Première Guerre mondiale et probablement l’une des plus complexes de l’histoire. Elle opposa pendant deux jours la Royal Navy britannique à la Kaiserliche Marine (Marine impériale allemande) en mer du Nord, à 200 km au nord-ouest de la péninsule danoise du Jutland en mai-juin 1916.

Après plus de deux ans d’attente et plusieurs occasions manquées, la Grand Fleet britannique, commandée par l’amiral John Jellicoe, réussit à  contraindre la Hochseeflotte, la Flotte de haute mer de la Marine impériale allemande, aux ordres de l’amiral Reinhard Scheer, à une grande  confrontation au milieu de la mer du Nord. La bataille générale, impliquant au total 250 navires de tous types, commença à 18 h 30, le 31 mai 1916 et dura deux heures. À la suite des mauvaises conditions de visibilité et d’erreurs des Britanniques, elle ne fut pas décisive, malgré la supériorité numérique de ces derniers. Cependant, Jellicoe réussit à couper la route de repli des navires allemands vers leurs ports, et était persuadé d’avoir l’occasion d’une bataille décisive pour le lendemain matin. Mais Scheer, déterminé à sauver sa flotte à n’importe quel prix, traversa le dispositif britannique à la faveur de la nuit et regagna les bases de Wilhelmshaven, protégées par des champs de mines.

L’affrontement a coûté quatorze bâtiments aux Britanniques et onze aux Allemands, ainsi que des milliers de victimes humaines. Les deux camps revendiquèrent chacun la victoire. Même s’il est vrai que les pertes des Britanniques en vies humaines et en navires ont été les plus importantes, les marins allemands n’étaient pas dupes et avaient conscience d’avoir échappé de peu à un désastre. La flotte de haute-mer allemande resta dès lors dans ses ports, hormis quelques brèves sorties en août 1916 et avril 1918. Certes, elle continuait de constituer une menace, obligeant les Britanniques à maintenir de nombreuses unités en mer du Nord, mais jamais plus la Marine allemande ne tenta un affrontement aussi significatif en mer du Nord. Désormais, elle allait consacrer ses principaux efforts à la guerre sous-marine.

Avec l’ouverture des hostilités au mois d’août 1914, la Royal Navy se retrouve aux prises avec sa nouvelle rivale, la flotte allemande, dont la croissance depuis le début du siècle menace l’hégémonie britannique sur mer. Même si le rythme des constructions navales allemandes, dopé par la politique impérialiste du Kaiser, a été élevé, la Royal Navy conserve une avance au moins numérique importante. Comme les armées de terre du Reich sont alors victorieuses et que la marine allemande a été échaudée par sa défaite du Doggerbank, les ordres de cette dernière sont plutôt  attentistes.

Les Britanniques, de leur côté, ont été contraints d’abandonner leur  stratégie traditionnelle de blocus serré de la flotte adverse dans ses ports d’attache. Dorénavant, l’existence de sous-marins, de torpilleurs et surtout de mines, rend celle-ci trop hasardeuse. En lieu et place, Jellicoe, qui prend le commandement de la Grand Fleet, choisit de pratiquer un blocus distant, maintenant sa flotte dans les ports du Royaume-Uni, prête à appareiller en quelques heures, si une tentative de sortie de la Hochseeflotte est signalée. De plus, au début de la guerre, sa supériorité numérique est marginale car six de ses dreadnoughts sont en refonte, l’Audacious, ayant heurté une mine, a coulé, et il a dû détacher trois de ses croiseurs de bataille pour régler le sort de l’escadre de Von Spee. Il décide prudemment de ne livrer le combat que si la Hochseeflotte s’aventure dans la partie septentrionale de la mer du Nord.

Au début de 1916, l’amiral von Pohl qui commandait jusqu’alors la Hochseeflotte, atteint d’une maladie incurable, est remplacé par le vizeadmiral Reinhard Scheer. Comme le front terrestre s’est enlisé et que la guerre sous-marine totale a dû être suspendue à la suite des protestations des États-Unis, après les torpillages du Lusitania et de l’Arabic, Scheer va essayer, dès lors, d’utiliser sa flotte de surface de façon plus offensive.

Selon Scheer, la stratégie navale allemande doit viser dans un premier temps à infliger le maximum de pertes à la flotte britannique, d’une part par des raids offensifs contre les forces navales occupées à la surveillance et au blocus de la baie de Heligoland et, d’autre part, par le mouillage de mines le long des côtes britanniques et des attaques sous-marines aussi fréquentes que possible. Le but recherché est d’établir un équilibre numérique entre les flottes allemandes et britanniques et, cet équilibre atteint, de rechercher dans un second temps la bataille décisive, dans les circonstances les plus défavorables possibles pour l’adversaire.

En effet, en 1916, la Hochseeflotte n’avait que 18 navires de ligne à opposer aux 33 de la Grand Fleet et, dans ces conditions, il n’était pas envisageable de risquer l’affrontement direct. En lançant des raids en mer du Nord, les Allemands espéraient attirer dans des pièges de petites escadres  britanniques qui seraient alors attaquées et détruites, sans possibilité d’être secourues. Ils faillirent piéger l’escadre de croiseurs de bataille du vice-amiral David Beatty, dès le 26 mars, mais il refusa le risque d’un combat par gros temps. Le 21 avril, un raid de bombardement sur Yarmouth, tourna court lui aussi, quand le Seydlitz toucha une mine.

Fin mai, l’amirauté allemande avait planifié une vaste opération destinée à faire sortir l’escadre de Beatty de ses bases. En premier lieu, un grand nombre de U-boot (une dizaine) allait se placer en embuscade, au large des bases navales britanniques, puis un raid de bombardement, serait lancé le long de la côte du Sunderland ce qui ne manquerait pas de susciter une réaction britannique. Les navires britanniques subiraient d’abord l’assaut des sous-marins, puis les navires intacts seraient attirés vers les dreadnoughts de Hipper et anéantis.

Cependant, ce qu’ignorait l’état-major naval allemand, c’est que l’Amirauté britannique était en mesure de décrypter ses messages chiffrés (voir le combat de l’île d’Odensholm) et qu’elle était donc informée de ses intentions. Les Britanniques interceptèrent et décryptèrent le 28 mai un message allemand, ordonnant à tous les navires d’être prêts à prendre la mer le 30. D’autres messages furent interceptés et, bien qu’ils ne fussent pas déchiffrés, il semblait clair qu’une opération d’envergure était en cours.

La Grand Fleet, soit 24 dreadnoughts et 3 croiseurs de bataille, quitta donc Scapa Flow le 30 mai, sous le commandement de Jellicoe, avant même que Hipper ne quitte de son côté l’estuaire de la Jade. L’escadre de Beatty (4 dreadnoughts et 6 croiseurs de bataille) quitta le Firth of Forth, le même jour. Jellicoe et Beatty devaient se rejoindre à 145 km à l’ouest du Skagerrak, au large de la côte du Jutland, pour y attendre les Allemands.

Au sein de la Royal Navy, la doctrine qui prévalait alors était qu’une flotte se préparant au combat devait se déplacer en plusieurs colonnes parallèles formant une ligne de front. Cela permettait de manœuvrer relativement plus facilement : plusieurs petites colonnes pouvaient en effet modifier leur direction tout en maintenant leur formation, plus rapidement qu’une longue et unique colonne. De surcroît, les signaux par pavillons et par  projecteurs du navire-amiral, généralement placé en tête de la colonne centrale, pouvaient être ainsi vus immédiatement par le plus grand nombre de navires. Cette disposition « en râteau » est également la meilleure pour parer à des attaques par des sous-marins. Au contraire, en colonne unique, la transmission des signaux, de la tête à la queue de la colonne, pouvait prendre une dizaine de minutes, sans compter que les fumées dégagées par les cheminées empêchaient souvent d’identifier les signaux émis par des navires autres que ceux immédiatement voisins. De plus, chaque bâtiment devant confirmer les ordres reçus, le retard mis à leur exécution s’en trouvait donc accru d’autant.

Pour le combat proprement dit, les différentes colonnes devaient se réunir en une seule, les bâtiments de tête pivotant de 90 degrés, à bâbord ou tribord selon les cas, chaque navire imitant en succession la manœuvre du navire précédent. La difficulté majeure était de former la ligne dans la bonne direction, alors que l’ennemi n’était pas encore en vue. Il appartenait aux patrouilles de reconnaissance, composées de croiseurs de bataille et de croiseurs de trouver l’adversaire et de prévenir en temps utile le gros des forces de la direction de son arrivée, tout en essayant d’interdire aux navires éclaireurs ennemis d’obtenir des renseignements similaires. Chaque flotte tentait, de son côté, de réaliser la manœuvre classique consistant à barrer le T, ce qui permet à la flotte située sur la barre horizontale du T de faire usage d’un maximum possible de canons alors que celle située sur la barre  verticale ne peut tirer qu’avec les canons de proue. Généralement, cette tactique s’avérait concrètement irréalisable et le combat consistait souvent en d’intenses échanges d’artillerie entre deux flottes suivant  approximativement des routes parallèles.

Les Britanniques disposaient d’une confortable supériorité numérique, avec vingt-huit navires de ligne modernes contre seize et six plus anciens,  neuf croiseurs de bataille contre cinq. Cette supériorité se retrouvait également dans les navires légers, en termes de tonnage, les Britanniques opposaient 151 000 tonnes aux 61 000 de leurs adversaires. Les Britanniques avaient opté pour un contrôle de l’artillerie mettant l’accent sur la cadence de tir. De leur côté, les Allemands bénéficiaient d’une artillerie plus précise (meilleur système de visée), le pouvoir perforant de leurs obus était meilleur et le blindage des navires allemands leur assurait une meilleure protection. De plus, dans la Royal Navy, l’apparition des charges propulsives composées de poudre sans fumée, comme la cordite, avait entraîné un relâchement des procédures de stockage et de manutention des matières explosives, qui allait se révéler déterminant.

Le piège sous-marin allemand fut totalement inefficace. Non seulement il ne coula pas un navire, mais en outre, il ne fournit aucune indication utile à Scheer sur la position de la flotte ennemie. Cette inefficacité doit en partie être mise au crédit de Jellicoe qui fit sortir ses bâtiments par petits groupes et non en bloc. Ainsi un sous-marin allemand en faction (non identifié) avise Scheer par TSF qu’il a vu 2 dreadnoughts, 2 croiseurs et plusieurs destroyers à 60 nautiques à l’est du Firth of Forth, cap au sud-est. Un autre sous-marin, U66, signalera 8 cuirassés, des croiseurs et autres bateaux se dirigeant au nord-est. Mais ces renseignements partiels, comme ceux de la station d’écoute et déchiffrage de Neumünster, n’éclaireront pas l’amiral allemand.

Jellicoe se rendit au lieu de rendez-vous sans être inquiété. Mais, induit en erreur par les services de renseignements de l’amirauté, il pensait que les Allemands étaient beaucoup plus éloignés qu’ils ne l’étaient en réalité.

À 14 h 20, le 31 mai, alors qu’ils s’apprêtaient à virer au nord pour effectuer la jonction prévue avec Jellicoe, des navires de reconnaissance de l’escadre de Beatty aperçurent des bâtiments allemands au sud-est. Ces unités  légères qui étaient parties reconnaître un vapeur neutre danois, le Fjord, voguant entre les deux flottes, repérèrent des bateaux allemands  visiblement engagés dans une mission similaire à la leur. Beatty chercha à prendre à revers les navires allemands pour les couper de leurs bases et, bientôt, les premiers échanges d’artillerie de la bataille commençaient. Le HMS Galatea, de la première escadre de croiseurs légers, engagea deux destroyers qu’il prit pour des croiseurs. Il fut touché par le SMS Elbing, du groupe de reconnaissance II du contre-amiral Bodicker, tirant en limite extrême de portée.

Depuis deux ans que les marins de la Royal Navy attendaient cet  affrontement avec leurs adversaires de la Hocheseeflotte, la conclusion de cette bataille leur laisse un arrière-goût d’inachevé. Certes, la flotte de Scheer a fui à deux reprises face aux canons de la Grand Fleet, et n’a, à aucun moment, semblé en mesure de contester la suprématie globale britannique. Mais, piégée, la flotte allemande a réussi à s’échapper et à rester une menace pour la Royal Navy. Pour les Britanniques, une telle bataille aurait dû avoir comme conclusion, logique au vu de leur supériorité numérique, l’anéantissement de la flotte de surface allemande.

Autre raison d’insatisfaction : l’importance des pertes britanniques. Les Allemands, arguant de la disproportion des pertes, revendiquent même la victoire, quoiqu’ils n’aient pu obtenir la maîtrise de la mer. Au total, les Britanniques ont perdu quatorze navires contre onze allemands mis hors de combat. Du fait que trois de ceux-ci étaient des croiseurs de bataille, leurs pertes humaines sont aussi plus élevées, 6 094 marins anglais contre 2 551 Allemands, mais aussi en tonnage : 111 contre 62 milliers de tonnes.

Tactiquement, les Britanniques ont donc remporté un succès coûteux et imparfait. Cependant, d’un point de vue stratégique, la victoire britannique est plus claire, de nombreux autres bâtiments ayant été endommagés de part et d’autre. À l’issue de la bataille, les Britanniques avaient encore 24 dreadnoughts et croiseurs de bataille en état de combattre contre seulement dix du côté allemand. Leurs vaisseaux endommagés furent rapidement remis en état, à l’inverse de ceux des Allemands ; ces derniers ne sortirent plus guère de leurs ports et durent se contenter par la suite de ne constituer qu’une menace potentielle, empêchant cependant la Royal Navy de redéployer toutes ses forces dans d’autres combats comme la bataille de l’Atlantique.

Source : Wikipédia.

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